Seuils

... des portes lentes comme des frontières

il en est de tant de sortes...

Même si seules celles fermées nous appellent

celles closes renferment des palais de mensonges

J'en ai franchi plus que des heures,

portes bénédictines scellées sur le silence et le secret,

arcs de triomphe, que les vaincus franchissent

têtes basses,

portails des temples, des sanctuaires, des abbatiales

J'en ai parcouru des terres dont

le seuil était sans fin

J'ai vu au travers, j'ai épié les serrures,

J'ai menti, me suis déguisé, infiltré,

Harems scellés,

J'ai deviné l'intangible présence féminine

qui guette de l'autre côté

Que dire ? se taire ?, franchir une porte encore ?

Le monde est vide sans qu'on le close

Et les paysages lassants

si personne ne vous les dérobe.

II

Les calèches franchissant à la pénombre des lanternes

les remparts de Varsovie

Le Pont Saint-Charles, Porte de Brandebourg

Tant d'années déjà qu'une muraille est tombée

longue comme l'Atlantique

Et mes souvenirs prisonniers pourtant de l'autre côté

Check Point Charlie

Et vou serez en sécurité...

III

Les mers, les océans, d'autres portes encore

Gigantesques

Passage: le Bosphore nous garde des mystères de l'Asie

Nous les hommes, savons-nous ce qu'est un continent ?

et quelle mystérieuse limite nous transgressons quand

nous en franchissons la frontière ?

Gibraltar, ce chenal qui s'en va sans cesse,

Draine avec lui les larmes de tant de civilisations

qui rêvèrent du couchant

Les ports sont des seuils d'eau que l'on trace

de la quille d'un bateau

IV

L'on dit encore, la guerre est à nos portes

impacts d'obus sur la ville de Dubrovnik

Spider alley, Sarajevo, Peuplades déportées

au delà de leurs frontières

A quoi servent ces portes si ce n'est pour protéger ?

V

Les Ponts que l'on franchit d'un soupir

Pont Saint-Charles et l'on entre en Chrétienté

Dédale de Venise, où l'occident se noie,

à Bruges les canaux se cachent,

longues digues, bâtiments sur l'eau, voûtes en berceau

où se bercent les vagues,

triste pont que celui de Vukovar ?

qui rapproche les hommes

Il est des seuils qui s'effondrent...

Pas un pas ne s'oublie qui ait franchi une marée

un cours d'eau

Ceux-là sont des portes ouvertes sur les souvenirs

les ponts qui nous guettent

VI

Sages Mosquées, port d'attache, où l'on prie

Lieu Saint, tout entier comme le seuil sous la voûte

Antique temple où veille une statue blonde

comme notre enfance

Eglise, porte majeure, baptismale

L'on entre en péché... avant que de respirer

VII

Immobilité, dernier seuil à franchir, le paysage

D'un homme qui soupire

Seuil encore mystique que cette porte-là

Longue comme un pas au delà du sentier

Port d'attache qui sait ?