La Langue française menacée ?

La langue française est-elle menacée ?
Une émission d'Idées, en collaboration avec la revue "Entrevues"

Le Français va-t-il mourir ? C'est la question posée dans cette émission, tant il est vrai que beaucoup de voix s'élèvent pour dénoncer les périls qui guettent notre langue: néologismes obscurs, impropriétés, barbarismes, fautes de syntaxe, invasion du "franglais", renouveau des langues régionales, que sais-je encore...!

L'avenir de notre langue, sa défense, sa conservation, est en effet une question importante. Parce que nous la parlons, certes. Et que nous entendons, loin de tout intégrisme, continuer à le faire. Mais aussi parce que nous pensons à tous ceux qui, dans le monde, maintiennent vivante la pratique du français, parfois au prix d'un grand effort, que ce soit en Afrique, en Asie, ou au Moyen-Orient. Et s'ils le font, c' est parce que la langue française est non seulement la langue des chefs-d'uvre, mais aussi la langue de la liberté.

Une étoile qui risque de disparaître

Elle a été, rappelait récemment Jean-Marie Rouart dans le Figaro Littéraire, et est encore la lumière qui aide à vivre sous les chaînes. Là-bas, réciter des vers de Racine, de Victor Hugo, de Baudelaire, c'est s'affranchir, se libérer, retrouver les valeurs universelles qu'expriment notre culture et notre langue.  

© integral concept - Philippe Délis

Et Jean-Marie Rouart de conclure : il est triste de voir les Français rester en dehors du débat qui touche leur langue, alors que les francophones tiennent comme à la prunelle de leurs yeux à ce français qu'ils ont appris à aimer. Pour ces francophones, ne n'est pas seulement une langue et un pays qui s'éloignent. C'est une étoile qui risque de disparaître.

Pour évoquer le présent et l'avenir possible du français : Philippe de Saint Robert et Claude Duneton. Ancien commissaire général à la Langue française, membre du Haut Conseil de la Francophonie, Philippe de Saint Robert est président de l'Association pour la sauvegarde et l'expansion de la langue française. Et il vient de coordonner le numéro 8 d'"Une certaine idée", revue publiée sous l'égide du RPR, autrement dit du "Rassemblement pour la République". Titre de ce numéro : "Le défi de la langue française". Claude Duneton, lui, est comédien, lexicologue et romancier. Ecrivain féru du "parler croquant", on lui doit bon nombre de livres passionnants : "Parler croquant", publié en 1973, chez Stock, "La Puce à l'oreille" sorti en 1978, ou encore le "Guide du français familier", paru au Seuil en 1998. Sans oublier, bien sûr, sa monumentale "Histoire de la chanson française".


LA LANGUE FRANCAISE EN COLERE

A l'instigation de quelques parlementaires, dont M. Jacques Myard, et de plusieurs associations de défense de la langue française, s'est tenu le 23 février 2000, à l'Assemblée nationale, en présence de plus de trois cents personnalités, un grand " métinge " auquel le SNCS-FSU s'est associé. Comme vous pourrez le lire ci-dessous, Jean-Paul Terrenoire est intervenu en notre nom dans le sens de la lettre que nous avions fait parvenir à Lionel Jospin, premier ministre, au mois de juillet dernier (cf. BI n°438, du mois d'octobre 1999).

A l'évidence, la communauté scientifique est directement concernée par une série de conformismes, de complaisances, de résignations ou d'abandons qui sont autant de motifs à scandale car ils mettent en péril notre capacité effective à exprimer nos travaux dans notre propre langue et contribuent à fragiliser la culture scientifique française dans l'espace national comme dans le monde.

LANGUE FRANÇAISE : CHRONIQUE D'UNE MORT ANNONCEE

La langue française est-elle vouée à devenir à la longue une langue morte à l'image du latin ou du grec ancien ? La crainte est légitime quand les signes alarmants se multiplient dans le domaine scientifique comme dans la sphère économique, et quand ils se manifestent non seulement dans les échanges internationaux mais au sein même de l'espace national.

A l'instar de ce qui s'est passé pour la monnaie européenne, les Français sont pressés d'adopter l'anglais non pas comme langue commune, mais comme langue unique, quand ce n'est pas comme deuxième langue nationale, au risque d'une marginalisation, voire d'une disparition de leur langue maternelle.

L'unilinguisme, est une cause avérée d'appauvrissement de la langue et de la pensée alors que, à l'inverse, le plurilinguisme est source de nuances, de subtilités et de richesses dans l'analyse comme dans l'expression. De plus, dans le domaine scientifique, l'adoption d'une langue unique tend à restreindre à terme le pluralisme théorique et méthodologique. Les scientifiques français ou francophones doivent-ils devenir les sous-traitants des écoles de pensée nord-américaines marquées pour la plupart par une approche empiriciste éminemment réductrice dont les affinités électives avec l'idéologie libérale dominante sont attestées ?

