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Le Magazine de L'optimum
February 2004



ONE CHAMAN SHOW


Depuis " La haine ", Vincent Cassel cavale à rôles débridés dans le splaines du cinéma. Pas facile de désarçonnr ce pur-sang cabré qui n'a peur de rien. Voir Blueberry, héros de BD sorti de sa bulle et se shootant au chamanisme tendance Kounen. Fumant.

Il paraît que vous revenez du Brésil (il est allé y interviewer Gérard Depardieu pour Canal +) vous aimez bien ce pays ?
Il y a au Brésil un rapport à la vie à la fois sucré et dangereux.

Ça doit vous convenir car apparemment vous êtes les deux ; surtout si l'on en croit Jan Kounen qui parle de vous comme d'un cocktail à base de douceur et de violence.
La violence, je la canalise mieux, mais je l'ai toujours en moi. C'est peut-être pour cela que ce pays me va. Je suis d'ailleurs complètement fou de cet endroit.

Pourquoi cette rencontre avec Depardieu ?
On m'a demandé qui j'avais envie d'interviewer. C'est le seul acteur que je trouve encore mythique, qui a une dimension générationnelle. Il représente beaucoup de choses à mes yeux même si aujourd'hui il s'est étiolé au niveau de ses choix. C'est le seul monstre du cinéma français. En l'ayant en face de moi, je me suis rendu compte qu'il n'était pas là par hasard. Il a réellement une force de sympathie, de séduction, une force brute. C'est énorme.

Il dit ne pas être bien dans sa peau depuis quasiment sa naissance ?
Mais c'est très difficile d'être bien dans sa peau. Ceux qui prétendent l'être mentent.

On peut être mieux par moments ?
Quand on a beaucoup d'énergie, le mal-être comme le bien-être prennent des dimensions encore plus grandes. Cela doit être le cas de Depardieu. Mais quand il est bien, il embarque tout ce qu'il y a autour.

Jacques Audiard vous a dit : " Tu es vachement mieux quand tu n'es pas toi dans un film. " Vous êtes effectivement soucieux de gommer ce que vous êtes au quotidien, comme si vous cherchiez, en osant un parallèle avec le chamanisme en vedette dans le " Blueberry " de Kounen, la dissolution totale de t'être au profit du personnage ?
On aurait tendance dans la vie de tous les jours à tout réduire par peur, car c'est plus confortable. On place des repères partout pour ne plus se perdre. Le problème, c'est qu'à la fin, cela devient un couloir. Les choses sont plus belles, plus excitantes, plus vastes quand tout explose et que l'on se retrouve un peu largué. Le seul souci, c'est que l'on met dans ce cas-là tout le monde en danger. Le fait de pouvoir faire du cinéma me permet cette explosion à travers des personnages, c'est aussi une manière de retrouver une certaine liberté.

D'exorciser votre violence, de lui offrir un champ d'action ?
Absolument. Au début, je croyais, du fait de cette violence, avoir besoin de jouer les mecs durs. Je ne suis pas quelqu'un de violent au sens destructeur du terme. Mais c'est vrai que si je me sens coincé, je peux être brusque, casser des choses autour. C'est peut-être pour ça que j'aime tellement le Brésil, parce que là-bas tout est éphémère, y compris la vie.

Vous y retrouvez un peu la notion d'équilibre instable que vous pratiquiez à l'école du cirque ?
Un peu. Il y a cette idée d'évoluer sur un fil. Mais il faut beaucoup de courage pour vivre comme cela et ce courage, je ne l'ai pas. Alors je me contente de moments, de situations. Ça me redonne envie de vivre. Tout recommence à zéro.

Est-ce comme une renaissance, à l'instar de " Blueberry " où vous vous débarrassez de vos démons ?
Complètement. Ce film, en soi, est une aventure extraordinaire. Avec Sur mes lèvres, j'étais heureux au possible. Irréversible était un objet tellement étrange que j'avais cette impression d'être un peu sur le fil dont on parlait. Là, je suis carrément amoureux de Blueberry

Pourtant vous ne deviez pas faire ce film ni d'ailleurs " Agents secrets " de Frédéric Schoendoerffer qui sort au printemps ?
C'est vrai. Mais quand on regarde bien la genèse de l'histoire, j'étais sur le coup très tôt, avant même de savoir que je jouerais dans ce film. Parce qu'après Dobermann, j'ai continué à voir Kounen, il m'avait donné un livre, Moine et philosophe de Revel et Ricard. Il recherchait quelque chose. Avec Dobermann, il avait terminé un cycle, un côté sale-môme-allez-vous-faire-voir.

