Les élections municipales du 25
mars dernier en Côte d'Ivoire sont analysées par les principaux
chroniqueurs comme une revanche des partisans de l'ancien Premier
ministre et haut dignitaire du FMI Alassane Ouattara. C'est lui qui,
en 1990, à la tête du gouvernement de la Côte d'Ivoire sous la présidence
d'Houphouet-Boigny, a conduit la première campagne de
privatisations avec l'engagement de sortir le pays de la crise en
moins de mille jours. Son parti, le Rassemblement des Républicains,
a effectivement percé le 25 mars dans de nombreuses villes, et en
particulier dans la ville de Laurent Gbagbo, l'actuel Président
socialiste.
Il s'agirait donc de la revanche
de celui qui, lors des dernières élections présidentielles (le 10
décembre 2000), avait été déclaré effectivement inéligible. La
victoire avait été remportée, contre le Général Gueï, par
l'outsider Laurent Gbagbo, candidat du Front Populaire Ivoirien (FPI),
un parti membre de l'Internationale Socialiste.
Ces élections ont été
l'occasion de nombreux troubles, provoqués par les partisans des
différents candidats, et qui ont fait officiellement près de 200
morts. Le Général Gueï, président sortant, avait été
l'initiateur du putsch militaire de décembre 1999 qui l'a conduit
au pouvoir. C'est sur son initiative qu'un amendement à la
Constitution de la Côte D'Ivoire a été voté, instituant le
principe d' "Ivoirité ". Ce dernier stipule que tout
candidat à la présidence doit "être ivoirien de naissance et
de père et de mère eux-mêmes ivoiriens de naissance". Cette
clause a permis au Général Gueï d'éliminer de la course à la Présidence
le candidat le plus sérieux, Alassanne Ouattara. Cette nouvelle
clause institutionnelle a ravivé les réflexes identitaires, dits
"ethniques", de la population. Pourtant, cette "Ivoirité"
est absolument contredite par l'histoire et la géographie de la Côte
d'Ivoire, qui témoignent des origines diverses du peuple ivoirien.
Les affrontements qui ont suivi
les élections présidentielles du 10 décembre 2000 ont ainsi été
exacerbés par ces considérations raciales, ethniques et
religieuses, volontairement alimentées par le régime militaire de
Gueï. Les partis et leurs dirigeants se sont présentés comme les
défenseurs des intérêts de tel ou tel groupe ethnique (Dahoméens,
Bétés, nordistes proche des burkinabés...) et de telle ou telle
religion (en simplifiant: catholique au sud et musulmane au nord).
Les revendications sociales ont été délaissées au profit de
convoitises territoriales entre ethnies.
La Côte d'ivoire est ainsi présentée
comme un pays d'Afrique de l'Ouest de plus qui plongerait dans le
tribalisme, la xénophobie, la corruption, entraînée par une
classe politique qui ne pense qu'à ses intérêts particuliers et
qui ne se soucie aucunement du devenir de la population ivoirienne.
Pourtant, il y a quelques mois
encore, la Côte d'Ivoire apparaissait aux yeux du monde comme le
pays d'Afrique noire francophone, avec le Sénégal, qui s'en
sortait le mieux. "Bon élève" au regard des institutions
internationales (FMI, Banque Mondiale), le pays devait, selon ces mêmes
institutions, pouvoir user de son potentiel de développement et
connaître une croissance salvatrice. Le virage de la dévaluation
du franc CFA semblait avoir été digéré. Et à en croire les
chiffres, ce pays avance effectivement avec une croissance supérieure
à 5% et un PIB en forte augmentation depuis plusieurs années (60
milliards de francs français en 1997 et 73 milliards en 1999).
Que s'est-il passé pour qu'un président
issu d'une opposition socialiste qui avait toujours été contenue
et discréditée ait pu trouver son chemin jusqu'à prendre la Présidence
au nez et à la barbe de Gueï et Ouattara? La rivalité entre ces
deux individus ne peut tout expliquer.
Qu'en est-il des conditions de
vies des travailleurs de ce pays, dans l'agriculture comme dans les
administrations et les quelques industries? Comme pour l'ensemble
des pays de ce continent, la réalité est tout autre que ce que
peuvent indiquer certains chiffres macro-économiques. L'insolente
richesse de quelques familles détenant les capitaux contraste avec
le désespoir et la pauvreté de la grande majorité.
De plus, les structures de l'Etat-providence,
péniblement mises sur pied dans les années 60, sont démantelées
par le biais des privatisations. Les écoles, les dispensaires et
les routes ont disparu de zones immenses. Les services publics sont
en chute libre. A titre d'exemple, le gouvernement ivoirien a lancé,
en 1992, un programme de développement de l'enseignement supérieur
privé, afin de compenser la faiblesse de l'école publique. Ce
programme signifie que dès cette année plus de 40% des étudiants
seront accueillis dans des écoles privées. Cette évolution du
public vers le privé se fait selon un procédé bien connu: on
affaiblit le budget de l'école publique, et, simultanément, on
laisse se développer l'offre du secteur privé. Il n'y a guère que
les organismes financiers internationaux (Banque mondiale, Fonds monétaire
international) pour vanter les mérites des politiques d'ajustement
structurel imposées depuis près de vingt ans à ce pays et pour
laisser croire qu'il se trouve sur la bonne voie. Il n'y a guère
que M. Ouattara et ses collègues du FMI et de la Banque Mondiale
pour affirmer que "l'état général de l'Afrique s'est
considérablement amélioré au cours des années 1995 -1999 ",
notamment grâce à la libéralisation de l'économie et aux "progrès
notables accomplis pour les libérer des carcans de la réglementation
des prix".
Aux terribles dégâts sociaux
dont cette politique est responsable, il faut ajouter les effets
particulièrement ravageurs de l'épidémie du SIDA. Les divers
laboratoires pharmaceutiques occidentaux gardent, face à une
situation qui menace d'anéantir la jeunesse, les yeux rivés sur
leurs profits, estimant que, d'après leurs calculs, le "marché"
africain du SIDA n'est pas suffisamment rentable.
Les différentes multinationales
qui convoitent la Côte d'Ivoire souhaitent l'avènement d'un
nouveau type de République bananière en Afrique, dont les membres
du gouvernement, auxquels elles accorderaient quelques actions, se
feraient le relais de leurs intérêts au sein du pays. Elles
s'appuieraient sur quelques individus et familles, afin de tenir
sous leur joug le reste d'un peuple complètement asservi.
Les élections de décembre 2000
en témoignent, ce scénario idyllique pour le monde du capital
financier n'est pas le plus probable. Il ne faut pas sous-estimer
les capacités de réaction de la classe ouvrière et de la
population rurale ivoirienne. Au même titre que l'Amérique du Sud,
l'Afrique saura réagir, Messieurs les capitalistes!
Patrick Loiseau (PS, Paris)