Les attentats qui ont eu lieu aux Etats-Unis sont des
actes abominables que La Riposte condamne sans réserve. Le
terrorisme individuel ne favorise en rien la lutte contre le
capitalisme et l'oppression. Bien au contraire, il a toujours
favorisé la réaction, et les récents attentats sont l’occasion
d’une nouvelle illustration de ce phénomène.
Notre condamnation n'a rien à voir avec les larmes de
crocodile versées sur la disparition de "vies innocentes"
par la classe dirigeante des Etats-Unis et des autres puissances impérialistes
du monde, y compris, bien sûr, celle de la France. Aux Etats-Unis
et en Europe, jour après jour, les médias insistent hypocritement
sur les conséquences dramatiques des attentats, afin de préparer
l'opinion publique à une nouvelle guerre. Par contraste, pendant
que d'innombrables hommes, femmes et enfants brûlaient sous les
bombes américaines, britanniques et françaises, lors du
bombardement de l'Irak en 1991, "l'industrie de
l'information" s'est distinguée par sa capacité à dissimuler
les faits et à mentir. Depuis la guerre contre l'Irak, selon les
enquêteurs des Nations-Unies, un million de personnes ont trouvé
la mort, le plus souvent par malnutrition ou par des maladies guérissables,
en raison de l'embargo infligé par cette honorable institution au
peuple irakien. Les capitalistes ne sont pas opposés à la
violence. Leur seul souci est d'en conserver le monopole. Les
grandes puissances qui envisagent aujourd'hui de monter une
"croisade" contre la terreur, trempent de la tête aux
pieds dans le sang et la souffrance de bien des peuples du monde.
Les attentats terroristes perpétrés à New-York, loin
d'affaiblir l'impérialisme américain, ont servi à le renforcer.
Bush et la classe dirigeante américaine ont pu exploiter ces
attentats pour se présenter comme les défenseurs de la justice et
de la paix dans le monde, et pour justifier de nouvelles
interventions militaires, le maintien des sanctions économiques,
et, d’une manière générale, un durcissement de la politique étrangère
des Etats-Unis à l'encontre les pays du monde sous-développé. En
même temps, les capitalistes américains saisissent l'occasion pour
exiger des "sacrifices" aux travailleurs américains en
matière de protection sociale, de salaire, de conditions de travail
et de financement des services publics, au profit des dépenses
militaires et de la prétendue "lutte contre le
terrorisme". Bush, ce président faible et "mal élu",
a tout mis en œuvre pour profiter de l'attentat afin renforcer sa
position. [1]
Tout d'un coup, les fondamentalistes islamiques sont
devenus l'incarnation des "forces du Mal", pour reprendre
l'expression de Bush. Et pourtant, les Etats-Unis, comme la
Grande-Bretagne et la France, ont, dans les années 80, armé et
soutenu les armées fondamentalistes contre le régime pro-soviétique
en Afghanistan. A l'époque, dans la propagande occidentale, le mojâhed
afghan symbolisait le "combattant pour la liberté". Cette
propagande faisait briller une telle auréole de noblesse, de
courage et de bonté autour de ces obscurantistes réactionnaires,
que de nombreux groupements prétendument "trotskystes",
tels la LCR en France, ont milité en leur faveur.
L'implication, dans cette guerre, de Ben Laden,
aujourd'hui désigné comme "suspect n° 1" dans l'affaire
des attentats du 11 septembre dernier, témoignait de l'engagement
de l'Arabie Saoudite aux côtés des Etats-Unis. Ben Laden a
notamment construit le complexe militaire du tunnel de Khost, près
de la frontière pakistanaise, avec l’appui financier de la CIA.
Ce complexe servait d'arsenal et d'entrepôt de matériel militaire.
Les troupes de Ben Laden étaient formées et armées par
l'administration américaine, et les écrits de William Casey,
ex-directeur de la CIA, ne tarissent pas d’éloges à l’égard
du rôle "extrêmement positif" joué par Ben Laden dans
la victoire de la contre-révolution en Afghanistan.
