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Cher
lecteur, vous tenez entre vos mains un des documents-clés de l’Histoire
mondiale. A première vue, la publication d’une nouvelle édition du
Manifeste exige une explication: comment est-il possible en effet de
justifier la réédition d’un livre écrit il y a presque 150 ans? En
jetant un regard sur nombre d’autres ouvrages écrits il y a un siècle
et demi sur le même sujet, nous découvririons très vite que ce livre
n’a plus qu’un simple intérêt historique, sans aucune application
pratique. Le Manifeste du Parti Communiste est au contraire, plus vrai
aujourd’hui que lors de sa parution en 1847. Un exemple: à l’époque
où Marx et Engels rédigent leur ouvrage, le capitalisme des grands
monopoles était encore loin d’être réalisé. Malgré cela, ils
exliquent comment la “libre entreprise” et la compétition
aboutissent inévitablement à la concentration de capital et à la
monopolisation des forces de production. Il est vraiment amusant de lire
les affirmations des chantres du capitalisme qui prétendent que Marx
s’est
trompé, alors que c’est précisément sur ce sujet qu’il a fait une
des ses prévisions les plus brillante! Le “small is beautifull” (ce
qui est petit, est joli) était à la mode dans les années 80. Sans
vouloir entrer dans un débat sur l’esthétique du petit, du grand ou
du moyen (sujet sur lequel chacun est libre d’avoir une opinion), le
processus de concentration du capital prévu par Marx est un fait
absolument indiscutable. Ce mouvement se déroule devant nos yeux et a
atteint des niveaux sans précédents ces dernières années. Cette
concentration de capital ne signifie pas une augmentation de la production,
bien au contraire. Aux Etats-Unis, où ce phénomène est particulièrement
visible, 500 grands monopoles contrôlaient à eux seuls 92% de la
totalité de la production en 1994. A l’échelle mondiale, les 1.000
compagnies les plus importantes ont des rentrées d’une valeur de
8.000 milliards de dollars, ce qui équivaut à un tiers des rentrées
internationales. Aux USA, O,5% des familles les plus riches possèdent
la moitié des actifs financiers aux mains de particuliers. Le 1% le
plus riche de la population américaine a augmenté sa part de la
richesse nationale de 17,6% en 1978 à 36,3% en 1989. Le
processus de centralisation et de concentration de capital a en fait
atteint des proportions jamais égalées. Le mombre de rachats
d’entreprises dans les pays capitalistes avancés est vertigineux. En
1995, tous les records furent battus en termes de fusions et d’OPA
(Offre Publique d’Achat). La Mitshubichi Bank et la Bank of Tokyo ont
fusionné et forment ainsi la plus grand banque au monde. L’union de
la Chase Manhattan et de la Chemical Bank donne naissance à la plus
grande banque aux Etats Unis avec des avoirs de 297 milliards de
dollars. La plus grande compagnie de divertissement au monde, fut créée
suite au rachat de Capital Cities/ABC par Walt Disney. Westinghouse à
racheté la CBS et la Time Warner a à son tour mis la main sur la
Turner Broadcasting Systems. Dans le secteur pharmaceutique, Glaxo a
repris Wellcome. L’acquisition de Scott Paper par Kimberley Clark,
fait de cette entreprise le plus grand fabricant de mouchoirs en papier.
Même la Suisse a été témoin de sa première OPA agressive, contre
Holvis, le papetier. Dans la plupart des cas, l’intention n’est pas
d’investir dans de nouvelles machines ou de nouvelles technologies.
Bien au contraire, le résultat de ces fusions est de fermer des
entreprises entières et de licencier des travailleurs afin
d’augmenter les marges bénéficiaires sans augmenter la production. D’autres
chiffres et exemples pourraient étre donnés pour illustrer sans le
moindre doute le processus de concentration de capital défini par Marx
et Engels. L’épidémie
du chômage “Il
est manifeste que la bourgeoisie est désormais incapable de demeurer la
classe dirigeante de la société, et de lui imposer comme loi suprême
les conditions d’existence de sa classe. Elle ne peut plus régner
parce qu’elle est obligée de se laisser déchoir au point de le
nourrir plutôt que de se faire nourrir par lui. La société ne peut
plus vivre sous sa domination; c’est à dire que l’existence de la
bourgeoisie n’est plus compatible avec l’existence de la société”
(Le Manifeste du Parti Communiste). Contrairement
aux illusions des politiciens réformistes, le chômage massif s’est
étendu dans le monde entier comme une tâche d’huile. Les chiffres
officiels de l’ONU, révèlent que 120 millions de personnes sont sans
emploi. Ce chiffre, comme tous les chiffres officiels sous-estiment la véritable
situation. En y ajoutant tous ceux qui travaillent dans des secteurs
marginaux, ce montant atteint rapidement les 850 millions de chômeurs.
