Suite aux nombreuses protestations de barbares à moitié lettrés trouvant que huit bouquins sans images, c'est juste bon à allumer un bûcher (NDLR : le précédent article d'Ukko traitait de Conan le Barbare de R.E. Howard), cette fois-ci nous parlerons BD. Cet article fait bien sûr partie de la grande campagne "Halte aux casques de moto !" puisque dans une BD, vous pouvez non seulement trouver des idées de background, mais aussi de déguisements. à condition qu'elle soit bien documentée, évidemment. ça tombe bien, François Bourgeon est justement réputé pour sa minutie qui fait de lui un des dessinateurs les plus lents de la BD française. C'est aussi un des plus poétiques.
Le cycle des "Compagnons du crépuscule" ne fait pas à proprement parler partie de ce qu'on appelle l'"héroic fantasy" c'est plutôt une fable historique. Il y a pourtant de nombreuses idées et pas mal d'informations à en tirer pour un fan de G.N., notamment quant à l'organisation sociale de la vie au Moyen Âge. L'histoire se déroule durant la Guerre de Cent Ans, mais si vous espérez des grandes scènes de bataille, vous allez être déçus, il n'y en a pas beaucoup. Pour compenser, il y a pleins de jeunes filles pas toujours très vêtues, ce qui n'est pas désagréable à regarder, d'autant que Bourgeon les dessine à merveille. La Mariotte par exemple, d'origine franchement paysanne, rouquine dégourdie (et il ne fait pas bon être roux à cette époque, vous êtes tout de suite soupçonné d'avoir été engendré par le Malin) ne porte pas de dessous. Elle parcourt ce que l'on devine être la Bretagne (contrée dont est originaire l'auteur et célèbre pour ses farfadets, fées et autres merveilles) en compagnie d'un chevalier errant et toujours casqué et du valet de ce dernier, l'Anicet, couard spécialiste de la mauvaise plaisanterie. Équipage disparate mais uni par un commun besoin de rédemption. En route, ils croisent nombre de créatures et de personnages étranges, souvent à la frontière du rêve et de la réalité. Le troisième album, le plus sérieux peut-être, voit les trois héros parvenir au bout de leur quête, pas toujours d'heureuse façon, il est vrai. Retenez cette leçon, chers joueurs lecteurs, un personnage qui est arrivé au bout de sa destinée doit savoir se retirer, parfois même de façon tragique. C'est aussi dans "Le dernier chant de Malaterre" que le surnaturel occupe le moins de place. Comme si, brusquement tirés de leurs rêveries, les personnages se trouvaient subitement confrontés à la dure réalité du monde des hommes. C'est donc dans ce volume que l'aspect "vie quotidienne au Moyen Âge" est le plus développé, l'aventure se terminant d'ailleurs en ville.
Le sens du découpage de Bourgeon est également admirable. Il n'hésite pas à venir tout près du visage de ses personnages quand l'intensité dramatique le requiert ou à les laisser partiellement dans l'ombre pour les rendre plus inquiétant. Mais c'est souvent dans les cases d'une pleine page que s'exprime pleinement son talent de dessinateur d'après nature. Il découpe si bien qu'on pourrait presque tourner un film en utilisant sa bande dessinée comme story-board. Il possède de surcroît un très bon sens de la sonorité de la langue. Essayez par exemple de lire à haute voix ce que racontent les lutins rencontrés dans les deux premiers albums, vous serez étonnés. Voilà des quatrains directement prêts à l'emploi:
"Vos pauvres joies sont éphémères
Car vous savez que quand il chasse
Mâchoire en ciel, mâchoire en terre
Vous ne pouvez lui faire face
VOUS FUYEZ"
C'est un peu hors contexte évidemment, mais il y a de nombreuses idées à prendre.
"Il me faut maintenant vous laisser
Rêvez bien jusqu'au trimestre prochain
Quant à moi je vous salue bien
Car cet article est à présent terminé
LISEZ !"
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Le sortilège du bois des Brumes. | Les yeux de la ville glauque. | Le dernier chant des Malaterre. |
À lire également pour mieux comprendre l'histoire (ou Histoire ?) et les recherches de François Bourgeon : Dans le sillage des Sirènes de Michel Thibaut, éd. Casterman