Euro
Chaque classe recevra des affiches, billets et pièces factices, cahiers d'info, vidéo, etc. La question de l'euro n'est pas seulement d'ordre mathématique
EPA
"Ce matin, Julien a acheté quatre pommes à 15 francs pièce à l'épicerie. Quelle somme d'argent a-t-il dépensée?". Problème classique du début de l'enseignement primaire. Quand, à l'ère de l'euro, ces pommes coûteront 0,3718 , le même énoncé sera drôlement plus compliqué.
Dans le secteur de l'enseignement aussi, l'arrivée de la monnaie unique va secouer quelques habitudes, entre autres pédagogiques. L'heure n'est cependant pas au branle-bas de combat. Nombre d'enseignants n'intégreront réellement l'euro dans leurs cours qu'à partir de la rentrée prochaine. «L'école vit au rythme de la société», constate André Elleboudt, coordonnateur «Europe» au sein du Secrétariat général de l'enseignement catholique.
Et puis, ce n'est qu'en septembre que toutes les écoles fondamentales et secondaires du pays recevront le «kit» conçu à leur intention par la Communauté française, en collaboration avec le Commissariat général à l'euro et la Banque nationale.
Chaque classe recevra des affiches, billets et pièces factices détachables, cahier d'information pour le prof, vidéo (dans le fondamental), etc. Les enseignants ont accès à une journée de formation à l'euro. Et un réseau de conférenciers est à la disposition des écoles. En 1998-99 déjà, l'opération «Eurotribu» avait sensibilisé les écoles via des revues, dossiers pédagogiques, concours créatifs
ÉLARGIR LE DÉBAT
Liberté pédagogique oblige, chaque école, voire chaque enseignant aborde (ra) l'euro dans sa classe si, et comme il l'entend. A l'automne, une circulaire ministérielle devrait leur souffler quelques pistes pédagogiques. Et les inviter à aller «plus loin que le jeu de conversion et le seul aspect marchand de l'euro, en abordant des aspects culturels et sociaux», explique Stéphane Vreux, au cabinet du ministre de l'Enseignement fondamental.
Auteur de l'ouvrage didactique «Vaincre les difficultés de l'euro» (Labor, collection «Vaincre»), Toussaint Pirotte ne dit pas autre chose: «Le problème de l'euro n'est pas seulement d'ordre mathématique: il doit intégrer les dimensions géographiques, scientifiques, historiques, sociales». Il serait bon d'appréhender l'euro dans une démarche collective.
Ce sont d'ailleurs les élèves, par leurs questions, qui mènent leurs enseignants sur la voie de l'interdisciplinarité, comme en témoigne Nadia Moro, institutrice à l'école communale Arc-en-ciel à Forest. «On a découpé des pièces et des billets factices pour jouer au magasin il est important pour les enfants de pouvoir les manipuler, de voir les couleurs et les dessins. Ce sont eux qui ont voulu aller plus loin. Ils posent beaucoup de questions sur l'euro. Ils ont apporté spontanément de la documentation. On a resitué les pays de l'Union sur une carte, on a discuté de ceux qui ont accepté d'entrer dans l'euro, etc.». La classe a également confectionné une ligne du temps «euro». «C'est quand on va manipuler les deux monnaies en même temps, qu'on va galérer», note l'enseignante.
En outre, il lui faudra sans doute aborder les nombres décimaux plus tôt que d'habitude. Actuellement, on les évoque en général à partir de la 3e ou 4e primaire, et on les fixe en 5e; en 1re et 2e, on introduit seulement les nombres de 1 à 100, les unités et les dizaines, que l'on apprend à manipuler en jouant au «magasin». «Avec l'euro, note Stéphane Vreux, il deviendra difficile de jouer avec les références traditionnelles: des pommes, des bonbons, des billes Jouer avec 100 euros? A cet âge, il est difficile de se représenter une telle somme».
Autre souci pour les écoles: le remplacement des manuels «périmés» encore que le primaire fait grand usage de cahiers pédagogiques à usage unique. Aucun budget n'est prévu par la Communauté française à cet effet.
L'euro a aussi ses avantages. Il donne, constate un enseignant, un point de comparaison immédiat: «un pain coûte X euros au Portugal, autant en Belgique, etc».
LES PETITS AIDERONT LES ADULTES
Si un effort particulier est réalisé à l'attention des enfants, c'est qu'ils «servent de relais vers les adultes. Ce sont eux qui, dans une large mesure, vont «recycler» les adultes», note Toussaint Pirotte. Son ouvrage, destiné aux enfants de 10 à 14 ans, est en fait surtout lu par leurs parents.
