Introduction
Extrait du livre du père Dutertre qui, selon ses dires, connu personnellement certains des flibustiers impliqués dans l'affaire, le récit de la prise de Santiago de los Caballeros est caractéristique de la plupart des expéditions de pillage par terre organisées par des flibustiers. L'affaire de Santiago se déroula au début de ce que l'on pourrait appelé la seconde période de l'île de la Tortue comme base flibustière sous contrôle français, la première allant de 1648 à 1654. Quoi qu'en 1659, l'île soit nominalement dépendante de la Jamaïque, son gouverneur en titre étant un certain Elias Watts (appelé ici, par Dutertre, «Eliazouard»), la majorité de ses habitants ainsi que les flibustiers qui la fréquentent sont Français. D'ailleurs le commandant en chef de l'expédition est un Français nommé Delisle. La motivation de cette agression en est une commise contre des Français par des Espagnols. Mais ce n'est là que prétexte comme le fait remarquer justement Dutertre. L'excuse morale étant trouvée, il reste la justification légale. Le raid se fera donc sous commission anglaise car l'Angleterre autorise alors la guerre de course en Amérique par droit de représailles, pour consolider, entre autres, sa position à la Jamaïque, conquise sur les Espagnols quelques années plus tôt. D'ailleurs c'est à partir de 1659 que plusieurs flibustiers, même des Français, commencent à déserter la Tortue et la côte de Saint-Domingue comme lieu de ravitaillement, attirés à la Jamaïque par les autorités anglaises suite au départ des derniers navires de guerre de la flotte du Parlement qui, sous les ordres de William Penn puis de ses subordonnés William Goodson et Christopher Myngs avait assurée la défense de l'île depuis sa conquête en 1654 surtout par leurs attaques contre les villes et les navires espagnols.
Histoire générale des Antilles de l'Amérique habitées par les Français [extrait] par le R.P. Jean-Baptiste Dutertre (1667-1671) Action cruelle et barbare d'un capitaine espagnol, vengée par des Aventuriers français sous une commission anglaise Pendant le gouverneur ment du sieur Eliazouard, un capitaine d'un navire espagnol fit une action cruelle et barbare à quelques Français, qui deouis servit de prétexte à quelques aventuriers, pour en tirer une terrible vengeance sur les habitants du bourg de Saint-Yague, dans l'île de Saint-Domingue. Car les nommés La Vallée, Jacques Clément, Nicolas Massié, Gille Bonnenière, sa femme et un petit garçon et d'autres, au nombre de dix ou douze, ne se trouvant pas bien dans l'île de la Tortue, obtinrent une permission du sieur Elyazouard de passer aux Isles du Vent, c'est-à-dire à Saint-Christohle, la Guadeloupe, la Martinique et autres sur cette parallèle; et pour cet effet, il s'embarquèrent dans le navire d'un capitaine flamand, qui dès le lendemain de son départ, fut malheureusement rencontré par un navire de guerre espagnol, dont le capitaine ayant demandé au Flamand ce qu'il portait, en eut pour réponse que c'étaient des passagers français. Il lui commanda de les lui livrer sur le champ. Le capitaine flamand s'en défendit autant qu'il pût, mais après avoir longtemps contesté, il fut contraint de livrer ses passagers français, à condition toutefois qu'on leur donnerait bon quartier, et que l'on ne leur ferait aucun tort: ce que l'Espagnol promit même avec serment. Mais les deux vaisseaux s'étant séparés, l'Espagnol, avec ses prisonniers, prit la route de l'île de Montecriste, où ayant fait descendre nos Français, il les fit tous arquebuser par ses soldats, à la réserve de la femme et du petit garçon, qui se sauva sous la robe d'un religieux, que ces pieux assassins et faux chrétiens respectèrent plus que le sang de cet innocent. Cette plaie saigna longtemps dans les coeurs de tous