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Score
March 2003



L'ENNEMI PUBLIC N°1
VINCENT CASSEL


Les yeux qui voient dans la nuit, le profil offensif, Vincent Cassel est taillé pour la course. Un féroce 1100 GSXR dans l'hexagone. Conduite agressive et dorsaux en V, depuis qu'il a démarré, les autres sont encore en train de trottiner. Loin devant avec sa horde [Kounen, Kassovitz, Noé…], il est à la tête de l'équipée sauvage du cinéma français. L'esthétique démontée par des optiques, à la clé de 20 ils déboulonnent les figures classiques, travaillent la pellicule au chalumeau et plient les narrations comme la tôle, pour tordre, démonter, froisser. Dans l'expérimentation d'une nouvelle forme, le jeu de Vincent devient un symbole. Rapide, tendu, violent. Tous zoulous, tous voyous. Gentlemen de l'arsouille, les moteurs d'un genre nouveau s'épanouissent dans le défi. Nouveau sang, nouvelles gueules. Leur cinéma est offensif, le jeu de Cassel est instinctif. Pour MURAYA [L'AVENTURE SECRETE DE MIKE BLUEBERRY], il a échangé son style cylindré contre la spiritualité d'un cow-boy shamanique. Quand la poussière et le soleil envahissent l'écran. Etourdi par les narcotiques et la pensée mystique, surgit le projet le plus attendu de 2003. Avant cette sortie [au mois de novembre], Cassel joue dans AGENTS SECRETS de Frédéric Schoendorffer et anticipe sur BABYLON BABIES qu'il tournera avec Mathieu Kassovitz. Une carrière en excès de vitesse qui explose la rétine, dans les étincelles et les distorsions, du bruyant, du sens et de l'action, putain du cinéma ! Du technicolor passé à la peinture, des iris enragés, du métal brûlé ; que les fauves soient lâchés.

Pour débuter cette interview qui fera date dans l'histoire du journalisme, on voudrait savoir comment tu procèdes pour préparer tes rôles ?
Je suis un peu emmerdé parce que je n'ai pas de méthode particulière. Ca dépend des films. Je prends des coachs quand il y a un truc particulier à travailler : la langue, l'équitation. Sinon, ça dépend de tout un tas de paramètres : Le métier du personnage, son histoire, le type de récit dans lequel il s'inscrit… J'essaie toujours, avant de trouver une motivation, une envie par rapport à mon rôle, qui me poussera à explorer le personnage.

Et plus précisément, par rapport au rôle de Mike Blueberry qui est un cow-boy mystique ?
C'est particulier dans le sens où je ne devais pas tenir le rôle au début. Je ne suis pas arrivé par hasard sur le projet, mais je suis arrivé beaucoup plus tard. J'ai donc demandé à Jan Kounen, avant d'accepter le rôle qui a priori devait être joué par un Américain, de pouvoir retravailler sur le script pour l'adapter au fait que ce soit moi qui le joue. Il a accepté sans problème et on a bossé ensemble jusqu'à la fin du film. On continue d'ailleurs. Concernant ma manière de rentrer dans le personnage, je suis tout d'abord parti quinze jours rejoindre le fameux Mario Lurashi au Mexique. Afin de l'accompagner dans sa tournée des ranchs et hacendias où il devait choisir les chevaux du film. Il me faisait monter cinq à dix chevaux différents par jour, histoire de me mettre en condition. Ensuite, je suis parti dans un pur ranch texan, entouré de cow-boys, et j'y ai travaillé comme aide. Ils me disaient : « Tu prends ces vingt chevaux sauvages, et tu les emmènes là bas, à deux heures, de l'autre côté de la montagne ! ». Une fois que tu prends du plaisir à faire ça, que tu te fonds dans l'ambiance de l'ouest avec des mecs qui sont des cow-boys modernes, qui chiquent et qui jouent avec leurs lassos, tu comprends l'esprit. Tu comprends pourquoi on met des chemises et pas des t-shirts, tu t'inspires, tu regardes et après, tout le reste, l'attitude, la gestuelle, les tics, la manière nonchalante de monter à cheval, tout ça vient. Pour le côté mystique, shamanique, ça vient plutôt de mes lectures, notamment de Carlos Castaneda.

