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PREMIERE - Oct 2001
J'aime ça! By Kruger Bros.
Des comme lui, on n'en a pas beaucoup. Tous les registres, toutes les époques, un gros physique, l'enfance de la balle, la danse, le cirque, les arts martiaux... Des rôles hors normes, des rôles variés et de la consécration puisque, ces deux dernières années, il partageait le haut de l'affiche du Pacte des loups, des Rivières pourpres et de Jeanne d'Arc; qu'on peut toujours l'entendre dans Shrek, en Robin des Bois (VF et VO); qu'on le retrouve aujourd'hui en ex-taulard minable dans Sur mes lèvres, de Jacques Audiard; qu'on le retrouvera demain, en Russe (et en russe), aux côtés de Nicole Kidman et Mathieu Kassovitz dans Birthday Girl et l'année prochaine en aventurier Bob Morane, le héros d'Henri Vernes étant mis en images par Christophe Gans, après avoir été mis en BD par William Vance. Sinon, il envisage de tourner bientôt avec Stephen Frears et, juste là, il vient de finir Irréversible, du peu classable Gaspar Noé (Carne, Seul contre tous), histoire en flash-back successifs et en douze plans-séquences où il remonte, avec Dupontel, la piste du violeur travelo de Bellucci; un film qui réunit pour la septième fois en une sixaine d'années les prénoms de Monica et Vincent. En attendant, Vincent est aussi cool que ponctuel. Et tous ceux qui le fréquentent ou travaillent avec lui s'extasient sur son compte. On les comprend.
PREMIÈRE: C'est quoi un bon acteur?
VINCENT CASSEL: Un bon acteur... Je me pose souvent la question. Je crois que c'est quelqu'un qui arrive à s'exprimer librement en réussissant à s'adapter aux personnes avec qui il travaille.
P: C'est quand même vague.
VC: C'est très vague. Jouer la comédie, c'est pas grand-chose... Il y a des petites phrases qui me reviennent, comme ce que disait Jouvert : « Un peu de fantaisie dans son art, un peu d'art dans sa fantaisie. » C'est pas sérieux et en même temps c'est primordial; c'est léger et en même temps on a l'ambition de toucher des choses profondes. C'est un paradoxe permanent, et faire l'acteur, c'est apprendre à se déplacer là-dedans.
P: Tu as quel âge?
VC: 34, 35 le 23 novembre.
P: Donc, tu n'es plus « un petit jeune »?
VC: Est-ce que c'est l'âge que tu as ou l'idée que les gens se font? Moi, je me sens un homme, mais je me rends compte que, parfois, dans la tête des gens, je suis encore un jeune. Ça ne me dérange pas.
P: Si on te dit : « On va faire une photo avec les jeunes acteurs français », tu as envie d'être dessus?
VC: Je n'ai jamais eu envie de me mélanger parce que la compétition est déjà assez forte comme ça. Inutile de vivre avec ça dans la tête.
P: Concrètement, tu arrives sur un plateau avec une interprétation prête?
VC: Pas du tout. C'est marrant parce que, sur le film de Gaspar, j'en parlais avec Albert Dupontel et il me disait « J'ai besoin de comprendre ce que je vais faire. » Et moi, justement, non. J'ai besoin de faire pour comprendre. Du coup, on avait deux manières complètement différentes de travailler, et je crois que finalement, les deux fonctionnent. J'ai souvent entendu sur moi : «acteur instinctif», «acteur physique» et c'est exactement comme ça que je le sens! Comme en haut d'une piste noire. Tu te dis «OK, j'y vais», tu sautes, et une fois que tu es dedans, tu commences à voir comment ça se passe, tu négocies tes virages... Pour moi, un acteur, c'est quelqu'un qui bouge bien dans le cadre qu'on lui a donné.
P: Alors, à partir du moment où tu reçois un script, tu fais quoi?
