DEUXIÈME
SECTION
AFFAIRE ZANA ET AUTRES c. TURQUIE
(Requêtes nos
51002/99 et 51489/99)
ARRÊT
(Règlement
amiable)
STRASBOURG
11 janvier
2005
Cet arrêt est définitif. Il
peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Zana et autres c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme
(deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa,
président,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
V. Butkevych,
M. Ugrekhelidze,
Mmes E. Fura-Sandström,
D. Jočienė,
juges,
et de Mme S.
Dollé, greffière
de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7
décembre 2004,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette
date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se
trouvent deux requêtes (nos 51002/99 et 51489/99) dirigées
contre la République de Turquie et dont trois ressortissants de cet Etat, Mme Leyla Zana, MM. V. Turhan et H. Geylani
(« les requérants »), ont saisi la Cour les 6 août 1999 et 15 juillet
1999 respectivement, en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde
des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la
Convention »).
2. La requérante est
représentée par Me Y. Alataş et les
requérants sont représentés par M. N. Özmen et B. Buran, tous avocats à Ankara. Le gouvernement turc
(« le Gouvernement ») est représenté par son agent.
3. Invoquant l'article 10 de
la Convention, les requérants alléguaient avoir été condamnés en violation de
leur droit à la liberté d'expression par une cour de sûreté de l'Etat ne
satisfaisant pas aux exigences d'indépendance et d'impartialité énoncées à l'article
6 § 1 de la Convention.
4. La requête a été attribuée
à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au
sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la
Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.
5. Par une décision du 29
avril 2004, la chambre a décidé de joindre les requêtes (article 42 § 1 du
règlement) et les a déclarées partiellement recevables.
6. Le
2 juillet 2004, après un échange de correspondance, le greffier a proposé la
conclusion d'un règlement amiable au sens de l'article 38 § 1 b) de
la Convention. Le 23 juillet 2004, MM. Turhan et Geylani ;
le 5 novembre 2004, Mme Zana et le 9 septembre 2004, le Gouvernement ont présenté des
déclarations formelles d'acceptation d'un règlement amiable de l'affaire.
7. Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de
ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente affaire a été attribuée
à la deuxième section ainsi remaniée (article 52 § 1).
EN FAIT
8. La requérante, Leyla Zana,
née en 1961, est une ancienne députée du DEP (Parti de la démocratie), dissous
par la Cour constitutionnelle. Le requérant Veysel
Turhan, né en 1968, est l'ancien président du HADEP (Parti de la démocratie du
peuple) dans le département de Siirt. Le requérant
Hamit Geylani, né en 1947, était le secrétaire
général du HADEP.
9. Dans le numéro de janvier
1997 du bulletin mensuel du HADEP, la requérante Leyla Zana, signa un article
intitulé « Bulletin retardé » (« Geciken Bülten »). Dans le même numéro, les
requérants Turhan et Geylani publièrent « La
déclaration finale du deuxième congrès du Parti de la démocratie du
peuple » (« Halkin Demokrasi Partisi 2. Olağan Büyük
Kurultayi Sonuç Bildirgesi »).
10. Le 9 mai 1997, le
procureur de la République près la cour de sûreté de l'Etat d'Ankara (« le
procureur de la République ») inculpa les requérants du chef de propagande
séparatiste contre l'intégrité territoriale et l'unité nationale de l'Etat
ainsi que d'incitation du peuple à la haine et à l'hostilité sur la base d'une
distinction fondée sur l'appartenance à une race et à une région. Il requit
leur condamnation en vertu de l'article 312 § 2 du code pénal.
11. Dans son mémoire en
défense du 17 février 1998, présenté à la cour de sûreté de l'Etat d'Ankara
(« la cour de sûreté de l'Etat »), la requérante nia les faits
reprochés et précisa s'être contentée de s'exprimer sur des problèmes de
société. Elle soutint en outre être poursuivie en raison de ses origines kurdes
et se prévalut des articles 9, 10 et 14 de la Convention.
12. Dans leur mémoire en
défense du 14 juillet 1998, présenté à la cour de sûreté de l'Etat, les
requérants nièrent les faits qui leur étaient reprochés et déclarèrent s'être
contentés de faire une critique politique des pratiques étatiques.
13. Par
un arrêt du 17 septembre 1998, la cour de sûreté de l'Etat, composée de trois
juges, dont l'un était membre de la magistrature militaire, condamna les
requérants à une peine d'un an et quatre mois d'emprisonnement et à une amende
pour propagande séparatiste, en vertu de l'article 8 § 1 de la loi no
3713, tel que modifié par la loi no 4126. Elle condamna en outre la
requérante à une peine de deux ans d'emprisonnement et à une amende pour
incitation du peuple à la haine et à l'hostilité sur la base d'une distinction
fondée sur la classe sociale, la race et la région, en vertu de l'article 312 §
2 du code pénal.
14. Le
8 février 1999, la Cour de cassation confirma l'arrêt de première instance.
EN DROIT
15. Le 10 septembre 2004, la
Cour a reçu du Gouvernement la déclaration suivante :
« 1. Le Gouvernement note que la
Cour a constaté à plusieurs reprises des violations de la Convention par la
Turquie dans des affaires concernant des poursuites au titre de l'article 312
du code pénal et de l'article 8 de la loi no 3713 relative à la
lutte contre le terrorisme. Il souligne à cet égard que la disposition du code
pénal en question a été amendée le 6 février 2002 par la loi no
4744 et que la disposition de la loi relative à la lutte contre le terrorisme a
été abrogée le 19 juillet 2003 par la loi no 4928, après l'introduction
des requêtes nos 51002/99 et 51489/99.