C'était des lectures que tu avais avant d'être attaché au projet ?
Oui, bien avant. D'ailleurs, j'étais fasciné par le fait que Jan Kounen s'intéresse autant à ça, je me suis donc associé très tôt à son projet, non pas sur un plan professionnel, mais par les discussions qu'on pouvait mener ensemble. On en parlait, on échangeait nos idées, nos impressions…

...Vous preniez des champignons ensemble...
En l'occurrence, c'étaient pas des champignons, mais j'ai eu quelques expériences avec lui, qui ont fait que, lorsqu'on s'est retrouvé sur le plateau, on s'est aperçu que tout ça, n'aurait pas pu être autrement.

C'est en ce sens là que ce n'est pas du hasard que tu as fini par jouer le rôle ?
Exactement. Vous verrez le film, il y a certains trucs que Jan ne pouvait pas expliquer à un acteur qui n'aurait pas été nourri par nos lectures et nos discussions, etc. C'est très difficile de communiquer ces choses là à quelqu'un qui ne s'est pas réellement penché sur la question.

Tu fais référence à quoi ?
Vous verrez, il y a des choses qui se passent qui sont difficiles à définir, qu'il faut disons…expérimenter.

C'est sans doute pour ça qu'il y a eu des difficultés à le monter financièrement ?
Quand je vois des réalisateurs qui luttent pour monter leur film, je ne sais pas si c'est parce que leurs interlocuteurs sont obtus ou parce que ce n'est pas le bon moment. Peut être simplement qu'ils n'étaient pas prêts avant. Jan n'aurait pas eu de problème à faire un film après DOBERMANN quoiqu'en ai pensé une partie de la profession qui s'est acharnée à dire que c'était un échec alors que c'est le film français qui a été le plus vu cette année là dans le Monde ! Et même l'année d'après ! Il a fait un million d'entrées en France, ce qui est assez rare pour un premier film, et je ne vous parle pas de la vidéo. Je crois qu'il y a un vrai problème avec le cinéma français. J'en fais partie, j'en suis un fervent défenseur. Mais je suis conscient que c'est un microcosme extrêmement bourgeois qui flippe dès qu'arrive un film un peu différent, dès que le contrôle leur échappe ou que ça ne les conforte pas dans leur vision. LA HAINE est, d'après moi, un film qui n'était pas policé, mais qui, avec le contexte de l'époque, a été récupéré, digéré, accepté. On pouvait le regarder comme un objet contrôlable.

Oui, comme une étude sociologique sur les banlieusards...
C'était : « Ah oui ces gentilles petites cailleras ! Que c'est folklorique ! En fait, elles sont normales, elles nous ressemblent un peu… ». Pour DOBERMANN, c'était pas aussi clair : le flic était nazi, ils se tirent dessus, ils jurent. L'attitude n'était pas assez évidente. Mais l'attitude du film renfermait son contenu. Et moi, j'aimais aussi ces films-là...