Rien qu’en Europe Occidentale, il y a officiellement 18 millions de
sans-emplois, soit 10,6% de la population active. En Allemagne,
“moteur” de l’Europe, les sans-emplois ont dépassé pour la première
fois les 4 millions depuis Hitler. Même au Japon, pour la première
fois depuis 30 ans le chômage décolle. L’image du Japon, pays du
plein emploi, s’effrite clairement. Certes les statistiques
officielles ne relèvent que 3% de chômeurs. Mais ce chiffre tronque la
réalité: en appliquant les critères de calculs en vigueur aux
Etats-Unis, on arriverait au moins à 8%. Ce
phénomène n’a rien de cyclique; ce type de chômage passager
suffisemment connu dans le passé par les travailleurs, augmentait ou
baissait au gré d’une récession ou d’une reprise économique. Voilà
que nous nous trouvons dans la cinquième année de croissance économique
aux Etats-Unis, et le chômage mondial ne donne pas le moindre signe de
décrue significative. Bien au contraire, tous les jours on nous
annonce de nouveaux licenciements massifs et des fermetures
d’entreprises. Des secteurs professionnels jusqu’ici “protégés”
sont frappés de plein fouet: les professeurs, les médecins, les
infirmières, les agents de l’état, les employés de banque, les
scientifiques et même les cadres d’entreprises. Un climat d’insécurité
se généralise à tous les niveaux de la société. Les
phrases de Marx et d’Engels, mentionnées ci-dessus, sont vraies, même
prises au sens littéral. “Moins d’état, moins de dépenses
publiques” tel est le cri que pouse la bourgeoisie dans tous les pays.
L’obsession de réduction des dépenses publiques est le point commun
à tous les gouvernements du monde, qu’ils soient de droite ou de
“gauche”. Cela ne s’explique pas par les caprices individuels du
politicien du moment, mais cela illustre de façon graphique la crise
du capitalisme. Durant toute une époque - la longue période
d’expansion capitaliste de 1948 jusqu’à 1973 - la bourgeoisie a réussi
de manière partielle et provisoire à surmonter les contradictions
fondamentales de son système: la propriété privée et l’état
national. Elle y parvint d’une part grâce à la mise en oeuvre de méthodes
keynésiennes (capitalisme d’état) et d’autre part en participant
et étendant le commerce mondial. Mais ces méthodes ont épuisé leurs
effets; le vieux modèle a atteint ses limites. Socialisme
et internationalisme.
Ces
dernières années les économistes bourgeois se gargarisent du concept
de “globalisation de l’économie”. Ils s’imaginent avoir découvert
quelque-chose de nouveau. En réalité ce furent, Marx et Engels qui
expliquèrent dans le Manifeste comment le capitalisme allait se développer
en système planétaire. Leur analyse a connu une confirmation
brillante. Aujourd’hui personne ne peut nier la domination écrasante
de l’économie mondiale. C’est l’aspect le plus décisif de l’époque
que nous traversons: celle du marché mondial, de la politique mondiale,
de la culture mondiale, de la diplomatie mondiale et aussi de la guerre
mondiale. De cette dernière nous en avons souffert à deux reprises
suite à la crise du capitalisme. La Seconde Guerre a couté la vie à
55 millions de personnes et elle a presque entrainé la civilisation
humaine dans l’apocalypse. Le
socialisme est international ou n’est pas. Mais l’internationalisme
des travailleurs n’est pas le produit d’un quelconque
sentimentalisme. Ce n’est pas seulement une “bonne idée”. Elle
ressort de l’analyse scientifique de Marx et Engels, qui expliquèrent
comment la création de l’état national, une des conquètes
historiquement progressiste de la bourgoisie, conduit inévitablement à
un système commercial international. Le formidable développement des
forces productives sous le capitalisme ne peut se contenir dans les
limites étroites de l’état national. Toutes les puissances
capitalistes, mêmes les plus grandes, se voient obligées de participer
toujours davantage au marché mondial. La contradiction entre l’énorme
potentiel des forces productives et l’asphixiante camisole de force de
l’état national s’est manifestée violemment et dramatiquement en
1814 et 1939. Ces convulsions sanglantes démontrent que la capitalisme
d’un point de vue historique, à épuisé sa mission progressiste.
