E nvironnement
«Ça pue, ça fait du bruit, ça n'avance pas» A cette litanie s'ajoute généralement l'évocation d'un souvenir de vacances hexagonales entaché d'un nuage de fumée noire émanant d'un pot d'échappement. «Ce ne sont plus des tracteurs!», rétorquent invétérés du diesel, constructeurs ou observateurs de la chose automobile. Quelques avancées technologiques et une communication ciblée font avancer la cause. Même en Suisse. Même sans incitation fiscale. Depuis trois ans, la croissance des ventes de voitures fonctionnant au gazole est propulsée par un taux à deux chiffres. Pour les quatre premiers mois de cette année, le nombre de voitures neuves dans cette catégorie a crû de 52,6%, alors que le marché se contente d'un petit 2,6% d'augmentation. Il est certes plus facile d'atteindre une telle performance au démarrage. Il n'empêche: ce sont désormais quelque 10% des voitures nouvellement immatriculées et 4% du parc automobile suisse qui roulent au diesel.
En Europe, l'an 2000 affichait un joyeux 11% de progression, alors que le parc diesel avoisine les 30%, dépassant même 50% dans des pays comme l'Autriche ou la Belgique. Ainsi, pour atteindre une vitesse de croisière concurrentielle sur le continent, certains constructeurs comme Honda ou Ford ont mis le turbo dans leur développement diesel.
Qu'est-ce qui a poussé la propre Helvétie à s'encanailler? La technologie bien sûr. Des progrès que vient provisoirement stimuler un aiguillon économique: comme l'an dernier à pareille époque, le litre de diesel est moins cher à la pompe que la sans-plomb. «Cette situation s'explique par un facteur saisonnier, détaille Philippe Cordonier de l'Union pétrolière. Le diesel a toujours été plus cher pour une question d'offre et de demande. Mais à l'approche de l'été, en raison de la "driving season" aux Etats-Unis, la demande en essence est plus forte que celle du diesel, son prix monte donc plus rapidement. Un effet encore renforcé ces dernières années par le manque de capacités américaines de raffinage et la hausse du dollar.» Pour les consommateurs qui cherchent à freiner leurs dépenses de carburant, le diesel a un autre argument dans le moteur: il consomme moins. Mais le véhicule est plus cher à l'achat.
En Suisse, le gazole n'a jamais bénéficié d'incitations fiscales contrairement à ce qui se passe dans de nombreux pays européens producteurs ou ayant cédé au lobby poids lourds qui eux roulent à 99% au diesel. La cause essentielle: ses atteintes à l'environnement et à la santé. Aujourd'hui, tout le monde s'accorde pour saluer l'arrivée de l'injection directe selon les techniques du «common rail» (Peugeot et d'autres) ou de la «Pumpe Düse» (VW) qui a permis une baisse de la consommation de carburant. Surtout depuis que les importateurs ont raté pour plus de la moitié l'objectif fixé par Berne qui était une réduction de 15% des émissions de CO2 pour les voitures de tourisme entre 1996 et 2001. Signe cependant encourageant, selon l'Association des importateurs suisses d'automobiles (AISA): l'an dernier on a frisé les 3% de baisse réglementaires. L'Association Transport et Environnement (ATE) secoue la tête et, fâchée par l'inefficacité des mesures volontaires, réclame une baisse de 8% par an ainsi que des mesures contraignantes. Respecter Kyoto signifie, rappelle-t-elle, faire passer la consommation annuelle des véhicules nouvellement immatriculés de 8,4 l/100 km, comme c'était le cas l'an dernier, à 4,5 litres/100 km d'ici 2010.
Dans ce cadre, le diesel a donc un rôle à jouer. Mais il traîne encore quelques handicaps liés à sa composition chimique, dont un de taille: ses suies. Les véhicules dégagent des particules hautement cancérigènes et favorisant les maladies respiratoires. Peugeot a fait un pas dans l'élimination de ce défaut rédhibitoire: la pose d'un filtre à particules. Pour l'heure, un seul modèle en est équipé, mais le constructeur de Sochaux promet l'arrivée sur le marché de petites cylindrées dûment pourvues.
Ce coup d'accélérateur vers la propreté est toutefois freiné par le coût de l'opération. Bien sûr. Mais aussi, selon l'ATE, par «l'insuffisante sévérité des dispositions sur les émissions». A défaut de loi, la concurrence entre constructeurs pourrait jouer son rôle incitatif. Mais surgit un autre obstacle: le soufre. «Cette matière ne se consume pas dans les moteurs et nuit au bon fonctionnement des filtres à particules», résume Rudolph Blessing, ingénieur à l'AISA. La solution? Moins de soufre dans le carburant. On en prend la direction. L'Allemagne montre le chemin avec des mesures incitatives. En Suisse, une motion favorisant le «sans-soufre» a déjà voyagé dans les travées du Palais fédéral: on prépare son application. Quant à une différenciation fiscale de l'essence et du diesel: une nouvelle intervention parlementaire la réclame, rappelle Roger Evéquoz, de l'Office fédéral de l'environnement. Or, tant que la diffusion des filtres ne sera pas généralisée, tant que demeurent les atteintes à la santé, elle a, comme les précédentes, peu de chances d'aboutir. Pour satisfaire aux normes environnementales européennes (et donc suisses), les constructeurs roulent plus ou moins vite dans plusieurs directions: l'injection directe certes mais aussi les piles à combustibles ou les voitures hybrides. Car au bord de la route veille la loi sur le CO2 munie de ses taxes. Et, peu soucieux de cette chasse aux émissions, les consommateurs cèdent encore trop facilement aux charmes des grosses gourmandes.
«Leonardo Spécial»,
«Guide pour l'achat écologique d'une voiture, Tableau
comparatif de l'ATE», 2001.