Corse
Le président-candidat est aujourd'hui dans une ile qui,
selon lui, doit conserver un statut particulier, mais il promet
pour toute la France de revoir l'ensemble de l'architecture des
responsabilités publiques : « Les Français
doivent davantage participer aux décisions »
Jacques Chirac se rend aujourd'hui en Corse où il prononcera deux discours, le premier à Bastia et le second à Ajaccio. À la veille de sa venue, il a accordé un entretien à notre titre sur sa vision de l'avenir de l'ile mais aussi sur le grand chantier de la décentralisation...
« Votre discours décentralisateur plaide pour une nouvelle organisation administrative afin de rapprocher le citoyen du pouvoir local : cela n'exige-t-il pas la révision de la Constitution que vous refusez à la Corse ?
- Je propose une révision de la Constitution qui vaudra pour toute la France et qui permettra à l'Assemblée de Corse d'exercer pleinement ses nouvelles responsabilités dans le cadre du statut particulier de l'Ile. Ce que je refuse, c'est de m'engager dans des processus dont la fin ultime serait de faire sortir la Corse de la République ou d'appliquer en Corse une autre loi que celle votée par le Parlement de la République.
La clé du renouveau de notre démocratie, c'est de revoir pour toute la France l'ensemble de l'architecture des responsabilités publiques pour que les Français participent davantage aux décisions et que celles-ci soient prises au bon niveau. Mais cette évolution devra respecter deux exigences fondamentales : une exigence d'unité et une exigence d'égalité entre tous les Français. Notre unité est une force incomparable.
Elle exprime l'identité profonde de la Nation française, qui est une République une et indivisible. L'exigence d'égalité est également essentielle. Il ne s'agit pas de refouler la diversité française mais de refuser que les Français aient des droits différents d'une région à l'autre. Le processus de Matignon mettait ces principes en danger et c'est la raison pour laquelle le Conseil constitutionnel l'a censuré sur plusieurs points. Si la France veut rester une grande démocratie, elle doit lancer la révolution de la démocratie locale et construire la République des proximités. Cela suppose, bien sur, une ambitieuse réforme constitutionnelle. Mais celle-ci - et c'est bien la différence avec le processus de Matignon - concernera l'ensemble des régions, et non une région particulière que ce processus plaçait progressivement en marge, puis en dehors de la République.
- Vous admettez néanmoins le retard de la France dans ce domaine par rapport à d'autres pays d'Europe mais vous refusez de suivre leur exemple s'agissant de l'autonomie qu'ils accordent à leurs régions ou iles ?
- Pas du tout. Il est normal de tenir compte de la situation géographique de la Corse, de son histoire et des besoins spécifiques liés à son développement dans son cadre national, européen et méditerranéen. La Corse gardera évidemment son statut particulier et j'ai approuvé l'extension des compétences de l'Assemblée territoriale prévue par la loi de 2002, à l'exclusion des dispositions contraires à notre pacte républicain, contre lesquelles j'avais mis en garde le gouvernement socialiste.
Donner des pouvoirs législatifs à une assemblée régionale, ce serait accepter que les Français n'aient pas les mêmes droits partout en France. En quoi cela pourrait-il être un progrès pour les Corses ?
- Bon nombre de parlementaires corses qui vous soutiennent avaient opté pour un nouveau statut politique de l'Ile avec ces nouvelles prérogatives d'ordre législatif et réglementaire : vous fermez donc définitivement cette porte ?
- Il me semble que les esprits ont assez sensiblement évolué sur cette question précise et que les enjeux sont aujourd'hui mieux appréciés. L'exercice d'une certaine forme de pouvoir réglementaire pour les régions et pour la Corse en particulier est constitutionnellement envisageable. En revanche le pouvoir législatif exercé par le seul Parlement ne peut être fractionné sous peine d'atteinte à l'unité de la Nation.
- Tiendrez-vous les engagements pris pour 2004, notamment sur la constitution d'une assemblée de Corse unique pour délester le paysage administratif insulaire de ses pesanteurs ?
- Je respecterai les dispositions de la loi que j'ai promulguée le 22 janvier 2002 et, comme je vous l'indiquais à l'instant, j'engagerai sans tarder une grande réforme pour notre démocratie locale. Les pesanteurs administratives ne sont pas propres à la Corse. Le dépoussiérage, nécessaire, doit concerner l'ensemble de nos collectivités et donner plus de souplesse à notre organisation territoriale. Au terme de la révision constitutionnelle que je proposerai l'ensemble français sera modernisé, régénéré, revivifié.
- Un référendum en Corse n'étant pas juridiquement possible, n'existe-t-il pas d'autres voies pour avoir l'opinion des Corses sur tout ce qui se trame en leur nom alors qu'ils sont confinés au silence ?
- Les Corses vont avoir d'ici un mois l'occasion de s'exprimer plusieurs fois. Ils auront ainsi la possibilité d'envoyer un message clair sur leurs intentions et sur la manière dont ils envisagent le futur pour leur région. Il y aura ensuite d'autres rendez-vous électoraux, notamment en 2004 avec les élections territoriales. Quant à la réforme des rapports entre l'Etat et les collectivités locales elle sera soumise à un référendum national et elle étendra les possibilités de référendums locaux, dans le respect des compétences de chaque collectivité. Autant de possibilités de s'exprimer sur le développement de l'ile.
- Vous avez évoqué l'idée d'inscrire la Corse dans l'espace européen et méditerranéen. Doit-on s'attendre à une initiative de votre part ?
- Il faut que la Corse inscrive son développement dans une triple perspective : sa place au cur de notre République, les partenariats européens et son horizon méditerranéen. La Corse doit pouvoir tirer profit de sa géographie exceptionnelle. La solidarité nationale comme les partenariats européens doivent le lui permettre. Au-delà, le destin méditerranéen de l'Ile est à nourrir concrètement de nouvelles coopérations avec les autres iles italiennes, grecques ou espagnoles.
- Votre opinion sur les dispositions fiscales et économiques prévues par la loi ?
- Je les avais souhaitées et elles vont dans le bon sens. Ceci dit, je regrette l'abandon du système de la zone franche mis en place par le gouvernement Juppé et qui avait produit de bons effets. Quant aux modalités du crédit d'impôt, elles sont loin de faire l'unanimité et je demanderai un rapport précis sur leur efficacité afin, si besoin est, de les compléter et de les ajuster. »
Jean-Marc RAFFAELLI.
Mardi 16 Avril 2002