Cependant, après la retraite de l'Armée Rouge et la
chute de Najibullah, en 1992, les différentes fractions de l'armée
contre-révolutionnaire ont commencé à se faire la guerre entre
elles. L'instabilité de la situation inquiétait au plus haut point
les grandes puissances, et tout particulièrement les Etats-Unis.
D'où la création une nouvelle armée intégriste, en 1994-1995, à
partir des bases d'entraînement financées et dirigées directement
par les services secrets pakistanais (ISI), eux-mêmes une création
de la CIA. Cette nouvelle armée, celle des soi-disant Talibans,
était considérée comme un garant plus fiable des intérêts
occidentaux dans la région. La corporation américaine UNOCAL a
largement contribué au financement de l'armée talibane, qui a été
présentée à l'opinion publique internationale comme étant composée
de guerriers austères et scrupuleusement honnêtes, implacablement
opposés au trafic de drogue et aux pratiques corrompues des
"seigneurs de la guerre" qui s'entretuaient à l'intérieur
du pays. Les Tabilan ont pris Kaboul en 1996.
La terreur intégriste mise en place par les nouveaux maîtres
de Kaboul ne dérangeait ni les autorités américaines, ni les
autorités françaises. Il ne faut surtout pas, à cet égard,
accorder de l'importance à telle ou telle déclaration au sujet des
"droits de l'homme" que peuvent émettre les gouvernements
occidentaux de temps en temps. Elles font partie intégrante d’une
phraséologie diplomatique servant à dissimuler la vraie nature des
rapports qui se tissent entre les différents régimes au pouvoir.
Cette année, par exemple, la France a reçu à au moins deux
reprises des délégations officielles du régime des Talibans
pour parler affaires. Les compagnies pétrolières françaises
rivalisent avec celles des Etats-Unis pour l'exploitation des oléoducs
en projet qui partiraient de Turkménistan et traverseraient l'ouest
et le sud du territoire afghan, débouchant sur la mer en passant
par le Pakistan. Naturellement, la presse n'a pas fait grand cas de
ces rencontres. Le commandant Massoud, un intégriste réactionnaire
récemment assassiné, offrait ses services à la France. Il
s'engageait à veiller aux intérêts des compagnies pétrolières
françaises en échange d'armements et de soutien diplomatique.
Cependant, Massoud, d'origine tadjike, ne pouvait intéresser la
France outre-mesure, car il ne pouvait en aucun cas s'imposer à la
majorité pashtoune de la population afghane. Si les autorités françaises
ont accepté de le recevoir, ce n’est qu’afin de se donner une
carte diplomatique supplémentaire à jouer dans leurs négociations
avec le régime installé à Kaboul.
La même hypocrisie présidait aux relations établies
entre Ben Laden et les gouvernements occidentaux. Même après
l'implication supposée de Ben Laden dans l'attentat de 1993 contre
le World Trade Center, aucune action sérieuse n'a été entreprise
à l'égard des comptes bancaires, des entreprises et des réseaux
de Ben Laden. La CIA et les autres services de renseignements
occidentaux pensaient en effet que Ben Laden pouvait encore leur être
"utile" dans le contexte particulièrement instable de
l'Asie centrale et du Moyen-Orient. [2] Au lendemain de la destruction du World Trade Center, Orrin Hatch, sénateur
républicain et membre de la commission sénatoriale du
renseignement, [3] a déclaré à
Robert Windram, de l'Institut des Etudes Politiques, [4] qu'il serait prêt
à renouveler sa collaboration avec Ben Laden si la situation
l'exigeait. "Cela se justifiait à l’époque",
a-t-il précisé, "puisqu'il s'agissait d'enjeux importants
et cruciaux qui ont largement contribué à la chute de l'Union soviétique.
Si c'était à refaire, je le referais."