D'ailleurs tu tournes exclusivement avec la jeune génération. On a le sentiment que tu n'es pas travaillé par le besoin de légitimité qui traverse tous les jeunes comédiens français, genre tourner avec Chéreau, Chabrol, Téchiné...
Exactement. Quand j'ai commencé à faire des cours de théâtre, je traînais avec Solo ( ex membre d'ASSASSIN ). Donc, dès qu'on répétait une scène, on lui montrait, et lui nous disait : « Arrêtez les gars c'est naze ! » et c'est vrai que c'était naze ! Mais c'est parce que nos repères étaient faux, on croyait qu'être acteur ça s'apprenait, on croyait qu'on entrait dans un temple, qu'il fallait tout respecter ; on était craintif et déférent. Or, être acteur c'est utiliser tout ce qu'on est, tout ce qu'on n'est pas, tout ce qu'on aimerait être, et même tout ce qu'on a peur de devenir. Je me suis dis alors que c'était impossible de faire ce métier-si on peut appeler ça un métier- et que les gens de mon âge trouve ça ridicule ou inintéressant. Il fallait que je trouve une alternative. Quand j'ai vu FIERROT LE POU ( court métrage de Kassovitz ) j'ai compris que c'était ça qui me correspondait. C'était ma dynamique. L'autre cinéma, traditionnel, c'était quelque chose dans lequel il fallait s'intégrer. Mon idée à moi, c'était de faire notre truc et de l'imposer. C'était nous avant tout, les autres après. Quand je dis « nous », c'est notre génération, notre culture.

Tourner dans des films de genre, ça restreint énormément le nombre de réalisateurs. Au grand maximum ça en fait cinq ou six...
Noé ( Irréversible ) ce n'est pas du cinéma de genre. Plus auteur que lui, tu meurs. Quand Mathieu Kassovitz fait les RIVIERES POURPRES, il fait un film de genre, quand il fait LA HAINE et ASSASSIN(S), ce sont des films très personnels.

Oui, mais le langage cinématographique qu'il emploie est très populaire, pas «auteuriste »
D'accord, mais à ce moment là, c'est notre vision qui est déformée. On a l'impression qu'il faut être ennuyeux pour être un auteur crédible et, que si t'as fait appel à des ressorts scénaristiques de peur, de suspens, on catalogue tout ça vite fait bien fait, dans le cinéma de genre. C'est beaucoup plus complexe que ça. Mathieu, c'est un réalisateur de films de genre parce qu'il a le goût de ça et la technique suffisante, mais ce n'est pas que ça.

En tous cas, ce qui les lie tous, c'est leur grand sens de l'image.
C'est ce qui nous a manqué. Quand la nouvelle-vague est arrivée, elle a démocratisé le cinéma en le sortant des studios et de ses budgets faramineux. Tous les Duvivier, les Carné, les lumières d'Alekan, c'était super-léché, très coûteux et peur accessible. Des mecs en colère sont arrivés, des gens qu'on connaît comme Godard et Truffaut et ont fait du cinéma dans la rue. C'est super, ça a ouvert les choses, mais à terme ça a redéfini un nouveau carcan. Polanski disait qu'au final, la Nouvelle-vague avait fait du mal. C'est vrai dans le sens où, pour être crédible, il fallait financer son film avec des tickets-restaurants, tourner dans la grisaille et éclairer les acteurs à la lampe de poche. Je pense que là ou Kassovitz, Gans, Kounen, Mimouni, Noé, Emilio-Siri, Carot, Jeunet, et quelques autres font du bien, c'est qu'ils cherchent une nouvelle forme en réaction à ça peut être. C'est comme un cycle. Moi j'avais envie et besoin de participer à de nouvelles choses. D'ailleurs, quand le Dolby Surround Digital est arrivé, je me suis dis : « Putain, mais c'est pour nous ça ! »

Et le dvd des RIVIERES POURPRES est le premier en THX...
...Français ! Européen même ! Mais oui, Madame… ! Et je suis aussi associé au premier DVD français en DTS, devinez … L'APPARTEMENT de Gilles Mimouni, qui l'eût cru ?

