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W.M.J. van Binsbergen, 2000, ‘Dans le troisième millénaire avec Black Athena?’, in: Fauvelle-Aymar, F.-X., Chrétien, J.-P., & Perrot, C.-H., Afrocentrismes: L’histoire des Africains entre Égypte et Amérique, Paris: Karthala, pp. 127-150
version
avril 2001[1]
En
dépit des espoirs contraires formulés par les éditeurs (Mary
Lefkowitz et Guy MacLean Rogers) de la collection d’essais
critiques parue en 1996 sous le titre Black
Athena Revisited,[2]
le débat autour de Black Athena[3]
est encore bien vivant et toujours aussi incisif. Martin Bernal a
prévu d’ajouter à Black Athena
d’autres volumes, qui viendront avec un retard
compréhensible, et projette également d’apporter à Black
Athena Revisited une réponse cinglante,
sous le titre de Black Athena Writes Back.[4]Le
recueil d’essais que j’ai édité en 1997 sous le titre
Black Athena Ten Years After
avait déjà rouvert le débat après Black
Athena Revisited. Depuis, le sociologue des
religions Jacques Berlinerblau a publié son Heresy
in the University,[5]
exégèse fiable et critique équilibrée (donc assez positive et
constructive) de l’oeuvre de Bernal. Désormais,
suffisamment de matière, de discussions et de réflexions ont
été produites pour que, en faisant fi du soutien et des
acclamations qu’il a reçus, nous essayions de décanter, au
milieu des erreurs manifestes et des partis pris que la masse des
écrits critiques sur le sujet a mis au jour depuis 1987, les
contributions durables que Bernal aura pu apporter. De quelle
manière, sur quels terrains et à quelles conditions
méthodologiques et épistémologiques strictes la croisade de
Martin Bernal mérite-t-elle d’avoir un impact durable sur
notre perception de la Méditerranée orientale dans
I’antiquité ? Et question encore plus pertinente dans le
cadre du present ouvrage:[6] quel impact
pourraient avoir les thèses de Black Athena
sur notre perception de l’Afrique ? C’est sur cette
derrière question que j’effectuerai une enquête
détaillée dans un livre à venir: Global
Bee Flight. Sub-Saharan Africa ancient Égypt and the World.
Beyond the Black Athena Thesis.
Martin
Bernal, né en 1937 en Grande-Brétagne, est un sinologue formé
à Cambridge (G.-B.). Sa spécialisation sur l’histoire
intellectuelle des échanges entre la Chine et l’Occident
vers 1900,[7]
ainsi que ses articles de circonstance -- à l’époque --
sur le Vietnam dans la New York Review of
Books, lui ont valu en 1972, une chaire de
professeur dans le département d’études politiques à
Cornell University, Ithaca (N.Y., États-Unis). Là, il devait
rapidement élargir l’étendue géographique et historique
de ses recherches, comme l’indique le fait qu’il ait
déjà combine son poste, en 1984, avec celui de professeur
adjoint d’études proche-orientales dans la même
université. Ainsi se tournait-il, en milieu de carrière, vers
un ensemble de questions qui étaient assez éloignées de son
premier champ de recherche.[8]
Mais en même temps, ces questions occupent une place centrale
dans la tradition intellectuelle nord-atlantique depuis le XVIIIe
siècle; cette tradition a revendiqué pour elle-même, de façon
hégémonique, une place qui prétend être à la fois le centre
unique et la source historique originelle d’une production
de connaissances qui, dans le monde d’aujourd’hui, tend
à devenir planétaire. La civilisation globale moderne est-elle
le produit -- comme dans la représentation eurocentriste
dominante -- d’une aventure intellectuelle qui a commencé,
pour ainsi dire de zéro, avec les Grecs anciens, I’unique
résultat des réalisations sans précédents et a-historiques de
ces derniers ? Ou bien la représentation selon laquelle le genie
grec (comprenez: européen) serait la seule et la plus ancienne
source de civilisation, est-elle simplement un mythe raciste et
eurocentriste ? Dans ce dernier cas, son double effet a été
d’alimenter l’illusion de la supériorité culturelle
européenne à l’âge de l’expansion européenne
(surtout au XIXe siècle) et de libérer l’histoire de la
civilisation européenne de toute dette vis-à-vis des
civilisations (indubitablement beaucoup plus anciennes) de la
région du vieux monde, où eut lieu la révolution agricole, qui
s’étend depuis le Sahara, naguère fertile, et
l’Éthiopie, à l’Égypte, la Palestine et la
Phénicie, jusqu’à la Syrie, l’Anatolie, la
Mésopotamie, l’Iran (englobant ainsi le Croissant fertile,
plus étroit) et la vallée de l’Indus. Ici, la Crète
minoenne, puis mycénienne, occupe une place essentielle: soit
comme «première civilisation européenne de la Méditerranée
orientale »; soit comme île de langue « afro-asiatique »,
avant-poste des cultures plus anciennes de l’Asie
occidentale et de l’Égypte; soit comme les deux en même
temps. Un peu comme pour la dépendence plus tardive de la
civilisation européenne mediévale à l’égard des sources
arabes et hébraïques, Bernal affirme qu’il y eut, aux
origines mêmes de la civilisation grecque, aujourd’hui
européenne, nord-atlantique et de plus en plus mondiale, une
contribution «afroasiatique» capitale (ou plutôt «africaine
et asiatique», I’afro-asiatique n’étant que
l’une des families linguistiques eventuellement
impliquées).
Le
monumental projet de Bernal, Black Athena,
envisagé comme une tétralogie dont seuls les deux premiers
volumes ont jusqu’à present été publiés, aborde ces
questions selon deux lignes principales d’arguments. Le
premier volume, outre qu’il présente un premier aperçu
extrèmement ambitieux des conclusions attendues du projet --
mais délibérément laissé sans discussion détaillée des
matériaux empiriques et à peine référencé -- consiste
surtout en un exercice fascinant portant sur l’histoire et
la sociologie de la connaissance académique européenne. Il
retrace la prise de conscience historique, parmi les producteurs
culturels européens, de l’existence d’une dette
intellectuelle de l’ancienne Europe à l’égard de
l’Afrique et de l’Asie, aussi bien que la répression
subséquente de cette conscience, avec l’invention, à
partir du XVIIIe siècle, du miracle grec. La deuxième ligne
d’arguments, dont le volume II a été le premier acompte,
présente les témoignages historiques, archéologiques,
linguistiques et mythologiques qui concourent à prouver cette
dette. Cette dépendence historique est symbolisée par le
nouveau regard que porte Bernal (après Hérodote)[9]
sur Athéna, sans doute la plus ostensiblement hellénique des
divinités grecques anciennes, la percevant comme une émanation
grecque périphérique de la déesse Neith [Nt] de Saïs, --
comme une Athéna noire.
Jusqu’à
present, la reception des deux volumes de Black
Athena a été plutôt variée. Les
chercheurs sur l’antiquité gréco-romaine, qui ont lu ce
travail non pas tant comme une critique soigneuse de toute la
culture intellectuelle eurocentriste nord-atlantique que comme
une dénonciation visant spécifiquement leur propre discipline
par un auteur qui continue d’insister sur son exteriorité
par rapport à la discipline, leur ont souvent opposé
hautainement une fin de non-recevoir. Ce fut moins le cas --
surtout avant la publication du volume II -- des spécialistes
dans les domaines de l’archéologie, des cultures et des
langues du Proche-Orient ancien et des religions comparées.
