Témoignages sur le raid contre Alvarado en 1651


Introduction

Les témoignages de victimes des flibustiers ne manquent sûrement pas dans les archives espagnoles. Comme je n'ai guère eu accès à des copies de documents originaux, je présente ce que j'ai pu trouver de mieux. Il s'agit de trois témoignages: les deux premiers faits au village d'Alvarado et le troisième à la Veracruz. Ils racontent tous trois la prise d'Alvarado par quelques dizaines de flibustiers français et hollandais en mai 1651, descente dont je ne sais rien de plus que ce qu'en disent ci-dessous les trois Espagnols. On remarquera que ceux-ci insistent sur le pillage de l'église d'Alvarado et sur les armes de leurs agresseurs, ces «gros fusils de chasse» qui sont en fait les fameux fusils de boucaniers.


déposition de Francisco Gutiérrez de Estrada, vicaire d'Alvarado

Au port de San Cristóbal de Alvarado, le 15e jour du mois de juin 1651, moi, D. Ignacio Durango Laris, lieutenant du corregidor de la ville neuve de la Veracruz, fis comparaître devant moi, au nom de Sa Majesté, le licencié Francisco Gutiérrez de Estrada, curé et vicaire dudit port, lequel déclara:

Que le 26e jour du mois passé l'ennemi était entré dans le port, avait tué dix hommes et en avait blessé neuf autres par balles. Et qu'allant au secours de son église avec un Espagnol nommé Juan Fernández, ils en furent sortis par une troupe de Hollandais et de Français, portant chacun un gros fusil de chasse, qui tirait douze onces de balles, et deux ou trois pistolets; et les ayant capturés, ces derniers les menèrent prisonniers à leurs embarcations qui mouillaient dans la baie dudit port et qu'une fois à bord il vit le dommage que faisaient lesdits ennemis, pillant l'église sans rien y laisser pour pouvoir dire la messe, s'amusant à piller les maisons des habitants et portant où il se trouvait tout l'argent et les vêtements qu'ils volaient, et qu'il les entendit dire qu'ils devaient venir avec mille hommes pour s'emparer dudit port et de là aller prendre et piller la nouvelle Veracruz. Et que, l'ayant conduit jusqu'à l'embouchure de la barre, ils le mirent à terre avec les autres prisonniers.

Il dit que cela est la vérité et il le jure. Et il dit qu'il ne sait pas autre chose, et que le vol lui paraissait s'élever à plus de douze mille pesos. Et il dit être âgé de soixante-dix ans, plus ou moins. Et il signa avec moi ledit lieutenant:

D. Francisco Gutiérrez Estrada.
D. Ignacio Durango Laris.


déposition de José de Mora, habitant d'Alvarado

Au port de San Cristóbal de Alvarado, le 16e jour du mois de juin de l'année 1651, moi, le capitaine D. Ignacio Durango Laris, lieutenant du corregidor de la ville neuve de la Veracruz, fit paraître devant moi José de Mora, Espagnol et habitant dudit port, duquel je reçus serment qu'il fit par Dieu Notre Seigneur et le signe de la croix, promettant de dire la vérité. Étant interrogé, il dit:

Que le 26e jour du mois de mai de cette année, l'ennemi hollandais et français entra vers les quatre heures du matin tirant une grande quantité de coups de feu et touchant sa maison, et qu'à ce bruit il sortit en chemise dans la rue et tomba sur une troupe de ces gens-là, qui portait chacun un gros fusil de chasse tirant douze onces de balle, comme il a pu le voir par les charges de poudre qu'ils portaient toutes prêtes, ainsi que deux ou trois pistolets chacun. Et qu'ils le prirent et le menèrent à une des embarcations qu'ils tenaient à l'ancre dans la baie dudit port, et à bord de laquelle il trouva le licencié Francisco Gutiérrez de Estrada, curé et vicaire dudit port, et un Espagnol nommé Juan Fernández. Et qu'il entendit lesdits ennemis dire qu'ils devaient venir avec mille hommes s'emparer de dudit port et de là aller à la nouvelle ville de Veracruz pour la prendre et la piller. Que les habitants n'opposèrent pas de résistance, puisque qu'ils n'y avaient pas de soldats. Et qu'il sait qu'il tuèrent par balles dix hommes, dont son parrain nommé Manuel del Río, et qu'il en blessèrent neuf autres par balles. Et que de l'embarcation où il était prisonnier, il les vit porter tout l'argent de l'église et les ornements de celle-ci, ne laissant rien pour pouvoir dire la messe. Et qu'ils pillèrent les maisons des habitants dudit port; et qu'il les vit porter l'argent et les vêtements aux embarcations. Et, parce que la marée montait, les ennemis reprirent la mer, et à l'embouchure de la barre, ils les mirent à terre.

