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VSD
February 2004



INTERVIEW


Restaurant de l'hôtel Costes, midi. Le rendez-vous était fixé dans le temple de la branchitude parisienne, entre deux escales au Brésil, sa nouvelle terre d'exil. Le héros de « La Haine » y pratique le surf avec ferveur. Éternel adolescent en sweat-shirt, treillis, baskets, il apparaît toujours aussi simple. Seuls quelques cheveux gris trahissent ses 37 ans. Le teint hâlé, Vincent Cassel dégage la sérénité du type à qui tout réussit. Et c'est vrai : carrière, vie privée, famille, le bonheur en condensé. Un poil agaçant. Depuis ses débuts, il aligne les rôles avec la même justesse et peut jouer aussi bien un ex-taulard chômeur, parfaitement ancré dans le réel (« Sur mes lèvres »), qu'un cow-boy prisonnier de ses délires hallucinatoires (« Blueberry »). Des hallucinations que l'on retrouve dans les photos réalisées en exclusivité pour VSD par Jan Kounen, le réalisateur de Blueberry. Mais pour l'heure, Vincent Cassel garde les pieds sur terre.


- Vous êtes vraiment crédible en cow-boy. Comment vous êtes-vous préparé pour ce rôle ?
J'ai relu les BD, et puis j'ai décidé de ne pas me focaliser là-dessus. Il fallait avant tout que je sois crédible dans ce rôle. Je suis donc parti au Texas travailler dans un ranch où je montais dix chevaux différents par jour. Avec ça, j'ai chopé pas mal de tics de cow-boy !

- « Blueberry » est un western chamanique. Avez-vous eu recours à des substances hallucinogènes pour entrer dans ce personnage ?
Il y a quatre ou cinq ans, en Amazonie, Jan Kounen m'a présenté une tribu indienne, les Chipibos-Conibos, et un de leur chaman m'a initié. En ingérant un psychotrope, j'ai eu un aperçu de la puissance de notre inconscient. Ce fut une claque magistrale ! On perd contact avec la réalité. C'est ce que l'on voit dans le film : on ne vous dit rien, on vous guide simplement. On est assailli par des choses inexplicables. On va jusqu'à pousser des cris de frayeur. Et tout à coup, on entend le chant du chaman qui vient vous chercher.

- Quelles sensations avez-vous éprouvées ?
La paralysie. Je sentais ma peau glisser le long de mes muscles. J'ai pris conscience de manière très aiguë de ma condition animale.

- Jan Kounen raconte qu'après avoir vécu une telle expérience, il a voulu arrêter le cinéma. Vous aussi ?
En fait, j'ai pris peur. J'avais besoin de me retrouver chez moi et de comprendre ce qui m'était arrivé. J'ai recherché tout ce que je pouvais sur le sujet. Désormais, j'arrive à prendre plus de recul sur mon quotidien.

- Etes-vous devenu mystique ?
Le chamanisme n'est pas une croyance. Ce terme a été donné par les Occidentaux pour parler des différentes sciences cognitives indigènes sur tous les continents. C'est un terme générique car les chamanismes sont très différents les uns des autres.

- « Blueberry » est tourné en anglais. Est-ce une façon de séduire Hollywood ?
Hollywood n'est pas une fin en soi. En avril, je tournerai la suite d'« Ocean's Eleven », réalisée par Steven Soderbergh. Je le fais parce que le rôle est excitant. Et puis, avec les noms au générique ( George Clooney, Brad Pitt, Julia Roberts, NDLR ), ça vaut le coup.

- À la manière de Luc Besson ?
Je suis d'accord avec lui sur un point : il faut de grosses productions pour que les petits films existent. Quand un film français se plante, ça me gonfle, même si c'est un film que je n'aime pas. Je sais trop bien à quel point notre situation est précaire.

- Avez-vous l'impression de faire le même métier que les acteurs américains ?
C'est plus dur pour eux car la pression est énorme. Moi, je suis super-gâté. Je travaille avec des gens que je choisis. A Hollywood, il faut faire deux, trois navets bien commerciaux qui te permettront éventuellement de faire un film respectable. Et même quand ils sont au top, s'ils font un seul film qui ne marche pas, ils déclinent. Les rôles qui leur étaient destinés, on les propose à d'autres. Très peu d'acteurs là-bas échappent à ce système.