Pratiquement tous les critiques ont été impressionnés par
l’ampleur et la profondeur de l’érudition de Bernal et
sont restés perplexes devant la distance qu’il affiche
vis-à-vis des débats académiques actuels qui n’ont pas
été initiés par lui.[10] Tous déplorent son
manque de sophistication méthodologique, théorique et
épistémologique.
C’est
dans les cercles d’intellectuels afro-américains (African
American) que la thèse centrale de Bernal a suscité le plus
d’enthousiasme. L’importance considérable de Black
Athena dans le monde actuel y a été
promptement reconnue, non pas tant comme une correction purement
académique d’une histoire ancienne par trop lointaine, mais
comme une contribution révolutionnaire à la politique globale
de la connaissance à notre époque. Le potentiel libérateur de
la thèse de Bernal réside dans le fait qu’elle accorde aux
intellectuels situés à l’extérieur de la tradition
blanche nord-atlantique, politiquement et matériellement
dominante, un droit historique héréditaire, indépendent et
même prééminent, à une pleine admission sous le soleil
intellectuel planétaire. l’Égypte est reputée avoir
civilisé la Grèce, et de là, il semble qu’il n’y ait
plus qu’un seul pas à faire pour admettre que
l’Afrique, le Sud, les gens de couleur noire, ont civilisé
l’Europe, le Nord, les gens de couleur blanche.
Jusqu’à present, ce triomphe idéologique est resté sans
justification sérieuse, empirique et méthodologiquement
acceptable, que ce soit de la part de Bernal ou de la part des
afrocentristes. Mais ceci ne veut pas dire qu’une telle
justification soit intrinsèquement impossible. Bien entendu,
elle reste problématique: comme je le dirai dans Global
Bee Flight, il est loin d’être
évident que l’ancienne Égypte puisse subsumer
l’Afrique tout entière, y compris subsaharienne. Mais la
position afrocentriste doit cependant être défendue,[11]
en dépit de ses defauts méthodologiques actuels. Car il y a eu
en effet des interactions très étendues entre l’Égypte et
le reste de l’Afrique, dans les deux sens, et ces
interactions ont été absolument cruciales pour l’histoire
culturelle globale.
Venant
d’un universitaire blanc de la classe aisée comme Bernal,
qui est socialement et somatiquement étranger aux problèmes
noir, l’impact de Black Athena
a été considérable. Le livre est partie prenante de la
construction progressive d’une identité noire militante,
offrant comme option non pas le rejet dédaigneux du modèle
dominant blanc nord-atlantique, ni une glorification parallèle
de soi comme dans le contexte de la Négritude de Senghor et
Césaire, mais l’explosion de ce modèle. Et une bonne part
de l’agressivité rencontrée par Bernal provient de la
crainte de voir la recherche scientifique s’éroder et se
politiser face à l’afrocentrisme militant. D’un autre
côté, comme le montre très clairement Berlinerblau,[12]
plusieurs afrocentristes ont attaqué Bernal pour n’avoir
présenté qu’une version édulcorée et peu originale de
l’afrocentrisme, ne faisant que répéter, à leur avis, des
idées que les théoriciens noirs de ce mouvement ont formulées
depuis les années 1800 jusqu’à nos jours.
Étant
donne l’ampleur formidable, au XXe siècle, des études
égyptologiques et portant sur le Proche-Orient ancien, nous
n’aurions pas dû avoir besoin de Bernal pour répandre
l’idee, d’abord d’un développement culturel
multicentré dans l’ancienne Méditerranée orientale, puis
celle qui en découle d’une dette de la civilisation grecque
classique vis-à-vis de l’Asie occidentale et de
l’Afrique du Nord-Est, y compris l’Égypte. Ex
oriente lux a en effet été, depuis le
début du XXe siècle, le slogan d’un nombre toujours
croissant de chercheurs sur le Proche-Orient ancien.[13]
Cela a
aussi été, pendant des décennies, le nom de la société
néerlandaise pour l’étude du Proche-Orient ancien et le
titre de sa revue.[14] Mario Liverani
attire cependant notre attention sur l’eurocentrisme
essentiel qu’implique ce slogan, qu’il refuse de
considérer comme une directive valide pour la pratique de
l’histoire ancienne aujourd’hui:
« Le déplacement de la primauté culturelle du Proche-Orient vers la Grèce (ce dont il est question dans le livre de Bernal) a été interprété en fonction de deux slogans: Ex Oriente Lux [...] (principalement utilisé par les orientalistes) et le ‘‘miracle grec’’ (principalement utilisé par les antiquisants). Ces slogans ont semblé représenter des conceptions opposées, mais ils exprimaient en realité une seule et même idée: I’appropriation occidentale de la culture du Proche-Orient ancien, dans l’intérêt de son propre développement »[15]
Cependant,
le message sur la dette culturelle de l’ Europe à
l’égard du Proche-Orient ancien ne fut pas vraiment
bienvenu lorsqu’il fut formulé pour la première fois, et
des chercheurs sémitistes aussi imaginatifs que Gordon et Astour
se trouvèrent sous le feu des critiques lorsqu’ils
publièrent leurs importantes contributions dans les années
1960. Et même si cette dette n’est plus le secret
qu’elle était il y une centaine d’années, Bernal peut
être félicité de l’avoir popularisée, étant donné la
reception hostile que cette idée a reçue jusque dans les
années 1980. Black Athena
a permis dans une large mesure de la rendre accessible à des
cercles qui en avaient besoin pour construire et reconstruire
leur propre identité. Mais Bernal lui-même ne prétend pas à
une originalité excessive:
« ... il doit paraître évident à tout lecteur que mes livres sont basés sur la recherche scientifique moderne. Les idées et informations que j’utilise ne viennent pas toujours des champions de la sagesse conventionnelle, mais très peu des hypothèses historiques avancées dans Black Athena sont originales. L’originalité de cette série d’ouvrages vient de ce qu’elle rassemble et place au centre du propos des informations qui étaient auparavant éparpillées ou périphériques ».[16]
Mais la
thèse de Bernal sur l’histoire européenne des idées sur
l’Égypte, aussi bien que son insistence sur le rôle de
l’Égypte dans le contexte des échanges culturels bien
réels en Méditerranée orientale aux IIIe et IIe millénaires
avant J.-C., résistent-elles aux épreuves méthodologiques et
factuelles des diverses disciplines concernées ?