Mais pour réaliser la transformation d’un système socio-économique
à un niveau supérieur il n’est pas suffisant que ce vieux système
soit en crise. Malgré la crise, des intérêts puissants qui tirent
leurs revenus, leur privilèges et leur prestige des relations de propriétés
en vigueur résistent avec véhémence à toute tentative de changement
de société. C’est pour cela que Marx et Engels, n’écrivirent pas
un document abstrait, mais un Manifeste, un appel à l’action et non
un livre de texte; il s’agit du lancement d’un parti révolutionnaire
et non d’un club de discussion. Pour renverser le capitalisme, il est
nécessaire que les travailleurs s’organisent en tant que classe et en
défense de leurs intérêts de classe. Pendant des décennies, les
travailleurs de tous les pays, surtout ceux des pays capitalistes avancés,
ont crée des organisations politiques et syndicales puissantes. Mais
ces organisations n’existent pas dans le vide. Elles sont soumises
aux pressions du capitalisme, qui influe surtout sur leurs directions.
Les deux obstacles fondamentaux qui empêchent le développement des
forces productives aujourd’hui sont la propriété privée et l’état
national. Une nouvelle avancée de la civilisation humaine exige l’élimination
de ces obstacles et la mise en place d’un nouveau système de
production basé sur la planification rationelle, scientifique et démocratique
à l’échelle internationale. La
banqueroute des nationalismes en général et cette aberration
monstrueuse du soi-disant “socialisme dans un seul pays” en
particulier, est patente avec l’effondrement du stalinisme et même
avant avec la participation des bureaucraties chinoises et russes au
marché mondial. Tous les pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique
Latine, qui ont gagné leur indépendance à la suite de la perte de
contrôle direct de l’impérialisme, sont à nouveau asujettis à
leurs anciens maîtres via le mécanisme du marché mondial qui les
tient pieds et mains liés. Le
libre développement des forces productives exige l’unification des économies
de tous les pays en un plan commun
qui permettrait l’exploitation harmonieuse des ressources de la
planète au bénéfice de tout le monde. Ce constat est tellement évident
qu’il est même reconnu par des experts et des scientifiques qui
n’ont rien à voir avec le socialisme, mais qui sont indignés par le
cauchemar dans lequel vit
un tiers de l’humanité et qui sont aussi préoccuppés par la
destruction de l’environnement. Mais toutes ces recommendations
bien-intentionnées sont impuissantes face aux intérêts des grandes
multinationales qui dominent l’économie mondiale et dont les calculs
ne sont pas basés sur le bien être de l’humanité ou de l’avenir
de la planète, mais inspirés par l’avarice et la recherche du profit
à tout prix. En
cette fin de siècle, alors que tant de personnes parlent de
“globalisation”, les contradictions nationales sont plus fortes que
jamais. Il y a 10 ans, les
Etats-Unis seuls exportaient l’équivalent de 6% de leur produit intérieur
brut. Aujourd’hui cette part représente 13% et les intentions de
l’Administration américaine sont d’atteindre les 20% pour l’an
2000. Ce qui équivaut à une déclaration de guerre commerciale contre
le reste du monde, et contre le Japon en particulier. Les tensions
exacerbées entre les Etats-Unis et le Japon auraient certainement
provoqué en d’autres temps une guerre militaire. Mais l’existence
d’armes nucléaires signifie qu’une guerre entre super-puissances
est aujourd’hui exclue. Une issue comme en 1914 et 1939, est pour
l’instant impossible. En l’absence d’une solution externe, les
contradictions internes auront tendance à s’aggraver de plus en plus.
La classe dominante n’a d’autre option que de rejeter le poids de la
crise sur les épaules de la classe ouvrière. Les
auteurs du Manifeste, anticipèrent avec une incroyable clairvoyance, la
situation que subit actuellement la classe ouvrière dans tous les pays
quand ils affirment que: “Le
travail des prolétaires a perdu tout attrait avec le développement du
machinisme et la division du travail. Le travailleur devient un simple
accessoire de la machine; on exige de lui que l’opération la plus
simple, la plus monotone, la plus vite apprise. Par conséquent, le coût
du travailleur se limite à peu près à ce qu’il lui faut pour vivre
et perpétuer sa descendance. Le prix d’un objet, donc le prix du
travail est égal à son coût de production. Au fur et à mesure que le
travail devient plus désagréable, la salaire diminue. Il y a plus: la
somme de travail s’accroît avec le développement du machinisme et de
la division du travail, soit par l’augmentation des heures effectuées,
soit par l’augmentation du travail exigé dans un temps donné, l’accélaration
du rythme des machines etc.” Les
Etats-Unis occupent aujourd’hui la place que détenait la Grande
Bretagne au temps de Marx et Engels: celui du pays capitaliste le plus développé.
