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Les policiers en colère (la Libre)

Sécurité quotidienne : le Parlement durcit le ton (Nice Matin)

Insécurité, le marché qui fait boum Hebdo

 

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Les policiers en colère
AFP - Mis en ligne le 10/11/2001

AFPDeux mille officiers de police environ ont manifesté samedi en fin de matinée à Paris, à l'appel du Syndicat national des officiers de police (SNOP), pour protester contre leurs conditions de travail, après la fusillade de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis).

Sous les slogans "tir au pigeons, Vaillant démission", "du blé pour les poulets" ou "l'Etat nique ta police", les officiers de police ont démarré leur cortège au Châtelet et pour défiler jusqu'à Bastille.

Beaucoup de manifestants, parmi lesquels on relevait la présence d'un Bobby britannique, portaient des cartons autour du cou sur lesquels étaient inscrits ces slogans, sur fond de cible de tireur.

Les policiers en ont appelé au Premier ministre en criant "Jospin ta police est au plus mal", ou au ministre de l'Intérieur avec le traditionnel "Vaillant t'es foutu, ta police est dans la rue".

Très catégorielle à l'origine, cette manifestation à l'appel du SNOP, majoritaire dans ce corps de 15.000 fonctionnaires, a été recentrée sur la fusillade de Saint-Ouen, où deux policiers ont été blessés mercredi soir, considérée comme la "goutte d'eau qui fait déborder le vase".

Après le drame du Plessis-Trévise (Val-de-Marne), le 16 octobre, où deux policiers ont été tués et un autre blessé au cours d'un cambriolage, la colère était montée d'un cran dans la police. Dans cette affaire, un truand multirécidiviste libéré par la justice, Jean-Claude Bonnal, avait été impliqué. Sa libération avait donné naissance à une vive polémique, notamment dans les rangs des officiers.

Mais les syndicats de police organisent dans la confusion les appels à manifester.

Une seconde manifestation a été annoncée vendredi pour le samedi 24 novembre, toujours à Paris, par l'UNSA-police, majoritaire chez les gardiens de la paix. Joaquim Masanet, son secrétaire général, réputé consensuel avec la direction de la police, a lancé un "appel à l'unité syndicale", suivi par les syndicats Synergie-Officiers et Alliance.

Parallèlement, ces deux organisations ont lancé dès jeudi un mot d'ordre de "service minimum" dans les commissariats, avec notamment des grèves de procès-verbaux. En revanche, le Syndicat national des policiers en tenue (SNPT), bien implanté en province, affilié à l'UNSA, s'est démarqué de celle-ci pour lancer une autre manifestation le 22 novembre, également à Paris, sur le thème "22, voilà les flics".

Pour compliquer le tout, le Syndicat général de la police (SGP-FO, troisième syndicat sur l'échiquier), a lancé lui aussi un appel au "service minimum", très large, consistant à n'assurer que les simples missions de secours. Ce trublion n'exclut pas d'organiser une journée "commissariats morts" et de lancer des manifestations de rue improvisées dans la capitale en direction des institutions.

Cette cacophonie suscite de vives réactions à la base, selon plusieurs délégués de ces organisations. "Il y a autre chose à faire que se bouffer le nez: deux collègues tués, trois autres blessés", dit l'un d'eux. "On se moque des règlements de comptes politiques entre dirigeants qui ne font que le jeu de l'administration".

Vendredi, le ministère de l'Intérieur a rendu publique une note d'information relative au budget de la police qui sera examiné à l'Assemblée nationale lundi. "Un effort sans précédent" est fait, dit le ministère, citant 3.000 emplois nouveaux, "un milliard de francs de plus" ou des "mesures catégorielles et indemnitaires doublées".

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Sécurité quotidienne : le Parlement durcit le ton


Les députés ont définitivement adopté, hier, le projet de loi, au terme de longs débats où la droite a défendu pied à pied ses amendements et dénoncé la « faillite » du gouvernement Jospin dans la lutte contre l'insécurité

Discussion animée et vote attendue, hier, à l'Assemblée nationale. En effet, PS, PRG et MDC ont voté pour, la droite et les Verts contre tandis que le PCF s'est abstenu.