La France, quant à elle, constitue le principal soutien
du régime intégriste au Soudan, dont les liens avec les réseaux
de Ben Laden ne sont un secret pour personne. La France fournit des
armes, des financements et des renseignements militaires à la
dictature en place, en guerre contre les armées
"sudistes" appuyées par les Etats-Unis. Les champs pétroliers
de la région centrale du pays sont l'enjeu de ce conflit particulièrement
meurtrier.
Malheureusement pour les stratèges de l'impérialisme américain,
une fois installés au pouvoir, les Talibans ont pris leurs
distances avec leur "grand frère" américain. La CIA, par
le biais de l'ISI, avait été le principal bailleur de fonds des
armées et des organisations terroristes agissant au nom du
fondamentalisme. Cependant, après l'effondrement de l'Union soviétique,
et surtout après la prise de pouvoir des Talibans, les opérations
de ces groupes n'étaient plus parmi les priorités de la CIA. La
fraction des Talibans la plus proche des Etats-Unis a alors
perdu du terrain. En même temps, la guerre de l'OTAN contre l'Irak
et l'installation permanente des bases militaires américaines sur
la "terre sainte" de l'Arabie Saoudite - ce sacrilège
intolérable pour des millions de musulmans - conjuguées avec le
soutien accordé à Israël dans la répression de l'intifada en
Palestine, ont provoqué de profondes crises et dissensions dans les
pays musulmans et dans les organisations intégristes établies au
Soudan, au Pakistan, en Afghanistan et ailleurs. Les chefs les plus
étroitement associés aux services secrets étrangers, qui, de
toute façon, ne payaient plus, ont été progressivement éliminés.
Ce processus a été de moindre ampleur en Algérie, où les différents
réseaux de terroristes intégristes continuaient de bénéficier
d'une aide directe de part de la CIA, qui espérait, et qui espère
peut-être encore, se servir de la déstabilisation et de la menace
du renversement du régime militaire en Algérie pour obtenir des
contrats pétroliers actuellement détenus par la France.
Ces événements se sont déroulés dans un contexte de
profonde crise sociale et économique à travers le monde
arabo-musulman. Le "phénomène" Ben Laden - un
milliardaire terroriste! - ne peut se comprendre en dehors de ce
contexte. Malgré les immenses ressources pétrolières de l'Arabie
Saoudite, la monarchie et la classe dirigeante du pays l'ont réduit
à la ruine. Des richesses colossales ont été gâchées et détournées
à la faveur d'une infime minorité de la population, tandis que la
vaste majorité des saoudiens subit les conséquences de
l'endettement massif du pays et le déclin de l'infrastructure économique.
Ben Laden est issu d'une des plus puissantes familles de la classe
dirigeante saoudienne. La crise révolutionnaire mûrissante a
provoqué une division dans cette classe, division qui se manifeste
au sein même de la famille royale. Ben Laden est l'une des conséquences
des divisions et du désarroi d'une classe dominante menacée
d'extinction. Il a dénoncé l'incapacité du régime saoudien à
diriger le pays et, en particulier, sa collaboration avec le
militarisme américain, d'où sa popularité auprès d'une partie
des couches les plus opprimées des peuples musulmans, auprès d'une
fraction des intellectuels et de certains capitalistes. L'ascétisme
soufi de Ben Laden, qui est réputé pour vivre simplement
malgré l'immensité de sa fortune personnelle, ne fait qu'augmenter
son prestige auprès de ses adeptes.
Une nouvelle guerre, avec son train de massacres et de
souffrances, avec ses cortèges interminables de réfugiés, paraît
désormais inévitable. Ainsi va l'ère de "paix et de prospérité"
propre au Nouvel Ordre Mondial annoncé par Bush senior lors de la
chute du mur de Berlin et l'effondrement de l'Union soviétique. A
l'heure où ces lignes sont écrites, les navires de guerre de la
marine américaine se dirigent vers l'Océan indien, et les bases américaines
sont en alerte maximum à travers le monde. La logistique de l'opération
"Justice Sans Limite" - un drôle de nom pour une expédition
punitive de la part du pays le plus riche et puissant du monde
contre l'un des plus pauvres et arriérés - se met en place.
