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"C'est laid. C'est "du moderne". Pour le profane, en matière d'architecture, avec ces trois mots, tout est dit. Qui n'a jamais pesté contre la Grande Bibliothèque, édifice mortellement ennuyeux, contre l'opéra Bastille, qui ressemble à tout sauf à un opéra, ou l'indigèrable tour Montparnasse, qui dénature à la fois la rue de Rennes, la place de la Concorde et l'esplanade des Invalides? Qui trouve la place d'Italie un lieu sympathique? Ces questions portent en elle-même leurs réponses.
Cependant les gens de goût entonnent un air usé jusqu'à l'écoeurement: "Ne sont-ce pas des grincheux vieillissant mal qui signèrent les pétitions contre la tour Eiffel, qui prirent les impressionistes pour des barbouilleurs, et sifflèrent Richard Wagner? " Hélas on siffle cette fois avec une persévérance innédite. On sifflait les déjà les tours d'Adolf Loos en 1925, celles de Le Corbusier en 1950, celles d'Aillaud en 1970. Et cela continue, même si leurs épigones s'appellent aujourd'hui Nouvel, Perrault ou Portzamparc. On sifflera bientôt les même choses depuis un siècle. Du jamais vu. Or ces architectes "d'avant garde", ressassant des concepts poussièreux des années 20, ne serait-ce pas eux, les "vieux" ?
Vous allez visiter un Paris de rêve. Une quinzaine de bâtiments, célèbres par leur notoriété, mais pour la plupart absolument insignifiants sur le plan artistique, ont été remplacés par un projet tel qu'on l'aurait dessiné vers 1880, c'est à dire en pleine ère du "pastiche" honni. L'effet pédagogique de ces photo-montages d'intégration est dévastateur pour les "Grands Travaux": misère des formes, laideur des matériaux, médiocrité, précarité, banalité. La comparaison avec un édifice proportionné selon les canons classiques par un artiste en redingotte, à la main formée par les envois de Rome, se passe de commentaire: en haut, c'est cafardeux, grisâtre, pas vivable. En bas, c'est, sinon génial, du moins accueillant, humain, en un mot: non polluant. En réalité, il n'y a tout bonnement plus, au sens ou on l'entendait au début du siècle, "d'architecture moderne". Cette expression relève aujourd'hui de la publicité mensongère, et sert, comme on disait autrefois, à "tromper le peuple". Ce qui existe bien en revanche, c'est une branche de l'industrie, celle du bâtiment, l'usage nous faisant appeler "architectes" des gens qui ne s'occupent plus que d'emballage. Ainsi de nombreux édifices au contenu artistique absolument nul eussent pu être réalisés sans architecte, le bureau d'étude se passant fort bien de lui. Disons le: cela n'est pas de l'architecture, mais de l'industrie. Or, si l'on n'y prend pas garde, l'industrie pollue. Nous sommes tous payés pour le savoir. La laideur épouvantable de la ville moderne n'est donc pas une fatalité, pour peu que l'on cesse d'employer à son propos le jargon de l'art contemporain. Cette laideur n'est qu'un effet indésirable de l'industrialisation de la construction, et doit donc être corrigée, comme toute pollution industrielle de l'environnement, qu'il soit urbain ou naturel. Les marées noires, les légumes sans gôut, les nappes phréatiques impropres ne signifient en rien que l'on doive renoncer aux bienfaits du progrès, mais simplement qu'il faut mettre fin à ces nuisances. S'agissant des édifices hideux, de leur façades rideau sinistres, de leur verre ombré, de leurs revêtements en matériaux médiocres, de leurs arcatures métalliques apparentes, de leurs gabarits aberrants, le problème demeure: mettre fin à ces nuisances. La pierre, le bois, la décoration de façade ne sont pas "conservateurs". Ils sont au PVC et à l'acier ce que les poulets élevés au grain sont aux produits insipides des pouletteries industrielles. Mes dessins ne sont pas passéistes, mais écologiques. Ou alors l'agriculture biologique est passéiste, l'air pur, les fleuves buvables le sont. La construction industrielle, plus couteuse, dégrade notre cadre de vie. L'absence d'ornementation transforme tout édifice en agression, ce que les Grecs avaient compris il y a deux mille cinq cent-ans. Allan Greenberg, Quinlan Terry, Leon Krier, John Blatteau, ces noms ne vous disent peut-être rien. Ce sont ceux de bâtisseurs célèbres dans les pays anglo-saxons, qui dessinent des projets semblables à ceux qui suivent, mais qui eux sont architectes et les construisent . Depuis une dizaine d'années, le balancier est en plein retour, et comme à l'accoutumée la France prépare la guerre précédente. Nos urbanistes et nos ministres en sont, en gros, restés à Chandigarh et Brasilia, alors que la plupart des entreprises qui acquièrent un immeuble haussmannien dans Paris souhaientent désormais en conserver la façade, le cas échéant faire éxécuter un pastiche avec l'aide d'architectes des monuments historiques. La laideur moderne, en effet, "communique" mal, même pour une entreprise de haute technologie. Lorseque l'on est honorablement connu dans les micro-processeurs ou les satellites, on ne veut plus être "ceux qui ont fichu ce cube immonde dans la rue Machin". C'est ce que les architectes officiels appellent "le frileux conservatisme" de la commande privée. C'est ce que j'appelle voter avec ses pieds. V.F. |
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