La
nature polémique de la thèse de Black
Athena, combinée avec les libertés
méthodologiques et théoriques indubitables de son auteur, ont
incité beaucoup de critiques à recourir à la caricature pour
résumer la position de Bernal. Une de ces caricatures lui
reproche d’essayer de réduire la culture grecque à un
simple reliquat d’une diffusion intercontinentale. La
problématique de la créativité culturelle dans un contexte de
diffusion est cependant loin d’être absente chez Martin
Bernal,[17] qui se définit
lui-même comme partisan d’un « diffusionnisme modifié »,
cherchant par là à cerner la différence entre le modèle
obsolète de la transmission mécanique et de l’adoption
globale d’éléments culturels inchangés de provenance
lointaine, et le modèle beaucoup plus séduisant qui insiste sur
une transformation locale et créative de la matière diffusée,
une fois arrivée à destination. En dépit de défaillances
égyptocentriques occasionnelles qui lui font voir la diffusion
comme automatique et à sens unique, Bernal manifeste souvent sa
conscience des tensions entre diffusion et localisation
transformante (transformative localisation):[18]
« Bien que je sois convaincu que la grande majorité des themes mythologiques grecs est venue d’Égypte ou de Phénicie, il est également évident que leur sélection et leur traitement sont typiquement grecs, et qu’à cet égard ils reflètent la société grecque ».[19]
De
l’aveu général, une part considérable des systèmes de
production, de la langue, des dieux et des sanctuaires, des
mythes, de la magie et de l’astrologie, de l’alphabet,
des mathématiques, des compétences nautiques et commerciales
des Grecs anciens -- en somme, une grande partie de ce que nous
associons avec la civilisation grecque ancienne- ne procéda pas
d’inventions originales de leur part, mais avait eu des
antécédents clairement identifiables dans des cultures voisines
établies de longue date. Déjà, les aperçus tronqués
présentés dans le volume I de Black Athena
et anticipant sur les résultats futurs -- aperçus qui, à mon
avis, n’auraient jamais du être discutés sérieusement
avant que leurs pleins développements ne paraissent dans les
volumes à venir -- ont provoqué un vif débat sur les possibles
antécédents égyptiens de la science et de la philosophie
grecque classique. Bernal a rencontré ici des adversaires
implacables comme Robert Palter,[20] mais aussi B. G.
Trigger, archéologue et égyptologue qui considère par ailleurs
le projet global de Black Athena
avec une évidente sympathie.[21] Mais les sources
venant du Proche-Orient ancien ont aussi été lues dans le sens
d’une défense des vues de Bernal, et les polémiques à
propos des racines afro-asiatiques de la philosophie et de la
science grecques ont gagné en importance dans le débat autour
de Black Athena.
La
publication du volume II de Black Athena,
en 1991, a non seulement provoqué un nouvel accroissement du
nombre de disciplines impliquées dans le débat,[22]
mais a aussi été marquée par un changement de ton notable.
Tant que le projet Black Athena
consista essentiellement (comme dans le volume I) en un passage
en revue de l’image de l’Égypte dans l’histoire
intellectuelle européenne, il fut généralement applaudi pour
sa solide érudition et pour sa critique des préjuges
eurocentristes et racistes qui avaient été le lot de plusieurs
générations de chercheurs sur l’antiquité,
aujourd’hui morts depuis longtemps. Glen Bowersock, le grand
spécialiste américain des études classiques, ne fait montre
d’aucun aveuglement à l’égard des petits défauts du
volume I, mais il écrit pourtant:
« C’est un travail étonnant, extraordinairement audacieux dans sa conception et écrit avec passion. Il s’agit du premier volume d’une série de trois, destinés à saper rien moins que le consensus regnant dans les études classiques, qui s’est développé pendant plus de deux cents ans au sujet des origines de la civilisation grecque ancienne. [...] Bernal montre avec force que notre perception actuelle des Grecs s’est constituée artificiellement entre la fin du XVIIIe siècle et aujourd’hui. [...] La façon dont Bernal traite ce sujet est aussi excellente qu’importante ».[23]
Mais
lorsque le volume II fut publié, quatre ans plus tard, Bernal
abordait véritablement l’histoire ancienne de la
Méditerranée orientale -- sujet qui constitue le travail de
toute une vie pour des centaines de chercheurs vivants. Et il le
faisait d’une façon tout à fait alarmante, dans un style
beaucoup moins bon que celui du volume I, invoquant des
étymologies égyptiennes toujours plus provocantes pour des noms
propres ou des termes du lexique du grec ancien (quoique beaucoup
d’entre elles soient plus solides que celle se rapportant à
Ht Nt), insistent sur la pénétration cultuelle en mer Egée non
seulement de la déesse Neith mais aussi d’autres dieux
égyptiens spécifiques, se basant sur du matériel mythologique
comme si son eventuel fond historique factuel pouvait aisément
être identifié, affirmant l’existence d’une présence
physique d’Égyptiens en Egée en relation avec des travaux
d’irrigation, un tumulus monumental et des traditions qui se
rapportent à la campagne militaire d’un pharaon noir en
Europe du Sud-Est et en Asie voisine, bouleversant les
chronologies établies du Proche-Orient ancien, attribuant les
tombes à fosse mycéniennes à des envahisseurs levantins
identifiés comme des Hyksos déjà porteurs d’une culture
égyptienne, et renouvelant sa sympathie envers des idées
afrocentristes devenues entre-temps, aux États-Unis, encore plus
bruyantes et plus politisées. C’est à ce stade que
beaucoup de chercheurs se désolidarisèrent de Bernal et que la
critique savante authentique et justifiée se combine avec une
contestation politique de droite contre le message à la fois
malvenu, anti-eurocentriste, interculturel et intercontinental du
projet d’ensemble de Black Athena
-- développement qui prit forme et qui devait s’achever
avec la publication de Black Athena
Revisited en 1996.
Ce que
Mary Lefkowitz et Guy MacLean Rogers, les éditeurs de Black
Athena Revisited, ont à coup sûr réussi
à provoquer, c’est un état d’alarme et
d’embarras chez tous les chercheurs et les amateurs qui
avaient vraiment à coeur de continuer d’avancer dans la
voie que Bernal avait cherché à ouvrir avec Black
Athena. Et c’est un vrai problème dans
le contexte de mon propre travail actuel, précisément parce
qu’il est en sympathie avec celui de Bernal. Comment
pourrait-on honnêtement et publiquement continuer à
s’inspirer d’un auteur dont le travail a été
caracterisé en ces termes par un critique aussi bien informé
que Robert Palter:
« Ceux qui se sentent aujourd’hui sérieusement enclins à formuler une critique politique radicale de l’érudition contemporaine [...] devraient réfléchir à deux fois avant de s’associer avec les méthodes et les affirmations du travail de Bernal; [...] car ses manquements aux exigences les plus élémentaires d’une saine recherche historique — traditionnelle, critique, ou n’importe quel genre de recherche historique -- doivent nous rendre prudents sur ses grandioses déclarations historiographiques. [...] En l’absence de contrôles adéquats des témoignages et des arguments, la perception de l’histoire présentée dans Black Athena manque continuellement de sombrer dans l’idéologie pure » .[24]
Sarah
Morris loue l’autoréflexion critique que Black
Athena a suscité dans les études
classiques, mais trouve cela trop cher payé, compte tenu de la
politisation injustifiée qui affecte les recherches sur le
Proche-Orient ancien:
« D’un autre côté, il [l’ouvrage de Bernal] a renforcé, d’une façon que l’auteur n’avait pas prévue, un programme afrocentriste qui ramène beaucoup de débats à zero et qui met à bas des décennies de recherches scrupuleuses par des chercheurs aussi excellents que Frank Snowden. Un chaudron infernal de racisme, de récriminations et d’insultes verbales s est mis à bouillir au sein de différents départements et disciplines; il est devenu impossible pour des égyptologues professionnels d’aborder la vérité sans recevoir des injures, et les arguments de Bernal ont seulement contribué à provoquer une avalanche de propaganda radicale sans fondement factuel ».[25]
Plus
radicale encore, Mary Lefkowitz estime qu’en dépit de ses
bonnes intentions, Bernal est coupable d’alimenter ce qui
n’aurait pu rester qu’un feu de paille afrocentriste
avec un combustible ayant toutes les apparences du sérieux et de
l’érudition.[26]
Mais
pourtant l’histoire ne s’arrête pas là. Comment
comprendre, par exemple, les éloges que l’éminent
égyptologue et archéologue B. G. Trigger adresse à Black
Athena ? De toute evidence, il ne voit pas
le projet de Martin Bernal comme un simple exercice
d’élévation de la conscience pour des Noirs en quête
d’identité,[27] mais comme une
contribution importante à l’histoire de l’archéologie
-- I’une des spécialités de Trigger[28]
-- et comme un stimulant aiguillon montrant les possibilités
d’innovation dans cette discipline qu’il considère
comme affectée d’un scientisme débordant.[29]
Trigger lui-même, cependant, insiste sur les insuffisances
méthodologiques de Bernal et rejette sa chronologie
problématique, notamment en ce qui concerne les Hyksos. En tant
qu’égyptologue, Trigger n’est absolument pas convaincu
non plus par les arguments de Bernal en faveur des grandes
campagnes européennes et asiatiques conduites par Senwosret I ou
III au début du IIe millénaire avant J.-C. Il est aussi très
critique à l’égard de la tendance de Bernal à prendre la
mythologie ancienne au pied de la lettre. Étant donné le grand
nombre de mythes aussi bien égyptiens que grecs, estime Trigger,
il est facile pour tout chercheur de faire son choix et
d’affirmer l’existence de relations historiques entre
des sélections opérées au sein de chaque ensemble: encore
l’aspect méthodologique. En 1997, j’avais adopté la
même position que Trigger, mais je suis aujourd’hui
convaincu qu’avec une meilleure méthodologie les intuitions
de Bernal concernant la provenance égyptienne et phénicienne de
la plupart des mythes grecs pourraient être sauvées.