© La Libre Belgique 2001
Savoir plus
L'euro, d'un âge à l'autre
Tel est le titre de «l'expérience
intergénérationnelle» menée en 2000
avec succès par trois écoles: Sacré-Coeur
à Visé, Institut Saint-Joseph à Saint-Ghislain,
Institut Saint-Roch à Marche. Un bel exemple d'intégration
de la monnaie unique dans les cours, note André Elleboudt
(Segec). Dans le cadre de stages en maison de repos, des élèves
de section professionnelle «auxiliaires familiales et sanitaires»
ont pris le pari d'apprendre l'euro aux personnes âgées.
Cette démarche didactique supposait qu'ils aient, au préalable,
bien appréhendé la monnaie unique et son contexte.
Les enseignants, après s'être eux-mêmes (in)formés,
ont intégré l'euro dans les différents cours,
jouant la carte de l'interdisciplinarité. Pour leur projet,
les élèves ont opté pour la voie ludique.
Ils ont (ré)inventé une série de jeux dans
lesquels les personnes âgées ont appris à
manipuler l'euro: Loto, Le juste prix, Europoly L'expérience
s'est révélée positive pour les élèves,
les personnes âgées et les profs qui ont notamment
élargi le débat à l'histoire de l'Europe,
l'Union aujourd'hui. «L'arrivée de la monnaie
unique est un élément ponctuel qui permet l'ouverture
d'un plus large débat sur l'Europe», note André
Elleboudt. «L'élargissement de l'Union en fournira
une autre occasion». (S.L.)
© La Libre Belgique 2001
Le passage à la monnaie unique va-t-il entraîner une modification des habitudes de consommation? Il est difficile de le dire avec certitude à ce stade
Johanna de Tessières
Le passage à l'euro réveille la crainte d'un nouveau «bug». Non pas informatique cette fois-ci, comme pour l'an 2000, mais bien psychologique. Doit-on par exemple s'attendre à voir les consommateurs réfréner leurs dépenses le temps de s'accoutumer à la nouvelle devise, ou simplement par crainte de se faire arnaquer? Ou, au contraire, peut-on prévoir une augmentation sensible de la consommation alimentée par le phénomène de «l'illusion monétaire», qui est cette impression subjective qu'en euros, tous les produits sont moins chers. Diverses études ont été diligentées pour tenter de répondre à ces questions. Aucune ne permet de dire avec certitude ce qui va se passer.
Pour bien comprendre la difficulté d'anticiper l'attitude du public, il faut rappeler, à la suite du Commissariat général à l'euro (voir le site www.bnb.be), que nous utilisons notre «système de référence» dans deux directions. Soit comme «échelle de valeurs», soit comme «échelle de prix». En prenant connaissance du prix d'un bien, nous pouvons lui donner une place dans notre système de référence. Si l'on évoque le prix de 2 millions de FB pour une voiture, nous savons tout de suite à quelle catégorie elle appartient, parce que nous connaissons la valeur d'autres véhicules. Nous utilisons dans ce cas notre système de référence comme «échelle de valeurs».
A l'inverse, nous pouvons aussi estimer la valeur d'un bien par analogie. Pour cette raison, nous n'accepterons pas de payer 400 F pour un cramique, tout simplement parce que nous savons plus ou moins ce que vaut un pain ordinaire. Dans ce cas-ci, nous utilisons notre système de référence comme «échelle de prix».
Avec l'euro, ce système de référence, qui s'appuie sur ce qu'on pourrait appeler la «monnaie de naissance», va devenir d'un coup caduc. Avant de reconstruire un nouveau système à partir de la monnaie unique, le consommateur reviendra systématiquement aux francs belges pour pouvoir utiliser son système de référence habituel. Toute la question est donc de savoir combien de temps durera cette période transitoire.
ÉQUATION À PLUSIEURS INCONNUES
«Le rapport à l'argent est déterminé individuellement, en fonction de critères parfois très personnels comme la nature des relations avec les parents, etc.» , explique Thierry Vissol, chef d'unité à la Commission européenne et responsable du projet «Euro facile». «Si une diversité d'attitudes existe, on peut toutefois isoler deux grandes tendances: la tendance à l'avarice et la tendance à la dépense. Chaque individu navigue entre ces deux extrêmes, le milieu étant occupé par les gens qui ont un rapport «normal» à l'argent, soit grosso modo la moitié de la population.»