Il a d'ailleurs pris deux ou trois claques ?
Qu'il avait cherchées. Il a eu le courage de se mettre dans une position très précaire. Il fallait être culotté pour montrer un type se torchant le cul avec Les Cahiers du cinéma. Il envoyait chier la critique la plus sacralisée dans la France de l'après Nouvelle Vague. Je lui ai dit de ne rien regretter et qu'il y aurait plein de gens que ça allait libérer. Je le pense toujours.

Vous compris ?
Si je savais depuis le début que j'en sortirais frustré en tant qu'acteur, en revanche j'étais super heureux d'avoir fait partie d'une aventure aussi propre à ma génération. On ne pouvait pas faire plus rock'n'roll à ce moment-là. Dobermann a participé à la construction de mon identité d'acteur. J'en suis fier encore aujourd'hui. Pour en revenir à Blueberry, j'avais lu les livres de Carlos Castaneda, ouvrages qui m'avaient totalement tourné la tête. C'est un ethnologue américain d'origine hispanique dont la thèse de fin d'études portait sur l'utilisation des psychotropes dans les cultures chamaniques indiennes. Ses livres, Le voyage à Ixtland ou Le don de l'aigle racontent l'avancée de son initiation grâce au chaman qu'il a rencontré. C'est totalement délirant. Il a été associé à la culture hippie, mais c'est plus que ça. Il a été dénigré par les scientifiques... Et puis Thomas Langman a parlé à Kounen de Blueberry dont il avait acheté les droits. Kounen, qui partait alors tourner une pub au Mexique, a évoqué la possibilité de profiter du voyage pour commencer des repérages et partir à la recherche d'un chaman. Ce fut un échec. Il est revenu à Paris, puis est reparti en Colombie et au Pérou. Il est tombé sur la tribu des Chipiboconibos, dans la forêt amazonienne. Le choc fut rude. A son retour, tout le monde s'est mis à flipper, on le croyait parti en vrille. Il ne voulait plus faire de cinéma. C'est à ce moment-là qu'on m'a appelé. Je l'ai vu très fragilisé. Alors que mes lectures sur le sujet tenaient du roman, d'une manière de voir la vie, lui avait eu le courage de tout larguer pour plonger à fond dans le chamanisme. Je n'arrivais pas à lui dire qu'il délirait. Finalement, j'ai rencontré des chamans. Je suis revenu à Paris en courant. Je ne voulais plus voir personne. Je me suis branché sur Internet pour essayer de comprendre ce qui m'était arrivé et je suis tombé sur des tas de sites, de " freak brothers ", de drogue-designers... Je n'arrive pas encore à me faire une idée de ce qui m'est arrivé, c'est inracontable. Mais ce dont je commence à être persuadé c'est que, après moult lectures, il est un peu facile de dire que les psychotropes sont mauvais pour les gens. Qu'ils soient dangereux en revanche, c'est sûr. Parce qu'ils remettent les fondations de la société en question, y compris les avancées sur l'ADN. Lors de ces expériences un peu extrêmes, j'ai eu la sensation d'être un amas de molécules, un animal ; j'avais l'impression d'exploser, au sens propre du terme, de mourir et de ne pas trouver cela très grave. C'est un enseignement incroyable.

Cela rejoint un peu votre définition de facteur qui doit se couper de ce qu'il est. Dupontel dit avoir besoin de comprendre pour faire, vous non ?
J'ai besoin de m'impliquer dans les choses pour pouvoir en tirer une leçon. Parfois, des choses sont trop subtiles, trop complexes pour pouvoir les appréhender avant de les avoir vécues. En faisant un geste, un mouvement, je comprends mieux.

Kounen vous a laissé faire ?
J'avais un petit passif avec lui, un regret, du fait de n'avoir pas pu réellement m'exprimer sur Dobermann. Je m'étais reposé sur une pensée narcissique du style, ton personnage n'est pas génial, mais avec ton charme naturel tu vas emporter le morceau. Quand j'ai vu le film, je me suis dit que c'était bien fait pour ma gueule, que ça m'éviterait de penser que l'on peut faire les choses sans travailler. Quand Jan est venu me voir pour le projet de Blueberry - et ce, après avoir casté plusieurs Américains - je n'ai pas dit oui tout de suite. On a parlé. Je lui ai dit qu'il fallait travailler ensemble et c'est là que je me suis rendu compte que son expérience chamanique l'avait rendu extrêmement fort, car perméable aux idées des autres sans jamais se perdre lui-même. Jan prend tout, ne se vexe de rien ; Blueberry est d'ailleurs carrément autobiographique. Là, il m'a ouvert la porte, m'a tout montré. Je ne me suis jamais autant impliqué. Il m'a fait écouter la musique, il a partagé la fabrication du film avec moi. J'ai été son oreille privilégiée, avant même les producteurs.