L'Afghanistan est - pour l'instant - la cible toute désignée.
L'Irak, sans doute, ne sera pas épargné.
Sur une population afghane de 23 millions de personnes, 5
millions d'entre elles sont cantonnées, dans des conditions
innommables, dans des camps de réfugiés en Iran et au Pakistan. Le
nombre de réfugiés grandira massivement au cours du conflit à
venir. Le taux d'alphabétisation est en chute, et se situerait
aujourd'hui en dessous de 25%, l’accès des filles à l’éducation
étant bloqué. Tandis que les membres de l'élite talibane se
pressent de se mettre à l'abri, envoyant leurs familles à l'étranger,
la population de Kaboul et des autres villes afghanes, déjà réduite
à la misère par des années de guerre, de sécheresse et de
famine, sera frappée de plein fouet par cette nouvelle agression.
La guerre touchera surtout - comme toujours - les catégories les
plus misérables de la population.
Cependant, une guerre contre l'Afghanistan ne sera pas une
mince affaire. L'issue de tels conflits ne se décide pas au vue des
seuls moyens militaires mis en œuvre. Le terrain est particulièrement
difficile pour des armées conventionnelles et le fait qu'il n'y ait
pas d'accès par la mer ni de point d’accès terrestre convenable
n'arrange rien du point de vue du déploiement des forces américaines.
L'Alliance du Nord, dont les médias vantent les vertus en
ce moment, a été soutenue par la Russie, l'Ouzbékistan,
Tadjikistan, l'Iran et l'Inde. Cependant, cherchant à profiter de
la guerre prochaine pour revenir aux affaires, les successeurs de
Massoud ont proposé leurs services aux Etats-Unis. Ceci évitera à
Washington d'engager un nombre trop important de soldats américains
sur le terrain. Les missions terrestres les plus coûteuses en vies
seront généreusement confiées aux guerriers de l'Alliance. Le
projet de restaurer la monarchie, renversée en 1973, vise à
rallier une partie de la population pashtoune et à isoler davantage
le régime des Talibans, qui ne pourrait en aucun cas
survivre à la guerre. Les forces armées talibanes seront
contraintes, sous peine d'anéantissement, de quitter les villes, et
retrouveront les montagnes et les zones rurales.
Aucun socialiste ou communiste ne pleurera la chute des Talibans.
Mais le retour des assassins mercenaires de l'Alliance du Nord,
transformés en pions de la CIA, ne serait guère mieux.
L’ascension des Talibans n'a été possible que grâce au
pillages, viols, trafics et carnages perpétrés par leurs prédécesseurs.
Les pays dont l'Afghanistan est entouré sont plus
instables les uns que les autres. Si le Pakistan, officiellement un
pays "allié" des Etats-Unis, pouvait être considéré
comme stable, sans doute que des opérations militaires contre
l'Afghanistan auraient déjà commencé. Mais ceci n'est pas le cas.
Officiellement, les chefs militaires pakistanais au pouvoir ont
proclamé leur solidarité et leur volonté de "coopérer
pleinement" avec les Etats-Unis. Cependant, l'armée est
traversée par des rivalités et des intérêts contradictoires. De
nombreux généraux et officiers pakistanais se sont énormément
enrichis par le biais de leurs liens avec les Talibans et
comptent bien continuer ainsi. Toute tentative de se servir du
Pakistan comme d’une base opérationnelle contre un pays voisin
musulman, après toutes les souffrances infligées au peuple
pakistanais par les dictats du FMI, reviendrait à suspendre une épée
de Damoclès au-dessus de la tête du régime en place. Le niveau de
vie de la population ne cesse de se dégrader. Dans ce contexte, on
comprend pourquoi le régime en place craint les conséquences d'une
intervention en Afghanistan au moins autant que les Talibans
eux-mêmes. Si la guerre devait durer - et l'on peut difficilement
imaginer le contraire - le Pakistan serait complètement déstabilisé
et les Etats-Unis risqueraient fort de perdre leur emprise sur un
pays qui constitue un maillon vital dans la "chaîne stratégique"
de la principale puissance impérialiste du monde. L'impérialisme
américain ne pourrait jamais se résigner à un tel développement.