Pour cette raison les tendances générales du capitalisme s’y
expriment d’une façon plus claire. Ces 20 dernières années, le
salaire réel des travailleurs a perdu 20% de sa valeur. La journée de
travail s’est allongée de 10%. La dernière expansion économique a
été accompagnée et est en partie le résultat de l’énorme augmentation
de l’exploitation des travailleurs. Un travailleur américain
travaille en moyenne 168 heures supplémentaires par an, ce qui
correspond à un mois supplémentaire de travail par an. C’est
particulièrement le cas dans l’industrie de l’automobile, où la
journée de travail est de 9 heures pour une semaine de travail de 6
jours. Selon le syndicat américain de l’automobile (UAW), la
limitation de la semaine de travail à 40 heures créerait 59.000
emplois.
Un
article paru dans la revue américaine Time, du 24 octobre 1994 donne le
témoignage suivant: “Les
ouvriers se plaignent du fait que la reprise ne signifie que l’épuisement.
Dans toute l’industrie américaine, les entreprises utilisent les
heures supplémentaires afin de presser au maximum la force de travail
des Etats Unis: la semaine de travail moyenne se situe à un niveau
record de 42 heures, incluant 4,6 heures supplémentaires”. Le même
article cite le cas de Joseph Kelterborn, installateur de réseau de
fibre optique qui, suite à la réduction de personnel, preste en
moyenne 4 heures supplémentaires par jour et un weekend sur trois:
“En arrivant à la maison” se plaint-il “le seul temps qui me
reste je le consacre à prendre une douche, à manger et à dormir un
peu; quelques heures après il est temps de se lever et de recommencer
le travail”. Les énormes pressions provoquées par
l’augmentation de heures de travail, la chute des revenus réels,
l’augmentation des cadences etc. ont eu des sérieux effets sur la
qualité de vie des familles de travailleurs. Aux Etats Unis, comme dans
d’autres pays, le taux de natalité a chuté, passant d’une moyenne
de 2,5 enfants par famille au début des années 60 à 1,8 à la fin des
années 80. Les divorces se sont multipliés pendant les années 70, et
touchent 60% des couples dans les années 80. L’espérance de vie, est
elle aussi affectée: jusqu’en 1980 elle était en hausse,
aujourd’hui elle stagne. La
même situation existe en Grande Bretagne, laboratoire européen du modèle
américain. Dans les années 80, 2 millions et demi d’emplois
industriels ont été détruits. Malgré cela le niveau de production
est resté égal à ce qu’il était en 1979. Ce n’est pas le résultat
de l’introduction de nouvelles machines mais grâce à la
surexploitation des ouvriers britanniques. Keneth Calman, directeur général
de la Santé en Grande Bretagne, avertissait en 1995 que “la
perte d’un emploi à vie a provoqué une épidémie de pathologies liées
aux stress”. En 1994, 175 millions de journées de travail ont été
perdues suite à la maladie en Grande Bretagne, soit presque 8 jours de
travail par travailleur. Le nombre de prescription médicales a augmenté
de 11,7 millions l’année passée. “Le
stress, les embouteillages et la pollution est en train de tuer les
conducteurs professionnels britanniques” déclare Record, la
revue du syndicat du transport TGWU. D’après une étude de ce
syndicat, 30% des conducteurs confient s’être déjà endormi au
volant et 45% d’entre’eux ont provoqué des accidents comme conséquence
de ce somnolement. Des exemples similaires pourraient être donné pour
chaque autre pays capitaliste. La
méthode de Marx
Les
surprenantes affirmations reprises dans le Manifeste ne sont pas le
fruit d’un hasard. Elles découlent de la méthode scientifique du
marxisme, le matérialisme dialectique ou de son application concrète
à l’Histoire, le matérialisme historique. Les bases théoriques
marxistes de l’histoire avaient déjà été mises par écrit dans la
Sainte Famille et l’Idéologie Allemande. Il
n’est pas inutile de rappeler que le socialisme et le communisme ne
commencent pas avec Marx et Engels. Avant eux de grands penseurs,
comme Robert Owen, Fourier, Saint Simon, avaient déjà défendu l’idée
d’une société sans classe, basée sur la propriété commune. Déjà
au 16ème siècle, Thomas Moore rédige son livre l’Utopie, décrivant
une société communiste. Les premiers chrétiens aussi s’étaient
organisés en communautés où la propriété privé avait été abolie,
comme le révèle les Actes des Apôtres. Marx
et Engels qualifiaient tout ces courants de “socialistes utopiques”.
Eux par contre défendaient un socialisme scientifique. Où se situe la
différence? Pour les utopistes, le socialisme se résumait à une bonne
idée, moralement désirable qu’il fallait prêcher parmi les hommes.