Peut-être parce que vous l'incarniez d'une certaine manière à l'écran ?
Peut-être. Lors de la scène où Blueberry boit pour la première fois la potion, je trouvais en regardant le combo (écran de contrôle, NDLR), qu'il me manquait quelque chose que je n'arrivais pas à définir, quelque chose de plus vulnérable. Lorsque j'ai trouvé ce quelque chose, je suis passé de l'autre côté. Le technicien du point ne me regardait plus dans les yeux, il était gêné. Jan, lui, était presque en transe. Il m'a glissé à l'oreille, " je crois que l'équipe nous prend pour des fous ". Les gens qui ont approché ce type de pratique doivent voir de quoi l'on parle. Le lendemain matin je partais à Cannes pour présenter Irréversible.

Un autre trip ce film-là ?
Et comment ! Même si je trouve qu'il y a des similitudes.

Cela voudrait dire que les rôles n'arrivent pas innocemment, qu'il y a une prédestination ?
A travers les projets que je reçois, que ce soit Irréversible, la direction que prend L'aventurier (adaptation de Bob Morane par Christophe Gans), Le cavalier suédois de Gilles Mimouni, ou Babylone Babies que je dois faire avec Mathieu Kassovitz, il y a quelque chose lié à l'inconscient, aux rêves, au mysticisme.

Vous étiez donc, d'un point de vue chamanique, prédestiné pour ce film. Vous parliez de Kounen partant en vrille, il paraît qu'il a même failli tout quitter ?
Oui, il avait tellement remis les choses en question.

Il a visionné soixante-dix, quatre-vingt westerns ? Il connaissait les codes du genre, mais les a tous digérés.
Ce n'est pas un film référentiel. C'est pas du Kill Bill. Il a tout avalé pour patiner des plans bien à lui. On n'est pas dans un western classique.

Comment avez-vous appréhendé votre personnage ?
Blueberry, je m'en foutais. Je cherchais surtout à être crédible dans le western chamanique de Jan Kounen. On a revu plein de détails du scénario pour que j'arrive à croire en le jouant qu'il était crédible. Tout devait être justifié. Comme je voulais qu'il soit cajun - j'ai d'ailleurs appris par la suite de la bouche de Moebius qu'il venait de la Louisiane - j'ai travaillé mon accent. Je suis parti comme aidé dans des ranchs au Texas pour apprendre les rudiments du cow-boy avec des mecs pure souche. Tout ce qui était lié à l'apparence, à l'attitude devait être parfait. Après, il ne me restait plus qu'à me concentrer sur le parcours personnel. C'est un film d'époque, pas un western de science-fiction. On n'a rien inventé, juste fabriqué une histoire pouvant retranscrire les sensations d'un personnage se frottant à des situations inhabituelles.

Des sensations que vous n'aviez pas expérimentées avant ?
Pas ainsi. On en revient à ce que l'on disait à propos du travail d'acteur. Comprendre une chose c'est bien, mais l'expérimenter c'est mille fois plus fort. Einstein disait : " Plus important que la culture, l'imagination. " Il y a un moment où il n'y a rien de plus fort que ce qui va se passer dans votre tête. Il y a des choses que je ne tiens pas à expérimenter mais là, je ne sais pas...

Vous avez effectivement déjà déclaré ne pas vouloir aller trop loin, mais en regardant votre filmo, on peut en douter ?
J'espère simplement que si je ne me retrouve plus dans ce métier, j'aurai le courage d'arrêter ! C'était d'ailleurs une des questions que je voulais poser à Gérard Depardieu : comment fait-il pour faire tant de trucs, n'a-t-il pas peur de se perdre ? Il m'a répondu, je fais plein de trucs, du business...

Et en même temps il devient très mystique, il se plonge dans la lecture de Saint-Augustin, il va chercher des appuis ailleurs ?
Complètement. L'une des définitions du chamanisme, c'est d'arriver à désapprendre tout ce que l'on sait et à commencer à envisager de vivre avec le monde qui nous entoure et avec la mort d'une manière complètement sereine.