les Français de la côte de Saint-Dominique; mais enfin l'année 1659 voyant que leur troupe s'était grossie jusques au nombre de quatre ou cinq cents hommes dans un lieu où ils étaient comme les maîtres et que par bonheur le capitaine Lescouble, de Nantes, était arrivé à la Tortue avec une frégate très propre pour une belle entreprise, ils songèrent tout de bon à en faire une sur le bourg de Saint-Yague, pour y aller venger le sang de leurs compatriotes, non seulement épanché dans l'île de Montechriste, mais encore dans toute la côte de Saint-Dominique, où le gouverneur de cette place avait fait tuer un très grand nombre de Français. Ils choisirent une troupe de 400 hommes, firent 4 capitaines, savoir: le nommé De L'Isle qu'ils choisirent pour commandant et conducteur de l'entreprise, Adam fut le second, Lormel le troisième et Anne Le Roux le quatrième. Ils communiquèrent leur dessein au sieur Elyazouard qui, dans l'espérance de partager leur butin, ne fit point de difficulté d'autoriser de semblables friponneries; car quoique cette action ait été valeureusement conduite, je ne prétends pas la faire passer pour juste, mais pour un brigandage couvert d'un prétexte spécieux. Ces argonautes, se voyant munis d'une commission anglaise, furent trouver le capitaine Lescouble, lui demandèrent sa frégate pour les servir dans cette expédition, lui disant franchement qu'il n'en était plus le maître et que, s'il ne le faisait pas de bonne grâce et d'amitié, l'on lui ferait faire par la force. Il fut contraint d'acquiescer; et ces pirates s'y embarquèrent en partie, et le reste dans deux ou trois autres petits bâtiments qui se trouvèrent à la côte. Ils arrivèrent le jour des Rameaux, ou le lendemain, à la côte de Saint-Dominique. Et comme Saint-Yague est à plus de vingt lieues dans les terres de cette île, ils cheminèrent dans les bois par des chemins détournés et se trouvèrent la nuit du vendredi saint proche le bourg. Ils l'attaquèrent devant le jour et passèrent au fil de l'épée vingt-cinq ou trente personnes qui se voulurent opposer à leur attaque. Et ensuite ils coururent si promptement au logis du gouverneur qu'ils le surprirent dans son lit, sans qu'il sût ce qui se passait dans le bourg. Il se jetta à bas du lit et, entendant que les ennemis parlaient français, il leur dit qu'il s'étonnait que les Français le vinssent attaquer et tuer, puisqu'il avait reçu des nouvelles d'une cessation d'armes et d'une paix prête à conclure entre les deux couronnes de France et d'Espagne. Ces pirates repartirent qu'ils avaient commissions anglaises et, lui reprochant tous les massacres des Français faits par ses ordres et par ceux des autres gouverneurs de sa nation, lui commandèrent de se disposer à la mort. Il le faisait de tout son coeur et apparamment sa prière fut bonne; car, pendant qu'il priait, nos Français se persuadèrent qu'ils pourraient gagner une bonne somme d'argent en lui sauvant la vie; et, dans cette pensée, ils l'interrompirent au milieu de son oraison et lui demandèrent combien il voulait donner pour se garantir de la mort. Il repartit qu'il donnerait tout ce qu'il avait au monde. Et nos frippons ne lui demandèrent pas moins de soixante mill écus. Il leur répondit qu'il ne les avait pas, mais qu'il en ferait payer une partie en cuir, ce qui fut fait; et le reste qui devait être payé en argent fut bien promis, mais il ne fut pas payé comme je dirai ci-après. La plainte de cette action vint jusques au Roi par le moyen de l'ambassadeur d'Espagne, auquel il fut reparti que ceux qui avaient commis cet attentat, n'ayant aucune commission de France, devaient être poursuivis comme voleurs par les prévôts du roi d'Espagne et que l'on s'en devait plaindre au roi d'Angleterre puisque l'on assurait qu'ils avaient une commission