Il faut le constater avec consternation : nombreux sont ceux qui s'engagent dans cette voie sans vergogne, qu'il s'agisse des dirigeants des grandes entreprises du secteur public et du secteur privé ou encore des plus hauts responsables des pouvoirs publics.

Pourtant les bonnes paroles prononcées par Lionel Jospin lors de son récent séjour au Canada pouvaient nous rassurer. Le premier ministre avait, en effet, insisté sur l'importance qu'accordait son gouvernement à la défense et à la promotion de la langue et de la culture françaises dans le concert mondial. Cette prise de position qui n'intéressait pas seulement notre pays mais l'ensemble de la francophonie, était la bienvenue au moment où l'usage du français connaissait une éclipse préoccupante dans certaines institutions internationales.

Par ailleurs, il y a cinq ans, lors de la campagne électorale, Lionel Jospin avait été l'une des rares personnalités politiques, sinon la seule, à s'inquiéter du fait qu'il devenait de plus en plus difficile de publier en français des travaux de physique, de chimie ou de biologie (cf. Pour sauver la recherche, discours prononcé le 5/04/1995 dans l'amphithéâtre L. Weil à Grenoble). Soucieux du rayonnement de la contribution française au développement des connaissances scientifiques, Lionel Jospin soulignait à cette occasion la relation étroite qui s'établissait, selon lui, entre francophonie et francophilie.

La question qui vient immédiatement à l'esprit est de savoir si la pratique des pouvoirs publics confirme les bonnes intentions du premier ministre ? Hélas, la réponse est non. C'est même tout le contraire qui s'offre sous nos yeux. Ainsi, quatre faits récents ont provoqué notre colère :

- le rapport Attali dont le Ministère de l'Éducation nationale s'inspire allègrement pour la réforme de l'Enseignement supérieur en France, ne fait aucune allusion à l'importance et au rôle de l'espace francophone international et, tout en insistant sur la nécessité du développement de l'usage de l'anglais, ne fait aucune proposition pour le développement de la langue française dans notre pays et à l'étranger.

 - les deux projets de réforme du Centre national de la recherche scientifique conçus par le président du Conseil d'administration de l'établissement à la demande de M. Allègre, font passer aux oubliettes toute référence aux obligations de l'organisme en matière de défense et de promotion de la langue française, obligations qui figurent dans l'article 2 du décret n° 82-993 du 24 novembre 1982 portant sur l'organisation et le fonctionnement du CNRS.

- la décision récemment communiquée aux chercheurs de l'Assistance Publique des Hôpitaux de Paris et de l'Institut Pasteur voulant que lors de l'évaluation de leur activité scientifique ne seraient prises en compte que leurs publications en langue anglaise. Frisant le ridicule et faisant preuve de la plus grande duplicité, les responsables de ces organismes et M. Courtillot, directeur de la recherche au Ministère de l'Éducation nationale lui-même, affirmaient tranquillement que les chercheurs ne se verraient pas interdire de publier en français.

Quand on sait, par ailleurs, qu'au CNRS, lors du recrutement ou des promotions des chercheurs, le jury d'admission, une instance nationale et interdisciplinaire, a tendance à agir dans le même sens au détriment des candidats relevant de disciplines ou des sous-disciplines pour lesquelles ce genre de critère linguistique n'a guère de sens ou n'en a pas du tout. C'est le cas pour une part des sciences du vivant et, sauf exceptions, pour les sciences de l'homme et de la société.

Au demeurant, l'abandon voulu ou subi du français portera tort à toutes les disciplines scientifiques qui ne pourront plus, à terme, non seulement écrire mais également penser dans leur langue et leur culture d'origine et développer des connaissances en rapport avec les conditions historiques, sociales et culturelles de leur élaboration. Partant, seront rendues difficiles, voire impossibles, toute compréhension réelle et toute portée pratique de leurs contributions au savoir.

En effet, il faut se souvenir de la conception de la langue telle qu'on la trouve chez le théologien allemand Friedrich Schleiermacher qui avait abordé les problèmes de la traduction et chez le linguiste genevois Ferdinand de Saussure, conceptions bien établies aujourd'hui. Pour l'un comme pour l'autre, chaque langue est un ensemble de signes, de concepts qui font système parce qu'ils s'appellent, s'unissent, se complètent ou s'opposent. Ce qui rend délicat et souvent mutilant le passage d'une langue à l'autre.