Dans la matinée, le ministre de l'intérieur Daniel Vaillant avait ouvert la discussion en appelant à « l'unité nationale » face à « la menace terroriste » et à soutenir le dispositif gouvernemental, introduit dans ce texte fourre-tout à la suite des attentats du 11 septembre aux Etats-Unis.

De fait, la droite a mêlé sans états d'âme ses voix au PS, au PRG et au MDC pour voter ces mesures anti-terroristes.

Claude Goasguen (DL) a indiqué que l'opposition n'aurait pas « l'incivisme » de saisir le Conseil constitutionnel, « comme l'avait fait la gauche en janvier 1995 », sur ces mesures.

Délinquance des mineurs
Hormis ce court moment de consensus opposition-PS, les débats ont été marqués par de classiques affrontements sur la sécurité, donnant un avant-gout de ce qui sera l'un des thèmes majeurs de la campagne électorale de 2002.

Dans le droit fil des déclarations du président Jacques Chirac, qui avait dénoncé, le 14 juillet, le « manque de volonté politique » du gouvernement pour combattre l'insécurité, la droite a tiré à boulets rouges.

« Cette unité nationale que vous demandez » contre le terrorisme, « pourquoi n'êtes-vous pas capables de la faire sur des sujets comme la délinquance des mineurs ? », a demandé Henri Plagnol (UDF) tandis que Thierry Mariani (RPR) lançait : « Les Français vous censureront sur cette question. » La droite a défendu bec et ongles, mais sans succès, une multitude d'amendements visant à accroitre les pouvoirs du maire en matière de sécurité et à lutter « plus efficacement » contre la délinquance des mineurs, via une révision de l'ordonnance de 1945.

Le gouvernement a également du faire face aux attaques de Noel Mamère qui s'est élevé contre le « suivisme » sécuritaire d'une « partie de la gauche ». Ce texte, dont « l'électoralisme grossier n'échappera à personne », « repose sur une conception médiatique et politique de la lutte anti-terroriste », a dit le candidat des Verts à la présidentielle.

Le PCF s'est abstenu, estimant que le dispositif anti-terroriste devait être plus limité dans le temps.

Le texte encadre également les rave-parties, en soumettant ces rassemblements à déclaration préalable, faute de quoi le matériel de sonorisation pourra être saisi. Opposés jusque-là à cette mesure, un certain nombre de députés PS ont finalement fait volte-face, arguant des « dérives » constatées pendant l'été.

Jeudi 01 Novembre 2001
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Jeunes et violence
Insécurité, le marché qui fait boum

En vendant conseils et systèmes de surveillance, le secteur privé se mue en «gestionnaire» des désordres urbains. L'Etat deviendra-t-il son principal client?
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Par Cathy Macherel, collaboration Jean-Philippe Buchs
Le 30 août 2001
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La municipalité de Newham, dans l'Est londonien, dispose depuis 1998 d'un système de haute technologie pour traquer la délinquance. Grâce à Mandrake, c'est le nom d'un réseau de 150 caméras, la police a non seulement l'il sur tout ce qui passe dans les rues de ce secteur, mais elle peut repérer instantanément un individu fiché dans le catalogue central de la police. Equipée d'un logiciel de reconnaissance faciale, la caméra, en captant l'image de l'individu, fait la comparaison avec la photo figurant dans la banque de données policière et donne l'alerte le cas échéant. Aux Etats-Unis, la ville de Tampa vient de s'offrir, fin juin, le logiciel «Face it» («Fais face!»), joujou du même type pour surveiller son centre-ville.

«Big Brother vous regarde», écrivait George Orwell dans «1984», mais la réalité a depuis longtemps rejoint la fiction. Car la peur du crime et les politiques de «lutte contre l'insécurité» n'ont jamais fait aussi bien tourner le marché de la vidéosurveillance. En Europe, de plus en plus de villes investissent dans de tels dispositifs. La plupart des grandes cités françaises sont déjà équipées. Tout comme Bruxelles, Cologne ou Leipzig. Londres, à elle seule, dispose de 150 000 caméras. Au pays de Chapeau melon et Bottes de cuir, très libéral en la matière, un bus doté de neuf caméras sillonne même les rues pour y traquer le crime. Au-delà des gadgets, avec ses 2,5 millions d'appareils en service (300 000 pour le seul dispositif public), le Royaume-Uni compte le plus grand réseau de caméras du monde. Qu'importe si son efficacité est sujette à polémiques et si ce quadrillage urbain ne sert qu'à chasser la petite délinquance toujours plus loin, en périphérie des villes. Un budget annuel de 1 milliard de francs suisses est alloué à la maintenance du système public de surveillance. Depuis plusieurs années, le marché de la vidéosurveillance dans ce pays croit de 15 à 20%.

