Sous la pression des organisations syndicales et des associations de
consommateurs américains, le groupe Nike, dirigé par Philip Knight,
a dû reconnaître, dans un rapport officiel publié par le groupe,
les conditions de travail déplorables et l'exploitation brutale que
subissent les salariés dans les usines de ses sous-traitants, en
Indonésie. Selon les termes du rapport, dont les révélations sont
certainement en dessous de la réalité, "2,5% des salariés
ont déclaré avoir été victimes d'attouchements sexuels" et
"3% ont déclarés avoir été victimes d'abus physiques de la
part de leur hiérarchie".
Nike, soucieux de redorer son image, a créé, en partenariat avec la Banque
Mondiale, une institution prétendument "indépendante"
pour étudier les conditions de travail chez ses sous-traitants.
Chez Nike, au Salvador, la semaine de travail s'élève à 60 heures
par semaine. Les femmes sont soumises à un test obligatoire pour vérifier
qu'elles ne sont pas enceintes. Si le test s'avère positif, elles
sont refusées. Des heures supplémentaires sans solde sont imposées,
sous peine d'être renvoyé. Mais Nike est loin d'être le seul
groupe à profiter des régimes dictatoriaux et des conditions
sociales misérables du tiers-monde pour augmenter ses profits. Les
entreprises comme Disney, Adidas, Calvin Klein, Benetton, Lévi
Strauss, Gap et Wal-Mart, dont la publicité s'efforce d'associer
leurs marques respectives aux notions de bien-être, de progrès et
de rêves heureux, imposent des conditions de travail et de rémunération
qui font d'elles de véritables esclavagistes des temps modernes.
Prenons par exemple le rapport rédigé en 2000 par le très respectable
Comité Chrétien de l'Industrie (CCI), que l'on ne peut guère soupçonner
d'arrière-pensées révolutionnaires, sur les conditions de travail
dans les usines sous-traitantes qui fabriquent des produits Disney
dans la province de Guangdong, en Chine. Les produits (jouets, vêtements,
accessoires, montres etc.) sont ensuite exportés aux Etats-Unis ou
en Europe, où ils sont vendus, par exemple à la boutique Disney,
sur les Champs-Elysées, ou à Eurodisney, à Marne-la-Vallée. Nous
citons ci-dessus des extraits du résumé de ce rapport très édifiant.
" La grande majorité des ouvriers dans les 12 usines sont jeunes, célibataires,
de sexe féminin, migrants des zones rurales des provinces intérieures.
La plupart ont entre 18 et 30 ans, bien que certains aient à peine
16 ans.
1. Salaires. La plupart des ouvriers interrogés recevaient entre 49 et 85
dollars américains par mois, y compris les heures supplémentaires.
Etant donné la longueur de leur journée de travail, c'était moins
que le salaire légal minimum. Dans les fabriques de jouets, la
plupart des ouvriers étaient payés de 37 à 61 dollars par mois.
Beaucoup étaient payés à la pièce et la plupart de leurs heures
supplémentaires n'était pas payées intégralement. Plusieurs
usines ne donnaient pas de fiches de paye, et dans celles où ils en
donnaient la manière dont la paye était calculée n'était pas
claire. Il est courant pour les usines de payer les ouvriers avec un
mois de retard. Certaines ont 2 mois de retard. En octobre 2000,
plus de la moitié des employés d'une usine ont été obligés de
se mettre en congé sans solde. Selon les ouvriers interrogés,
c'est la même chose qu'être renvoyé. Lorsque les nouvelles
commandes arrivent, la direction écrit aux ouvriers pour soi-disant
leur demander de reprendre le travail ; cependant, ils sont alors
traités comme les nouvelles recrues. Dans une autre usine, les
employés signalent que si une ouvrière démissionne, elle doit
faire une croix sur les salaires dus et n'est pas autorisée à récupérer
ses affaires personnelles dans le dortoir.
2. Horaires de travail. En période de pointe, les horaires de travail vont
de 13 à 17 heures par jour, 7 jours sur 7, d'une seule traite
pendant des mois. Dans quelques usines, on fait pression sur les
ouvriers pour imposer le travail de nuit. Les ouvriers ne peuvent
pas refuser les heures supplémentaires. Dans une usine, un ouvrier
interrogé en août dit qu'excepté les vacances de 4 jours du
Nouvel An chinois, il a eu cette année seulement 2 jours de repos.
3. Nourriture et logement. Les dortoirs surpeuplés, partagés par 10, 12 ou
14 ouvriers et ouvrières dans une seule chambre, sont courants.
Dans une usine, 21 à 24 ouvriers partageaient une chambre pour une
personne, dormant sur des lits superposés à trois étages. Dans
certains dortoirs, le couloir entre deux rangées de lits ne laisse
pas assez de place à deux personnes pour se croiser. Le
surpeuplement crée un sérieux risque en cas d'incendie. Les
plaintes à propos de la nourriture des cantines des usines sont
courantes. Dans une usine, les ouvriers ont dit que leur nourriture
était "pire que de la nourriture pour les cochons" .
