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Cinopsis
October 21, 2001



Sur les lèvres de Vincent Cassel


Depuis LES RIVIERES POURPRES jusqu'à SUR MES LEVRES en passant par LE PACTE DES LOUPS, cet enfant de la balle, marié à une actrice, nage dans le cinéma comme un poisson dans l’eau. Acteur hors normes aux personnages variés, chacun de ses rôles est une transformation surprenante et inattendue. C’est à l’occasion de la sortie de SUR MES LEVRES, le dernier film de Jacques Audiard, où il campe un ex-taulard amoché que nous avons rencontré ce comédien caméléon. Coupe commando et fraîchement rasé, il nous parle en toute simplicité de, sans doute, l’un des ses meilleurs rôles. Rencontre avec un type vraiment sympa qui ne se la joue pas.


- Pour interpréter ce nouveau personnage vous avez opéré une sacrée métamorphose physique, comment vous est venue l’idée de cette gueule ?
Quand Jacques est venu me voir pour me demander de faire ce film, il m’a demandé de composer mon personnage, ses premières indications étaient : " Regarde les SDF dans la rue… ", alors que moi j’étais parti dans un truc beaucoup plus social et plombé. Et puis quand on est arrivés sur le plateau ça a plus viré au trip italien. C’est une chose assez rare de la part d’un metteur en scène, encore que jusqu’à maintenant c’est vrai que je suis plutôt bien tombé (…) mais là c’était vraiment ouvertement dit et voilà il m’a laissé m’amuser et de fil en aiguille on a trouvé ce personnage. En fait je me suis inspiré d’un voisin que j’avais quand j’étais petit qui était plombier. Au fur et mesure que les répétitions avançaient ce mec m’est revenu. On m’a dit que j’avais un air à la Dewaere et à la Depardieu pour la moustache et le nez et c’est vrai qu’en lisant le script j’ai tout de suite pensé à un rôle pour eux. Ce côté loser dépassé de leurs films des années 70/80 et puis Jacques m’a dit : " Non ce type n’est pas un looser, il s’en sort ". Le costume est extrêmement important, c’est comme dans la vie, ça altère totalement notre manière d’être et de se présenter ou l’assurance que l’on peut avoir. Allez vous retrouver dans une boite de nuit un peu chic en short vous allez comprendre… Y’a des acteurs qui disent que ce n’est pas important, non, c’est pas vrai !

- Il y a eu un gros travail de répétition pour rentrer dans la peau de Paul ?
Je veux bien répéter. Ca me permets de connaître les gens, mais contrairement au théâtre, au cinéma on n’apprend pas son texte et il est arrivé un moment où je commençais un peu à me faire chier sur les répétitions. Je voulais passer au film, y avait urgence. Idéalement en tant qu’acteur on a envie de faire un truc rare et moi pour faire un truc rare je ne me sens pas assez bon pour le faire les mains dans les poches. Il faut que ça me prenne à la gorge et que je me sente en danger, et les répétitions c’est pas du danger. Les choses sont intéressantes au moment où on les invente et à mon avis on ne peut pas les inventer 30 fois d’affilée. Dans une scène je ne sais jamais ce qui va se passer, je pars du principe que c’est en la faisant qu’on découvre ce qui s’y passe. C’est justement de ne pas savoir qui est grisant et excitant. C’est les choses que l’on n'a pas prévues qui sont intéressantes. On dit que dans ce que vous voulez donner, c’est ce qui vous échappe qui est intéressant. Et plus j’avance plus je me reconnais dans ce genre de petite phrase à la con ! Les tennismen quand il jouent ils savent pas quel est le prochain coup qu’ils vont faire. Ils s’adaptent à ce qu’ils ont en face. Ils ont pas le temps de réfléchir et quand ils font un beau coup, ils ne sont pas sûr de pouvoir le refaire. Et plus ça va vite plus c’est excitant et plus on a quelqu’un en face qui a une aptitude à se laisser à ses sensations et à son instinct plus il y a de l’émulation et il arrive parfois que vous ne jouez plus. Et puis des fois à la fin de la séquence on sait plus ce que l’on a fait et ça quand ça arrive c’est fantastique.