Interrogé s'il connaissait la quantité de richesses qu'ils emportèrent, il dit que tous se lamentaient de ce qu'ils leur avaient pris. Et que le vol fut de grande considération et que, selon lui, l'argent qui se trouvait dans l'église valait plus de 4000 pesos. Et que cela était la vérité sur la foi de son serment. Et il dit être âgé de vingt ans, plus ou moins. Il ne signa pas parce qu'il dit ne pas savoir. Moi, le dit lieutenant, je signai:

D. Ignacio Durango Laris.


déposition de Juan Fernández, maître-charpentier de la Veracruz

Dans la ville neuve de la Veracruz, ce 22e jour du mois de juin de l'an 1651, M. le gouverneur Juan de Esquivel Saavedra, corregidor et lieutenant de capitaine général de cette ville, fit paraître devant lui Juan Fernández, maître charpentier, habitant de cette ville, lequel, par devant moi le notaire, prêta serment en bonne et due forme et promit de dire la vérité sur ce qu'il lui sera demandé. Interrogé sur la descente des ennemis au village d'Alvarado, le témoin dit:

Que le 26e jour du mois de mai passé de la présente année, il se trouvait au village de San Cristóbal de Alvarado où il était depuis plusieurs jours pour travailler dans la sainte église paroissiale, et se reposait dans maison du vicaire et curé. Et que ce dit jour, le témoin étant retiré dans ladite maison comme les autres habitants dans les leurs, il y eut du tumulte et du bruit qu'il entendit une demi heure avant le lever du jour.

Le témoin se leva et sortit de la maison avec ledit vicaire, reconnaissant que c'était l'ennemi qui était entré tout droit dans la place. Et, se rendant à ladite église avec ledit vicaire, ils furent faits prisonniers, sans pouvoir se défendre, par une troupe d'ennemis qui étaient au nombre de douze, portant chacun un fusil de chasse et deux pistolets, avec chacun leurs munitions. Lesdits ennemis les portèrent à la rivière, où mouillait une barque dans laquelle ils étaient venus pour donner l'assaut et à bord de laquelle ils trouvèrent le reste des ennemis, qui étaient treize, de sorte qu'ils étaient en tout vingt-cinq armés de la même manière, et ils entrèrent dans une autre barque qui appartenait à un habitant de ce lieu-là, ou peut-être leur appartenait-elle.

Et dans le temps qu'ils mirent à sac ledit village, il vit porter sur la place puis aux barques tout ce que lesdits ennemis avaient pillé, qui fut l'argent ciselé de l'église, les ornements et la couronne de la Vierge du Rosaire, et aussi beaucoup de pièces d'argent et les vêtements des habitants dudit port. Et après avoir tout mis sur les deux embarcations, lesdits ennemis, qui étaient en grande partie français, les autres étant hollandais, portèrent lesdits prisonniers sur les deux barques jusqu'à ce qu'ils eussent désembouqué et fussent hors de la barre, et ils les mirent à terre de l'autre côté de la rivière vers le sud. Et dans le temps que le témoin fut prisonnier à leur bord, entre plusieurs demandes qu'ils lui firent, ils s'enquirent du nombre des bâtiments que contenaient ce port de San Juan de Ulúa ainsi que les munitions de guerre. Ce à quoi le témoin leur répondit, comme il le devait, qu'il était très fortifié et avait beaucoup de munitions. Ils dirent au témoin que s'ils pouvaient rassembler mille hommes qu'ils viendraient à cette ville-ci pour la prendre et la piller. Et, quand le témoin revint audit port, il trouva que neuf personnes étaient mortes et que plus de douze autres, tant des hommes que des femmes, étaient blessées.

Le témoin déclare que ce qu'il vient de dire est la vérité sur la foi de son serment; et qu'il est âgé de quarante ans. Et il signa avec M. le gouverneur:

Juan de Esquivel.
Juan Fernández.
Francisco Martínez Basterra, notaire de Sa Majesté.


source: Traduction libre de pièces d'archives mexicaines.
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