En suivant ce raisonnement, ce système de société aurait pu être échafaudé
il y a deux mille ans. A condition qu’ils aient raison, l’humanité
aurait pu s’épargner beaucoup d’ennuis! Marx
et Engels, tentaient par contre d’expliquer que le socialisme nécessite
une base matérielle, qui consiste en un niveau particulier de développement
des forces productives: l’industrie, l’agriculture, la science,la
technologie. Le matérialisme historique explique comment le développement
historique s’appuie en dernier lieu sur le développement des forces
productives. Cette affirmation est probablement une des plus déformées
par les adversaires du marxisme, qui nous assurent que Marx et Engels, “réduisent
tout à l’économie”. Les auteurs du Manifeste, ont répondu
maintes fois à cette caricature grossière, comme le souligne une
lettre devenue célèbre de Engels à Bloch: “selon
la conception matérialiste de l’histoire, l’élément déterminant
de l’histoire est en dernier lieu la production et la reproduction de
la vie réelle. Ni Marx, ni moi n’avons jamais affirmé plus que cela:
par conséquent, si quelqu’un l’interprète en transformant
l’affirmation que l’élément économique serait l’unique déterminant,
il le transforme en une phrase sans sens, abstraite et absurde. La
situation économique est la base, mais les diverses parties de la
superstructure: les formes politiques de la lutte de classe et ses conséquences,
les constitutions établies par la classe victorieuse après avoir gagné
la bataille etc., les formes juridiques et par conséquence, même les
reflets de toutes ces luttes réelles dans les cerveaux des combattants:
les théories politiques, juridiques, les idées religieuses et leur développement
ultérieur qui se converti en système de dogmes, exercent aussi une
influence sur le cours de luttes historiques et dans de nombreux cas
sont prépondérants dans la détermination de leur forme”.
Il
est évident que la religion, la politique, la morale, la philosophie
joue un rôle dans le processus historique. Cependant, et en dernier
lieu, le succès d’un système socio-économique dépend de sa capacité
à satisfaire les nécessités de base des êtres humains. Avant de
pouvoir développer des idées religieuses, politiques et
philosophiques, les gens ont besoin de pouvoir se nourrir, de
s’habiller et d’avoir un toit. Dès l’aube de l’humanité, les
hommes et les femmes ont dû lutter pour satisfaire ces nécessités et
pour l’écrasante majorité de la population cela reste le cas. En
un moment déterminé, surgit la division du travail, qui coïncide
historiquement avec la division de la société en classes sociales.
Un énorme pas en avant, qui pour la première fois permet la création
d’un surplus social et la naissance d’une classe libérée de la nécessité
de travailler, la classe dominante qui vit du travail des autres: dans
l’Antiquité, c’étaient les esclaves; sous le féodalisme, c’étaient
les serfs et en dernier lieu les travailleurs salariés sous le
capitalisme. Malgré
toutes les souffrances, vexations et injustices provoquées par le système
de classe, d’un point de vue marxiste, c’est à dire d’un point de
vue scientifique et non moraliste, celles-ci ont propulsé la société
en avant. Les avancées les plus brillantes de la science, de l’art,
et de la philosophie grecque et romaine avaient été rendues possibles
grâce au travail des esclaves, que les Romains qualifiaient de “instrumentum
vocale”, “un outil dôté d’une voix” (la vraie situation
des travailleurs n’a d’ailleurs pas tellement changé depuis!). Le
surplus social servait à émanciper une minorité d’exploiteurs, mais
non à émanciper la majorité, dont l’esclavage était le préalable
de la civilisation, engendrée par le développement des forces
productives. Marx et Engels, expliquent, qu’une forme de société ne
peut survivre que grâce au développement des forces productives, et ne
disparait pas avant d’avoir épuisé tout son potentiel. Sous cet
angle-là un système socio-économique peut être comparé à un
organisme vivant. Il naît, grandit et entre dans la force de l’âge
et après un point culminant décline jusqu’à ce qu’il ait expiré
son dernier souffle. Voilà une merveilleuse loi qui sert à expliquer
le développement non seulement du capitalisme, mais de la société
humaine en général. Pour la première fois elle nous permet de
comprendre l’histoire non comme une chose sans le moindre sens, comme
le produit du hasard, ni l’oeuvre exclusive de “grands
personnages”, mais comme un processus possédant ses propres lois
qui peuvent être comprises, comme n’importe quel autre aspect de la
nature. Charles
Darwin, expliquait également que les espèces ne sont pas immuables,
mais qu’elles ont un passé, un présent et un avenir qui change et évolue.