VC: Ça dépend. Ça se passe toujours de manière tellement trange. L'autre jour, je discutais avec Stephen Frears. Lui, il n'écrit pas ses films. Alors je lui ai demandé comment il faisait pour choisir ses scripts. Il m'a répondu : «Tout d'un coup, parmi les enveloppes que je reçois, il y en a une qui brille; je le lis et c'est celui-là.» Je me sens un peu comme ça.
P: Des scénarios, tu en reçois beaucoup?
VC: Pas mal. Mais j'en lis très peu. Je trouve ça chiant, surtout quand ils sont mauvais. Laurent [Grégoire, son agent chez Intertalent] lit beaucoup pour moi. Encore une fois, c'est pas très définissable, mais je sens quand il faut y aller ou pas.
P: Tu n'as jamais tourné dans des films «institutionnels», Chabrol & Cie?
VC: C'est marrant parce que ça s'est encore fait instinctivement et ce n'est qu'aujourd'hui que je comprends les rèactions catégoriques et radicalement que j'ai pu avoir.
P: Le Bob Morane de Christophe Gans, c'est signé?
VC: Non, mais on va le faire.
P: Un message à faire passer à Jean-Claude Van Damme [qui faisait le forcing dans notre numéro d'été pour obtenir le rôle]?
VC: Je suis un grand fan de Jean-Claude, j'adore vraiment! Je le trouve hyper touchant, et en même temps...
P: Tu ne peux pas demander qu'il y ait un rôle pour lui dans le film?
VC: Je vais en parler au producteur [Richard Grandpierre].
P: Dans Sur mes lévres, tu changes encore complétement de tête...
VC: J'aime bien ne pas me reconnaître à l'écran, être spectateur malgré moi, avoir des manières de réagir qui me surprennent. C'est mon seul baromètre pour savoir si j'ai fait quelque chose d'intéressant. Sur le film de Gaspard, j'ai eu le sentiment contraire : comme il n'y avait pas de scénario, j'étais libre à un point que je n'avais jamais expérimenté, rien à quoi se raccrocher; du coup, ce qui sortait de nous dans les scènes était totalement volé. Contrairement au film de Jacques [Audiard] où c'est le plaisir de construire et de fabriquer un univers en le rendant naturel, dans le film de Gaspard, ce qui est naturel, c'est pas ce que tu fais, c'est ce qui t'échappe.
P: Tu as suivi beaucoup de cours?
VC: Oui, pas mal. J'ai fait Blanche Salant et Paul Weaver, qui m'ont beaucoup aidé. Après, j'en ai fait plein. J'ai toujours pris deux cours à la fois, d'un côté des trucs supers français, trés basiques, et les autres qui, au contraire, intellectualisaient beaucoup, presque une psychanalyse. Résultat, je m'engueulais avec tous les profs parce que je confrontais ce qu'on m'avait appris le matin avec ce qu'on m'apprenait l'après-midi.
P: Tu as vraiment fait l'École du cirque?
VC: Oui, pendant quatre ans.
P: Et ça t'a apporté quoi?
VC: Le plaisir du corps. J'ai fait beaucoup de danse aussi. J'ai fait beaucoup de choses parce que j'ai beaucoup d'énergie. Donc j'essaie de la canaliser. Le hip-hop est arrivé au bon moment. Le break, la capuera par la suite, ça m'a ouvert énormément de portes. Le plaisir que j'ai eu à faire la scè du Pacte et la scéne de baston des Riviéres pourpres, en termes de chorégraphie, c'était génial. Je ne savais pas que ça allait me servir à ce point-là un jour.
P: Est-ce que tu vas toujours courir nu sur la plage au Brésil?