Le général Musharaf a déjà obtenu un rééchelonnement de la
dette pakistanaise. D'autres mesures seront décidées pour tenter
de consolider l'emprise des Etats-Unis sur le Pakistan. En Arabie
Saoudite, une intervention militaire placerait le régime dans une
situation extrêmement dangereuse. La guerre qui se prépare menace
de déstabiliser l'ensemble de l’Asie centrale et du Moyen-Orient.
Publiquement destinée à contrecarrer le terrorisme,
cette guerre aura immanquablement l'effet contraire. Ce n'est pas
pour rien que les ambassades américaines sont en cours d'évacuation
à travers tout le monde musulman. D'autres attentats auront
certainement lieu aux Etats-Unis. L'ensemble de ces éléments
indique le caractère particulièrement hasardeux de la guerre du
point de vue des intérêts de l'impérialisme américain. Aux conséquences
politiques et sociales s'ajouteront les répercussions du conflit
sur l'économie mondiale, qui se font sentir dores et déjà, avant
même que les hostilités ne commencent. Dès avant la guerre, l'économie
des Etats-Unis - et celle de l'Europe, de l'Amérique latine -
sombrait progressivement dans une récession. La guerre qui se prépare
donnera un coup d'accélérateur à ce processus et en aggravera
considérablement l'ampleur, ce qui ne peut qu'attiser les tensions
internationales et inaugurer une période de grande instabilité
sociale dans toutes les régions du monde, y compris en Europe et
aux Etats-Unis. Des centaines de milliers de suppressions d'emploi
ont été annoncées aux Etats-Unis dès la première semaine après
les attentats. L'économie française sera plongée dans une grave récession,
et les capitalistes, soucieux de sauvegarder leurs profits, feront
payer les conséquences de celle-ci aux salariés et à leur
famille.
La participation de la France dans la guerre n'a pas
encore été décidée à ce jour (le 20 septembre 2001). De toute
évidence, certains généraux et spécialistes militaires américains
sont favorables à ce que les Etats-Unis assument seuls la
responsabilité du conflit, tout en voulant y associer la
Grande-Bretagne et - dans la mesure du possible - des pays
musulmans. Cependant, les Etats-Unis pourraient bien adresser une
demande formelle de participation à la France et aux autres pays
européens dans le cadre de l'OTAN. Dans ce cas, Chirac donnera son
accord. Cependant, si les Etats-Unis prennent des risques énormes
en se lançant dans une "croisade" contre l'Afghanistan,
le capitalisme français payera aussi très cher son engagement dans
le conflit, d'autant plus qu'elle n'en tirera aucun bénéfice
significatif. Après la guerre du Golfe, en 1991, les entreprises
françaises n'ont obtenu que 2% du "marché de la
reconstruction", et il s'agissait, essentiellement, d’opérations
de déminage! Après la guerre contre la Serbie, les Etats-Unis ont
raflé l'essentiel des contrats et avantages que constituait le
"butin" de ce conflit. Les pays européens se sont partagés
les restes, la France, en l'occurrence, arrivant loin derrière
l'Allemagne.