Il y a du boulot ?
Oui, mais c'est l'une des quêtes les plus importantes. Il n'y a pas de religion, pas de paradis. Les religions sont des métaphores qui tendent vers la même chose, qui canalisent l'homme afin qu'il n'aille pas trop loin. Les psychotropes peuvent vous amener à penser différemment et c'est peut-être pour cela que c'est interdit. Je vais vous dire un truc terrible. Plus jeune, j'ai pris des acides, comme un petit con. Chose que je ne ferai plus aujourd'hui car je me suis rendu compte du côté destructeur de la chose. On peut ne pas revenir en arrière. Mais finalement je ne regrette aucunement les drogues que j'ai pu essayer car cela m'a totalement sorti du monde dans lequel je vivais ; je ne voyais plus les pommes de terre et les salades le matin en rentrant sur le marché de Belleville mais des organismes bizarres !

On en revient à l'idée de quitter le monde ?
L'écrivain Alex Gray dit que si vous êtes engagé dans cette voie, si vous êtes un artiste, votre forme d'expression ne pourra faire autrement que de retranscrire ce que vous avez vécu. Je crois que c'est vrai. Si je jouais Molière demain, ma manière de l'aborder serait teintée de mon expérience chamanique.

Mais peut-on visuellement, par le truchement d'une abondance d'effets spéciaux, de hiéroglyphes, de déferlement de sons, montrer cet étrange voyage intérieur ?
Le cinéma est peut-être aujourd'hui le média le plus approprié pour faire partager ce type d'expériences. Mais il demeure des sensations inénarrables.

Ce film, et tout ce qui l'entoure, vous a-t-il incité à alter visiter d'autres philosophies, voir du côté des aborigènes ?
Il y a des symboles qui sont les mêmes aux quatre coins de la planète, qui reviennent dans toutes les religions. Si j'étais allé en Chine pour Bob Morane, je me serais sûrement frotté à des moines chinois.

Gans (qui est en train de monter " Bob Morane ",NDLR) est aussi là-dedans ?
A sa manière. Il a une fascination, une attirance pour cette partie-là de l'existence. Quand vous avez la chance d'être sur des films qui vous excitent réellement comme Le pacte des loups, Blueberry, cela vous aide à vous construire. Plus jeune j'étais mal dans ma peau. Pas mythomane, mais pas loin. Je me déguisais dans la vie, ce qui n'est pas très indiqué pour la santé morale. De pouvoir exprimer une espèce de schizophrénie sur grand écran m'a permis d'être plus simple au quotidien.

En voyant votre filmographie, on a l'impression que vous avez dès le départ eu envie de casser l'image familiale, celle lisse, romantique, séductrice de votre père. Avez-vous choisi, inconsciemment ou pas, vos personnages pour lui parler ?
Dans un sens, sûrement ! C'est bizarre, car je n'arrivais pas à m'expliquer plein de choses au début. Il y a peu, j'ai demandé à fan de revoir ses premiers courts métrages. J'ai l'impression que tout était déjà présent ; j'ai revu aussi les essais faits avec ma femme sur L'appartement. On ne se connaissait pas et là aussi tout est déjà là. Alors maintenant, j'attache plus d'importance aux rencontres, même si je sais que l'analyse de la somme incroyable d'informations échangées peut mettre des années. Seul problème, la vie est courte. Mais on va vivre plus longtemps dans les générations à venir, on va arriver à des niveaux de conscience énorme. On est encore enfant !

Votre enfance, vous l'avez tuée ?
Je la cultive.

Les démons de l'enfance reviennent-ils ?
On passe notre vie à les régler, à les juguler.

Quand vous faites " Blueberry " revoyez-vous des moments de votre jeunesse, vous ont-ils aidé à construire votre personnage ?
Vous ne croyez pas si bien dire. On ne peut construire que sur ses failles. Ce que je n'avais pas compris au début. Aujourd'hui, je pense que le meilleur moyen de travailler son personnage...

... C'est de le faire en rêvant ?
Juste en s'endormant et juste avant de se réveiller ! Le moment où la conscience commence à resurgir.

C'est pour vous changer les idées que vous avez fait " Agents secrets " et que vous allez vous attaquer à Jacques Mesrine ?
Oui et non, car il y a quelque chose de chamanique dans le film de Schoendoerffer qui tourne autour du mensonge. Je suis retombé sur des thèmes qui m'étaient propres.

Et vous êtes content de ce que vous êtes ?
C'est étrange mais en vieillissant, en grandissant, on commence à jouer avec des choses de plus en plus personnelles et c'est un grand kif

Interview by Gwen Douguet


Taken from Mr Cassel's official website.