L'industrie de la sécurité a de multiples activités (prévention des accidents, des incendies, du crime,) et est plutôt avare de chiffres. Difficile donc de cerner les performances des segments qui concernent spécifiquement les activités anticriminelles. Basé à Paris, «En toute sécurité» est le seul analyste spécialisé du marché de la sécurité en Europe. Les résultats qu'il récolte chaque année auprès de 1500 entreprises actives dans le secteur donnent toutefois des tendances. Même s'il demeure très minoritaire sur le marché global de la sécurité ­ dominé par l'informatique ­, le chiffre d'affaires des services et des technologies susceptibles d'être appliqués à la prévention antidélinquance croît de manière constante depuis une décennie. En France par exemple, le chiffre d'affaires de la vidéosurveillance a augmenté de 10% chaque année en moyenne sur l'ensemble de la décennie écoulée. Ce créneau, uniquement en termes de nombre d'abonnés, pèserait aujourd'hui 3 milliards d'euros dans l'Europe géographique; quant au marché du gardiennage, il est estimé à 11 milliards d'euros.

La demande sécuritaire des entreprises représente toujours la grosse part du marché de la sécurité (70%). Mais un à un, les espaces publics ou semi-publics, rues, bus, trains, métros, aéroports, semblent aussi promis à la colonisation du marché de la surveillance. La sophistication des outils aidant, les missions de contrôle se complexifient. La façon de penser la sécurité dans les grands magasins est à ce titre révélatrice: les mesures prises ne servent plus seulement à combattre le vol; désormais, elles sont aussi là pour assurer l'ordre public. Comme l'affirme Christian Python, de Sécumag, spécialiste du conseil en sécurité auprès des surfaces commerciales en Suisse romande, «le centre commercial s'est transformé en un lieu de rencontre pour les jeunes. La surveillance s'y impose, car il est potentiellement devenu source, voire sciemment objectif, de violence.»

Dans la même veine, les stades et la menace du hooliganisme sont devenus dans nombre de pays européens un marché porteur pour les entreprises actives dans la vidéosurveillance et le gardiennage. «En France, la Coupe du monde de football en 1998 a bien sûr favorisé ce développement, mais le marché continue de croître en Europe, à raison de 20% par an», affirme Patrick Haas.

L'obsession du «100% de sécurité» et de «la tolérance zéro» non seulement fait marcher l'industrie de la surveillance, mais dynamise des secteurs technologiques dont les produits n'étaient pas directement liés aux activités anticriminelles. L'application de la biométrie (technique d'identification physionomie) dans la lutte antidélinquance des villes en est l'exemple le plus révélateur. Et les firmes actives sur ce segment savent bien que le créneau est porteur. «Notre business est construit sur le constat que, dans une société moderne, beaucoup d'actions quotidiennes requièrent une identification des gens qui les mènent», peut-on lire sur le site de Visonics, la société qui a vendu son logiciel à la ville de Tampa.

La branche de la sécurité anticriminelle a son rendez-vous privilégié des professionnels: Milipol. En novembre, ce salon international devrait accueillir à Paris 550 exposants. S'y côtoient autant les professionnels de la sécurité étatique que les petites entreprises spécialisées dans les alarmes pour particuliers. Ce segment n'est d'ailleurs pas le moins dynamique. Selon Patrick Haas, directeur de «En toute sécurité», la demande des ménages privés pour faire télésurveiller leur villa explose. «Ce marché est aujourd'hui comparable à celui des téléphones portables. Les sociétés se livrent une guerre sans merci sur les prix. Pour gagner des parts de marché, elles offrent carrément aux clients tout l'attirail de surveillance.» En France, comme en Suisse ­ selon les chiffres de Securitas Direct, à Lausanne ­, ce segment progresse de 20% par an. Pour son directeur, Luc Sergy, il ne fait aucun doute que la demande de sécurité de la part des particuliers auprès des sociétés privées de surveillance va continuer de croître: «Dans une certaine mesure, les sociétés privées comblent le terrain délaissé par l'Etat. Elles font tout ce que la police n'arrive plus à faire.»