Les
cordes factuelles, chronologiques et méthodologiques frappées
par Trigger, en tant que critique profondément compréhensif,
ont trouvé un écho, avec des dissonances et des fortissimo,
dans Black Athena Revisited comme
dans les autres lieux du débat autour de Black
Athena. Nombreux sont ceux qui déplorent
les defauts et même l’absence de méthodologie dans les
écrits de Bernal. Et pourtant de telles critiques
s’avèrent souvent difficiles à asseoir, comme il ressort
des deux études de cas méthodologiques fort peu convaincantes
que Palter inclut dans son argumentation totalement critique.[30]
Mais par ailleurs Edith Hall met en evidence de façon
convaincante la naïveté méthodologique avec laquelle Bernal
manipule le matériel mythique.[31] Et pourtant Bernal
s’enorgueillit précisément de la nature explicitement
théorique de son approche et de l’attention qu’il
prête aux facteurs relatifs à la sociologie de connaissance
qui, estime-t-il,[32] constituent la
principale différence entre son travail et, par exemple, Die
Begegnung Europas mit Ägypten de S. Morenz.[33]
De
nombreux critiques ont été effarés par ce qu’ils
considèrent comme une confusion, chez Bernal, entre culture,
ethnicité et race.[34] Ils le suspectent de
croire, à la façon sommaire du XIXe siècle, que les
déplacements physiques des hommes sous forme de migrations et de
conquêtes constituent les principaux facteurs explicatifs du
changement culturel. Ils le blâment également pour son
utilisation non systématique et linguistiquement incompétente
des étymologies.
Beaucoup
ne relèvent pas ces différents aspects mais refusent simplement
-- pour des raisons internes à leur discipline scientifique
plutôt que pour des raisons politiques et Idéologiques -- de
reconnaître dans son approche une manière lègitime et moderne
d’aborder l’histoire ancienne.[35]
Ainsi l’éminent historien de l’antiquité J. D. Muhly,[36]
qui résume ses objections méthodologiques avec les propres mots
de Bernal:
« Il est difficile pour un chercheur non inscrit dans une discipline et faisant tout par lui-même (going it alone) de savoir ou s’arrêter » .[37]
Selon
Baines, et en réponse à la prétension de Bernal d’avoir
opéré rien moins qu’un changement de paradigme dans le
champ de l’histoire ancienne, la notion de paradigme
n’est ici guère applicable:[38]
« En dépit des nombreuses applications qu’a connues le terme de Kuhn depuis la publication de son livre [le livre de Kuhn, i. e. The Structure of Scientific Revolutions], les études sur le Proche-Orient ancien ne sont pas une ‘‘science’’ ou une discipline dans le sens kuhnien. Elles sont plutôt la somme d’une série de methodes et d’approches appliquées à une grande variété de matériaux venant d’une région géographique et d’une période particulières; même les définitions de la région et de la période sont sujettes à révision. Pour autant que le Proche-Orient ancien puisse être lié à des paradigmes, ces derniers seraient, par exemple, les théories de la complexité et du changement social, ou dans d’autres cas des théories de la forme littéraire et du discours. Ce point est celui où les objectifs de Bernal sont les plus éloignés de ceux de beaucoup de spécialistes des études sur le Proche-Orient ancien ».[39]
Beaucoup
de critiques se demandent si l’intention revendiquée par
Bernal d’essayer de comprendre la civilisation grecque est
sincère: tout ce qu’ils peuvent voir est l’obsession
de la provenance et des déplacements culturels intercontinentaux
aux IIIe et IIe millénaires avant J.-C., aussi bien que les
politiques identitaires de la fin du XXe siècle après J.-C.,
mais à coup sur nulle appréciation cohérente et empathique de
la structure interne, des orientations morales et esthetiques, de
l’expérience religieuse et de l’univers quotidien des
Égyptiens, des Levantins et des Grecs anciens.[40]
C’est une critique recevable, sur laquelle nous reviendrons
plus loin.
Bien que
comprenant de nombreux aperçus, faiblement référencés, des
conclusions attendues dans les volumes ulterieurs, le volume I de
Black Athena est d’abord un exercice portent sur
l’histoire des idées européennes. Plusieurs critiques
déplorent l’incompétence avec laquelle Bernal traite ce
qu’il considère comme un flux de connaissances égyptiennes
qui -- souvent sous le nom d’hermétisme -- aurait traversé
la culture ésotérique européenne depuis l’antiquité
tardive. Il est difficile de dire si leur fin de non-recevoir
ressortit à autre chose qu’à la simple repugnance des
chercheurs à voir des « pseudo-sciences » comme
l’astrologie, la géomancie et l’alchimie, ou encore
des traditions inventées comme la franc-maçonnerie, élevées
au status respectable de véhicules servant à la transmission
secrète des connaissances égyptiennes.[41]
Bien
sûr, le dire ainsi revient à relayer la façon dont beaucoup
d’occultistes eux-mêmes ont vu les choses à travers les
siècles. Mais depuis l’antiquité tardive jusqu’aux
Lumières, la production intellectuelle de l’Europe
s’inscrit massivement (ne pas dire d’une façon
prédominante) dans le champ ésotérique, laissant derrière
elle une littérature énorme que très peu de chercheurs
appréhendent avec compétence; et si Bernal n’est pas de
ceux-là, ses explorations n’en sont pas moins courageuses
et stimulantes.
Avec
l’histoire intellectuelle des XVIIIe et XIXe siècles, nous
sommes sur un terrain beaucoup plus familier; ici les
spécialistes éprouvent peu de difficulté à montrer que
certains de ceux que Bernal prend pour de méchants racistes
(Kant, Goethe, Lessing, Herder) étaient en fait -- au
moins à l’apogée de leur carrière --
des héros de la connaissance interculturelle et des théoriciens
modernes de la tolérance, reconnus comme tels par le monde
entier.[42] Josine Blok a offert
une discussion pénétrante de cette dimension du travail de
Bernal. [43] La maîtrise
limitée qu’a Bernal de l’allemand -- déjà manifeste
par le nombre considérable de fautes d’orthographe dans les
entrées allemandes de ses bibliographies -- est peut-être en
partie responsable de ses défauts sur ce point: il était forcé
de se baser sur des traductions anglaises et sur la littérature
secondaire.
