DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE SAKÇI c. TURQUIE
(Requête no 8147/02)
ARRÊT
STRASBOURG
16 janvier
2007
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Sakçı c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme
(deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa,
président,
A.B.
Baka,
R.
Türmen,
M.
Ugrekhelidze,
Mmes E. Fura-Sandström,
D.
Jočienė,
M. D. Popović,
juges,
et de Mme S.
Dollé, greffière
de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12
décembre 2006,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette
date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire
se trouve une requête (no 8147/02) dirigée contre la République de
Turquie et
2. Le requérant est
représenté par Me F. Gümüş, avocat à Diyarbakır. Le
gouvernement turc (« le Gouvernement ») n’a pas désigné d’agent aux
fins de la procédure devant la Cour.
3. Le 27 septembre 2005, la
Cour a déclaré la requête partiellement irrecevable et a décidé de communiquer
le grief tiré de la durée de la procédure au Gouvernement. Se prévalant de l’article
29 § 3 de la Convention, elle a décidé qu’elle se prononcerait en même temps
sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. Le requérant est né en
1970 et réside à Diyarbakır.
5. Le 6 janvier 1994, le
requérant fut arrêté et placé en garde à vue dans les locaux de la section de
lutte contre le terrorisme près la direction de la sûreté de Bursa pour
appartenance à une organisation illégale, à savoir le PKK (Parti des
travailleurs du Kurdistan).
6. Le 18 janvier 1994 fut
dressé le procès-verbal de déposition du requérant, aux termes duquel celui-ci
reconnut avoir été membre de l’organisation incriminée et avoir mené des
activités en son sein. Il précisa cependant avoir quitté l’organisation et se
repentit de ses actes.
7. Le 20 janvier 1994, le
requérant fut placé en détention provisoire.
8. Le 31 janvier 1994, le
procureur de
9. Le 30 septembre 2003, la
cour de sûreté de l’Etat tint une audience au cours de laquelle elle prononça
le maintien en détention du requérant, relevant pour ce faire que le quantum
minimum de la peine encourue par ce dernier était supérieur à sept ans.
Soulignant que les accusés tentaient sciemment de prolonger la durée de la
procédure aux fins de s’en prévaloir devant
10. Le 16 avril 2004, la cour
de sûreté de l’Etat reconnut le requérant coupable des faits reprochés et
prononça sa condamnation à une peine de réclusion criminelle à perpétuité en
vertu de l’article 125 du code pénal.
11. Le requérant se pourvut
en cassation.
12. Le 6 juin 2005, la Cour de cassation infirma la décision de première instance et renvoya l’affaire devant la cour d’assises de Diyarbakır.
13. L’affaire demeure pendante.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE
6 § 1 DE LA CONVENTION
14. Le requérant allègue que
la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai
raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi
libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un
délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations
sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
15. Le Gouvernement s’oppose
à cette thèse.
16. La période à considérer a
débuté le 6 janvier 1994 et n’a pas encore pris fin. Elle a
A. Sur la recevabilité
17. Le Gouvernement invite la
Cour à rejeter la requête pour non-épuisement des voies de recours internes. Il
soutient que le requérant a omis de soulever son grief devant les juridictions
internes.
18. A cet égard, la Cour
souligne avoir déjà eu l’occasion de constater que l’ordre juridique turc n’offrait
pas aux justiciables un recours effectif au sens de l’article 13 de la
Convention leur permettant de se plaindre de la durée d’une procédure (Tendik et autres c. Turquie, no 23188/02, § 36, 22 décembre 2005). Par
conséquent, il n’est pas établi que le requérant disposait d’une voie de recours
de nature à porter remède à son grief. Il s’ensuit que l’exception du
Gouvernement sur ce point ne saurait être retenue.
19.
B. Sur le fond
20.
21. La Cour a traité à
maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce
et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (Frydlender, précité).
22. Après avoir examiné tous
les éléments qui lui ont été soumis,
23. Partant, il y a eu
violation de l’article 6 § 1.
II. SUR
L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
24. Aux termes de l’article
41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de
ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne
permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour
accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
25. Le requérant n’a présenté
aucune demande de satisfaction équitable conformément à l’article 60 du
règlement. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de
somme à ce titre.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare
le restant de la requête recevable ;
2. Dit
qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
Fait en
français, puis communiqué par écrit le 16 janvier 2007 en application de l’article
77 §§ 2 et 3 du règlement.
S.
Dollé J.-P.
Costa
Greffière Président