Marx et Engels expliquent qu’aucun système socio-économique n’est
figé et éternel. Ceci est l’illusion que vit chaque époque. Chaque
système social s’imagine être l’unique forme possible
d’existence pour l’humanité, que ses institutions, sa religion, sa
morale représente le dernier rivage. Aussi bien les cannibales, que les
prêtres religieux; Marie Antoinette que le Tsar, pensaient ainsi.
C’est aussi le mode de pensée des bourgeois et de leurs chantres, qui
nous assurent aujourd’hui, sans la moindre base, que le mal nommé
système de la “libre entreprise” est “l’unique possible”,
juste au moment où il s’éboule de toutes parts. Réforme
et Révolution
Actuellement,
l’idée “d’évolution” a pénétré profondément, pour le moins
dans la conscience des personnes éduquées. Les idées de Darwin,
tellement révolutionnaires à leur époque, sont presque devenues
lieux communs aujourd’hui. Néanmoins l’évolution en général
est conçue comme un processus lent et graduel, sans interruption et
sans sauts violents. En politique le même raisonnement sert à
justifier le réformisme. Il s’agit là d’un lamentable malentendu.
La compréhension de l’autentique mécanisme de l’évolution reste
hermétiquement clos pour la grande majorité. Pas étonnant, car
Darwin lui-même ne le saisissait pas non plus. C’est seulement depuis
la dernière décennie, que les nouvelles découvertes en paléontologie
menées par Stephen J. Gould, auteur de la théorie des “équilibres
interrompus”, ont prouvé que l’évolution ne ressemble en rien
à une processus graduel. Pendant de longues périodes aucun grand
changement n’est observable lorsque soudain la ligne de l’évolution
est rompue par une explosion, une véritable révolution biologique,
caractérisée par l’extinction de certaines espèces et l’avènement
rapide de certaines autres. La recherche historique la plus superficielle
révellera tout de suite le mensonge de l’interprétation graduelle.
La société, tout comme la nature connait de longues périodes de
changement lent et graduel jusqu’à ce que cette ligne soit
interrompue par des moments explosifs, des guerres et des révolutions,
par lesquels le processus connait une
brusque accélération. En réalité ce sont ces événements qui
agissent comme la principale force motrice de l’histoire. La cause
profonde de ces convulsions est le fait que le système socio-économique
a atteint ses limites et qu’il ne réussit plus à développer les
forces productives comme il le faisait avant. “L’histoire
de toute société jusqu’à nos jours est l’histoire de la lutte des
classes”,
commence d’emblée le Manifeste. Mais qu’est ce que la lutte des
classes? Ni plus ni moins que la lutte pour la répartition de l’excédent
produit par la classe ouvrière. Cette lutte sera toujours inévitable
aussi longtemps que les forces productives n’auront pas atteint un
niveau de développement permettant l’abolition de la misère et de la
pénurie de produit, non seulement pour une minorité privilégiée mais
pour tous. Le socialisme, n’est pour cela par seulement “une bonne
idée” qui pourrait être appliquée quel que soit la situation. Le
socialisme a une base matérielle, qui consiste en un développement
de l’industrie, de l’agriculture, de la science et de la
technologie. Déjà
dans, l’Idéologie Allemande, rédigée en 1845-46, Marx et Engels,
expliquaient que le socialisme présuppose “une grande croissance des forces productives, un
niveau élevé de développement, à défaut ce serait seulement la pénurie
qui se généraliserait et ainsi la pauvreté commencerait à nouveau et
de pair avec la lutte pour l’indispensable et tout le vieux fatras
reviendrait à la surface”. Sous
“vieux fatras”, Marx et
Engels entendaient l’inégalité, l’exploitation, l’oppression, la
corruption, la bureaucratie, l’Etat et tous les maux endémiques de la
société de classe. Aujourd’hui suite à la chute du stalinisme en
Russie, les ennemis du socialisme essaient de démontrer que le
socialisme est impossible à réaliser. Mais ils oublient un petit détail:
la Russie d’avant 1917 était un pays beaucoup plus arriéré que ne
l’est l’Inde aujourd’hui. Lenine et les bolchéviques, qui
connaissaient parfaitement les écrits de Marx, savaient bien que les
bases matérielles pour le socialisme étaient absentes en Russie.
