Vous voilà en plein douzième siècle, dans la petite bourgade (imaginaire, ne cherchez pas sur une carte) de Kingsbridge. Le toit de la vieille église cathédrale du monastère dont dépend la ville vient de partir en fumée, entraînant dans sa chute les murs déjà passablement décatis. Du bâtiment, il ne reste qu'un amas de ruines. Il faut rebâtir. Grâce à la vente de la laine de ses moutons, le monastère se relève à peine d'une situation financière catastrophique, mais où trouver l'argent nécessaire à la reconstruction ? Heureusement le prieur Philips, récemment nommé à la tête de la petite communauté de moines, est un homme énergique et plein de ressources et il sait s'entourer d'hommes capables, tel Tom le bâtisseur ou Aliena, fille du comte déchu de Shiring et si douée pour les affaires. Mais hélas pour eux, la méchanceté de leurs adversaires est à la hauteur de leurs qualités, et nous voilà, nous pauvre lecteur innocent, tour à tour crevant de faim et de froid sur les routes d'Angleterre avec Tom et sa famille, tentant de nous dépatouiller des intrigues de la cour d'Angleterre en pleine guerre civile avec l'infâme Waleran Bigod, évêque de Kingsbridge ou encore suant d'angoisse sur les remparts improvisés de la ville en attendant l'assaut des troupes de William de Shiring. A ce propos, les récits de batailles sont pour nous adeptes du Grandeur Nature, des modèles du genre. Les affrontements décrits sont souvent à une échelle que nous connaissons bien, cent à deux cents adversaires, et qu'il est plus facile d'imaginer que des batailles historiques rassemblant plusieurs milliers d'hommes. Du coup on a régulièrement l'impression de revivre des scènes de "live". Vous savez bien, vous êtes quatre, votre adversaire est seul, mais il est dans un couloir étroit et il se bat foutrement bien. Deux de vos camarades baignent déjà dans leur sang. Lequel d'entre vous va être le suivant à entrer ?
Et oui, comme vous pouvez le constater, on ne parle pas que de construction de cathédrale dans ce bouquin, même si le monument est un peu le personnage central du livre. Décrit par les yeux de ses bâtisseurs, on se prend à l'aimer et à l'admirer au fur et à mesure qu'il jaillit du sol. Mais l'histoire de sa naissance est surtout le prétexte qui permet à l'auteur de nous peindre un tableau saisissant de ce qu'a pu être la vie quotidienne en cette ère trouble mais fertile en événements et en inventions surprenantes que fût le Moyen Âge. Le choix de raconter la construction d'un édifice religieux n'est cependant pas innocent lorsqu'on parle d'une période où l'influence de l'Église était d'une importance capitale pour tout le monde, des gueux aux puissants. L'auteur parvient d'ailleurs très bien à nous faire sentir à quel point les actes des différents personnages sont imprégnés par la perception qu'ils ont de la toute-puissance divine. Tous n'agissent pas pour Dieu, mais tous agissent en fonction de Lui. On assiste ainsi à des scènes surprenantes où une brute sanguinaire comme William de Shiring rampe aux pieds d'un évêque pour obtenir la rémission de ses pêchés, tant il craint le sort qui l'attend dans l'au-delà. Voilà sans aucun doute une bonne source d'inspiration pour des démonstrations de bon rôleplay.
Que dire en conclusion, si ce n'est qu'il serait bien bête de se laisser décourager par l'épaisseur de cet excellent bouquin, car sa longueur est sans conteste une de ses qualités. Il faut bien mille deux cents pages pour donner sa pleine mesure à ce récit, qui narre sur plus de soixante ans les heurts et malheurs d'une bonne douzaine de personnages principaux. Et je peux vous dire que lorsqu'on arrive à la fin du dernier chapitre, on se prend à regretter qu'il n'y en ait pas deux ou trois supplémentaires !
"Les Piliers de la Terre" est un roman de Ken Follett. Il existe en livre de poche, réf. n° 4305.