Pour revenir à ta formation, j'ai vu que tu avais fait du chant avec Suzanne Sorano, de l'acrobatie à l'école du Cirque d'Annie Fratellini, du théâtre à New York, de la danse. De quelles façons ces disciplines ont elles nourri ton jeu, ta présence ?
Quand j'ai commencé, je ne pouvais pas faire autre chose parce que j'étais à l'école et que c'était une manière de mettre un pied dans le spectacle. Et puis il y avait cette Légende qui disait que les acteurs américains savaient tout faire : Chanter, danser, jouer, etc. et que nous, les acteurs français, on était un peu manche. Du coup, je voulais une formation pluridisciplinaire. Comme je ne voulais pas faire le conservatoire, je me suis fait ma propre école, j'avais mes cours de classique, de chant, de Cirque. Et puis je me suis aperçu qu'on ne pouvait jamais maîtriser toutes les disciplines ; en plus, à l'école du cirque, j'ai eu un accident et j'ai dû arrêter tout ce qui était physique. Avec le temps, je me suis rendu compte que les notions que ça m'a donné sont très utiles. Ca m'a apprit à me situer, à bouger, à occuper l'espace. Ce n'est pas rien ; il y a plein d'acteurs qui ne savent pas bouger, peut-être parce qu'ils n'ont pas le goût de ça…Bref, quoiqu'il en soit, ma formation correspondait parfaitement à ce qu'on réalisateur comme Kassovitz recherchait. Lui, quand il m'a vu faire de la boxe, sauter dans tous les sens, ça l'a fait délirer. Il voulait ce type de personnage.

Toujours dans le domaine du cirque, beaucoup de comédiens sont intéressés par le travail du clown.
Oui, je faisais de l'art clownesque. Après, ça dépend de ce que tu en fais. On t'apprend à tomber, on te fout des claques, on te demande de trébucher dans des chaises. J'ai fait pas mal de spectacles de rues dans cette veine-là, avec des échelles, des chaises et de la musique Jazz. J'avais 18 ans, ça s'appelait les « Swing mobylettes», on mettait du Oscar Peterson, du Count Basie et on faisait des claquettes, on se mettait des tartes, on faisait des sauts périlleux...

Qu'est-ce que ça t'a apporté ?
Enormément de choses. Quand tu fais du spectacle de rue, si ça ne marche pas, les gens t'ignorent, ils passent sans te regarder, certains t'envoient même des trucs sur la gueule, donc il faut se dépasser, se renouveler. Dans les livres de Stanislavsky, le top des écoles de théâtre russe, considérés comme les chercheurs absolus en matière de jeu, ils enseignaient, entre autre, l'acrobatie. La logique est la suivante : Quand tu démarres une séquence d'acrobatie, il faut te lancer de manière instinctive, tu ne peux pas t'arrêter au milieu sinon tu te fais très mal ; donc il y a cette notion de performance sans filet. En ce qui me concerne, dans le fait de jouer, il y a de cela. Tu fais un truc sans savoir réellement où ça va t'emmener.

Ce qu'on ressent particulièrement dans IRREVERSIBLE où les plans séquences sont parfaits pour ce type de jeu. D'ailleurs, on te voit rentrer dans des états de folie, comme lors de la scène où tu défonces le pare-brise du taxi.
IRREVERSIBLE, c'était poussé à son paroxysme. Il n'y a que ça. C'est comme lorsque tu te laisses tomber sur le côté, tu mets un pied devant l'autre pour te rattraper, tu tentes de retrouver l'équilibre… C'est délirant à faire, mais c'est super fatiguant parce qu'il faut rester concentré. Sinon tu tombes. Donc il faut rester à l'écoute, ne pas faillir dans des excès ridicules. Mais c'est ça qui est bon.

Par rapport au cinéma américain et à des films comme THE SIN EATER de Brian Helgeland que tu n'as finalement pas tourné ou BIRTHDAY GIRL qui n'est pas sorti...
Jusqu'à présent mes aventures américaines ont toujours été foireuses...

