Introduction
Dans la seconde moitié des années 1660, Guillaume Champagne est probablement l'un des plus fameux flibustiers à fréquenter l'île de la Tortue. En 1666, peu de temps après le début de la guerre entre l'Angleterre et la France, il accomplit une très belle action contre des flibustiers anglais, sortis de la Jamaïque à dessein de le capturer, comme le raconte ci-dessous le père Dutertre avec sa verve habituelle. Le récit du combat que livra Champagne à ces Anglais doit être cependant complété par la lecture du mémoire d'avril 1667 du gouverneur de la Tortue, M. d'Ogeron.
Histoire générale des Antilles de l'Amérique habitées par les Français [extrait] par le R.P. Jean-Baptiste Dutertre (1667-1671) Action héroïque d'un aventurier français que Monsieur d'Ogeron récompense généreusement Tout au commencement de la guerre, avant même que les Français en eussent aucune connaissance dans la Tortue et dans la côte de Saint-Domingue, nous y avions un fameux aventurier français, nommé Champagne, qui avait couru ces mers sur une frégate d'environ cent tonneaux nommée La Fortune, armée de huit canons et montée de quarante-cinq bons hommes, tant en équipage qu'en soldats. Les Anglais, qu'il avait fort fréquentés dans la Jamaïque, connaissant la valeur et sa conduite et craignant d'en faire l'expérience à leurs dépens, résolurent de le chercher et de le prendre traîtreusement avant qu'il sût rien de la rupture entre les deux Couronnes. Il leur fut fort aisé de le découvrir: car, comme il ne se défiait nullement d'eux et qu'il ne pensait pas même à la guerre, il aurait été aussi franchement dans leurs ports qu'il l'avait fait auparavant. Il était alors dans les Kayes du cul de sac de l'île de Couve, ou de la Havane; où les Anglais l'ayant découvert, ils en donnèrent avis au général de la Jamaïque, qui choisit promptement 140 soldats des plus déterminés de cette île et les mit sur deux bons vaisseaux pour l'aller prendre, comme j'ai dit, ou le faire périr dans le combat, sachant bien qu'ils ne l'auraient jamais en vie. Le plus grand des deux vaisseaux anglais, qui était le meilleur voilier et commandé par le capitaine Maurice, qui passait pour homme vaillant parmi les Anglais, fut mouiller au détroit ou à l'embouchure des Kayes, qui font une façon de port environné de roches, dans lequel était la petite frégate de notre aventurier, qui ne sachant rien de la déclaration de la guerre, crut que c'était quelque navire espagnol qui avait envie d'en découdre. Cela l'obligea à l'envoyer reconnaître par onze de ses meilleurs soldats dans un canot, qui s'étant approché de ce navire anglais, y virent plusieurs soldats de leur connaissance qui les invitèrent à s'aller rafraîchir et à boire avec eux dans le navire; et ayant été assez simples pour les croire, ils ne furent pas plutôt sur le tillac, qu'ils se virent prisonniers de guerre, liés, garrottés et jetés à fond de cale. Notre aventurier, qui s'attendait à un prompt retour de ses gens, vit bien par leur retardement qu'ils avaient été dupés, et que ce navire était Espagnol ou que la guerre était déclarée aux Anglais. Et voyant que le second navire, qui, à cause du vent contraire, ne pouvait joindre le premier, lui envoyait ses meilleurs soldats dans une chaloupe, afin de rendre le combat plus inégal, il leva l'ancre et vint avec ses trente-cinq ou trente-six hommes attaquer Maurice qui lui bouchait le passage et qui avait sur son navire 78 soldats déterminés. Il le combattit par l'espace de deux heures avec tant de conduite, de courage et de bonheur jusqu'à ce voyant le sang ruisseler de tous les côtés de ce navire et les Anglais ne se voulant pas rendre, il sauta le premier le coutelas à la main dans le navire, et contraignit Maurice de se rendre, après lui avoir tué cinquante hommes et blessé tout le reste à la réserve de douze; et n'ayant eu qu'un seul homme de tué et cinq ou six de blessés dans tout ce grand chamailli. Monsieur d'Ogeron et tous ceux qui m'ont écrit de ce combat, disent qu'il ne s'est rien vu de plus vigoureux ni de plus brave pendant cette guerre. Cependant Champagne voyant sa prise toute fracassée et en état de ne pouvoir plus servir, la brûla, après en avoir tiré ce qu'il y avait de meilleur, et ramena à la Tortue sa pauvre petite frégate, en tel état qu'elle ne put jamais être raccommodée. Mais le bon Monsieur d'Ogeron, en récompense d'une action si généreuse, vida sa bourse et lui donna en pur don huit cents pièces de huit, qui font huit cents écus, le mit sur une frégate qui lui appartenait et l'envoya en course. Mais, après qu'il eut couru et battu la mer sans rien prendre, il fut lui-même pris par deux navires Espagnols. |
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