Kabylie : chronique d’un été sans plage !
La route côtière qui va de Bgayet à Tigzirt est vide ce mardi 16 juillet.
 Pourtant le paysage est splendide: les crêtes de grès rouge tombent dans
 la mer irisée. Pas grand monde non plus sur les plages! Après un été sans noces,
 un été sans plage ! Le cœur n’y est pas. La Kabylie est encore en deuil de ses
 enfants assassinés lors du printemps noir et ce mois de juillet c’est le 
 sort des délégués détenus depuis la répression du 25 mars dernier qui
 taraudent les esprits.
 Les nouvelles que nous rapportons de la prison de Bgayet  sont éprouvantes:
 l’incarcération est pénible et des détenus pour attirer l’attention
 sur leur détention arbitraire ont décidé une nouvelle grève de la
 faim, preuve de leur courage mais aussi d’ une nouvelle menace sur leur vie.
 La même action est reprise par des détenus de Tizi qui réaffirment
 dans leur communiqué leur détermination à lutter jusqu’au bout.
 Ce jour–là, leur avocat leur lit avec humour un poème de Nazim Hikmet,
 détenu politique dans les geôles turques pendant 13 ans !
 «  Nous on n’est là que depuis 4 mois! remarque l’un d’eux pour se 
remonter le moral. 
Mais 4 mois c’est beaucoup trop, pour eux,  pour  leurs familles. 
Pas de liberté provisoire ! pas de jugement..., ils sont otages politiques 
 d’un pouvoir cynique. C’en est trop.
C’est leur sort qui motive une  nouvelle marche de la coordination 
 à Tizi le 25 juillet pendant que les détenus font in sit-in dans la prison.
Mais la ville des genêts est bouclée, interdite à ses citoyens. Rue Lamali,
 des flics encagoulés  se déchaînent avec fureur sur les marcheurs,
 alors que toute la semaine les autorités ont accroché à travers la ville 
 le slogan ubuesque  «  la police au service du citoyen » . Autour de moi,
 c’est l’écoeurement: «  pourquoi ne sont-ils pas en train de ratisser les
 maquis du GIA ?  » ( en effet les attentats se sont curieusement multipliés 
 aux portes de la Kabylie au mois de juillet); 
 «  ils nous prennent pour Ben Laden ! »
Après les échecs répétés de ces marches, la coordination, 
 sous la pression des détenus qui demandent une action d’envergure,
 a décidé une action plus radicale : s’attaquer directement aux
 représentants du pouvoir, les chefs de daïras, en les chassant.
 C’est une décision  grave, comme la décision de rejeter les
 élections municipales d’octobre prochain  signifiant définitivement
 le rejet de la présence du pouvoir. Les conséquences sont de
 taille et suscitent des interrogations: comment la Kabylie va-t-elle
 alors se gérer ? Cette question est, entre autre, abordée lors du débat
 organisé par le MAK ( Mouvement pour l’Autonomie de la Kabylie) à Tifilkout
 le 18 juillet devant une assemblée nombreuse et passionnée. Pour les jeunes, 
aucun doute: la solution est l’autonomie et à l’appui ils me racontent le soir 
comment leur village a depuis longtemps appris à se passer d’un pouvoir
 inefficace, absent. Il s’est pris en charge par exemple pour amener
 l’eau de la montagne et la  distribuer. D ’ailleurs le comité de villages
 est réuni pour  discuter de cette question.
Alors ce soir là,  face à l’austère et splendide Djurdjura,
au milieu de la chaleur hospitalière des familles de Tifilkout,
 je suis encore plus convaincue des potentialités multiples de cette
 Kabylie rebelle, fière et inventive: il suffit qu’on lui laisse mener 
à son terme sa «  révolution des genêts » pour qu’elle vive pleinement,
 librement,  ses étés de noces, ses étés de plages.
Pour qu’elle puisse vivre épanouie tout simplement.
A Tizi – Ouzou le 29 juillet.
Nicole Logeais.