Europe
Romano Prodi joue la glasnost
Le patron de la Commission a tenu parole. Son courrier est désormais accessible à tous. Mais les eurodéputés et la nouvelle présidence suédoise exigent bien davantage...
Thierry Zweifel, Bruxelles
le 11 janvier 2001
«Monsieur le Président...» Quand un commerçant grec écrit au patron de la Commission européenne pour se plaindre des taxes sur l'ouzo, il ignore que sa lettre va tomber dans le domaine public. Depuis le printemps dernier, la correspondance externe de Romano Prodi est en effet accessible à tout un chacun. Lors de sa nomination, l'ancien président du Conseil italien avait promis de jouer la carte de la transparence. Il en allait de sa crédibilité après les petits secrets et les grandes défaillances de feu la Commission présidée par Jacques Santer. «On pourra tout consulter, les lettres, les fax, les courriers électroniques», annonçait fièrement Romano Prodi devant un Parlement européen buvant du petit-lait.
Le registre existe. Romano Prodi, à défaut d'imposer son leadership, a tenu sa promesse de transparence, et la mention de la missive postée à Athènes occupe un petit coin du site Internet des institutions européennes. Les amateurs de révélations croustillantes en sont toutefois pour leurs frais. La première déception vient de l'impossibilité de consulter le contenu des lettres en ligne. Seuls figurent le nom de l'expéditeur, la date et une indication sur le thème de l'envoi. Pour en savoir plus, il faut adresser une demande et attendre patiemment l'expédition d'une copie par la poste.
Une recherche avec les mots clés «Suisse, Schweiz, Svizzera» fait apparaître une douzaine de documents. Mais aucune trace de VIP ou de sujets explosifs. Surtout des lettres de citoyens ordinaires et des réponses de hauts fonctionnaires qui remercient invariablement de «l'intérêt porté aux travaux de la Commission». Anne-Marie Gerkens, ancienne fonctionnaire européenne établie à Givisiez (FR), envoie ainsi la copie d'un pamphlet dénonçant violemment les accords bilatéraux. Outrée, elle se demande si «un des services de la Commission ne pourrait pas user du droit de réponse, par la TV, des communiqués, la radio et même Internet». Le secrétariat général de Prodi, dans une réponse type, se garde bien d'entrer en matière. Bernhard Beck-Hanck, de Weggis, a droit, lui, à une réponse circonstanciée à son indignation face aux sanctions qui frappaient l'Autriche. Un membre du cabinet se fend d'une page et demie d'explications sur le caractère bilatéral des sanctions engageant chacun des quatorze autres pays, mais pas la Commission européenne.
Le répertoire recense près de 10 000 courriers. Les requêtes émanent pour l'essentiel de journalistes, d'étudiants, d'entreprises et de ministères. En période de rush, «on enregistre cinq ou six demandes par jour, il y en a même qui écrivent d'Australie. Certains sollicitent vingt-cinq documents d'un coup...», explique Angela Weaver-Spoldi, unique fonctionnaire affectée au registre. Mais les consultations sont rares. «Le public ne sait même pas que ce service existe», regrette notre interlocutrice. Avant de donner un caractère public à l'échange de correspondance, la vestale du registre doit demander à l'auteur s'il accepte que son envoi soit dévoilé. Elle juge sa mission capitale: «On dit souvent que Bruxelles est loin de tout, détachée des citoyens, là on voit que ce n'est pas vrai.»
Pour le Parlement européen, la timide glasnost présidentielle est largement insuffisante. Elle devrait s'appliquer à tous les domaines de l'activité communautaire, y compris les plus sensibles. Javier Solana, haut représentant de la Politique extérieure et de sécurité, a fait l'expérience de l'intransigeance des eurodéputés. Le Parlement a porté plainte devant la Cour de justice contre sa décision d'interdire l'accès aux documents concernant la Défense.
Les adeptes de la transparence peuvent se prévaloir du traité d'Amsterdam. Celui-ci, sous la pression des pays scandinaves, a reconnu un droit d'accès aux documents des institutions. La rédaction de la directive d'application donne actuellement lieu à une épreuve de force, dans laquelle le Parlement se bat pour abréger et préciser la liste des exceptions. «C'est le plus grand débat du moment, il permettra de définir la manière dont les citoyens perçoivent les institutions européennes», estime l'eurodéputé britannique Michael Cashman, président de la Commission des libertés et des droits des citoyens.
La Suède, qui endosse la présidence tournante de l'Union européenne, luttera pour l'application la plus ouverte possible du droit d'accès. La ministre des Affaires constitutionnelles, Britta Lejon, a lancé un premier avertissement: «Je m'oppose aux exceptions pour des catégories entières de documents.» Il faut dire que la Suède n'a pas attendu Internet pour inventer la transparence administrative. Elle la pratique depuis plus de deux cents ans.