Entretien avec Vincent Cassel
- Qu'est-ce qui a motivé votre envie de faire ce film ?
Comme bien souvent, la personnalité du réalisateur. J'avais
déjà rencontré Jacques Audiard pour un petit rôle
dans son premier film, et puis ça ne s'était pas fait.
Ce projet-là, il fallait que je le fasse. Vous savez, il n'y
a pas 150 000 metteurs en scène avec qui il faut travailler en
France.
- Comment s'est passé votre rencontre, comment vous a-t-il
parlé de votre personnage ?
Jacques m'a simplement donné le script et c'était
un des meilleurs que j'ai lus depuis longtemps. Ensuite, après
une première rencontre pour voir si ça marchait entre
Emmanuelle et moi, il y a eu un petit moment de doute. J'étais
en pleine sortie des RIVIERES POURPRES. On devait faire une lecture,
je suis arrivé un peu les mains dans les poches. A partir de
là, Jacques s'est mis à flipper, il a voulu faire des
essais. Nos rapports se sont un peu durcis, j'ai dit, " Je ne passe
pas d'essai, ou alors tu m'accordes un mois pour me préparer.
"
Je crois qu'il y a toujours un moment où, dans les rapports de
cinéma, on se test mutuellement, comme dans la vie ou dans les
rapports amoureux, même si se ne sont souvent que des tentatives
d'approche. Ca a été le seul rapport de force entre nous.
Finalement, Jacques est une des personnes avec qui j'ai eu le plus de
facilité à travailler pour la bonne raison qu'il n'y a
jamais eu d'affectif forcé entre nous. On avait cette fluidité
dans le boulot. Lorsque, sur le plateau, il a commencé à
rentrer plus dans la psychologie des personnages, j'ai fait mine de
m'endormir
Il m'a dit, "je t'emmerde ? ". Je lui ai
répondu, " non, mais parle-moi trois minutes, pas neuf !
Sinon je n'entends plus ce que tu dis. " Ce genre de truc, ça
passe ou ça casse. Souvent il y a une déperdition d'énergie
à cause de tous ses rapports humains à " gérer
". Si on peut évacuer les politesses, sans pour autant se
taper dessus, tout d'un coup, on trouve une sorte d'équilibre
dans les rapports de travail. Avec Jacques et Emmanuelle, il semble
qu'on soit arrivé à cela très vite.
- Le cinéma d'Audiard n'est pas psychologique, on est dans
l'action.
Oui. Il faut faire très attention avec la psychologie, elle peut
aider à trouver son propre chemin pour apprendre à connaître
le personnage quand on travaille sur le script, mais ensuite il faut
l'oublier. Au moment de l'action, le travail de l'acteur finalement
se réduit à simplement réagir. Le vrai travail
de l'acteur ce n'est ni avant ni après, mais juste entre ACTION
et COUPER. On gagne beaucoup à accepter cet état de chose,
même si ce n'est pas très gratifiant.
- On sait très peu de choses sur Paul. Comment le définiriez-vous
?
A notre première rencontre, Jacques m'a dit, " Tu es
mieux quand tu n'es pas toi, il faudrait faire un rôle de composition.
" Il ne voulait pas que je m'exprime, que je marche et que j'aie
la même tête que dans la vie. Par contre, il m'a demandé
de lui proposer des choses pour qu'on arrive à créer un
personnage. Et c'est quelque chose qui me plait dans le film. C'est
très construit et sophistiqué, donc faux, et en même
temps, ça dépeint une réalité tout à
fait normale. Mais cette normalité n'existe pas, c'est-à-dire
on n'est pas dans un bureau de banlieue, on n'est pas avec une sourde
ingrate qui flippe parce qu'elle n'a pas d'homme dans sa vie, et on
n'est pas avec un plombier paumé qui sort de taule. Le challenge,
c'était de recréer cet univers totalement normal qui devait
malgré tout conserver un charme, autant au niveau de l'interprétation,
qu'au niveau de la lumière, du cadre etc. On a un univers très
construit, tout en ayant l'air tout à fait naturel.
- Paul et Carla, c'est la rencontre de deux solitudes
C'est une histoire d'amour non consommée. Au fur et à
mesure ils se rendent compte qu'ils sont mieux ensemble que l'un sans
l'autre, à tous points de vue. Ils font des étincelles
tous les deux, alors que chacun de leur côté, ils sont
ternes. C'est parce qu'ils sont ensemble que tout à coup ils
accomplissent un braquage. A deux, ils se sentent plus forts. Moi-même,
je n'aurai jamais eu le courage de piquer du blé à ces
tronches de bras cassés que jouent Olivier Gourmet, David Saracino
et Christophe Vandevelde.
- Il y a une reconnaissance instinctive entre eux, une attirance
Si on met un homme et une femme ensemble, forcément, à
un moment, il y a consommation, ou alors il y a aveu de non attirance.
Je trouve toujours louche de voir un jeune homme et une jeune femme
qui sont amis
Amis jusqu'où ? Jusqu'à quand ?
- Carla vouvoie Paul, alors qu'il la tutoie.