Jamais par contre, Lénine et Trotsky, n’ont eu en tête l’idée
d’une révolution nationale, de la construction du “socialisme
dans un seul pays” et surtout pas dans un pays arriéré comme la
Russie. Lénine
et les bolchéviques, ont pris le pouvoir en 1917 avec la perspective
d’une révolution mondiale. La prise de pouvoir en Russie, a
puissamment impulsé la révolution dans le reste de l’Europe, en
commençant par l’Allemagne. Dans ce pays, c’est la lâcheté et la
trahison des dirigeants sociaux-démocrates qui réussit à sauver le
capitalisme. Le monde a payé un lourd tribut pour ce crime sous la
forme des convulsions économiques et sociales de l’entre-deux
guerres, le triomphe de Hitler en Allemagne, la guerre civile en Espagne
et finalement les horreurs de la dernière guerre mondiale. Ce
n’est pas le lieu ici pour analyser tout le processus qui s’est déroulé
après 1945. Il suffit de dire que le capitalisme réussit pendant un
temps, en mettant en place les mécanismes cités antérieurement, a
maintenir une certaine stabilité, au moins dans les pays avancés d’Europe
Occidentale, le Japon et les Etats Unis. Mais même à cette époque,
les contradictions de base n’allaient pas se dissiper. Deux tiers de
l’humanité allait vivre ces années, comme celles de la misère, de
la faim, de la guerre, de révolutions et de contre-révolutions sans égal.
Les pays industrialisés allaient eux vivre le plein emploi, l’état-providence
et la croissance du niveau de vie. Ces
aspects ont renforcé l’idée que le capitalisme avait résolu ces
problèmes, que le chômage était relégué au passé, que la lutte des
classes était périmée et que (naturellement) le marxisme était désespérément
dépassé. Ces idées semblent aujourd’hui tellement ironiques. Trente
millions de chômeurs à l’Ouest et l’attaque brutale contre le
niveau de vie dans tout les pays ont exacerbé les contradictions entre
les classes. Les magnifiques mobilisations de la classe ouvrière française
en décembre 1995 ont été suivies par une mobilisation non moins
impressionante en Allemagne contre les assainissements. “L’être
social détermine la conscience”.
Cette affirmation est une des autres grandes idées du matérialisme
historique. Tôt ou tard, les conditions sociales trouvent leur chemin
dans la conscience des gens. Certes la relation entre les processus qui
ont lieu dans la société et la forme de leur reflet dans la tête des
hommes et des femmes n’est ni automatique ni linéaire. Si c’était
le cas nous vivrions déjà sous le socialisme depuis longtemps!
Contrairement à ce que prétendent les idéalistes, la pensée humaine
en général n’est pas progressiste, sinon profondément
conservatrice. Dans des périodes “normales”, les gens ont tendance
à s’accrocher à ce qu’ils connaissent. Ils préfèrent croire à
des idées, à la morale,
aux institutions, aux partis et aux dirigeants qui semblent avoir
“toujours existés”. Engels,
soulignait qu’il y a des moments dans l’histoire où une journée
semble durér 20 ans, mais il y a aussi d’autres moments ou
l’histoire de 20 ans est concentrée en 24 heures. De longues périodes
ne semblent pas apporter le moindre changement. Mais sous des apparances
de tranquilité, s’accumulent un mécontentement énorme, une
frustration et une rage contenues. A un certain moment ceci aboutit à
une explosion sociale. En période de crise les gens commencent à
penser de façon indépendante, agissent en tant qu’hommes et que
femmes libres, comme protagonistes et non plus comme des victimes
passives. Ils cherchent alors une cause et une organisation, ils
commencent à militer dans leurs syndicats et leur partis de masses avec
l’intention de changer la société. Un
chapitre très important du Manifeste qui n’a pas assez été compris
est celui consacré aux “Prolétaires et les communistes” où nous
lisons le passage suivant: “Quelle est la position des communistes par
rapport à l’ensemble des prolétaires? Les
communistes ne forment pas un parti distinct opposé aux autres partis
ouvriers. Ils n’ont point d’intérêts qui les séparent de
l’ensemble du prolétariat. Ils n’établissent aucun principe
particulier sur lequel ils voudraient modeler le mouvement ouvrier. Les
communistes ne se distinguent des autres partis ouvriers que sur deux
points: dans les différentes luttes nationales des prolétaires ils
mettent en avant et font valoir les intérêts indépendants de la
nationalité et communs à tout le prolétariat et dans les différentes
phases de luttes que traverse la lutte entre prolétaires et bourgeois,
ils représentent toujours les intérêts du mouvement dans son
ensemble. Pratiquement, les communistes sont donc la fraction la plus résolue
des partis ouvriers de tous les pays, la fraction qui entraine toutes
les autres: théoriquement, ils ont sur le reste du prolétariat
l’avantage d’une intelligence claire des conditions, de la marche et
des fins générales du mouvement prolétarien.” Ces
lignes ont une importance capitale, car elles mettent en lumière la méthode
de Marx et de Engels, qui prennaient toujours comme point de départ le
mouvement réel de la classe ouvrière, du prolétariat comme il est et
non comme on voudrait qu’il soit. Cette méthode n’a rien à voir
avec le sectarisme stérile de ces groupuscules révolutionnaires qui
existent à la marge du mouvement ouvrier, sans le moindre contact
avec la réalité. Pour
un marxiste, un parti est avant tout, un programme, des idées, des méthodes
et des traditions et ensuite seulement une organisation pour amener ces
idées dans la classe ouvrière. Tout au long de son histoire, la classe
ouvrière a mis sur pied des organisations de masse en défense de ses
intérêts et pour changer la société. En commençant par les
syndicats, les organisations de base des travailleurs, les travailleurs
commenceront à se rendre compte à un moment donné que la seule lutte
revendicative est insuffisante.