C'est à ça qu'on voulait en venir. On a l'impression que tu te butes à quelque chose là-bas.
C'est ça. C'est très bizarre. Quand je suis parti travailler en Angleterre pour BIRTHDAY GIRL, je me suis dit : « Voilà, les Anglais sont comme nous. Là-bas je vais retrouver ce qui me plaît ici ». Je pensais tomber sur des mecs qui ont les nerfs, qui ont envie de faire des trucs et puis je me suis rendu compte qu'en Angleterre, ils ont le même problème qu'en politique. L'Atlantique est trop court pour eux, ils peuvent le traverser à la barque ! Du coup, ils suivent les américains. Si tu regardes le cinéma anglais, pendant longtemps c'était Stephen Frears, Ken Loach, Mike Leigh, mais ces types, ils ont cinquante, soixante ans ! Les Danny Boyle, les Guy Ritchie, pffffft ! Ils filent à Hollywood direct ; pareil pour les acteurs. Nous on est plus emmerdé parce que qu'on n'a pas la même langue. Du coup, ça devient notre force. On a le cinéma le plus fort d'Europe, et à part l'Inde et Hollywood, le plus productif du Monde !

C'est important pour toi de lutter sur son territoire ?
Il y a un truc d'identité. Un acteur qui n'a pas d'identité disparaît. Mais un acteur qui change de tête, qui se grime et se renouvelle à chaque fois, il faut qu'il soit ancré dans quelque chose. Moi je suis ancré dans ma génération, dans le renouveau… Studio magazine avait titré, en parlant de nous, NOUVEAU SANG. Y a une agressivité qui correspond je crois à ce qui se passe ici. Donc je me suis dit : « Qu'est ce que je vais aller foutre là-bas ? Jouer le méchant à deux balles ? Non, je vaux mieux que ça ». Quand Mathieu Kassovitz était à Los Angeles pendant deux ans, il me disait de venir, il me disait : « Putain, tu vas peut-être travailler avec Scorcese… », et moi je lui répondais : « Pourquoi tu veux que je travaille avec Scorcese alors que t'es là, toi ! Faisons des trucs ensemble ! ». Déjà qu'on n'essaye de ne pas s'intégrer au système ici, pourquoi on irait s'intégrer au système là-bas ? il faut avoir plus confiance en nous. Y a un côté un peu grande gueule, mais j'y crois encore. Je préfère donner ma préférence à ceux d'ici. Là-bas, j'ai du mal à dire merci, j'arrive pas à faire le mec content d'être là, le mec qui embrasse le sol de joie. Du coup, quand ils ne casquent pas, sous prétexte qu'on est français, ça me fout hors de moi ; quand ils me filent des rôles nasebroques, je leur dis que ça m'intéresse pas et quand ils essayent de m'embrouiller, je laisse tomber. Et je suis sûr qu'à long terme ça paiera, d'ailleurs ça commence...

Mais c'est une position dure à défendre...
Moi, je fais très attention à mon travail parce qu'à partir du moment où on ne commence plus à respecter son boulot, c'est foutu. A ce propos, il y a une phrase de Richard Burton qui m'a perturbé pendant des années, « L'acteur est un peu moins qu'un homme, l'actrice est un peu plus qu'une femme ». A l'époque, il était marié à Liz Taylor. Mais je ne comprenais pas vraiment ce que ça voulait dire… Et puis, avec le temps je me suis trouvé mon sens à cette phrase : Acteur, soyons honnête, c'est un métier de pédé. Un vrai dur, il n'est pas acteur, il a autre chose à foutre ! Les mecs qui jouent les mieux les racailles, c'est ceux qui ont un côté féminin, forcément, sinon ils ne seraient pas acteurs, ils seraient en train de dessouder du maton en QHS ! Donc il y a quelque chose dans le métier d'acteur, dans le fait de se mettre au service d'un réalisateur, qui est extrêmement féminin. Et, pour continuer la métaphore, un acteur qui accepte ou refuse un rôle, c'est la seule chose qu'il ait pour lui : le choix de dire oui ou non. Et ça, encore une fois, c'est très féminin : « L'homme propose, la femme dispose ». Donc, un acteur dispose. C'est vrai, et je l'assume totalement. D'ailleurs, le meilleur moyen de le faire bien, c'est de l'assumer je crois. Comme je pense qu'une meuf qui dit oui à n'importe qui, qui nique tout ce qui passe finit par s'abîmer ; par devenir une pouf… Dans l'Acteur, il y a de ça. Il faut faire attention avec qui tu vas, parce que sinon, il y a un moment où ta parole et ton jeu n'ont plus de sens. Il faut faire attention à ses choix sinon tu deviens une petite pute ! A partir du moment où tu regardes ça en face, tu commences à te raconter des conneries pour te rassurer, et ça devient très truste parce que tu ne te respectes plus et que tu le sais. Résultat, tu fais de la merde parce qu'il n'y a plus grand-chose d'autre à faire.

