Dieu que l'évasion se révèle difficile dans notre monde moderne !
Constamment surveillées par la réalité les frontières du rêve s'avèrent de
plus en plus ardues à franchir. Pas de Schengen pour les espoirs de
dépaysement ! Mais la résistance s'organise et la réaction est prompte. Les
filières clandestines ouvrent de nombreuses brèches au sein des rigides
concepts de la vie quotidienne. Le soir, les étranges lueurs provenant de
ces issues au sein des moniteurs se font pléthore, renforant de leur
pluralité les aspirations au bonheur, même virtuel, de la masse
quotidiennement engluée dans les avatars journaliers.
Sur les étals des spécialistes les signes ne trompent pas. Les
boîtiers des jeux d'aventure ou de rôle disparaissent à une cadence
incroyable. A peine le temps de réassortir les rayons que déjà les hordes de
prisonniers du réel se disputent ces dernières clefs vers des univers
lointains, magiques ou horrifiques, mais surtout différents. Et, avec déjà
une lueur d'absence dans le regard, ces candidats à la face cachée de notre
inconscient collectif se hâtent vers les lucarnes où nulle autre autorité
que celle qu'ils s'imposent ne pèse sur leurs décisions. Déjà le geste
d'introduction de la galette dorée dans le lecteur trahit une impatiente
sensualité. Derrière les regards encore braqués sur les réalités des
chambres sombres les retenant un dernier instant accourt la Découverte,
enivrante compagne suivie de sa cohorte de serviteurs, Inconnu, Dépaysement
ou Pouvoir.
L'immersion dans l'ailleurs est brutale et sans équivoque, la rudesse
étant indispensable à la rupture du cordon ombilical de l'esclavage du réel.
Les univers découverts se parent de teintes oniriques inconnues à tout être
ne fumant que des substances légalement admises. Les mondes dévoilés savent
s'habiller de reflets étranges, incitatifs, à la limite de l'appréhension.
Il faut toujours avoir un peu peur à l'abord d'un obstacle, sa résolution
n'en étant que plus puissamment source d'évolution. Et ici, ils ne manquent
pas ! Tout semble la plupart du temps déroutant de par la logique différente
régnant en ces contrées, les plus redoutables étant ceux offrant un semblant
de normalité pour mieux vous asséner des incohérences difficiles à résoudre.
L'évasion de ces univers s'apparente à une forme de masochisme poussé dans
ses derniers retranchements. On n'y est heureux qu'au pied des murs se
formant sans cesse pour entraver nos évolutions. On exulte à la découverte
des outils ou mécanismes propres à les détruire. Et les quelques pas que
permet leur mise à bas avant l'obstacle suivant se révèlent auréolés de la
formidable puissance du conquérant défrichant les espaces vierges
nouvellement conquis. On sent l'évolution de nouvelles synapses au sein de
nos hémisphères, on voit se former l'expérience de celui qui sait,
l'intelligence et l'adaptation progressant de pair.
Et plus le voyage proposé se démarque de la réalité, plus le regard
capte de lueurs d'espoir. Sinon, comment s'évader si c'est pour se retrouver
chez soi ! Les monstres issus de fantasmes inavouables côtoient les espoirs
incarnés des rondeurs affriolantes de nos rêves. Les dragons surgissant du
sommeil trahissent une filiation inavouée avec les pensées cachées de notre
quotidien. Quelle joie lorsque l'on a enfin découvert l'arme unique qui les
terrassera ! Relever le défi des pièges mis au point part les concepteurs du
jeu, frotter ses neurones à la sueur créatrice des programmeurs, quel
challenge ! Cet attrait pour l'inconnu, pour le respect d'autres règles,
pour un espace où l'on a enfin le loisir de se forger le beau rôle, quel
générateur de frissons ! On oublie l'aspect commercial de ce qui n'est pour
d'autres, après tout, qu'un jeu, les innombrables heures de mise au point du
scénario ou de sa transcription informatique. On vibre avec les tripes et le
dépaysement, pas avec le pécuniaire.
Les drogués de l'aventure et du rôle vivent une nouvelle genèse
depuis l'avènement du PC comme standard. Les logiciels fabuleux déferlent
continuellement et la prochaine mouture de notre raison de vivre ludique
s'annonce encore plus porteuse de rêve et de fantastique.
Alors, pour les autres, ceux qui ricanent et hochent tristement la
tête en critiquant l'être aux yeux rougis et au regard absent, sourd aux
appels de son monde car plongé dans un autre univers, soyez indulgents. Le
jeu est une affaire sérieuse ! D'ailleurs, ne joue-t-on pas à la Bourse ?
Laissez-vous convaincre et comprenez la passion. Voyez, la porte est
entrouverte. Saurez-vous la franchir ?