- La grande famille du cinéma français, mythe ou réalité ?
Mythe. Tout le monde s'embrasse et, par-derrière, ils se tirent dans les pattes. La vérité, c'est qu'on ne te fait jamais travailler parce que tu es sympa ou copain avec untel, mais parce que tu es « bankable » ( rentable financièrement, NDLR ). C'est la réalité de ce business : le cinéma est une industrie chère.

- Et les Césars ?
Je n'y suis jamais allé. C'est un microcosme super-bourgeois dans lequel je me reconnais pas. Il faudrait créer une vraie remise de prix objective: les Bernards ! ( Rires ).

- Etes-vous croyant ?
Non. Je suis issu d'un père protestant et d'une mère qui a des origines juive J'ai été dans une école catholique. Aujourd'hui, je vis dans un quartier musulman...

- Selon un sondage de « Voici », vous êtes l'homme les plus sexy. Comment vivez-vous la célébrité ?
Les acteurs qui déclarent adorer passer inaperçus sont des menteurs, Si je ne voulais pas être reconnu, je ne ferais pas ce métier.

- Etes-vous plus reconnu en couple avec Monica Bellucci, ou en solo ?
A deux, c'est galère, elle comme moi, on se balade plus facilement seul.

- Avez-vous le sentiment d'avoir, au cours de votre carrière, pris la grosse tête ?
Quand on pète les plombs, on ne s'en rend pas compte. Aujourd'hui, j'y fais attention. Contrairement aux idées reçues, on voit ses vrais amis lorsque tout va bien.

- Comprenez-vous que les jeunes soient prêts à tout pour devenir célèbres ?
Les médias nous font croire qu'il faut être riche et célèbre pour vraiment exister. Quel intérêt d'être reconnu pour avoir participé au «Bigdil » ou pour avoir chanté une reprise naze en gesticulant une chorégraphie ? J'espère surtout que les jeunes se rendent comptent de l'aspect éphémère de cette célébrité.

- Les jeunes vous demandent-ils conseil ?
Il n'y a pas de recette. Il faut de la chance et avoir confiance en soi. Et surtout, ne pas trop écouter les autres.

- Comment réagissez-vous aux critiques ?
Je les lis, mais je ne m'envole pas au premier compliment et ne déprime pas à la première égratignure. Mais je n'oublie jamais qui a dit quoi et pourquoi.

- Dans « Agents Secrets », votre prochain film, vous partagez à nouveau l'affiche avec Monica Bellucci. N'avez-vous pas peur de devenir un «couple marketing » ?
Non, car nos films n'ont jamais fait des millions d'entrées. Pour autant, nous sommes un couple qui «marche ». J'aime beaucoup tourner avec elle. Monica est l'incarnation de la femme au cinéma, elle a ce glamour italien qui m'avait fasciné à la vision de « L'Avventura » ou de « La Notte » d'Antonioni. À côté de cela, elle peut aussi être très rock'n roll… Je connais peu d'actrices qui auraient joué ce qu'on lui demandait dans « Irréversible » ( une scène de viol d'une rare violence, NDLR ).

- Vous sentez-vous « intermittent du spectacle » ?
Pas vraiment. Je n'ai jamais touché d'Assedic. J'y suis allé une fois au début, mais ça m'a déprimé. J'avais l'impression d'être au service militaire. Du coup, je préférais faire des petits boulots. Mais si le cinéma européen est le plus vivant, c'est aussi grâce à ce système, et cela, malgré ses failles. - Avez-vous fait votre service militaire ?
Non, j'ai « fait » P5. C'est d'ailleurs mon plus beau rôle !

- Avez-vous des convictions politiques ?
Je suis largué au niveau politique, toutefois, quand je me reconnecte, je n'ai pas l'impression que ça a avancé beaucoup. Je vis un peu dans un rêve.

- Vous êtes en fait un éternel ado ?
Je cultive la fraîcheur de l'enfance. Sauf dans mes choix, là, je suis très adulte. D'ailleurs, les politiques sont-ils vraiment adultes ?

- Avez-vous une vie de milliardaire ?
Je ne suis pas riche. Je vis très bien, mais je ne tourne pas beaucoup et je ne sus pas quelqu'un qui met de l'argent de côté. Je roule à scooter ou en Smart. Je voyage beaucoup, mais j'ai longtemps été en éco avec mes potes. Il n'y a que lorsque je pars avec ma douce que je voyage en business !

Interview by O. Bousquet, M. Dolisi et M. Gurtler


Taken from Mr Cassel's official website.