Un profil avare aura tendance à freiner sa consommation en regardant d'abord son salaire, qui a lui aussi été divisé par 40; alors que le profil dépensier se focalisera davantage sur le prix des biens (la fameuse «illusion monétaire»), ce qui l'incitera à dépenser plus. «Toutes conditions égales par ailleurs, les deux devraient s'équilibrer, ajoute l'expert. Mais le problème, c'est que d'autres facteurs interviennent, qu'on ne maîtrise pas. Exemples: quel est la part des «avares» et des «dépensiers» parmi les «pro-euro», les «anti-euro» et les indifférents? Et quel est le pouvoir d'achat moyen de chacun de ces groupes? Si les «anti-euro» ont un pouvoir d'achat élevé, leur méfiance à l'égard de la nouvelle devise pourrait se faire sentir bien plus fort sur l'économie.»
Thierry Vissol se veut pourtant rassurant. S'il admet le risque d'un cafouillage au début, il est convaincu qu'il se résorbera rapidement. La principale interrogation concerne donc la durée de la phase d'adaptation. «Pour qu'elle soit la plus courte possible, il n'y a qu'une solution: informer les populations.» Un message reçu cinq sur cinq semble-t-il par les autorités belges, qui viennent de lancer une vaste campagne de communication (voir encadré).
© La Libre Belgique 2001
Savoir plus
L'euro en campagne
Le meilleur moyen de vaincre
les craintes du public à l'égard de l'euro, c'est
encore de l'informer. Le Service Fédéral d'Information
(SFI) vient ainsi de lancer une vaste campagne de communication
comportant plusieurs volets. À côté des spots
radios diffusés depuis le 28 mai, et qui rappellent que
«l'euro, c'est notre affaire à tous», le SFI
a également mis en place un
site Internet et une ligne d'information gratuite (0800.1.2002).
Un dépliant reprenant tout ce qu'il faut savoir pour passer
à l'euro sans entrave, complète cet arsenal. Il
sera disponible dans tous les bureaux de poste, ainsi que dans
les écoles et les organismes bancaires. Enfin, jusqu'à
la date fatidique, le 28 février 2002, le SFI diffusera
dans l'Horeca des cartes Boomerang et des sets de tables ludiques.
Pas de doute, la bataille de l'euro a bel et bien commencé.
(L.R.)
Citoyens et commerçants seront quelque peu désarmés à l'arrivée de l'euro. Mais la loi, adaptée, les protégera davantage
EPA
Côté pile, la manne européenne va s'abattre bientôt sur les banques, nationales et autres, sur les transporteurs de fonds et autres institutions dédiées au numéraire. On l'a déjà vu : de grandes manoeuvres sont prévues, à cet égard. Mais qu'en est-il côté face ? Quelles armes sont prévues pour défendre les citoyens et les commerçants ? Ils vont aborder le passage à l'euro avec peu de repères, pour l'identification des pièces et des billets neufs, et avec moins encore l'habitude de les manipuler. La relative ignorance des débuts va donc sans doute favoriser les faux-monnayeurs. De plus, l'utilisation des billets contrefaits pourra dépasser le cadre d'un unique territoire national, les contrefacteurs étant à même d'écouler les faux dans quinze pays, voire davantage par la suite. Dans une telle perspective, la plus grande prudence est donc de rigueur.
Lorsqu'on évoque le volet «sécurité» inhérent à cette mutation avec la Banque nationale de notre pays, le mur a donc, évidemment, la couleur du «secret défense». Tout au plus accepte-t-on d'y avancer que les billets seront - ce n'est pas nouveau chez nous - d'une très grande sophistication technique, afin de limiter au maximum les risques de contrefaçon. La moindre des choses...
Il est vrai que les aigrefins sont déjà à l'oeuvre. Ainsi, une première alerte a sonné en Allemagne, où la police berlinoise vient d'apprendre que des faux-monnayeurs planchent - mot choisi - sur le sujet. Un autre fléau est encore plus concret, celui des escrocs à la petite semaine qui frappent à la porte de personnes âgées, considérées comme plus crédules et donc plus vulnérables, pour leur proposer d'échanger les «anciens» billets contre des euros fallacieusement promis pour «plus tard», sur la base de règlements inexistants. Nul doute que, d'ici quelques mois, de tels faits divers viendront encore défrayer la chronique.
LÉGISLATION ADAPTÉE
Ceci étant, des mesures législatives particulières ont été proposées sous la forme d'un projet de loi du 7 décembre 2000, à la suite d'une décision-cadre prise au niveau de l'Union européenne. Le projet «a été adopté par le Conseil des ministres et a ensuite, comme d'habitude, été envoyé au Conseil d'Etat. S'il n'y a pas de problème de ce côté», vient-on de nous indiquer au cabinet du ministre de la Justice, Marc Verwilghen, «il passera au Parlement sans difficulté, pensons-nous, et, dès qu'il sera paru au Moniteur, il entrera naturellement en vigueur». Ce projet apporte des adaptations de trois ordres au code pénal.
Période transitoire.