Or, nous, scientifiques, avons vocation à manipuler les concepts et les termes qui leur sont associés avec la plus grande rigueur. Nous ne pouvons, par conséquent, cautionner la construction de sabirs sans racines culturelles et la promotion de jargons abstraits tels que nous les voyons surgir dans divers champs de la pratique : statistiques européennes, informatique mondiale, communication

Il n'est pas besoin d'être grands clercs pour mesurer les effets pervers de la normalisation conceptuelle et critériologique véhiculée par ces langages à prétention universelle. Ni la pensée scientifique, ni ses prolongements pratiques n'y trouvent leur compte. Le cas est patent dans le domaine des statistiques européennes relatives au chômage et à la précarité. A vouloir bâtir une critériologie unique sans tenir compte des particularités des États membres, les technocrates de Bruxelles en viennent à attribuer une réalité à des élucubrations sans fondements rationnels, privant ainsi les décisions politiques de toute pertinence et de toute portée réelle.

De plus, ces langages universels qui n'ont que des rapports lointains avec l'anglais ou l'anglo-américain, ces versions modernes du volapük, contribuent, paradoxalement, à l'enfermement des milieux scientifiques qui en usent, alors que l'on prétend grâce à eux dépasser les frontières et supprimer les ghettos.

Cet enfermement inéluctable a pour conséquence d'élargir le fossé qui sépare la communauté scientifique de la population scolaire, la société civile, les responsables politiques, les associations et les citoyens.

Veut-on creuser plus encore la fracture culturelle et instaurer une société à deux vitesses ? Les uns, possédant l'anglais, étant assurés d'avoir un accès plus aisé aux connaissances scientifiques, les autres en étant définitivement exclus.

Scientifiques soucieux de diffuser largement le savoir que nous avons acquis, nous ne voulons pas être coupés dans notre pays des jeunes générations, et dans la communauté francophone de ceux qui partagent notre langue et notre culture.

Nous ne sommes pas prêts à nous contenter de lamentations. Par ailleurs, nous savons que la solution ne passe pas par le simple appel à la bonne volonté des scientifiques. La collectivité nationale doit s'engager. Nous exigeons donc une véritable politique visant à promouvoir le français dans notre domaine d'activité. Et nous ne sommes pas avares de propositions à ce sujet. Ainsi, nous attendons des moyens budgétaires et des mesures pratiques pour permettre aux universités et aux organismes publics de recherche d'assumer leur mission vis à vis du français grâce :

* au soutien de l'édition scientifique, des publications (ouvrages et revues) et des réalisations audiovisuelles en langue française ;

* au soutien des communications et des échanges en français dans les colloques scientifiques organisés dans notre pays et à l'étranger ;

* à l'aide aux traductions ;

* au renforcement des bibliothèques généralistes et spécialisées dans l'espace francophone ;

* à la protection et au développement du français dans les instances et dans les manifestations internationales ;

* à l'amélioration de l'accueil en France des étudiants, des enseignants et des chercheurs étrangers (bourses, conditions d'hébergement, commodités administratives, mesures d'équité et de solidarité sociales) ;

* au dégagement de moyens concrets à destination des unités d'enseignement ou de recherche invitant régulièrement des collègues étrangers pour des séjours de moyenne ou de longue durée.

C'est à ces conditions que sera préservée et accrue la capacité de la science française à s'exprimer librement dans notre langue et sera mieux garanti l'avenir du français dans le domaine scientifique et bien au-delà.

Jean Paul TERRENOIRE

 Manifeste adopté à l'unanimité à l'issue du grand métinge

Nous refusons toute légitimité à quelque ordre juridique " supranational " ou quelque autorité économique, militaire ou politique que ce soit, qui ferait obstacle au droit inaliénable du peuple français ou de ses représentants de parler leur langue, dans tous les domaines d'activité.

Nous exigeons pour ce faire l'organisation d'un référendum pour que la Nation manifeste sa volonté de parler sa langue et renforce les dispositions actuelles de la loi sur l'emploi de la langue française.

Nous réclamons que la Francophonie mette la diffusion de la langue française au cur de ses préoccupations, que les candidats à l'adhésion développent l'enseignement et la pratique du français dans leurs pays et enfin quela francophonie ne serve pas d'alibi au renoncement au rôle international de la langue française

Nous demandons des sanctions exemplaires contre les fonctionnaires français en cas de désertions linguistiques, notamment contre ceux qui représentent la France dans divers organismes, réunions ou sommets internationaux

Nous voulons une politique linguistique dotée de moyens appropriés, permettant à tous les citoyens de vivre et travailler en français.

Nous appelons les Français, à se mobiliser pour entreprendre toutes formes d'actions légales, économiques politiques ou culturelles pour promouvoir le français.

Nous invitons tous les Français à acheter en priorité les produits des entreprises qui respectent la langue française, de préférence à ceux des entreprises qui la désertent dans leurs activités de production, de commercialisation et de communication.

Francophone, halte à l'abandon !

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