Oui, c'est venu du fait qu'Emmanuelle Devos et Jacques Audiard se sont
dit " vous " pendant tout le tournage, et se vouvoient encore
maintenant. Evidemment c'est devenu une blague entre nous. On a joué
avec ça.
- Pour ce rôle, vous avez choisi d'aller vers un jeu plus
intériorisé, tout en étant très expressif.
Parce que je suis dirigé. C'est-à-dire dirigé par
Jacques Audiard. Dès qu'il y a quelque chose de violent, il ferme
la porte et filme à travers le trou d'une serrure.
J'ai eu à jouer un personnage vraiment construit. Un personnage
est fait d'une multitude de détails en rapport les uns avec les
autres. J'ai tendance à être plutôt hyper expressif.
J'envisage le boulot de l'acteur comme un mec qui remplit des trous,
des espaces. Là où certaines personnes voient huit trous
à remplir, j'essaie d'en trouver vingt-huit ! Il suffisait de
me dire, " non celui-là, ce n'est pas la peine, ça
va
" J'ai bien aimé que Jacques me retienne, et c'est
une raison pour laquelle dans certains plans je ne me reconnais pas.
C'est comme au ping-pong, je suis la balle, je me lance, Jacques me
lifte et me fait rebondir de façon inattendue.
- Comment l'avez-vous dessiné ce personnage, d'où
vient l'idée de la coiffure, du tatouage sur le bras ?
Il n'y a pas de logique pour composer un personnage, je jongle avec
des détails observés sur des gens ici ou là, quand
je les trouve crédibles et suffisamment représentatifs
pour transmettre un univers. Tout ça à l'instinct, c'est
une affaire de sensations. Comme l'élaboration d'un film, c'est
le bordel absolu et au final on est toujours le premier spectateur du
travail qu'on a fourni sur le plateau, en conjugaison avec les autres
acteurs, le metteur en scène et l'équipe
Ce qui
me passionne c'est les tentatives
- Vous avez un réel plaisir à vous faire une gueule.
Le film a la légèreté des comédies italienne
néoréalistes, il y a quelque chose qui tient un peu du
comique dans les dégaines, dans le côté bras cassé
de la bande de gangsters par exemple. J'adore me surprendre, ne pas
me reconnaître à l'écran, il y a quelque chose de
jubilatoire là-dedans. Quand j'étais plus jeune, je ne
comprenais pas pourquoi mon père ne jouait pas Daktari ou Tarzan,
pourquoi il restait lui ! Peut-être que ça vient de là.
- Vous avez fait un travail surprenant sur la voix.
Cette voix avalée est venue comme ça, à la première
prise, elle s'est affinée au fur et à mesure. Au début
Jacques m'avait dit : " Pense SDF ". J'ai regardé les
types d'Europe de l'Est qui traînent dans Paris. J'ai joué
Paul un peu éteint par cette réalité-là,
un peu bas du front, le type écrasé par la vie qui n'a
plus trop les moyens de réagir face aux coups qu'il se prend.
Cette base nous a permis par la suite d'être plus fantaisiste.
Une fois qu'il rentre dans son univers à lui, Paul est plus mariole.
Il est même très " street wise ", c'est un malin
de la rue, il a la sagesse de la rue, un instinct qui lui sert d'intelligence.
Sur son terrain, il sait toujours s'en sortir, même si ça
chauffe. Il sent les choses avant qu'elles arrivent, comme un mec qui
connaît, qui a déjà vécu tout ça...
De victime, il passe à l'action. Quand j'ai lu le script, j'ai
dit à Jacques, " mais c'est un rôle pour Dewaere !
" Je pensais à, UN MAUVAIS FILS, à BEAU PERE, où
il jouait ces espèces de losers dépassés. Jacques
m'a arrêté, " T'es fou, Paul n'est pas un loser, il
s'en sort ". A la lecture du script, j'ai eu cette sensation d'être
dans un film des années 70/80. Je pensais à Depardieu
à Dewaere, les derniers acteurs qui ont fait date
En fait,
je me suis aperçu que je m'étais fait la moustache de
Dewaere et le nez de Depardieu ! Finalement, c'est un hommage.
- Quelles sont les qualités de Jacques Audiard ?
C'est fantastique pour un acteur de travailler avec Jacques, pour la
simple et bonne raison qu'on n'a plus rien à faire. Il se pose
toutes les questions sur la crédibilité du personnage,
le suivi de ses réactions. Sa mise en scène n'est jamais
voyante, mais toujours discrète, en retrait, au service de la
narration. Cette attention à la narration, à la crédibilité
et aux détails, Jacques ne la lâche jamais. Du coup, les
plans découlent toujours de cette logique et de cette réflexion-là.
C'est amusant, avec sa pipe, son bonnet et sa paire de lunettes noires,
Jacques trimballe une espèce d'image mythologique, il me fait
penser à un Blier jeune, ou à Godard. C'est comme si Jacques
était un peu l'héritier de ces choses brillantes qu'il
y avait dans le cinéma Français.
Jacques, on ne sait pas très bien d'où il vient. Il n'a
pas d'âge d'ailleurs. Malgré le tournage, j'ai toujours
l'impression d'avoir aperçu, j'allais dire, à peine un
cheveu du bonhomme ! On ne connaît pas Jacques Audiard
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