Dans les conditions actuelles cette conclusion est absolument inéluctable.
Mais sans la lutte quotidienne pour avancer sous le capitalisme, la révolution
socialiste serait impensable. C’est dans les grèves et les
manifestations, que les travailleurs s’organisent et commencent à
acquérir une conscience de classe. Mais pour chaque grève qui se
termine en victoire, un nombre beaucoup plus élevé finit en défaite.
Et même quand on obient par exemple une augmentation salariale,
celle-ci est grignotée par l’inflation. Le chômage, les
privatisations, les coupes sombres dans les dépenses publiques, les
lois anti-syndicales font partie du domaine politique et doivent être
combatus syndicalement non seulement dans les entreprises mais aussi en
s’organisant politiquement. Les
syndicats, les partis socialistes et les partis communistes ont été créés
par la classe ouvrière suite à des générations de luttes et de
sacrifices. Les travailleurs n’abandonnent pas facilement leurs
organisations traditionnelles, sans les avoir mises de nombreuses fois
à l’épreuve. Mais les organisations des travailleurs n’existent
pas dans le vide. Elles subissent la pression de la bourgeoisie, exercée
en particulier sur les directions, qui actuellement n’ont jamais été
aussi éloignées de la classe ouvrière. En absence d’une politique
marxiste ferme, les dirigeants ont tendance à plier sous ces pressions.
Ils s’accomodent des idées de la classe dominante, qui comme
l’explique Marx, sont les idées dominantes de chaque époque. Quand
les travailleurs ne participent pas activement à leurs organisations,
les pressions des classes dominantes redoublent de vigueur. Voilà
l’explication la plus fondamentale du virage à droite qui s’est
produit au sein des directions des partis ouvriers (pas seulement
socialistes mais aussi communistes) ces derniers temps. Mais ce
processus a aussi ses limites. Le virage à droite, qui s’est exprimé
dans des attaques constantes contre le niveau de vie dans tous les pays,
balise le terrain pour un tournant radical vers la gauche ces prochaines
années. “Chaque action provoque
une réaction égale et contraire”, non seulement en physique mais
aussi en politique. Toute l’histoire démontre une chose: rien ni
personne ne peut rompre la volonté inconsciente de la classe ouvrière
de transformer la société. Mais l’histoire nous enseigne également
que sans programme scientifique, sans perspective claire, il est
impossible de mener à terme une transformation socialiste. Ces choses
ne tombent pas du ciel. Elles ne peuvent pas non plus être improvisées
quand les masses sont déjà en rue. Il faut les préparer
minutieusement. Il faut gagner et former des cadres marxistes, intégrés
dans les entreprises, dans les écoles et les universités, dans les
syndicats et les partis ouvriers. Il s’agit de mener un travail révolutionnaire
patient et persistant, préparant le terrain pour les grands événements
qui se rapprochent en Europe et dans le monde. Marx
et Engels, étaient des jeunes gens âgés respectivement de 29 et de 27
ans quand ils écrivèrent le Manifeste. C’était une période très
noire de réaction, pendant laquelle la classe ouvrière semblait
vaincue et immobile. Les auteurs du Manifeste se trouvaient en exil à
Bruxelles, réfugiés politiques fuyant le régime réactionnaire du Roi
de Prusse. Malgré cela, quand le Manifeste sortit pour la première
fois en 1848, la révolution avait éclaté en France et quelques mois
plus tard à peine elle s’étendait à toute l’Europe.
Aujourd’hui, le système capitaliste est en crise à l’échelle
mondiale. C’est pour cela que la victoire de la classe ouvrière dans
n’importe quel pays important peut devenir le signal de départ d’un
processus révolutionnaire qui entrainera son seulement l’Europe mais
le monde entier. |
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