4. Santé et sécurité. Les ouvriers ne sont généralement pas au courant
des thèmes de santé et de sécurité, mais certains se sont
plaints que la direction distribuait des gants et des masques
seulement quand les visiteurs venaient à l'usine. Plusieurs
ouvriers se sont plaints de maux de gorge fréquents. Dans une
usine, les ouvriers se sont plaints de la mauvaise odeur des
peintures dans la section aérosols.
5. Amendes et frais. Les ouvriers ont déclaré qu'ils ont des amendes pour
: parler au travail, arriver en retard, sortir sans permission,
oublier d'éteindre les lumières des dortoirs pendant la journée,
jeter des papiers dans la cantine, etc. Dans une usine, les ouvriers
ont dit que s'ils étaient pris en train de fumer pendant la période
de pointe de la production, ils avaient une amende à payer, et
qu'en basse saison, pour la même "faute", ils avaient une
amende et étaient renvoyés. Dans une usine, des ouvriers doivent
payer, quand ils commencent à travailler, les frais d'une carte
temporaire de résidant ainsi que leur uniforme. Dans une autre, ils
doivent payer leurs outils, leurs uniformes et la carte d'identité
de l'usine.
6. Sécurité sociale. En violation de la loi chinoise, la plupart des
usines ne participent pas au système de sécurité sociale en
vigueur, déniant ainsi aux ouvriers les bénéfices auxquels ils
ont droit en cas de retraite ou d'accident du travail.
7. Liberté d'association. Il n'y avait de syndicat dans aucune des usines
soumises à l'enquête. Dans une usine, les ouvriers ont signalé
qu'il y avait eu une grève au printemps à cause des arriérés de
salaires non payés. A la fin, la direction a payé les salaires
dus, mais tous les ouvriers qui avaient participé à la grève ont
été licenciés. Dans une autre usine, les ouvriers signalent qu'il
y a eu plusieurs grèves, la plupart pour des retards dans le
paiement des salaires. En dépit du nombre de grèves qui avaient eu
lieu dans l'usine, les ouvriers interrogés ne savaient pas ce qu'était
un syndicat et pensaient que le mot "union" pouvait
signifier une assemblée, le matin. Dans une troisième usine, un
vigile qui faisait circuler une pétition pour protester contre la
mauvaise qualité de la nourriture a été immédiatement licencié."
Le groupe Benetton aime séduire les consommateurs par des affiches montrant
des enfants du tiers monde, la main dans la main avec d'autres, bien
blancs, et tous unis dans le bonheur. Mais le Bureau International
du Travail a révélé que ce même groupe fait travailler en
Turquie, dans des conditions absolument affreuses, des enfants âgés
de 11 à 13 ans (Rapport du BIT 1998). Le groupe Adidas est implanté,
entre autres, en Indonésie, où il réprime toute tentative
d'organisation syndicale, paie des salaires de misère, c'est-à-dire
bien en dessous du salaire minimum local, et impose des heures supplémentaires
obligatoires et dépassant largement la durée maximale de travail
stipulée par la loi. De nombreux témoignages font état de harcèlement
sexuel à l'encontre des jeunes travailleuses. Dans les usines
Adidas, au Salvador, (Formosa, Evergreen) environ 1000 femmes
travaillent de 60 à 70 heures par semaine pour un salaire mensuel
de 133 dollars américains, soit environ 890 francs.
Les Iles Marianne du Nord, un territoire proche des Philippines et rattaché
aux Etats-Unis, sont devenues un paradis capitaliste particulièrement
apprécié des "grandes marques". Levi Strauss en profite
en imposant des "contrats de l'ombre" aux salariés qui
travaillent dans ses usines. Ces contrats stipulent la renonciation
des salariés à leurs droits démocratiques fondamentaux, et
notamment au droit de se syndiquer. Ils travaillent jusqu'à 12
heures par jour, 7 jours par semaine. Même régime chez Calvin
Klein et Gap, deux groupes également implantés aux Iles Marianne.
En Honduras, Gap paie 4 dollars par jours, soit un tiers de ce qui
assurerait un minimum vital aux salariés concernés. Dans une usine
Gap, au Salvador, il suffit d'adresser la parole à un représentant
syndical pour se faire renvoyer sur-le-champ. Toujours chez Gap, en
Russie, une enquête du BIT (1999) fait état d'un salaire horaire
de seulement 0,65 francs. Enfin, la firme américaine Wal-Mart
(grande distribution) fait fabriquer des chemises au Bangladesh par
des jeunes femmes qui touchent entre 0,09 et 0,20 dollars américains
de l'heure. Leur semaine de travail est de 80 heures. En Honduras,
Wal-Mart embauche des fillettes de 14 ans. Aucun droit syndical n'y
est toléré. La journée du travail est généralement de 14
heures. En période de forte activité, Wal-mart exige une amplitude
horaire allant jusqu'à 24 heures, les salariés travaillant alors
toute la nuit, après toute une journée de travail. Tout refus est
passible de mise à pied sans solde ou du renvoi immédiat et sans
appel du salarié.
Derrière les affiches publicitaires et l'image soignée de ces grandes
marques, se cache une terrifiante machine d'exploitation, totalement
impitoyable et inhumaine. Loin des contes de fée à la Disney, il y
a la réalité hideuse du capitalisme.
Greg Oxley (september 2001)