- On ne sait pas grand chose sur Paul, comment le définiriez-vous ?
C’est un type qui n’a plus vraiment les moyens de réagir face à ce que la vie lui impose. Il est pas à sa place et se retrouve dans cette situation par la force des choses mais il est complètement déclassé. Avec Carla ils vont voir leur détresse dans l’œil de l’autre. Au départ il n’y pas de notion d’amour juste de business, il est incapable d’aimer. Je me suis d’ailleurs pas mal posé de questions sur sa sexualité. Un mec qui sort de prison, le premier truc qu’il fait en principe c’est d’aller tirer un coup. Mais lui il a pas un rond et puis vue sa dégaine et sa tête, avant qu’il puisse attraper une fille ça risque d’être dur (…) Donc j’étais parti dans l’option, le mec a des bouquins de cul partout et je trouvais que c’était une bonne idée d’en placer partout dans les décors et c’est ce que j’ai fait, mais Jacques a tout coupé au montage. De même il y avait une scène dans la rue où il regardait une pute et qui débouchait sur une conversation avec Carla sur sa sexualité (il mime la scène et les deux personnages) qui elle aussi a été coupée au montage

- Quelle a été votre réaction en voyant le film pour la première fois ?
J’ai été très ému. J’aime beaucoup ce film. Pas parce que je me voyais à l’écran mais parce que j’étais pris par les personnages. Non, non je dis pas ça pour la promo, je suis vraiment sincère. Audiard a ici une écriture cinématographique très particulière et très personnelle, peut-être même plus que dans ses films précédents. En plus d’être un film d’auteur c’est un film de genre. Audiard s’attarde à des choses moins futiles, moins spectaculaires et plus vraies. Vous savez en France il n’y a pas 150.000 réalisateurs avec qui il faut travailler, je pense que si il y en a 20 c’est déjà beaucoup et Jacques fait parti de ceux là.

- Quel genre de metteur en scène est-il, comment s’est passée votre rencontre ?
Vous savez il y a des gens qui disent que la plus grande direction d’acteur ou tout du moins la plus importante c’est le casting et là encore une fois, je vérifie que c’est vrai. Au début Jacques a commencé par beaucoup beaucoup nous parler. Moi je réagis assez mal à ça et en plus ce genre de truc m’endors. Alors il a commencé à m’en dire de moins en moins et c’était mieux comme ça. Mais là où il a été très fort c’est lorsqu’il a eu cette vision que ça allait marcher entre nous. Et c’est vrai qu’en voyant le film pour la 1ère fois ça m’a surpris et frappé. Il y a des scènes entre Emmanuelle et moi où on n’a pas joué. Jacques c’était une des personnes avec qui j’avais vraiment envie de travailler d’autant plus qu’il m’avait fait passer des essais sur son 1er film et m’avait pas pris. A l’époque je l’avais assez mal pris, du coup quand il m’a rappelé j’étais vraiment content. Et puis ce scénario est l’un des mieux ficelés que j’ai eu dans les pattes depuis longtemps.

- SUR MES LEVRES est un film qui n’est pas réaliste mais malgré tout vraisemblable.
Oui absolument et pour moi tout le challenge du film était là. Nous étions en train de faire un film totalement sophistiqué, totalement faux et fabriqué mais avec une véritable intention de faire quelque chose de naturel et quotidien. Et je pense que malgré des cadrages très travaillés, une image vraiment belle (…) remarquez avec ce que parfois on a attendu elle a intérêt à être belle, ce film tout en étant très construit à l’air tout à fait naturel. Voilà, c’est un peu le paradoxe faire vrai avec du faux, transcender la réalité pour… (il éclate de rire)

- Après le succès du PACTE DES LOUPS, vous n’avez pas eu peur de vous engager sur la voie du film d’auteur ?
Je n’ai pas eu peur mais juste un petit moment de déprime. Je me suis demandé ce que j’avais envie de faire. Du cinéma populaire, du cinéma d’auteur ? Et je vous rassure, après ce film je me pose toujours la question, c’est exactement pareil. Bon c’est vrai que rencontrer des gens qui vous font sauter d’immeubles en immeubles c’est un rêve d’enfant. Et puis tout d’un coup se retrouver dans un truc où l’on est beaucoup plus regardé au microscope (…) il y a eu un moment où je me suis dit j’allais me faire chier et en fait pas du tout. L’aspect ludique de jouer la comédie est dans les deux, en tous cas pour ce film là. Je sais qu’il y a des films d’auteurs sur lesquels je n’irais pas me frotter car là je suis absolument certain que je me ferais chier et en tant que spectateur aussi d’ailleurs !