A quel moment tu discernes quel est le bon projet ? Beaucoup de trucs doivent être alléchants parce qu'il y a untel derrière la caméra, truc à la prod et bidule comme partenaire ; j'imagine que dans certains cas, ça doit être étourdissant et extrêmement difficile de garder l'esprit lucide.
Bien sûr. D'abord tu sais, ensuite tu te poses des questions qui étourdissent et si tu te concentres bien, tu reviens à la première impression qui était souvent la bonne. Déjà, il ne faut pas faire les trucs pour le blé, sauf si tu crèves la dalle, là personne ne peut rien te reprocher. Personnellement, je n'ai plus ce problème depuis des années. Donc, est-ce que ça vaut le coup de faire cinq, dix, quinze, ou même vingt millions de francs? Est ce que c'est vraiment important ? Pour qu'ensuite on dise : « Hé, putain ! Il est pourave ton film, tu l'as fait pour la thune ? ». Donc, ne pas travailler pour le blé. Ensuite, c'est un truc bizarre. Il faut faire des films qui résonnent. IRREVERSIBLE par exemple, c'est un film que j'adore, même si je n'ai pas forcément envie de le revoir tout de suite, je le défendrais le mords au dent, et ceux qui n'ont pas compris, tant pis pour leur gueule ! Mais on ne peut pas faire que ça. Faire LE PACTE DES LOUPS, c'est important aussi c'est novateur. C'est un film à potentiel commercial, comme les RIVIERES POURPRES. Alors le 1, oui. Pas le 2.

Pourquoi pas LES RIVIERES POURPRES 2 ?
Le 1, c'était pour Mathieu. Et parce qu'il y avait une alchimie entre lui et Jean Reno, Kasso et moi. C'était un truc réel. Ca marchait, « la bande des grands pifs », je n'ai pas d'autre explication. Maintenant quand on me dit : « On va faire le 2, ça s'appellerait RP2 », bon… Le scénario de Besson, la distribution Europa, mouais déjà là… Pour moi, ce n'est pas mon aventure. Par contre quand je vois que Magimel, qui est un acteur que j'adore, se greffe au projet, que c'est Olivier Dahan, avec qui il a déjà tourné, à la réalisation, je me dis que c'est une nouvelle alchimie qui se met en place. Là, c'est un vrai truc, le concept continue.

Tu donnes le sentiment d'être très engagé sur tes projets et de t'impliquer en amont. Est ce que tu développes consciemment des rapports privilégiés avec des producteurs comme thomas Langmann pour pouvoir suivre les projets dès leur naissance, comme celui de MESRINE ?
Je ne suis pas du tout casse-couille ; pour moi, le patron, c'est le metteur en scène. Si je m'embarque avec un réalisateur c'est que je lui fais suffisamment confiance pour fermer ma gueule sur le plateau. Après, quand un metteur en scène me laisse l'opportunité de participer, je suis partant. Jacques Audiard ne fonctionne pas comme ça. Et c'est aussi très bien. En revanche, Kounen ou Kassovitz te questionnent, t'impliquent ; et plus ils te laissent de l'espace, plus tu le remplis. Mais je ne suis pas dirigiste...

