Introduction
À la fin des années 1640 et au début des années 1650, la petite île de la Tortue, à la côte nord-ouest de l'île Hispaniola, connaît sa première véritable période de prospérité comme base flibustière, d'abord sous l'impulsion du gouverneur Levasseur, puis, surtout, sous celle de son successeur, le chevalier de Fontenay. C'est surtout sous le gouvernement de ce dernier (1652-1654), lui-même corsaire de métier, que se développe la flibuste. Dès 1653, l'on compte au moins sept capitaines croisant sous la commission du chevalier, commissions de guerre avec l'Espagne, car guerre règne entre celle-ci et la France depuis 1635. L'année suivante, il y en aurait eu le triple. Évidemment la proie favorite de ces écumeurs des mers demeure les Espagnols. Cependant, à l'occasion, tout navire est bon à prendre, surtout une prise faite sans commission et... même par des compatriotes, comme le montre l'extrait d'un manuscrit anonyme relatant dix ans de l'histoire de l'île de la Grenade reproduit ici. En effet, La France, qui a pris parti pour les royalistes dans le conflit opposant ces derniers au Parlement d'Angleterre, se trouvent en guerre, ce qui justifie en partie la capture d'un vaisseau anglais. Mais cette prise faite par Jean Lespron, dit Le Marquis, lieutenant du gouverneur de la Grenade et ses hommes ne restent pas longtemps leur propriété qui leur est confisqué par un capitaine flibustier. Quelques précisions géographiques pour la compréhensions de ce texte: l'île de Sainte-Alousie est Sainte-Lucie, alors occupée par les Indiens Caraïbes; Tabac celle de Tobago; La Roque sont les petites îles Los Roques, au large des côtes du Vénézuela; et la Moune c'est Mona, une île située dans le passage du même nom séparant Porto Rico et Hispaniola. Quant au «général» dont il est question dans cet extrait, il s'agit du sieur du Parquet, alors lieutenant général (autrement dit gouverneur général) de la Martinique, de Sainte-Lucie, de la Grenade et Grenadines, qu'il ne faut pas confondre avec le chevalier de Poincy, qui était le lieutenant général des Isles d'Amérique, c'est-à-dire le gouverneur pour le Roi de toutes les Antilles françaises, résidant alors sur l'île Saint-Christophe.
Histoire de l'île de Grenade, en Amérique [extrait] L'an de N. S. 1652 (...) Comme parut, à quelques trois lieues, un navire, l'appréhension qu'on eût que ce fut quelque ennemi qui venait muguetter nos côtes et troubler la paix fit qu'on envoya le connaître dans une frégate qui mouillait dans le cul-de-sac par le sieur Le Marquis avec 10 personnes et l'équipage de ladite frégate commandée par Jacques Anet. Ils vont, ils avancent et font si bien qu'ils en approchent à la portée d'un fusil. Ils reconnaissent que c'est un Anglais qui n'a que 22 hommes en tout, de la Barboude a passé par Tabac pour y faire de la viande et va à St-Christophe avec bien peu de provision. S'en fut assez pour donner dessus, car il n'y a pas longtemps que des leurs ont enelevé de mauvaise guerre proche Ste-Alousie un brigantin appartenant à monseigneur le général; et par droit de représailles, il faut avoir ce bâtiment que le bonheur nous présente. Voilà donc que l'on fait tout à coup une décharge sur eux, qui tout étonnés, sans se mettre en défense, se rendent, prennent leur chaloupe à la première sommation qu'on leur en fit; et le capitaine, le pilote et les chirurgiens avec 9 ou 10 autres se mettent dedans et viennent dans notre frégate, où étant le sieur Le Marquis avec ses 10 soldats prend cette chaloupe, s'en va dans le navire et s'en saisit. Il fait retourner aussitôt la frégate avec ces Anglais au fort et lui, les pensant suivre au fort avec son navire. Le vent, déjà furieux, refouble ses efforts et lui ferme le passage, s'oppose à son retour et, après quatre jours de là et de bordée sous la Grenade, le jette dans la Roque, île espagnole, quoique inhabitée où il demeure avec les siens et les autres Anglais 8 jours, faisant chasse aux fous, certains oiseaux de la grosseur d'un ramier que la faim fait trouver bons: ils en prennent quantité qu'ils salent, car, par bonheur, il y a du sel dans ce bâtiment, qui est aussi tout ce qu'il y a de provisions. De là ils passent par la Mousne, encore île espagnole inhabitée, où ils s'arrêtent 2 jours, et tirent droit à la Tortue, île française, où commande le chevalier de Fontenay. Mais, comme ils approchent, ils sont rencontrés par le capitaine Beaulieu, de Rouen, qui, les reconnaissant n'avoir aucune commission, les prend comme bandits et leur navire, le tout de bonne prise, quoi qu'ils disent, qu'ils jurent, qu'ils protestent. Les voilà plantés à la Tortue, voyant leur proie échappée de leurs mains, ils détestent leur malheure; et, après un mois de repos qu'ils y prirent, ils s'en reviennent à la Grenande par la Martinique. Ainsi furent-ils environ 8 mois dans leur retour. (...) |
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