La Langue française menacée ?
Du haut Moyen Âge au début du XVIIe siècle, le français passe lentement de l'état de langue du vulgaire (ou vernaculaire) à celui de langue égale en dignité au latin.
Cette maturation est jalonnée de repères, dont deux méritent d'être cités : 842, date du Serment de Strasbourg, premier texte écrit en français; 1539, date de l'édit de Villers-Cotterêts, par lequel François Ier fait du français la langue administrative et judiciaire commune à l'ensemble du royaume, en remplacement du latin.
Au début du XVIIe siècle, cette langue est encore en pleine évolution, très fluctuante sur certains points : verbes passant d'une conjugaison à une autre (recouvrer/recouvrir), genre des mots non fixé, morphologie flottante (hirondelle, arondelle ou erondelle), prononciation variable.
Si le XVIe siècle s'accommodait de ces variantes et flottements, la tendance au XVIIe siècle est à l'unification dans un langage « moyen », qui soit compréhensible par tous les Français et par tous les Européens qui adoptent de plus en plus souvent le Français comme langue commune.
Ce dessein, exprimé par le poète Malherbe, est repris par de nombreux grammairiens et gens de lettres (Vaugelas), qui se rencontrent pour uvrer en ce sens.
Le pouvoir royal, à travers le gouvernement de Richelieu, y voit un des instruments de sa politique d'unification du royaume à l'intérieur et de son rayonnement diplomatique à l'étranger.
L'Académie française est donc créée en 1635, pour conférer un poids officiel aux travaux des grammairiens.
La mission confiée à l'Académie est claire : « La principale fonction de l'Académie sera de travailler, avec tout le soin et toute la diligence possibles, à donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences. » (Article 24 des statuts.)
Cette mission doit se traduire par la rédaction de quatre ouvrages : un dictionnaire, une grammaire, une rhétorique et une poétique ; seul le Dictionnaire sera réalisé par l'Académie. Les autres points du programme seront remplis en dehors d'elle, par des ouvrages qui, à leur manière, feront autorité. La Grammaire et la Logique dites de Port-Royal, uvres de Lancelot, Arnauld et Nicole ; la Rhétorique ou l'art de parler du P. Bernard Lamy.
La première édition de ce Dictionnaire (1694) répond à la mission fixée à l'Académie et témoigne d'un souci de compromis entre l' « ancienne orthographe », influencée par l'étymologie, et une orthographe fondée sur la parole et la prononciation, que prônent les réformateurs du temps.
L'orthographe, tout en restant attachée à l'étymologie, est l'objet de nombre de simplifications : suppression de certaines consonnes étymologiques (mud > mu), distinction du i et du j, du u et du v, restriction de l'usage de l'y, usage encore timide des accents (accent aigu sur é pour es, accent circonflexe pour marquer la disparition d'une consonne, comme dans voûte [voulte], etc.).
Par ailleurs, tout au long du XVIIe siècle, les membres de l'Académie, chacun dans sa spécialité, contribuèrent par leurs ouvrages à conférer un grand prestige européen à la langue définie par Vaugelas et la jeune Compagnie : Corneille, Boileau, La Fontaine, Racine, Bossuet....
Les grammairiens et autres connaisseurs de la langue, académiciens ou non (Vaugelas, La Mothe Le Vayer, Ménage, Bouhours), ont publié des études ou des recueils se rapportant à des questions de langage.
En 1637, l'Académie est même chargée, à la demande de Richelieu, d'arbitrer la « Querelle du Cid ». Elle rend alors des avis sur la structure dramatique de la pièce de Corneille, mais aussi sur son style.
Enfin, dès la fin du XVIIe siècle, l'Académie commence à remplir une autre mission visant à illustrer la langue française : la remise de prix littéraires. En 1671 sont attribués pour la première fois un prix d'éloquence et un prix de poésie.
Aux XVIIIe et XIXe siècles se poursuit, dans l'esprit des premiers académiciens, l'uvre de défense et d'illustration de la langue. Les éditions successives du Dictionnaire, par les modifications qu'elles apportent, achèvent de façonner la langue telle que nous la connaissons aujourd'hui.
Les membres de l'Académie (Montesquieu, Marivaux, Voltaire, d'Alembert, Chateaubriand, Lamartine, Hugo, Vigny, Musset, Nodier, etc.) continuent à honorer et à illustrer la littérature française.
L'Académie accroît peu à peu le nombre des prix littéraires qu'elle décerne pour récompenser des talents.
A la fin du XXe siècle, c'est une autre tâche qui attend l'Académie.
La langue a atteint la plénitude de ses qualités, qui en ont fait depuis deux siècles le langage des élites du monde entier.
Le rayonnement de la langue française est menacé par l'expansion de l'anglais, plus précisément de l'américain, qui tend à envahir les esprits, les écrits, le monde de l'audiovisuel.
Le développement de l'anglais est souvent favorisé par l'irruption des nouvelles techniques, le développement accéléré des sciences, le rapprochement inouï que permettent les médias et les autres moyens de communication, tous facteurs qui bousculent le vocabulaire traditionnel et imposent à marche rapide l'adoption de nouveaux mots.
Le 4 août 1994 est votée la loi relative à l'emploi de la langue française (dite « loi Toubon »), qui favorise l'emploi du français dans les inscriptions, les documents publics ou contractuels, les services publics, les congrès, les médias, etc.
Dans cet esprit, un décret ministériel du 3 juillet 1996 a institué une nouvelle Commission générale de terminologie et de néologie, ainsi que des commissions spécialisées de terminologie et de néologie. L'Académie est membre de droit de ces commissions chargées de forger des mots nouveaux et de recommander des mots français à la place de l'anglais, et son aval est requis avant toute adoption définitive de ces mots.
Par ses remarques, ses mises en garde, par l'accroissement de la nomenclature de son Dictionnaire, par sa participation aux commissions de terminologie et de néologie, l'Académie poursuit son uvre régulatrice de la langue et s'efforce de donner forme aux évolutions nécessaires, en gardant à l'esprit son rôle multiséculaire de « greffier du bon usage » de notre langue.