Le risque de se trouver, à l'autre bout du monde et pour
le compte des Etats-Unis, enlisés militairement dans un conflit aux
contours incertains, inquiète au plus haut point les stratèges les
plus censés de l'impérialisme français. Cette inquiétude se reflète
dans l'extrême prudence affichée par Chirac, par Jospin, et par la
"classe politique" dans son ensemble. Elle traduit la
crainte de voir voler en éclats les bonnes relations que le
capitalisme français cherche à développer avec les dictatures
dans les pays arabes, y compris avec l'Irak. Néanmoins, les
responsables du Parti Socialiste - y compris, soit dit en passant,
les députés socialistes membres d'ATTAC - se préparent à donner
leur approbation à la participation de la France dans cette
nouvelle guerre impérialiste. Cette situation nécessite une
campagne d'opposition à la guerre de la part des militants
socialistes qui refusent cette capitulation, qui devraient présenter
des résolutions condamnant l'agression contre l'Afghanistan dans
les sections du PS, de manière à faire pression sur les dirigeants
du parti et sur le gouvernement.
Le comportement de Robert Hue et de la direction du Parti
Communiste ne se distingue guère de celui de la direction du PS. Le
jour même des attentats, Hue écrivait à Jacques Chirac pour
signifier son "soutien sans réserve" aux déclarations
de ce dernier et pour lui exprimer son espoir que la France agira
auprès de "la communauté internationale" [donc forcément
avec les Etats-Unis] avec la fermeté, le sang-froid et l'esprit de
responsabilité que la situation exige". Cette lettre,
adressée directement au "Chef des Armées" en personne,
ne peut avoir qu'une signification: dans le cas d'une guerre dans
laquelle le Président de la République engagerait la puissance
militaire de la France, il pourrait compter sur le soutien de la
direction du PCF, tout comme il a pu compter sur elle lors du
bombardement de la Serbie. Pour le reste, le flot d'articles et de déclarations
ambiguës mettant en garde contre le risque "d'escalade
militaire", contre les "dangers" et les "dérapages"
qui guettent la guerre, ou s'opposant à toute intervention
"unilatérale", ne sont que de la poudre aux yeux destinée
à donner l'impression aux militants communistes d'une opposition à
la guerre, tout en laissant la porte ouverte à la possibilité de
la soutenir si nécessaire, c’est-à-dire dès qu’elle sera déclarée.
[5]
Le "double langage" de la direction du PCF
explique pourquoi, dans l'abondante littérature et les nombreux
discours prononcés par les dirigeants communistes sur cette
question depuis le 11 septembre, on ne trouve absolument nulle part
la moindre réponse à la question suivante: que sera l'action
militante et politique du PCF pour s'opposer concrètement à l'éventuelle
participation de la France à cette guerre? Des phrases pieuses et
des lamentations sur le "drame" de la guerre ne servent à
rien. Une démarche véritablement communiste consisterait à
organiser des manifestations massives contre la guerre à travers le
pays. Elle impliquerait que des consignes claires et précises
soient données à toutes les instances du parti ainsi qu'à
l'ensemble du mouvement syndical, avant même le commencement des
hostilités, sur les actions à mener pour nuire à l'effort de
guerre. Les dockers seraient sommés de ne charger ni décharger
aucun matériel susceptible de contribuer à l'agression. Les
travailleurs des transports seraient invités à se mobiliser et
agir dans le même sens, et le parti s'adresserait directement aux
personnels des forces armées en leur demandant de refuser toute
participation à cette guerre réactionnaire.
Une fois de plus, les grandes puissances capitalistes
s'apprêtent à précipiter le monde dans la guerre. Ce n'est pas
une guerre pour défendre le Bien contre le Mal, comme le prétend
Bush, ni une guerre pour la liberté, pour la démocratie, ou pour
éradiquer le terrorisme. Cette agression n'a d'autre objectif que
de consolider l'emprise des grandes puissances - les Etats-Unis en tête
- sur les régions d'importance stratégique pour mieux assurer leur
domination. L'attaque contre l'Afghanistan, comme celles qui se
poursuivent contre l'lrak, est un message adressé à tous les pays
du monde ex-colonial, visant à les intimider et à les forcer à
accepter les dictats impérialistes.