- A vous entendre on a l’impression ça a été facile de faire ce film.
Super facile, les doigts dans le nez ! Vous savez jouer la comédie c’est pas quelque chose de très difficile, ceux qui disent le contraire c’est parce qu’ils ont peur qu’on leur pique leur place. Non, c’est pas très compliqué, c’est un truc animal et instinctif et à partir du moment où on arrive à être en contact avec ses sensations c’est à la portée de tout le monde. Après il s’opère un truc un peu trouble qui fait qu’on a envie de voir certaines personnes sur un écran et que pour d’autres on s’en fout.

- Alors, qu’est-ce qui fait un bon acteur ?
J’en sais rien, c’est comme un bon chasseur et un mauvais chasseur c’est celui qui ramène le plus de lapins. Non sérieusement je n’en sais rien. Bon en disant ces choses là je cherche un peu à jouer au con et à dédramatiser car je trouve qu’on en fait toujours un fromage. Il faut vraiment réaliser que c’est rien, regardez les enfants qui jouent la comédie, ils sont incroyables ! Le truc c’est de pas trop réfléchir, le problème c’est que plein de gens essayent de mettre entre eux et leur travail trop de choses d’adultes. Les choses qui me touchent au cinéma sont des choses très simples.

- Vous ne faites donc pas partie des acteurs qui disent mettre du temps à se débarrasser d’un rôle ?
Des proches m’ont dit que j’étais moins facile à vivre quand j’étais en train de travailler. Je ne nie pas qu’il y a quand même un certaine forme de concentration on est quand même un peu dedans, mais je suis pas un travailleur ça c’est sûr. Et pourtant qu’est ce que je bosse ! Vous savez la plupart des gens que j’admire en tant qu’acteurs ils ne parlent pas comme ça. Depardieu, il ne parle pas comme ça, De Niro il ne parle pas comme, ça, en fait il dit rien c’est encore mieux ! Mastroianni disait (il prend l’accent italien) : " Ma si, l’actor qui dit qu’il a du mal, ma il faut lui mettre une tarte dans la gueule ". Le plus dur dans le boulot d’acteur c’est de rester simple et ça c’est pas facile.

- On a l’impression que vous ne vous prenez pas du tout la tête avec votre métier.
Je me prends extrêmement la tête et c’est pour ça que je fais tous les efforts possibles et inimaginables pour éviter de me la prendre plus, pas la peine d’en rajouter. Mais je peux vous tenir le discours opposé et vous dire que effectivement je dors mal la nuit quand je prépare un rôle, que je n’écoute plus ce qu’on me dit parce que j’arrête pas de chercher comment je vais faire. Mais c’est un bon stress, j’en viens de plus en plus à penser que tout ce qu’on fait dans la vie c’est pour éviter de se faire chier. Faire du cinéma c’est un truc qui m’occupe énormément et qui m’intéresse suffisamment pour m’empêcher de dormir.

- Maintenant que vous êtes un acteur reconnu les choix ne doivent pas manquer, comment faites vous le tri ?
Même quand j’avais pas un choix comme aujourd’hui j’ai toujours choisi mes films. Après LES RIVIERES POUPRES, Mathieu Kassovitz m’a dit " Tu te rends compte toutes les portes que ce film va t’ouvrir ". Mais en fait les portes qui m’intéressent étaient déjà ouvertes avant, ce sont celles des gens avec qui je travaille depuis longtemps. Ca va juste me rendre les choses plus faciles avec ces personnes, mais les éventuelles portes qui s’ouvriraient maintenant ne m’intéressent pas. Et je veux pas balancer de noms mais il y a pas mal de gens qui m’ont proposé des choses plus françaises, à la mode et dans l’air du temps, mais ça ne m’intéresse pas.

- Justement aujourd’hui qu’est-ce qui vous intéresse ?
J’aimerais faire LE BARON PERCHE d’Italo Calvino, c’est un truc que je rêve de faire depuis longtemps mais j’y arrive pas parce que les droits appartiennent aux américains, encore ! Et j’aimerais qu’on arrive vraiment à s’incruster sur le marché international avec des films français. Pour ça j’ai deux films en projet, BOB MORANE avec Christophe Gans et THE PRETENDER de Gilles Mimouni (avec Sean Penn). Les deux films sont tournés en français et en anglais et j’aimerais vraiment bien que ça s’exporte. C’est pas de la tarte mais je crois que c’est possible.


Interview by Sylvie Jacquy

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