Introduction
Dans les années 1660, tant le gouverneur de l'anglaise Jamaïque que celui de la française île de la Tortue tentent d'attirer à eux les flibustiers. Dans l'extrait reproduit ici, Bertrand d'Ogeron, le gouverneur de la seconde île, explique quels grands avantages pourraient tirer sa colonie de la présence des corsaires. L'un des deux capitaines français auxquels fait référence d'Ogeron dans son mémoire et qu'il ne nomme pas pourrait bien être Philippe Bequel, qui fréquenta la Jamaïque de 1659 jusqu'à au moins 1664. Quant au gouverneur de la Jamaïque âpre au gain, dont parle d'Ogeron, il s'agit de sir Thomas Modyford. Lui aussi faisait alors tout en son pouvoir pour amener les flibustiers à fréquenter Port Royal et qui avait alors partiellement réussi en accordant à nouveau des commissions en guerre contre les Espagnols (voir voir sa lettre d'août 1666).
Mémoire du sieur d'Ogeron au ministre Colbert [extrait] 20 septembre 1666. (...) Cette grande diminution ne se doit faire qu'en faveur des flibustiers, des boucaniers, car, quant aux habitants, il ne leur faut fournir que le moins l'on pourra, et pour les obliger ainsi qu'ils ont accoutumé d'aller en France chercher les marchandises et les engagés et serviteurs qui leur sont nécessaires, non seulement pour eux, mais encore pour leurs voisins et leurs amis qui peuvent contribuer à la dépense de ceux qui font le voyage qui les fortifient dans l'obéissance qu'ils doivent au Roi et qui sont cause de la bonne réputation où est cette Côte; un chacun s'efforçant d'en dire du bien et d'en parler avantageusement étant en France, d'où il arrive que nous trouvons plus facilement des engagés pour venir ici. Ainsi les habitants ne se trouvant point en dettes ne feront des tabacs que pour leur compte, qui par conséquent serait fabriqué avec autant de soin qu'on y apporterait de négligence si c'était pour s'acquitter envers les marchands d'où il arriverait que nos tabacs n'auraient pas plus de réputation que les tabacs de traite de la Martinique et en vérité ça serait tout perdre. Il faudrait encore faire venir de France 7 ou 8 charpentiers de navire et calfeteurs, ce afin de pouvoir rhabiller et carenner les vaisseaux qui viendraient à la Tortue. Faisant tout cela, je réponds que nous retirerons tous nos Français qui sont à la Jamaïque et plusieurs étrangers. J'espère même que plusieurs flibustiers anglais quitteront la Jamaïque pour venir à la Tortue. Et comme deux puissances ne peuvent demeurer si près l'une de l'autre sans se faire tord ou même sans se ruiner, si nous n'agissons de la manière que je viens de dire, bien loin d'augmenter le nombre de nos flibustiers, je crains, et avec raison, que ceux que nous avons, qui sont en petit nombre, ne se retirent à la Jamaïque, où deux capitaines français qui étaient venus depuis vivre parmi nous ont retourné quoique je n'eusse voulu prendre d'eux aucun droit ni même aucun présent. L'on m'a dit que c'est leurs équipages qui les ont obligés à cela, sur ce qu'ils se plaignent de ne pouvoir vivre à la Tortue, toutes choses y étant trop chères. Cependant nous ne pouvons avoir le temps plus favorable pour nous fortifier d'hommes et pour nous établir sûrement, le général de la Jamaïque d'aujourd'hui, qui ne le sera pas toujours, n'étant aimé de personne parce qu'il pille tout le monde. Il serait nécessaire de paire passer de France à la Tortue et à la côte St-Domingue tous les ans mil à douze cents personnes dont les deux tiers fussent capable de porter les armes. L'autre tiers seraient des enfants de 13, 14 et 15 ans, duquel nombre une partie serait distribuée aux habitants qui pourraient en faire passe sur ce nombre à leur frais et aller en France; pour cet effet, l'autre partie serait envoyée en flibuste. Et je puis assurer que le passage desdits 1000 à 1200 personnes est bien plus nécessaire que tout autre chose et pourvu qu'on eût soins d'armer et discipliner ceux qui seraient en état de l'être et en envoyer en flibuste, comme je viens de dire, le plus qu'on pourrait, je réponds que dans dix-mois nous serons aussi forts par mer que les Anglais qui font tout trembler et que dans 3 ou quatre ans nous aurons suffisamment de gens pour faire une grande entreprise sans qu'il en coûte presque rien au Roi, s'il plaît à Sa Majesté d'en former le dessein, mais si nous n'avons des gens aguéri (et nous n'avons point d'autres moyens d'en avoir qu'en les envoyant sur des vaisseaux armés en guerre ce que nous appelons flibuste) infailliblement il y aura toujours doute à l'événement de nos entreprises, et même de la sûreté de notre colonie, quelques grands nombres d'habitants que nous puissions avoir, ce poste ici étant si risquable que notre monarque seul en l'Europe est capable de le maintenir et le conserver. (...) |
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