Les attentats contre le World Trade Center et le Pentagone
sont un "retour de flamme" des ravages que l'impérialisme
américain provoque partout dans le monde, qui a cependant frappé
avant tout les travailleurs new-yorkais. [6] La France ne dispose pas des mêmes moyens que les Etats-Unis, mais sa
politique étrangère, son appareil militaire et ses grands groupes
industriels et financiers poursuivent les mêmes objectifs. Le
capitalisme français, comme celui des Etats-Unis, comme celui de la
Grande-Bretagne ou de l'Allemagne, s'emploie à piller les
ressources naturelles et productives de toutes les zones du monde
qui tombent sous sa coupe. Il appuie, arme et finance des dictatures
rapaces, en Afrique, au Moyen-Orient et ailleurs. Ce sont les
travailleurs, les pauvres et les plus opprimés qui font les frais
de cette situation. Aussi, la France - surtout si Chirac et Jospin
s'engagent militairement à côté des Etats-Unis - sera sans aucun
doute le cible d'attentats terroristes dans les mois à venir.
Cette spirale inouïe de violence, de guerre, de
catastrophes humanitaires et d'oppression, dont l'impérialisme est
responsable, pose un défi incontournable aux travailleurs et à la
jeunesse de la France et du monde entier. Le comportement des
dirigeants de la gauche, en se pliant honteusement au bellicisme de
nos adversaires, ne fait que confirmer l'immense écart entre leurs
orientations propres et les intérêts de ceux qu'ils sont censés défendre.
Il est urgent, impératif, de construire un puissant mouvement
autour d'un programme socialiste et internationaliste. Il ne s'agit
pas, bien sûr, de proclamer l’existence d’une secte politique
de plus, se dressant prétentieusement en "alternatif"
vis-à-vis des puissantes organisations déjà existantes, mais de défendre
les idées du socialisme authentiques au sein même de ces
organisations, à savoir les confédérations syndicales, les
syndicats étudiants, le Parti Socialiste et le Parti Communiste.
C'est pour contribuer à cette lutte que nous avons créé La
Riposte. Nous invitons tous ceux qui se reconnaissent dans nos
idées à nous rejoindre. Le mouvement syndical, socialiste et
communiste représente une force puissante. Nous pouvons, nous
devons doter ce mouvement d'un programme réellement socialiste et
internationaliste. Il faut en finir avec la guerre, l'oppression et
la pauvreté. Il faut rompre avec un système qui ne profite qu'à
une infime minorité de capitalistes. Le socialisme signifie
l'abolition de l'emprise de cette minorité sur l'économie, qui
doit faire l'objet d'une gestion saine et démocratique dans l'intérêt
de la société toute entière, ouvrant la voie à la transformation
socialiste de société.
Greg Oxley
Le 20 septembre 2001
Notes
[1] Un exemple de l'exploitation politique des attentats est relaté dans la
lettre suivante, envoyée par un jeune citoyen américain au site
internet newyouth.com, signée "Danny"et datée du 14
septembre 2001: " Je voulais faire une remarque au sujet de
tout ce patriotisme et à quel point cela me rend malade. Je vis à
Las Vegas et il devait y avoir une veillée à chandelles mercredi
dernier, le soir. Il y avait des annonces à la radio disant que la
veillée se ferait en présence des élus, dont, j'imaginais, le
gouverneur et le maire. Des antennes de radio et la Croix Rouge
allaient être présentes, disait-on. La Croix Rouge devait faire
une collecte de fonds pour les victimes des attentats. Moi, je
voulais donner du sang, mais j’y voyais aussi une occasion de
discuter de ce qui s'est passé à New-York. Cependant, quand je
suis arrivé sur place, il n'y avait pas moyen de faire un don de
sang, on diffusait tout simplement des tracts. Aucun élu n'était
présent. Des individus montaient à la tribune pour dire qu'ils
aimaient les Etats-Unis, Las Vegas … et Georges Bush. Mes amis et
moi trouvions ça dégoûtant. Ne croyez-vous pas que cette tragédie
ne devrait pas devenir un simple prétexte pour organiser des
assemblées qui applaudissent le gouvernement?"