d'un de ses gouverneur. Cependant nos Français s'étant rendus maîtres de tout le bourg, y restèrent vingt-quatre heures à piller, jusqu'aux cloches, aux ornements et vases sacrés des églises; mais il est faux de dire qu'ils aient enlevé les principales dames et violé celles qui leur avaient plu, comme on l'a voulu faire croire dans les Isles. Car bien au contraire ils étaient convenus que celui qui serait atteint et convaincu de ce crime perdrait le profit de son voyage. Ils s'y rafraichirent, y firent grande chair et s'enfuirent avec de grandes richesses, le gouverneur et quelques uns des principaux habitants. Pendant qu'ils s'en retournaient vers leur navire, l'alarme s'étant donnée à dix ou douze lieues à la ronde, le secours espagnol vint de toutes parts, et les habitants du bourg qui s'en étaient fuis, s'étant ralliés et joints avec eux, firent un gros d'environ mille hommes, qui se coulant dans les bois par des routes détournées, gagnèrent le devant et dressèrent une ambuscade aux Français. Ils en entendirent les coups et en ressentirent les effets, avant qu'ils s'en aperçussent, et les deux qui marchaient devant tombèrent morts à leurs pieds. Nos aventuriers se mirent incontinent en défense et, comme ils étaient tous bons tireurs, chacun choisissant son homme, ils en couchèrent d'abord plus de soixante raides morts sur la place. Cela étonna un peu les Espagnols; mais, croyant que les Français avaient déjà perdu plusieurs des leurs et se voyant d'ailleurs plus forts qu'eux de trois contre un, ils s'obstinèrent à les combattre: mais ceux-ci combattant en gens déterminés, qui n'espéraient point de quartier, leur firent à moins de 2 heures perdre l'espérance de les pouvoir vaincres; et les Espagnols, après avoir vu plus de cent des leurs tués et un grand nombre de blessés, entre lesquels il y avait les gens de considérations, ils s'éloignèrent un peu du lieu du combat, comme pour se rallier et recommencer de nouveau. Pendant ce temps, les uns et les autres étant sur le quant à moi et prêts à recommencer, nos Français s'avisèrent de faire voir aux Espagnols leur gouverneur et les prisonniers, qui étaient gens de qualité, et leur envoyèrent dire que, s'ils tiraient un seul coup, ils le verraient poignarder devant eux avec tous les autres et qu'après cela ils ne devaient point douter qu'ils ne vendissent leur vie bien cher. À cette proposition, les Espagnols tinrent conseil et, sans faire d'autres réponses, ils retournèrent chez eux. Nos aventuriers continuèrent leur chemin, n'ayant perdu dans ce combat que dix hommes et cinq ou six de blessés. Quelques jours après, nos aventuriers ayant espéré vainement qu'on leur apporteraient le reste de la somme promise pour la rançon du gouverneur et des autres prisonniers, ils les renvoyèrent sans leur faire aucun tort. La catastrophe du sieur De L'Isle, commandant ces argonautes, est fort remarquable, si elle est telle que quelques boucaniers me l'ont racontée; car tous les Français étant retournés heureusement à la Tortue, partagèrent fort loyalement leur butin; et après que chacun eut son lot, ils conclurent tous de faire chacun une gratification au sieur De L'Isle. un lui donna une aiguille d'or, un autre une bague, un autre une vaisselle, un autre une chaîne, de sorte qu'il devint si riche qu'il ne songea plus qu'à se retirer en France pour y vivre à son aise: mais s'étant embarqué dans un navire anglais pour y repasserm il s trouva qu'il fut le fol de l'Évangile: car le capitaine lui fit une querelle d'Allemand, le jetta haut le bord pour être son héritier: et l'on m'a aussi assuré que tous les autres n'avaient jamais eu de prospérité de ce bien, et que plusieurs d'entre eux étaient péris malheureusement. |
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