Arrivés
à ce point, nous pouvons prendre la mesure d’un certain
nombre de themes critiques qui interviennent dans le débat
général autour de Black Athena.
En
premier lieu, la quête d’origines (lesquelles sont souvent,
de toute façon, imperceptibles) relève davantage du domaine de
la construction d’une identité ethnocentrique de clocher
que de celui d’une sereine recherche scientifique. Bernal
montre -- d’une façon grosso modo convaincante en dépit de
nombreuses erreurs de détail -- comment une représentation
particulière de l’histoire de la Grèce ancienne a servi
les intérêts eurocentristes; mais bien sur, sa représentation
alternative sert elle aussi, inévitablement, des intérêts
Idéologiques, comme le démontre son rapprochement avec le
mouvement afrocentriste qui fleurit parmi les intellectuels
noirs. Ironiquement, le titre même et le slogan (contenu dans le
titre) de Black Athena
illustrent le fait que Bernal emploie le langage de la race pour
délivrer son message antiraciste et anti-eurocentriste; de toute
evidence, il lui reste encore à mener un peu plus loin ses
efforts emancipatoires.
Deuxièmement,
I’identification de la provenance n’entame en rien
l’importance cruciale de la localisation
transformante, après que le produit
culturel emprunté ait atteint -- au terme d’un processus de
diffusion -- sa région de destination. Encore une fois, il
existe quantité de témoignages indiquant que des termes du
lexique grec, des noms de divinités, des mythes dans lesquels
elles figurent, des éléments de la philosophie et des sciences
-- aussi bien que de nombreuses traces palpables de ces faits
culturels recueillis dans le champ de l’archéologie
classique -- dérivent en effet de prototypes venant du
Moyen-Orient ancien (y compris égyptien), mais cela
n’empêche pas du tout que ces réalisations culturelles,
une fois arrivées en mer Egée, aient connu une histoire locale
complexe et imprévisible qui en fit des réalisations
éminemment grecques.
Cela
nous amène à la pièce centrale du dispositif de Bernal, la
déesse grecque Athéna elle-même. Aux déjà nombreuses
étymologies de son nom que l’érudition a produites pendant
des siècles,[44] Bernal en ajoute une
nouvelle, qui dérive de l’ancien égyptien Ht Nt, « temple
de Neith » La Neith libyenne était une déesse égyptienne
importante durant la période archaïque de l’histoire de
l’Égypte ancienne (3100-2700 avant J.-C.) et elle connut un
renouveau sous la XXVIe dynastie (VIIe siècle avant J.-C.),
originaire de Saïs, lorsque les mercenaires grecs occupaient une
position importante. Bien que l’étymologie spécifique Ht
Nt pour Athéna doive effectivement être considérée comme
réfutée sur la base de la linguistique historique,[45]
la somme de détails iconographiques et sémantiques que Bernal
fait valoir rend tout à fait concevable que le lien entre la
déesse grecque Athéna, patronne tutélaire de la principale
ville de la civilisation grecque à son apogée, et son
équivalent égyptien Neith, soit allé un peu plus loin
qu’une simple ressemblance superficielle projetée selon les
termes de l’interpretatio graeca.
La déesse Athéna est-elle le produit de l’adoption, dans
quelque eau stagnante du nord de la Méditerranée, de modèles
culturels égyptiens splendides et séculaires -- par suite de
campagnes militaires et de colonisation, d’une pénétration
hyksos, du commerce ? Une telle adoption peut-elle servir
d’emblème pour une action civilisatrice beaucoup plus
massive des Égyptiens en mer Egée pendant l’age de Bronze
? Alors pourquoi en trouvons-nous si peu de traces dans les
sources archéologiques égéennes de l’age du Bronze,[46]
les preuves d’une influence égyptienne sur la Crète
minoenne et sur la Grèce mycénienne restant limitées et
indirectes?[47]
Bien
sûr, toute une partie du volume II de Black
Athena est consacrée à une discussion sur
le fait que cette pénurie de vestiges archéologiques est un
effet de myopie, et exhorte à lire les témoignages disponibles
avec un regard différent.[48] Mais peu de
spécialistes ont été convaincus.
De
quelle théorie avons-nous besoin pour nous accommoder à la fois
des continuités lexicales et mythologiques entre l’Égypte
ancienne et la mer Egée, et de l’absence de traces
archéologiques d’une telle continuité ? À quelle
situation ethnographique concrète, à quel mécanisme social
spécifique un tel processus étrangement séléctif de
transmission culturelle correspond-il ? Peut-être à celui de
travailleurs ayant migré de façon involontaire et temporaire
depuis la Crète vers l’Égypte du Moyen ou du Nouvel
Empire: des artisans contractuels (comme ceux peut-être qui
créèrent les fresques minoennes récemment découverte dans la
ville d’Avaris, dans le delta[49]) restés assez
longtemps sur place pour être suffisamment exposés aux
influences cultuelles (y compris mythologiques) et linguistiques,
mais en même temps trop pauvres, surveillés de trop près, sous
l’emprise trop étroite de leur propre chauvinisme ethnique
ou de quelque préscription religieuse interdisant
l’importation de produits étrangers en Crète minoenne,
pour rapporter chez eux des objets égyptiens. Une autre
possibilité expliquant l’abondance de trace linguistiques,
religieuses et mythiques parallèlement à l’absence de
traces dans la culture matérielle, pourrait résider dans un
certain modèle de diffusion cultuelle: des étrangers
relativement isolés de leur pays natal (en l’occurrence
l’Égypte) et sans pouvoir militaire et économique, qui
viennent s’installer sur le sol égéen en offrant aux
indigènes la seule ressource qu’ils possèdent, à savoir
leur expertise dans un système mythico-cultuel de provenance
égyptienne qui avait acquis un grand prestige dans toute la
Méditerranée occidentale ancienne. Pensons par exemple au rôle
des marabouts individuels réislamisant la campagne
nord-africaine pendant des siècles, ou aux missionaires
chrétiens des îles britanniques qui convertirent l’Europe
du Nord-Ouest durant la seconde moitié du premier millénaire
après J.-C.; dans les deux cas comparatifs de l’Afrique du
Nord et de l’Europe du Nord-Est, l’on rencontre une
semblable pénurie de traces archéologiques d’une influence
cultuelle venant respectivement du Maurétanie et des îles
britanniques.
Quoi
qu’il en soit, le point important est ici de reconnaître la
contribution essentielle de l’Égypte, ou plus
généralement du Proche-Orient ancien, à la civilisation
grecque classique (l’argument de la
diffusion), et d’admettre en même
temps qu’Athéna a dépassé ses origines égyptiennes
présumées, coupant progressivement cet ancien lien pour
s’intégrer dans la culture locale émergente et se
transformer au cours de ce processus (l’argument
de la localisation). Elle devint un
important foyer cultuel ainsi qu’un symbole identitaire de
réalisations culturelles locales qui étaient, au final,
distinctivement grecques.