[2] Suivant un cynisme analogue, le terroriste Georges Habash, dont
l'organisation avait été à l'origine des attentats commis à
Paris dans les années 80, a néanmoins été accueilli et soigné
dans les hôpitaux militaires de la France, tout en étant
officiellement "recherché" par la justice française.
Enfin, concernant la France, il ne faut pas aller plus loin qu’en
Corse pour se rendre compte que la "lutte contre le
terrorisme" officiellement affichée par les représentants de
l'Etat cache bien souvent des rapports autrement plus complexes.
[3] Senate Intelligence Committee.
[4] Institute of Political Studies.
[5] Le 13 septembre, Robert Hue a déclaré sa solidarité avec "les
dirigeants que se sont donnés [les Américains]", c'est-à-dire
avec l'administration de Georgers Bush. Intérrogé sur France-Inter,
le 17 septembre 2001, il a déclaré, à propos de l'exigence de
"fermeté et de sang-froid" formulée dans sa lettre du 11
septembre à Chirac: "La position des autorités françaises
confirme cette démarche. J'y souscris. Elle est essentielle pour la
France, pour l'Europe". (Cité dans l'Humanité du
18 septembre 2001).
[6] Nous avons reçu deux lettres de la part de syndicalistes américains à ce
propos. Le 11 septembre, jour des attentats, Tony P. nous écrivait:
"J'ai travaillé avec 300 collègues tout en haut du World
Trade Center. Je voudrais dédier cette lettre à ceux d'entre eux
qui ont pu périr. Pendant l'année où j'étais le délégué
syndical de ces 300 personnes qui passaient leur journée à couper
des salades, à préparer des tartes, à braiser du saumon, à faire
la plonge, à servir à table et à organiser des banquets aux deux
derniers étages du World Trade Center, elles étaient mes camarades
et mes amis dans une lutte pour faire un monde meilleur. Les
travailleurs de Windows on the World venaient de Bangladesh,
de la Syrie, de l'Iran, de Puerto Rico, de Saint-Domingue, d'Haïti,
du Mexique, de Cuba, de l'Algérie, de la Côte d'Ivoire et d'autres
pays encore. Je suppose que beaucoup d'entre eux étaient au travail
ce matin. Quand je travaillais la nuit, je les voyais arriver à
partir de 7 heures du matin. Ces gens-là m'ont appris ce que cela
veut dire que d'écouter, de se soucier d'autrui, et de lutter. Je
n'oublierai jamais un "plongeur" qui s'appelait Robert
Williams qui m'a serré dans ses bras en me disant : "On l'a
fait, on a gagné!" après une mobilisation de 120 de ses collègues
qui a empêché son licenciement et mis fin au harcèlement d'un
contre-maître de mauvaise foi. A mes frères et sœurs de chez
Windows je voudrais dire merci de m'avoir appris tant de choses
concernant moi-même, concernant la lutte et à propos du monde dans
lequel nous vivions."
D’une lettre de John Fisher, datée du 12 septembre :
"Notre
classe, celle qui a construit ces tours gigantesques, est aussi
celle qui a souffert de ce terrorisme. La classe dirigeante n'a
pratiquement pas été touchée. En haut des ces deux tours se
trouvaient des milliers de nos collègues, et des centaines d'autres
ont péri dans les tentatives de sauvetage. […] Je ne pouvais pas
m'empêcher de pleurer quand j'ai vu les tours s'effondrer. Je
savais que c'étaient des gens qui sont allés travailler pour
nourrir leur famille qui sont morts. Tout le travail, le sang et la
sueur des travailleurs du bâtiment qui ont construit les tours,
tout cela a été réduit à néant. Et pourquoi? A cause de la
domination du capital dans le monde et de la brutalité des
puissances occidentales. Une fois de plus, les capitalistes se sont
servis de nous comme de gilets pare-balles."
Le 20 septembre 2001