Introduction
Dans cette lettre écrite au roi au début de 1684, Saint-Laurent et Bégon, respectivement lieutenant du gouverneur général et intendant des Isles d'Amérique, relatent divers incidents impliquant les flibustiers de Saint-Domingue avant mais surtout après la prise de la Veracruz (qu'ils appellent «Nova Crux»). La partie la plus intéressante concerne la capture d'un forban anglais par Granmont, qui revenait de la colonie anglaise de la Caroline où il avait dû relâcher après la prise de la Veracruz. Dernière précision, la ville de «Saint-Jacques-de-Cube» mentionnée dans la lettre est évidemment Santiago de Cuba.
Lettre du chevalier de Saint-Laurent et de l'intendant Bégon 24 février 1684. Nous ne doutons pas que le sieur de Franquesnay n'ait informé Sa Majesté de ce qui s'est passé à la côte de Sainct-Domingue dans les derniers mois de l'année passée; mais, comme il est de notre devoir de rendre un compte très exact à Sa Majesté de tout ce que nous croyons être de quelque importance pour le bien de son service, nous croyons être obligés de lui dire que, par tous les avis que nous recevons de la Côte, il nous paraît que l'intelligence qui a été entre les Français et les Anglais de la Jamaïque pendant la vie de Monsieur de Pouançay est fort altérée depuis sa mort par deux choses qui sont arrivées. La première est qu'au printemps dernier les flibustiers firent un armement considérable contre les Espagnols auxquels ils prirent une patache dans laquelle ils trouvèrent un mémoire que le gouverneur de la Jamaïque envoyait à un gouverneur espagnol par lequel il lui donnait non seulement avis du dessein des flibustiers français sur la ville de Nova-Crux qu'ils ont depuis pillée mais il l'exhortait à faire la guerre aux Français de la Côte, lui donnait les moyens d'y réussir et lui promettait du secours et des vaisseaux pour les détruire entièrement. Ce mémoire qui a été publié à Saint-Domingue a furieusement animé les Français de la Côte contre les Anglais en sorte que, dans le nouvel armement qu'ils ont fait à la fin de l'année, ils n'y ont point reçu les Anglais comme ils avaient coutume et ont même confisqué l'intérêt qu'ils avaient dans leur dernier armement. Sa Majesté trouvera ci-contre la copie dudit mémoire telle qu'elle nous a été envoyée. La seconde est que, sur la fin de l'année, un navire anglais de 30 pièces de canon ayant croisé trois jours dans le canal qui est entre le port de Paix et la Tortue, le sieur de Franquesnay envoya une chaloupe à bord pour savoir ce qu'il demandait. Le capitaine fit réponse qu'il se pourmenait, que la mer était libre, et qu'il n'avait aucun compte à rendre de ses actions, dont le sieur de Franquesney se trouvant choqué, il fit promptement armer une barque et envoya 30 flibustiers attaquer les Anglais qui les reçurent si vigoureusement qu'ils furent obligés de se retirer après avoir été bien battus. Mais cependant ledit sieur de Franquesney exhorta le sieur de Grandmont qui commandait un vaisseau de 50 pièces de canon, nouvellement arrivé de course, de lever l'ancre et d'aller attaquer l'Anglais; et, à même temps plus de 300 des plus braves flibustiers s'embarquèrent, l'Anglais les attendit et les reçut avec la même vigueur qu'il avait reçu la barque; mais l'issue ne fut pas semblable, car, dans un moment et sans presque tirer de canon, les flibustiers l'abordèrent et se rendirent maîtres de son navire, dans lequel ils firent un étrange carnage, n'ayant sauvé la vie qu'au capitaine seul. Ce massacre aigrit encore les deux nations les unes contre les autres, et on continue d'accuser le gouvernement de la Jamaïque d'entretenir une grande intelligence avec le président de Sainct-Domingue pour exterminer tous les Français de la Côte. On nous mande encore que les flibustiers ont armé douze frégates et qu'ils ont dessein d'aller piller Sainct-Jacques-de-Cube où ils ont appris qu'on faisait un armement considérable pour leur faire la guerre. Au moins c'est là le prétexte qu'ils ont pris pour leur armement, car on nous a mandé depuis qu'ils avaient changé de dessein et qu'ils avaient résolu d'aller piller la ville de Saint-Domingue; d'autres nous ont écrit que leur rendez-vous était à Sainte-Croix au mois de mars prochain; et, dans cette incertitude, nous ne pouvons rien dire d'assuré et nous nous contentons d'écrire ce que nous savons sur la foi de ceux qui nous l'ont écrit. Il ne s'est rien passé aux Isles du Vent depuis nos dernières qui mérite d'être mandé à Sa Majesté. Fait à la Martinique, le 24 février 1684. le chevalier de Saint-Laurent.
source: Archives nationales, Affaires Étrangères, Amérique 5. |
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