VC: Non. Nu, c'est interdit au Brésil, contrairement à la France. Mais le Brésil, oui, toujours. Ils en ont rien é foutre du cinéma là-bas, c'est fantastique! Tu arrives, les mecs te parlent de la vague, du poisson... D'ailleurs, justement je me rends compte que je commence à savoir ce qu'est mon rythme et c'est : «pas trop». Si je pouvais faire deux films par an, ce serait extraordinaire. D'abord, parce qu'il y en a rarement plus que ça à faire, en tout cas qui me conviennent; ensuite, parce qu'il ne faut pas trop travailler, sinon tu deviens ce que tu fais, et ça, c'est une grande maladie du siècle : n'exister qu'à travers ton boulot. En plus, ça t'évite de faire trop d'interviews, donc de dire des conneries.
P: Tu parles d'argent, toi?
VC: Par personne interposée, oui.
P: C'est tabou?
VC: Non. Mais je préfère ne pas me coltiner ce genre de trucs avec les gens; j'aime bien arriver sur le plateau et être «le mec cool».
P: Sur Bob Morane, tu peux demander combien, 4 millions?
VC: Je suis toujours surpris quand j'entends des gens me dire ce que je peux demander. Tu as toujours une pudeur...
P: Tu trouves étonnant qu'on te demande ça?
VC: Le problème, c'est que si tu fais perdre de l'argent aux gens, on t'en veut; si tu en fais gagner, on t'adore. Si tu n'en demandes pas trop, on t'en voudra moins; en même temps, si tu n'en demandes pas assez, on te prend pour un con. La cote, c'est très relatif... J'entends que des acteurs gagnent des sommes astronomiques, 7 ou 8 millions pour un film. Je me dis: «Putain, j'espère que le film va marcher!» Parce que tu en fais deux comme ça et les gens veulent ta peau! Le vrai moyen de trancher la poire, c'est de garder des limites raisonnables en prenant des parts sur les films. Mais on arrête de parler d'argent maintenant; les acteurs, comme ils ont pas grand-chose à raconter, ce qui les intéresse les gens, c'est : comment ils vivent, la couleur de leur bagnole, les faux nichons de leur meuf... Ça nique un peu le côté onirique que peut avoir le cinéma. Mê moi, quand je lis ça dans les magazines, ça réveille mon côté voyeur et je me dis : «C'est pas possible, Johnny Depp a une couille?»
P: On t'a pas proposé de rôle dans Astérix : Mission Cléopâtre?
VC: Non.
P: Il n'y a pas un contrat qui fait que quand on propose un film à Monica, il faut le proposer à Vincent, et réciproquement?
VC: Avec qui on le passe ce contrat? Moi, je signe!
P: Birthday Girl, de Jez Butterworth, avec Nicole Kidman et Mathieu Kassovitz, c'est anglais?
VC: Oui, mais c'est une production américaine - Miramax -, et les acteurs sont australiens, anglais et français.
P: Tu parles russe, toi?
VC: Dans le film, je ne parle que russe!
P: Oui, mais dans la vie?
VC: Ah, non. J'ai d'abord appris mes phrases phonétiquement. Au bout d'un moment, tu connais ton texte et tu sais ce que ça veut dire, tu reconnais tes mots; alors, tu commences à prendre des phrases d'une scène que tu n'as pas encore jouée parce que tu sais que, là, ça colle. Du coup, le mec réécrit la scène d'après et tu commences à jouer avec la langue. Au bout d'un moment, on rajoute une chanson, et tu chantes en russe, tu commences à d&l#233;lirer avec ça, et puis tu te rends compte que tu as fait un film en russe! Je me souviens, je disais à Mathieu: «Tu te rends compte, on vient de faire une scène de huit minutes en russe, là!»
P: Lui aussi parle russe dans le film?
VC: Oui. Avec Nicole Kidman, on parle russe; on s'engueule en russe, il m'envoie chier en russe... Bon, peut-être qu'en Russie, ça ne passera pas, mais dans le reste du monde, ça va faire la blague... C'est fou.
P: Tu dis que les États-Unis ne t'attirent pas, mais c'est quand même là-bas que le gros business se passe. Si on te dit: «On te donne 3 millions de dollars pour faire un film là-bas»?