La
troisième observation qui peut être faite concerne la
méthodologie. Nous n’avons aucune connaissance directe du
passe. Si nos assertions historiques sont scientifiques,
c’est parce qu’elles sont basées sur le traitement de
toutes les sources disponibles à la lumière de méthodes et de
procédures explicites et répétables, incluant le passage
devant le forum international des pairs académiques. Il en va de
même pour un outsider qui travaille tout seul, comme Bernal; il
s’institue d’ailleurs lui-même comme un outsider,
d’une façon inténable pour quelqu’un qui est, depuis
1984, professeur associé d’etudes proche-orientales à
Cornell, I’une des principales universités américaines. Sa
fierté à ressusciter les vues savantes du début du XXe
siècle, sa fixation obstinée sur l’étymologie Ht Nt,
alors même qu’il admet qu’elle ne peut être défendue
que par un recours à la contingence et non aux lois de la
linguistique systématique,[50] plus généralement
son excès de sensibilité face à ses critiques, et la
dénonciation toujours prête (en référence à ce qu’il
monopolise sous l’expression de « sociologie de la
connaissance ») des arrière-pensées idéologiques,
eurocentristes ou racistes, comme ultime argument contre ses
nombreux adversaires -- tout cela manifeste un étrange mélange
de réalisme empirique et d’idéalisme politique, un
déficit choquant de méthode et d’epistémologie et un
refus répréhensible de la nécessaire composante sociale ou
collective de la recherche.
La
méthode n’est pourtant pas tout dans la recherche, et les
idées les plus précieuses dérivent souvent, au-delà des
règles prosaïques et routinières, d’une intuition qui,
après tout, comme le dit Spinoza, est la plus haute forme de
connaissance. Bernal possède un mystérieux talent pour émettre
des intuitions solides qu’il étaye ensuite avec ses
méthodes peu soignées. Ce n’est sans doute pas comme cela
qu’il faudrait faire, mais c’est éminemment
pardonnable compte tenu de l’autre choix possible: une
recherche scientifique méthodologiquement impeccable et faisant
feu de tout bois, mais sans véritable avancée intellectuelle.
Après
plusieurs années de participation au débat autour de Black
Athena, débat au cours duquel je me suis
quelque peu familiarisé avec la mythologie et la langue
égyptiennes, ce sont les affirmations de Bernal dans les
domaines mythologique et etymologique qui, à mon sens,
apparaissent les plus convaincantes.
« Naturellement, je maintiens que la raison pour laquelle il est si remarquablement facile de trouver des correspondences entre des mots grecs et égyptien est que de 20 à 25% du vocabulaire grec dérive en fait de l’égyptien! » [51]
Ce genre
de déclaration statistique précise est souvent répétée (mais
sous des versions différentes!) dans le travail de Bernal,
quoique les calculs par lesquels il l’étaye ne soient pas
rendus explicites. L’échantillon d’étymologies
égyptiennes proposées pour des mots grecs, inclus dans son
article « Responses to Black Athena
»,[52] peut convaincre le
lecteur que, au moins à un niveau qualitatif, l’affirmation
n’est pas dénuée de fondements. Mais ici encore c’est
l’absence totale d’une méthode explicite et approuvée
(y compris apparemment l’utilisation des methodes
développées par d’autres chercheurs dans ce champ
particulier) qui donne des résultats non systématiques et peu
convaincants à première vue. Les étymologies proposées par
Bernal doivent être récoltées dans les différents travaux[53]
qu’il a publiés dans la ligne de Black
Athena. Ils se limitent généralement à
des atomes lexicaux isolés et non pas des champs sémantiques
intégrés et étendus, car son plus grand handicap est en
définitive le manque d’une imagination sociologique et
culturelle qui lui permettrait de produire l’image
cohérente d’une culture vivante, plutôt qu’une vague
accumulation d’origines qui sont virtuellement mortes durant
le passage.
De la
même façon, Bernal manie le mythe comme si son contenu
historique était evident en soi et non problématique, et il
semble ne pas être du tout au courant des grandes avancées
réalisées depuis le XIXe siècle dans le domaine de
l’étude des mythes. Là encore, on aurait tendance, sur le
plan méthodologique et théorique, à révoquer en doute toutes
ses assertions. Mais je dois pourtant revenir à présent sur le
scepticisme que j’avais exprimé à l’égard de la
provenance égyptienne du mythe d’Erichtonios dans une
longue note de mon article « Alternative models of
intercontinental interaction towards the earliest Cretan script
».[54] On lira dans Global
Bee Flight une analyse détaillée et
documentée sur le plan théorique des transformations subies par
les mythes égyptiens (et libyens) au cours de leurs
déplacements vers la mer Egée et vers l’Afrique. Je suis
à present aussi convaincu de la solidité de l’intuition
générale de Bernal sur ces points que des defauts
méthodologiques de son analyse spécifique.[55]
Enfin,
la quatrième observation qui peut être faite concerne la
juxtaposition mécanique des familles de langues indo-européenne
et afro-asiatique, comme si cela résumait tout ce qu’il y a
à dire sur les interactions culturelles dans l’ancienne
Méditerranée orientale. Cette juxtaposition provient de ce que
Bernal ne peut s’empêcher de considérer la langue comme la
clef de l’histoire culturelle, ce qui est aussi responsable
de l’expression si mal appropriée de « racines afro-asiatiques
de la civilisation grecque classique ». Cette juxtaposition
incite en outre en penser selon les termes d’une alternative
stricte (ou bien / ou bien), ce qui convient parfaitement à la
rhétorique politique sousjacente au débat autour de Black
Athena (Blanc contre Noir; ethnocentrisme
contre radicalisme favorable à l’émancipation; Europe
contre reste du monde), mais obscurcit les continuités qui
peuvent caractériser la véritable dynamique culturelle et
linguistique de cette région. Plus important encore, le paysage
culturel et linguistique du Proche-Orient ancien s’avère
aujourd’hui englober ce qui, dans l’argumentaire de Black
Athena, est resté jusqu’à present un
hôte non invité: le substrat linguistique et culturel de la
Méditerranée ancienne, qui s’intercale entre
l’indo-européen et l’afroasiatique. Des spécialistes
ont en effet invoqué ce substrat méditerranéen pour effectuer
des reconstitutions étymologiques et religieuses de la
Méditerranée ancienne. Il fournit un modèle beaucoup plus
convaincant des échanges culturels dans une région qui
présente déjà des continuités et des ressemblances
fondamentales depuis les temps néolithiques -- que ne l’est
celui (contrairement à ce que dit Bernal) d’une simple
diffusion qui se serait effectuée depuis une unique source
privilegiée, comme par exemple l’Égypte, à une époque
aussi tardive que l’age du Bronze. Je trouve ainsi beaucoup
plus séduisant d’envisager Athéna et Neith comme deux
rameaux fortement apparentés sortie d’une même souche qui,
dans toute l’ancienne Méditerranée orientale, a engendré
de grandes déesses associées au monde souterrain, à la mort et
à la violence -- associations qui étaient souvent (mais pas
dans le cas d’Athéna telle que nous la connaissons de
l’époque gréco-romaine classique) reliées au symbolisme
de l’abeille. On fait ainsi avancer quelque peu le problème
de l’étymologie des noms d’Athéna et de Neith: les
deux déesses, et les noms qui s’y rapportent, ne sont pas
des dérivations l’une de l’autre, mais les deux sont
probablement des dérivations d’une déesse moins
égyptienne ou libyenne que ouest-asiatique, dont le nom nous est
parvenu sous la forme d’Anat ou Anath.[56]
L’argument
de Global Bee Flight --
bien qu’inspiré par Bernal -- s’éloigne ainsi
considèrablement de la thèse de Black
Athena; il insiste plutôt sur les
interactions préhistoriques entre une tradition culturelle
africaine subsaharienne et un substrat méditerranéen qui,
contrairement à un substrat afroasiatique, ne se laisse pas
facilement renvoyer à une provenance africaine. Ce sont ces
interactions, cette échange entre des éléments africains et
des éléments méditerranéens sans provenance africaine
récente, qui produisirent, en premier lieu, le système
politique, la culture et la société de l’ancienne Égypte.