Il s'agit d'abord de protéger la monnaie dans la période transitoire car, juridiquement, une ambiguïté subsistait : l'euro n'entrait pas avec clarté dans le cadre des monnaies protégées parce que, ayant certes cours légal, il n'est pas matériellement en circulation. Or les nouvelles dispositions prévoient que les contrefacteurs d'une monnaie non émise mais ayant cours légal pourront être poursuivis.
Peines accrues. Dans un souci de dissuasion adéquate et proportionnée, le projet de loi accroît les peines prévues pour la contrefaçon et la falsification de la monnaie (au maximum de 15 à 20 ans de réclusion, de 5 à 10 pour la contrefaçon des moyens de production, de 15 jours à 6 mois pour la simple tentative) et, de plus, rend la tentative de mise en circulation de faux billets ou de fausses pièces punissable dans tous les cas, c'est-à-dire également - nouveauté - par le possesseur de fausse monnaie dont le vice est connu par lui, même s'il était néanmoins de bonne foi au moment où il l'a reçue.
Modernisation. Enfin, le projet modernise le code pénal quant aux moyens mis en oeuvre par les faussaires. Ainsi, outre ce qui était déjà prévu, il vise tout objet ou procédé, matériel ou non - par exemple des programmes informatiques... - permettant la contrefaçon. Posséder un logiciel qui peut servir (mais ne peut servir qu') à l'impression de valeurs sera donc punissable. A bon entendeur...
© La Libre Belgique 2001
Le passage à l'euro est particulièrement difficile pour les sourds et les aveugles, et de l'avis des groupes néerlandais représentant leurs intérêts, les fausses pièces développées pour les aider à se familiariser avec la monnaie ne sont «pas assez vraies».
«L'introduction d'un élement aussi essentiel à la vie quotidienne qu'une nouvelle monnaie est un sujet très complexe pour les personnes avec un handicap», souligne la Fédération néerlandaise des aveugles et malvoyants (FSB).
La FSB, soutenue par la Fédération néerlandaise des handicapés, CG-Raad, plaide ainsi pour une campagne d'information efficace visant à préparer sourds et aveugles à l'obstacle principal auquel ils font face : se familiariser avec la nouvelle monnaie avant son introduction et reconnaître les faux billets.
Une telle campagne est cependant compromise par la législation européenne. «Il y a deux manières d'aborder une telle campagne : en utilisant de vrais pièces, ou en utilisant de fausses pièces. Mais seule la première option sera efficace», explique un porte-parole du CG-Raad, Ronald Bezemmer. «Or la législation européenne et la Banque centrale des Pays-Bas s'opposent à ce que de vraies pièces soient distribuées avant le 1er janvier 2002», ajoute-t-il.
Les Pays-Bas comptent entre 10 et 15.000 sourds, et 625.000 malvoyants, dont 20.000 sont aveugles. Conscient de l'existence de problèmes spécifiques, le ministère néerlandais des Finances, conseillé par différents groupes d'intérêts, a d'ores et déjà lancé une série de mini campagnes d'information ciblées pour eux.
Sur le site internet de la campagne d'information, on trouve ainsi des spots dans lesquels des Néerlandais de tous âges expliquent l'euro dans le langage des signes. Pour les aveugles, le ministère a créé une brochure en braille et des cassettes audio. «Cela n'est pas suffisant», relève M. Bezemmer. «Les sourds et les aveugles doivent suivre un entrainement spécialement conçu pour eux».
Les malentendants «ne reçoivent qu'une toute petite partie des informations que vous et moi recevons par le biais de spots publicitaires traditionnels», explique-t-il. Les aveugles «doivent se familiariser avec de nouveaux bords et de nouvelles cannelures sur les billets et les pièces de monnaie. Et pour cela il faut du temps», rappelle la FSB. «Nous sommes donc tous partisans d'une distribution, avant le 1er janvier 2002, de vrais pièces et de vrais billets d'euros parmi les personnes handicapées», ajoute-t-elle.
Le ministère a tenté de contourner l'interdit européen en confectionnant une malette contenant un faux exemplaire de chaque pièce et billet euro. Malheureusement, selon la FSB, «au touché, les modèles expérimentaux ne ressemblent pas suffisament aux vrais billets et pièces».
Le 8 mai dernier, la Commission européenne a annoncé son intention de délivrer à travers les pays de l'UE participant à l'euro 37.000 sets de fausses pièces euros afin de permettre aux sourds, aveugles et handicapés mentaux de se familiariser avec la nouvelle monnaie. «Une bonne initiative. Mais ce sont toujours de fausses pièces», estime M. Bezemmer. «Nous allons continuer de discuter avec la banque centrale pour obtenir des vraies pièces».