VC: Déjà, je crois que les Américains t'appellent pas en te disant: «Je vais te filer 3 millions de dollars si tu viens faire un film.» Ils te disent plutôt: «T'es content de faire un film avec nous? Alors, tu vas prendre 2,50F et tu vas fermer ta gueule.« En fait, ce qui m'emmerde, c'est de «faire l'Américain», de la même manière que je n'ai pas eu envie de «m'intégrer au cinéma français». J'aurais beaucoup de mal à aller me faire passer pour ce que je ne suis pas. Qui plus est pour aller jouer le méchant; je veux bien faire le méchant quand j'aurais fait le gentil. Faire le méchant parce que c'est tout ce qu'on me propose, ça m'emmerde. La solution, alors, c'est de faire un Français gentil en anglais; et ça, c'est Bob Morane. Bob Morane, ce serait le premier héros français international. C'est écrit par des Belges mais il est français. C'est pour ça que ce n'est pas Jean-Claude Van Damme qui doit le faire; il a trop d'accent... anglais. Donc ça, c'est le truc rêvé: un film au potentiel international avec un metteur en scène avec qui on a déjà trouvé un terrain d'entente.
P: C'est-à-dire?
VC: Je sais qu'il est un peu fou. Je peux lui proposer des choses complètement folles: a priori, il sera toujours preneur.
P: Donc, tu proposes des trucs aux metteurs en scéne?
VC: Oui, tu proposes aux gens qui t'en laissent la place.
P: Comment ça s'est passé avec Jacques Audiard?
VC: Jacques n'est pas beaucoup plus âgé, mais il a une pudeur qui fait que ce n'est pas un mec à qui je vais taper dans le dos - «Alors Jacquot!» -, avec qui je vais déconner ou fumer des joints. En même temps, j'ai besoin d'avoir une liberté dans le travail. Du coup, on a eu l'un sans l'autre: dans le travail, c'était complètement relâché, aucune barrière. En fait, j'ai eu un rapport très adulte avec lui. J'ai l'impression que c'est la première fois que j'ai eu un rapport adulte avec un metteur en scène. Quand je suis arrivé sur le plateau après Les Rivières... et Le Pacte..., j'ai eu un petit moment de déprime: «Putain, je fais un film d'auteur!» alors que je venais de faire le con, de faire du kung-fu, de braquer des mecs avec des flingues et tout... Donc, j'avais une espèce d'a priori sur ce que pouvait être un film «adulte», pas un film pour les jeunes branleurs, comme je peux être, qui vont au cinéma le samedi soir. En allant chez Jacques, je me suis dit «Là, il ne faut pas déconner; je suis dans un truc où on parle de l'humanité.» En fait, je me suis rendu compte que c'était exactement la même chose, sauf que j'avais moins l'impression de faire partie d'un truc pour foutre la merde. Là, tu fais pas de kung-fu, tu traficotes des serrures et il y avait le même plaisir quand il me donnait des trucs à faire avec des petites perceuses... La fabrication est la même. L'intéressant avec Jacques, c'est qu'il s'accroche à l'humanité des personnages, disons à «la crédibilité du parcours émotionnel des personnages». C'est une approche plus minutieuse sur les gens. Mais, au final, j'ai toujours l'impression d'être payé à faire le con! Pour en revenir à ta première question, je ne sais pas comment je travaille, je ne sais pas avec qui j'ai envie de travailler, et quand je ne sais pas ce que je vais faire, même si ça m'angoisse, j'adore ça! Pour résumer, je ne suis pas le meilleur, mais j'ai le cul bordé de nouilles et j'aime ça!
P: Les nouilles?
VC: Non, d'avoir de la chance comme ça. Parfois, j'ai des bouffées de chaleur, je me dis: «C'est pas possible!» Je ne sais pas si vous jouez à la PlayStation, mais quand tu chopes des points tout d'un coup, tu as du boost. Et je me sens comme ça.
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