Une fois en place, cette culture égyptienne a exerce à son
tour, durant trois millénaires, une influence décisive (avec
des phénomènes prévisibles de feedback,
compte tenu de la dette culturelle de l’ancienne Égypte à
l’égard de ces régions) sur la Méditerranée orientale,
sur l’Afrique du Nord et sur l’Afrique subsaharienne.
De tous ces phénomènes, Global Bee Flight
n’explorera que ceux se rapportant à l’Afrique
subsaharienne, surtout dans les domaines de la royauté sacrée
et des mythes.
Tout
cela nous amène à une réévaluation d’abord constructive
du projet Black Athena.
Le volume I de Black Athena
consistait en une déstruction éminemment réussie du mythe
eurocentriste de l’origine autonome de la civilisation
grecque -- un acte digne du plus grand respect, un acte
libérateur de déconstruction des mythes de l’érudition
antérieure (et, incidemment, un acte par lequel la compétence
spécifique de Bernal, en tant qu’historien achevé
employant une méthodologie implicite mais séculaire, produit un
argumentaire très[57]
éloigné du mythe).
Le
volume II de Black Athena,
manquant d’une telle méthodologie et se hasardant dans un
domaine où la production, la remise en circulation et la
réproduction du mythe savant étaient par trop tentantes,
n’a pas produit les énoncés scientifiques qu’il se
disposait à produire. Le grand débat qu’il a engendré est
essentiellement un effort collectif visant à formuler les
conditions et les procedures sous lesquelles les assertions de
Bernal (ou les affirmations alternatives pouvant les remplacer)
peuvent être variés, ou du moins sous lesquelles leur contenu
mythique peut être négligé. Des lors, même les réactions
destructrices ou dédaigneuses, même les réactions les plus
critiques, sont fondamentalement constructives, et les réponses
spécifiques fournies après coup par Bernal (souvent plus
précises, plus claires, plus subtiles et plus satisfaisantes que
ses déclarations d’abord publiées) font ressortir encore
une fois le fait que la vérité scientifique est le produit --
habituellement ephémère -- d’un processus social entre
pairs.
Il faut
à present que le fardeau proprement insupportable qu’il
s’était imposé à lui-même soit partagé avec
d’autres, travaillant sous une epistémologie plus
convaincante mais toujours dans l’esprit de Bernal,
c’est-à-dire dans l’idée que le grand défi de notre
époque est celui de l’interculturalité et de la
multicentralité, et toujours avec cet esprit
d’interdisciplinarité et d’imagination savante.
Si
Martin Bernal produit une vérité inextricablement mélangée de
mythe; si son epistémologie naïve y est propice; s’il
n’a pas adopté de méthodologies plus largement acceptables
pour l’analyse mythique et étymologique; si sa
reconstruction de l’histoire moderne des idées est
peut-être trop schématique et en partie fausse; s’il se
montre lui-même plus habile au repérage des trajectoires des
faits culturels et religieux isolés qu’à la comprehension
de la complexité intégrée des transformations culturelles et
religieuses localisées; s’il y a mille autres choses plus
ou moins bancales dans Black Athena,
-- eh bien ce sont autant de sujets pour un programme de
recherches qui doit occuper le plus grand nombre possible
d’entre nous pendant une bonne partie du XXIe siècle.
Au
milieu de sa vie et sans posséder la formation académique
requise pour être un spécialiste des langues classiques et du
Proche-Orient ancien, en archéologie et en histoire ancienne,
Martin Bernal s’est lancé dans une tâche proprement
herculéenne. Un dilemme fondamental accompagne le projet de Black
Athena depuis le commencement: son étendue
est beaucoup trop vaste pour une seule personne, et ses
implications politiques, Idéologiques et morales beaucoup trop
complexes pour que cette personne puisse toutes les évacuer en
même temps. Mais quel que soit le vice de forme qui affecte le
projet de Bernal, il est plus que compensé par l’étendue
de son champ de vision, qui lui a fait réaliser que, à
l’intérieur comme au-dehors du monde des chercheurs, créer
une alternative viable et acceptable à l’eurocentrisme est
le défi intellectuel le plus important de notre temps.
L’une
des stratégies employée pour réduire l’alarme suscitée
par Black Athena parmi
les specialistes de la Grèce et du Proche-Orient ancien a
consisté à éprouver et à réfuter les details de son
argumentation, pour ensuite, d’un air artier, se retirer du
débat. L’autre manière de s’en sortir, et que je
préconise chaleureusement, est de continuer le travail dans
l’esprit du projet de Martin Bernal, mais avec des moyens
considérablement accrus en termes de personnel, de disciplines
impliquées, de finances et de temps, et de voir ou cela nous
mènera: bien au-delà de la thèse de Black
Athena, sans aucun doute. Mais avec des
questions nouvelles et stimulantes, vers une nouvelle
comprehension du monde ancien, et mieux équipés pour notre
futur global.
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[1] Cette article est une version un peu élaborée de la traduction française, de la main de François-Xavier Fauvelle-Aymar, d’une version anglaise (van Binsbergen, 1998), qui est elle-même une version raccourcie de W. van Binsbergen (1997a).
[2] M. Lefkowitz et G. M. Rogers (eds., 1996).
[3] M. Bernal, Black Athena (1987, 1991).
[4] M. Bernal Black Athena Writes Back (sous presse).
[5] J. Berlinerblau (1999).
[6] C.-à-d. Fauvelle-Aymar c.s., 2000, éd., Afrocentrismes, où la présente version française fût publiée pour la première fois.
[7] M. Bernal ( 1975).
[8] M. Bernal (1987). pp. xii et sqq.
[9] Sur l’Athéna égyptienne de Hérodote, voir Histoires, II 28, 59, 83, etc. Plus généralement, sur la dette religieuse des Grecs vis-à-vis de l’Égypte, voir Histoires, II 50 sq. L’identification de Neith avec Athéna n’était pas limitée a Hérodote, mais était partagée par l’ensemble du monde antique gréco-romain.
[10] J. Berlinerblau (1999), pp. 93 et sqq., spéc. p. 105, essaie de montrer que l’importante réaction suscitée par Black Athena doit être attribuée au fait que son auteur soulève implicitement les problèmes centraux de notre époque: la lutte des minorités identitaires, le multiculturalisme, la théorie postcoloniale, la découverte de la nature hégémonique des connaissances nord-atlantiques, la sociologie et la politique des connaissances en général, etc. Cela n’est cependant guère convaincant, car Bernal n’identifie que très rarement ces débats, leurs auteurs et leur fondements épistémologiques et philosophiques.