Ce n'était pas mon propos. Je parlais plutôt d'une relation avec ce producteur qui te permette de d'impliquer au niveau que tu souhaites. Une sorte de collaboration active.
Oui, que ce soit avec Thomas Langmann, Alain Goldman, Christophe Rossignon, Richard Grandpierre ou même Eric Névé, à chaque fois je leur demande s'ils ont choisi un vrai réalisateur et pas un yesman qui turlute joyeusement. Ca c'est pas possible. Il faut qu'il y ait un peu de personnalité là-dedans sinon, c'est impossible.

Est ce que tu choisis de jouer avec de jeunes réalisateurs pour que le rapport soit différent, un rapport d'égal à égal plutôt qu'un rapport de maître à élève ?
C'était ça, au début, même si la plupart des réalisateurs avec qui j'ai bossé, je les admire et ils me fascinent vraiment. On est d'égal à égal, parce qu'on a le même âge, alors si on s'embrouille, ça ne prête pas à conséquence. Et puis, ces mecs sont des tueurs. Un moment, je voulais réaliser un film, mais j'ai vite déchanté. Quand je vois Mathieu ou Jan travailler, c'est impressionnant. Leur capacité de passer d'une chose à l'autre, leur technicité, leur affluence d'idées, ce n'est pas donné à n'importe qui. Bref, au début, j'ai travaillé avec eux parce qu'on avait tout à inventer ensemble. Maintenant, ça y est, j'ai un petit peu de reconnaissance, j'ai pris confiance et je pourrais aller vers des réalisateurs plus âgés sans me laisser marcher sur les pieds.

Pour revenir au cirque, tu choisis des rôles ou tu te grimes, tu modifies ton physique.
J'aime beaucoup changer mon apparence, il doit y avoir un peu de psychanalyse là-dedans. Mais je m'en fous, ça fait longtemps que je suis comme ça, bien avant que je travaille. Je mettais des perruques et des fringues bizarres, je m'inventais des vies, des personnages… Mais c'est marrant parce que le film que je fais en ce moment, qui s'appelle AGENTS SECRETS ( de Frédéric Schoendorffer ), fait une sorte d'analogie entre le travail d'acteur et celui d'agent secret. Les troubles de la personnalité, le déguisement...

Et la part de féminité dont tu parlais précédemment, c'est quelque chose que tu aimerais exploiter dans un rôle pour contraster avec tes rôles un peu virils ?
Mais moi, je ne me sens pas plus viril que ça ! Non, ça ne me dérangerait pas… Il faut voir ce qu'on me présente… Ca pourrait être un truc entre le gangster et… le travelo ! ( rires ) Gangster-travelo, c'est une définition qui m'intéresse. Ca n'a pas été fait ; je vais en parler à Thomas Langmann !

Si tu joues Mesrine en porte-jarretelles, je ne suis pas sûr qu'il va apprécier...
Non, MESRINE c'est un personnage qui a existé. Ca peut être délirant comme film, ce type est tellement devenu une icône parmi les jeunes d'aujourd'hui, alors qu'il était trouble, assez antipathique et qu'il ne faisait pas ça comme Robin des Bois, pour distribuer aux pauvres. Je pense qu'il y a vraiment une ambiguïté dans ce personnage, intéressante à creuser.

A l'époque où nous l'avions interviewé, Thomas Langmann nous avait parlé Olivier Stone ou de Kassovitz à la réalisation.
Pour le moment, ce n'est ni l'un, ni l'autre, mais celui qu'on a en vue est aussi intéressant et peut-être même plus adapté au projet.

Je ne te demande pas son nom.
Non.