2. Le Gouvernement se réfère par
ailleurs aux mesures individuelles visées dans la Résolution intérimaire
adoptée par le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe le 23 juillet
2001 (Rés DH (2001)106), qu'il prend dans des
circonstances analogues à celles de la présente affaire.
3. En vue d'un règlement amiable de l'affaire
ayant pour origine les requêtes nos 51002/99 et 51489/99, le
Gouvernement offre de verser ex gratia
au titre des préjudices et des frais et dépens 9 000 EUR (neuf mille
euros) à la requérante Leyla Zana ; 7 000 EUR (sept mille euros)
au titre des préjudices à chacun des requérants Veysel
Turhan et Hamit Geylani et 1 500 EUR (mille cinq
cents euros) conjointement au titre des frais et dépens. Ces sommes ne seront
soumises à aucun impôt ou charge fiscale en vigueur à l'époque pertinente et
seront versées en euros sur un compte bancaire indiqué par les requérants ou
par leurs conseils dûment autorisés. Elles seront payables dans les trois mois
à compter de la notification de l'arrêt de la Cour rendu en vertu de l'article
39 de la Convention. Ce paiement vaudra règlement définitif de l'affaire. A
défaut de paiement dans ledit délai, le Gouvernement s'engage à verser, à
compter de l'expiration de celui-ci et jusqu'au paiement effectif des sommes en
question, un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt
marginal de la Banque centrale européenne applicable pour cette période,
augmenté de trois points de pourcentage.
4. En outre, le Gouvernement s'engage
à ne pas demander le renvoi de l'affaire à la Grande Chambre conformément à l'article
43 § 1 de la Convention. »
16. Le 26 juillet 2004, la
Cour avait déjà reçu la déclaration suivante, signée par le représentant de MM. Turhan
et Geylani :
« En ma qualité de représentant des
requérants Veysel Turhan et Hamit Geylani,
je note que le gouvernement turc est prêt à leur verser, à titre gracieux, la
somme de 7 000 EUR (sept mille euros) chacun au titre des préjudices,
et la somme de 1 500 EUR (mille cinq cents euros) conjointement au
titre des frais et dépens, en vue d'un règlement amiable de l'affaire ayant
pour origine la requête no 51489/99 pendante devant la Cour
européenne des Droits de l'Homme.
Cette somme couvrira tout préjudice matériel et
moral ainsi que les frais et dépens et sera payée dans les trois mois suivant
la date de la notification de l'arrêt de la Cour rendu conformément à l'article
39 de la Convention européenne des Droits de l'Homme. A compter de l'expiration
dudit délai et jusqu'au règlement effectif de la somme en question, il sera
payé un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal
de la Banque centrale européenne, augmenté de trois points de pourcentage.
J'accepte cette proposition et renonce par
ailleurs à toute autre prétention à l'encontre de la Turquie à propos des faits
à l'origine de ladite requête. Je déclare l'affaire définitivement réglée.
La présente déclaration s'inscrit dans le cadre
du règlement amiable auquel le Gouvernement et les requérants sont parvenus.
En outre, je m'engage à ne pas demander, après le
prononcé de l'arrêt, le renvoi de l'affaire à la Grande Chambre conformément à
l'article 43 § 1 de la Convention. »
17. Le 24 novembre 2004, la
Cour a reçu la déclaration suivante, signée par le représentant de Mme
Leyla Zana :
« En ma qualité de représentant de Mme
Leyla Zana, je note que le gouvernement turc est prêt à lui verser, à titre
gracieux, la somme de 9 000 EUR (neuf mille euros) en vue d'un règlement
amiable de l'affaire ayant pour origine la requête no 51002/99
pendante devant la Cour européenne des Droits de l'Homme.
Cette somme couvrira tout préjudice matériel et
moral ainsi que les frais et dépens et sera payée dans les trois mois suivant
la date de la notification de l'arrêt de la Cour rendu conformément à l'article
39 de la Convention européenne des Droits de l'Homme. A compter de l'expiration
dudit délai et jusqu'au règlement effectif de la somme en question, il sera
payé un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal
de la Banque centrale européenne, augmenté de trois points de pourcentage.
J'accepte cette proposition et renonce par
ailleurs à toute autre prétention à l'encontre de la Turquie à propos des faits
à l'origine de ladite requête. Je déclare l'affaire définitivement réglée.
La présente déclaration s'inscrit dans le cadre
du règlement amiable auquel le Gouvernement et la requérante sont parvenus.
En outre, je m'engage à ne pas demander, après le
prononcé de l'arrêt, le renvoi de l'affaire à la Grande Chambre conformément à
l'article 43 § 1 de la Convention. »
18. La Cour prend acte du règlement
amiable auquel sont parvenues les parties (article 39 de la Convention). Elle
est assurée que ce règlement s'inspire du respect des droits de l'homme tels
que les reconnaissent la Convention ou ses Protocoles (articles 37 § 1 in fine de la Convention et 62 § 3
du règlement).
19. Partant, il convient de
rayer l'affaire du rôle.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Décide
de rayer l'affaire du rôle ;
2. Prend
acte de l'engagement des parties de ne pas demander le renvoi de l'affaire
à la Grande Chambre.
Fait en français, puis communiqué par écrit
le 11 janvier 2005 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. Dollé J.-P.
Costa
Greffière Président