[11] Pour l’esquisse d’une telle défense, cf. van Binsbergen, W.M.J., 2000, ‘Le point de vue de Wim van Binsbergen’, in: Autour d’un livre. Afrocentrisme, de Stephen Howe, et Afrocentrismes: L’histoire des Africains entre Egypte et Amérique, de Jean-Pierre chrétien [ sic ] , François-Xavier Fauvelle-Aymar et Claude-Hélène Perrot (dir.), par Mohamed Mbodj, Jean Copans et Wim van Binsbergen, Politique africaine, no. 79, octobre 2000, pp. 175-180.
[12] Cf. Berlinerblau (1999) dans un chapître (VII) ironiquement entitulé ‘The academic Elvis’ -- mettant l’emphase sur la critique afrocentriste selon laquelle Bernal ait approprié des idées noirs, tout comme Elvis Presley, en son temps, se trouvait accusé d’avoir approprié, en tant que Blanc, un style musicale noire.
[13] Parmi les études savantes qui, en dehors du débat sur Black Athena, ont insisté sur la continuité essentielle entre les civilisations du Proche-Orient ancien et la Grèce, voir S. N. Kramer ( 1959); O. Neugebauer ( 1969); C. Gordon ( 1962); C. H. Gordon ( 1966); J.B. de C.M. Saunders (1963); M.C. Astour (1967); J. Fontenrose (1980). Ces approches ont revivifié l’antique adage latin « Ex oriente lux » qui, pour Bernal, contient en raccourci l’« ancien modèle » d’une dette de la Grèce -- et de l’Europe entière -- vis-à-vis du Proche-Orient; adage qui fut rejeté par les Lumières: « C’est du Nord aujourd’hui que nous vient la lumière » (Voltaire, lettre a Cathérine II, 1771 ).
[14] De façon parlante, Bernal admet avoir d’abord sous-estimé la signification de ce cri de ralliement Voir Black Athena, vol. II ( 1991), p. 66.
[15] M. Liverani (1996), p. 423.
[16] M. Bernal, « Review of ‘‘Word Games: the linguistic evidence in Black Athena‘‘, Jay H. Jasanoff and Alan Nussbaum », in M. Bernal (sous presse).
[17] Voir par exemple ce que Bernal appelle lui-même la « troisième distorsion », de son travail, qui concerne précisément ce point. M. Bernal (1993; 1997) et Black Athena. II ( 1991), pp. 523 et sqq.
[18] Voir W. van Binsbergen ( 1997b).
[19] M. Bernal. Black Athena, I, (1987), p. 489, note 59.
[20] R. Palter ( 1996a). Nous reviendrons plus loin sur les critiques de Palter.
[21] B.G. Trigger (1995), p.93; (1992).
[22] Plusieurs numéros thématiques de revues internationales ont été consacrés au débat sur Black Athena: M. M. Levine et J. Peradotto (eds. 1987); Journal of Mediterranean Archaeology ( 1990), vol. 3, n° 1; Isis ( 1992) vol. 83, n° 4; Journal of Women’s History (1993), vol. 4, n° 3; History of Science (1994), vol. 32, n° 4; Vest Tidskrift for Vetanskapsstudier ( 1995), vol. 8. n° 5; Talanta: Proceedings of the Dutch Archaeological and Historical Society, vol. 28-29.
[23] G. Bowersock (1989).
[24] R. Palter ( 1996b), pp. 350-351.
[25] S. Morris ( 1996), pp 173-174.
[26] M. Lefkowitz ( 1996b), p. 20.
[27] P. Cartledge ( 1991).
[28] B. G. Trigger ( 1980; 1989).
[29] B. G. Trigger (1992).
[30] R. Palter (1996b), pp. 388 et sqq.
[31] E. Hall (1996).
[32] M. Bernal, Black Athena, I (1987), pp. 433 et sqq.
[33] S. Morenz (1969).
[34] G. M. Rogers ( 1 996); F. Snowden ( 1996); C. L. Brace et al. ( 1996); J. Baines ( 1996).
[35] J. Baines (1996), p.39.
[36] J. D. Muhly (1990).
[37] M. Bernal, Black Athena, I (1987), p. 381.
[38] Voir aussi J. Berlinerblau (1999), pp. 93 et sqq., qui offre une excellente discussion de la question des paradigmes dans l’oeuvre de Bernal, insistant sur la grande différence entre Kuhn et Bernal -- différence ignorée par ce dernier.
[39] 37 J. Baines ( 1996), p. 42.
[40] 38. R Jenkyns (1996), p.413; J. Baines (1996), p.39
[41] R Jenkyns ( 1996), p. 412; J. Baines ( 1996), p. 44. voir aussi M. Lefkowitz Not out of Africa (1996).
[42] Sur Kant. Goethe et Lessing, voir R. Palter ( 1996b); R. Jenkyns ( 1996). Sur Herder, voir R. E. Norton ( 1996).
[43] J. H. Blok ( 1997). dont une version plus courte est J. H. Blok ( 1996).
[44] Voir W. Fauth ( 1977).
[45] Voir A. Egberts ( 1997).
[46] Les sources ne sont tout de même pas tout a fait vierges. Voir R. B. Brown ( 1975); E. Cline ( 1990).
[47] Voir A. Evans (1909); J.G.P. Best (1997); F.C. Woudhuizen (1997); W. van Binsbergen (1997); et aussi H. Teissier (sous presse). A la lumière de F. C. Woudhuizen (1997), il serait tentant d’amender le dernier argument pour accorder un peu plus de credit a l’idee d’une influence égyptienne large et directe sur la Crète du deuxième millénaire. Cependant, la discussion que je mène dans la deuxième partie de Global Bee Flight à propos des cultes liés aux abeilles en Méditerranée orientale (y compris le culte de Neith en Égypte ancienne), doit d’abord être incorporée dans l’argument de Woudhuizen avant que je puisse envisager de réviser mon propre argument de 1997.
[48] M. Bernal. Black Athena, II ( 1991), chap. XI.
[49] M. Bietak ( 1992).
[50] Bernal, M., 1997, ‘Response to Arno Egberts’, in: van Binsbergen, W.M.J., 1997, ed., Black Athena: Ten Years After, Hoofddorp: Dutch Archaeological and Historical Society, special issue, Talanta: Proceedings of the Dutch Archaeological and Historical Society, vols 28-29, 1996-97, pp. 165-171.
[51] M. Bernal, Black Athena, I (1987), p.484, note 141. Comme le fait remarquer J. Berlinerblau (1999) p. 213 notes 29-30, Bernal donne parfois des statistiques bien différentes sur ce point.
[52] M. Bernal (1997).
[53] Pour une vue d’ensemble, voir M. Bernal (1997), ainsi que l’index de W. van Binsbergen (1996-1997, ed.), dans lequel j’ai compilé un nombre considérable de mots grecs pour lesquels Bernal propose une étymologie afro-asiatique (égyptienne ou ouest-sémitique).Voir aussi les sources Internet suivantes: « lien hypertexte http://www-ctp.mit.edu/~alford/semit.html; « lien hypertexte http://www-ctp.mit.edu/~alford/égypt.html ».
[54] W. van Binsbergen (1997b). Voir aussi A. Lambropoulou (1988).
[55] Voir aussi J. M. Davison ( 1987).
[56] Voir J. Fontenrose (1980), pp. 139, 244, 253 n. 48. Bien entendu, la déesse Anat était établie dans le pantheon égyptien des l’époque des Ramessides. Voir H. Bonnet (1952). pp. 37 et sqq.
[57] Mais pas complètement. Voir les critiques de J. Blok (1997); R. Palter (1996b); R. Jenkyns ( 1996); R. E. Norton ( 1996).
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