TRIBUNE LIBRE
Les ultras de la guerre ethnique

Révolutionnaires identitaires, ouvertement fascistes et antisémites, ils se préparent à l'affron-tement total, race contre race. Ils sont une menace pour le Front national lui- même.

A quoi Sofia Benlemmane pensait-elle quand, quinze minutes avant la fin de l'historique France-Algérie de football, elle fut la première à fouler la pelouse du Stade de France ? Pouvait-elle imaginer qu'en faisant flotter un drapeau algérien au bout de ses bras levés elle faisait un cadeau inespéré à ceux qui croient que la « guerre ethnique » a commencé ? Car, pour les révolutionnaires identitaires de l'extrême droite, une mouvance plus radicale encore que le Front national, Sofia Benlemmane est « l'archétype de l'ennemi objectif, celui qui nous hait pour ce que nous sommes : blancs, européens, français, et pas pour ce nous faisons ou avons fait ». La guerre à laquelle ils se préparent opposera les Blancs européens aux « envahisseurs afro-maghrébins », race contre race.

Guillaume Faye, 52 ans, est le théoricien le plus en vogue de la guerre ethnique. Le Front national l'a donc invité à ses dernières « Journées scientifiques ». Ce jour-là, deux cents personnes, transportées par vingt minutes d'un discours à la fois brillant et terrifiant, lui ont fait un triomphe. C'est le même succès de Nice à Lille, presque tous les jours. Partout où on l'invite, Faye pilonne son public d'idées, de concepts, d'images. L'homme est un exceptionnel manieur de mots. Et même de néologismes, comme « ethnomasochisme ». Autrement dit, la haine de soi qui afflige les Français de sang et débouchera sur leur « ethnocide ». Faye cogne avec des mots, assomme avec des chiffres : « 25 % des lycéens sont allogènes, 33 % des nouveau-nés en France ne sont pas européens. » Aux « Journées scientifiques » du FN, seul Jean-Marie Le Pen saura susciter autant d'enthousiasme.

La tactique de « Skyman »

Mais les exaltés du jour, fidèles frontistes, savent-ils qu'ils viennent de faire un triomphe à un homme que tout devrait les pousser à mépriser ? Il y a quelques années, Faye était connu sous le nom de « Skyman », spécialiste de l'imposture radiophonique sur Skyrock. Il a également été acteur de films pornographiques, journaliste à L'Echo des Savanes. Faye explique qu'il sait être « dans le monde, sans être du monde. Tactique du cobra, pour bien connaître l'ennemi ».

Son public frontiste ignore également que Guillaume Faye est une menace sérieuse pour les « forces vives du Front national », que son talent de polémiste incite à se préparer à un « impératif insurrectionnel auquel le Front national, trop gras, ne pourra pas répondre ». Ainsi un « sursaut identitaire » provoqué par la lecture des livres de Faye a-t-il incité Guillaume Luyt, ancien de l'Action française, ancien responsable du Front national de la jeunesse, à devenir membre du bureau politique d'Unité radicale, le mouvement français le plus ouvertement fasciste et antisémite. Des centaines d'autres jeunes militants du FN ont suivi son exemple. Un moment tentés par la sécession mégrétiste, ils ont pris leurs distances avec le MNR. « On croyait que le R dans le sigle signifiait "révolutionnaire", Mégret a choisi "républicain", alors on s'est tiré », explique un « rat noir » du Groupe Union Défense, ou GUD.

En récupérant l'arsenal idéologique de la Nouvelle Droite, la droite radicale, identitaire, inégalitaire veut se préparer aux défis d'un « inévitable conflit ethnique ». Le Front national, lui, dirigé par un « homme politique qui a commencé sa carrière sous la IVe République », n'aura aucun rôle à jouer dans « les temps tragiques » à venir. Trop bourgeois, trop chrétien, trop électoraliste aux yeux de l'extrême droite révolutionnaire, le FN est surtout disqualifié parce qu'il reste attaché à des dogmes sans valeur. Ainsi en est-il de l'idée de nation. Les identitaires affirment, eux, que « la France est morte, tuée par le droit du sol et l'utopie intégrationniste ». Seul importe le salut de l'Européen blanc qui ne pourra « échapper au métissage » qu'en s'enracinant dans des régions ethniquement pures dans lesquelles toute intégration d'« élément allogène est biologiquement impossible, car si Mouloud peut devenir français par la magie du droit du sol, il ne peut pas être naturalisé breton ou savoyard... ».

Houellebecq récupéré

Pierre Vial, conseiller municipal à Villeurbanne, professeur d'histoire médiévale à Lyon- III, un des foyers révisionnistes les plus actifs en France, est le champion de l'émergence des régions sur les ruines des nations. Ces régions, séparées les unes des autres en vertu du dogme « Une terre, un peuple », seraient rassemblées au sein d'une Europe blanche et impériale qui s'étendrait de Brest au détroit de Bering. Terre et peuple, le mouvement de Pierre Vial, qualifié de raciste par Le Pen lui-même, compterait 2 000 adhérents, recrutés parmi les étudiants de Pierre Vial et de ses proches à Lyon- III.

Depuis 1999, un autre mouvement, Unité radicale, tente de séduire les jeunes tentés par la révolution identitaire. Dirigé par Christian Bouchet, il se signale, à la différence des autres groupes identitaires, dont l'hostilité est orientée vers les musulmans, par un antisémitisme délirant. La haine du juif au sein du mouvement « cuir-keffieh » est entretenue par son chef. Bouchet est le fils spirituel de François Duprat, qui fut le défenseur du négationnisme au sein du FN. En 1978, Duprat est mort dans un attentat à la voiture piégée. Pour Bouchet, son maître à penser a été éliminé par les juifs.

En attendant la guerre ethnique, que Guillaume Faye situe entre les années 2010 et 2020, le combat qui doit être mené est culturel et politique. L'urgence est de précipiter « l'effondrement, déjà bien amorcé, du politiquement correct » en provoquant des « orages idéologiques ». Il faut donc favoriser l'émergence d'une pensée rebelle, libérée du « soft-totalitarisme intellectuel intégrationniste » qui prône la cohabitation de peuples différents sur un même sol. Or, affirme Guillaume Faye, « il n'y a pas de sociétés multiraciales, il n'y a que des sociétés multiracistes ». C'est ce que l'Angleterre aurait découvert après les émeutes raciales de Bradford, Burnley, Leeds et Oldham. Les rapports demandés par Tony Blair à la suite des événements ont dessiné le portrait d'un pays « balkanisé ». Selon le ministre de l'Intérieur, David Blunkett, la responsabilité incombe surtout aux immigrés, qui ne font rien pour s'intégrer. Blair a apporté un soutien inconditionnel à son ministre « politiquement incorrect ».

Les identitaires français saluent le « pragmatisme » du Premier ministre britannique, qu'ils opposent au « délire immigrophile » de Chirac, qui, en visite à Bab el-Oued, salue la communauté immigrée qui « donne le meilleur d'elle-même à la France ». Les identitaires trouvent des raisons d'espérer en constatant qu'ici aussi les digues du politiquement correct commencent à céder. Ainsi ose-t-on parler de « prisons ethniques », dont 80 % de la population est maghrébine. Surtout, il y a le succès du dernier livre de Houellebecq qui décrit « une société férocement saturée par les catégories de la race et de l'ethnie ». « Plateforme » fait partie de ces oeuvres qui feront que « les enfants, les jeunes ne seront plus livrés sans défense immunitaire à l'idéologie des droits de l'homme »

Ugo Rankl
Le Point 07/06/02 

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