L'Etat se désengage certes, mais cela n'empêche pas les gouvernements, qu'ils soient de droite ou de gauche, de promouvoir régulièrement la «lutte contre la délinquance» au rang de priorité politique. Un refrain repris cette semaine encore par le Parti radical suisse. Cette attitude influence à la hausse la demande sécuritaire et favorise aussi l'émergence des acteurs privés sur le marché. S'il demeure évidemment prestataire de service en sécurité publique, l'Etat devient aussi client de ces nouveaux acteurs.

Heureux experts

En France, la mise en place de la politique des Contrats locaux de sécurité, décidée par le gouvernement Jospin en 1997, a ainsi joué un rôle prépondérant dans le développement d'un véritable «marché public de l'insécurité». Devant l'échec de la seule stratégie policière menée dans les banlieues, l'Etat français a revu de fond en comble son approche. L'idée: mettre en place une politique de sécurité de proximité et qui privilégie l'éducation à la citoyenneté. Pour cela, chaque commune de France a été appelée à procéder à des diagnostics de la violence urbaine, puis à investir dans de nouvelles mesures.

C'est dans ce contexte que sont apparus les «entrepreneurs en sécurité», comme les appelle le sociologue Pierre Rimbert («La machine à punir», ouvrage collectif, Dagorno, 2001), venus proposer aux collectivités publiques audits de sécurité et solutions clés en main. Des dizaines et des dizaines de villes françaises ont ainsi fait appel aux services d'entreprises de «conseils en sécurité urbaine», telles Espace Risk Management ou AB Associates, dont le chiffre d'affaires a doublé en quatre ans.

Au-delà des petits profits de la politique locale de sécurité, c'est un renversement profond dans la manière même de considérer les problèmes de délinquance urbaine qui s'est opéré au cours de cette décennie. Dans les années 80, les sociologues tentaient encore «d'analyser un problème politique, économique et social, dont il fallait chercher les causes et les remèdes», rappelle Pierre Rimbert. Aujourd'hui, «l'expert balaie les causes et propose une approche gestionnaire des effets». Cette nouvelle vision des questions de sécurité entretient le doute, celui d'une confusion possible entre les intérêts de la recherche et ceux de l'économie. La polémique, en France, n'a pas manqué d'éclater.

Directeur d'AB Associates, Alain Bauer, le plus célèbre des experts français, ne se contente pas de vendre ses conseils. Sous la direction de Xavier Raufer, ex-militant d'extrême droite, il écrit aussi des livres. Des ouvrages dans lesquels il dresse un constat terrifiant de la délinquance en France et loue les méthodes américaines qui permettent «de gérer le crime, de réduire la peur, de préserver les victimes» («L'Amérique, la violence, le crime», PUF, 2000). Dans «Violences et insécurité urbaines», paru dans la collection «Que-sais-je» en 1998, il vante au passage les mérites de «l'analyse locale de sécurité». Plusieurs sociologues, dont Laurent Mucchielli («Violences et insécurité ­ Fantasmes et réalités dans le débat français», La Découverte, 2001), sont publiquement montés au front pour dénoncer ce qu'ils considèrent comme une criante dérive: comment ne pas s'insurger contre les analyses alarmistes de ces «experts» autopromus, lorsque ceux-ci sont avant tout des commerçants en sécurité?

La critique ne tombe pas à plat, tant le crédit accordé à ces experts et leur vision gestionnaire des problèmes de sécurité se seraient institutionnalisés au sein même de l'Etat français, selon Pierre Rimbert. L'Institut des hautes études de la sécurité intérieure (IHESI), créé en 1989 et placé sous la direction du Ministère de l'intérieur, «s'est imposé comme le centre de gravité de la recherche française sur les questions de violence et d'insécurité».»Or, selon Pierre Rimbert, c'est l'esprit de l'IHESI qui a poussé en France les approches anglo-saxonnes de la «gestion de l'insécurité» et fait naître, par des formations en «sécurité intérieure» n'ayant que peu de légitimité académique, cette nouvelle classe d'experts-gestionnaires. Influents au sein même de l'Etat-client, ces consultants sont on ne peut mieux placés pour tirer encore longtemps profit du marché de l'insécurité.


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