Alors que tu joues dans AGENTS SECRETS, tu entames également ta septième collaboration avec Monica Bellucci. Qu'est ce que vous cherchez encore à approfondir dans le jeu après une expérience aussi extrême qu'IRREVERSIBLE ?
Moi, ce qui m'intéresse, c'est de passer du temps du temps avec elle. Il se trouve que c'est une actrice que j'aime beaucoup, et comme il y en a peu en France. Donc, voilà. Et puis j'ai l'impression que les gens sont intéressés par ça. Je ne recherche rien en particulier, mais j'espère qu'on va amener quelque chose de nouveau. IRREVERSIBLE était une expérience incroyable, j'espère que celui-là sera encore autre chose.

Et le fait que les réalisateurs utilisent votre couple comme une garantie de montage financier de leurs projets ?
Je ne sais pas s'ils s'en servent. Bon, c'est vrai qu'on est « bankable » mais il y en a eu d'autres avant nous : Fred Astaire & Ginger Rogers, Mastroianni & Sophia Loren, Tom & Jerry, Laurel et Hardy...

Il y a peu d'acteurs instinctifs en France...
Non, des excellents acteurs, il y en a. Ils ne sont pas toujours blancs, c'est peut-être ça le problème. Que ce soit des mecs comme Abkarian ou Roschdy Zem, c'est des tueurs. Pour ma part, j'ai énormément de chance, je le sais. Cependant, comme j'ai souvent eu peur qu'on dise que ma chance avait été forcée par ma famille, j'ai toujours beaucoup, beaucoup travaillé. Tous les mecs qui ont voulu faire ce métier en même temps que moi le savent. Aujourd'hui, ils ne peuvent rien dire. Je les ais tous pris entre quatre yeux. Et s'ils disent : « Ouais, mais… », mais quoi ? Oh, tu te rappelles quand t'étais en Inde ? J'étais où moi ? A Paris, en train de prendre quatre cours par jour ! J'ai toujours bossé comme un taré pour que les gens n'aient rien à me reprocher.

Et pourtant tu n'y as pas échappé. On t'a toujours reproché de ne pas partager les origines sociales de tes personnages.
De la connerie ! Ah bon, alors Marlon Brando ne pouvait pas jouer SUR LES QUAIS ? Et Dostoïevski, c'était un russe blanc, qui a mieux écrit que lui sur la révolution ? En plus je sais d'où ça vient. A l'époque de LA HAINE, les mecs qui ont dit ces choses là, beaucoup d'entre eux je les connaissais depuis des années, mais ils avaient les boules de nous voir réussir ! C'est dans votre magazine que j'ai lu une interview géniale d'ASIAN DUB FUNDATION ( Score N°10 ) où les musiciens disent que LA HAINE a eu un écho très fort chez eux. Putain ! Je vais l'encadrer cette interview. C'est très bien que ce soit d'autres qui le disent, parce que c'est pas notre rôle.

A travers ta filmographie, assez violente et tes personnages nerveux, est ce que tu as l'impression de bousculer la morale qui berce le cinéma français ?
Je ne sais pas, mais les mecs qui disent qu'il ne faut pas filer d'argent à DOBERMANN ou à IRREVERSIBLE sont des fous, j'ai envie de les choper par le col ! Il y en a même qui ont dit qu'IRREVERSIBLE était un snuff movie, mais d'où vous pouvez penser que je vais laisser ma femme dans un snuf ! C'est pareil pour les mecs qui disent : « Ouais, LA HAINE c'est de la merde parce que vous ne venez pas des banlieues ! », et bien si tu viens des banlieues, t'avais qu'à le faire avant, trou du cul !

Régulièrement, tu vas à Cannes avec des films coup de poing, c'est pour le plaisir de foutre la merde ?
Non, c'est un concours de circonstances. Cette année, on va montrer 20 minutes de BLUEBERRY et si tout se passe bien, ça devrait faire monter la température.

Interview by Miguel Almereyda & Anthony Wong


Taken from Mr Cassel's official website.