Pacs

 

Génération Pacs


PAR BERNARD DELATTRE, CORRESPONDANT PERMANENT À PARIS - Mis en ligne le 10/02/2002

Mesure la plus controversée de l'ère Jospin avec les 35 heures et la loi Guigou, le Pacte civil de solidarité a deux ans déjà. Au quotidien, les quelque 100 000 pacsés de France vivent ce nouveau type d'union entre satisfaction, frustrations et sérénité - loin en tout cas de l'hystérie qui a accompagné son adoption. Tranches de vie

TÉMOIGNAGE

Trois couples. Lionel et Nicolas: 30 et 25 ans, jardinier paysagiste et infirmier, habitant Marseille. Véronique et Jemil: elle 32 ans, éducatrice en banlieue parisienne, lui 29 ans, contrôleur aérien à Orly. Laurent et Laurent, enfin: 34 ans chacun, le premier fonctionnaire à la Ville de Paris, le second employé de banque. Ces trois couples, comme 50 000 autres environ dans l'Hexagone, sont unis par le Pacte civil de solidarité: ce fameux Pacs adopté définitivement par le Parlement français en octobre 1999 et entré en vigueur un mois plus tard, épilogue de 390 jours de débats fiévreux, de mémorables cacophonies à gauche comme à droite, et de manifestations houleuses - pour ou contre -, grosses chaque fois de dizaines de milliers de personnes.

Ces trois Pacs doivent chacun leur existence à un petit détonateur, très quotidien. Lionel et Nicolas souhaitaient faire un placement immobilier en achetant ensemble un studio. Véronique voulait bénéficier des billets d'avion à tarif réduit dont Jemil disposait grâce à son travail. Laurent, enfin, entendait se prémunir contre tout risque d'expulsion de l'appartement occupé par le couple si son locataire de conjoint venait à mourir. Mais leurs Pacs signifiaient évidemment bien plus que ces petits arrangements entre amis. `Pour moi, cela avait une grande valeur symbolique´, témoigne Nicolas: `C'était une manière de montrer à Lionel que notre relation m'était vraiment très importante´. Sourire radieux de l'intéressé, qui renchérit: `Cela nous responsabilisait l'un vis-à-vis de l'autre´. `C'était un geste d'amour´, complète Laurent. `Une démarche politique aussi: le signe de la reconnaissance de notre union par la société´.

Véronique et Jemil voulaient également `s'engager´ l'un envers l'autre, mais sans passer par le mariage. `Etant tous deux des enfants de parents divorcés, nous le mariage, on n'y croit plus trop´, explique Jemil. `C'est toi surtout, qui ne voulais pas en entendre parler!´, nuance Véronique, qui se dit elle-même `un peu plus vieux jeu´ sur la question. Finalement, les deux jeunes gens ont opté pour le Pacs. Sans craindre l'image de `sous-mariage gay´ véhiculée - fût-ce faussement, 60 pc des pacsés étant hétérosexuels - par les opposants à cette mesure? `Nous, on n'est pas entourés de cons´, réplique Véronique. `Aujourd'hui, le Pacs n'est plus du tout connoté gay´, assure Jemil. `Surtout, la philosophie du Pacs nous convenait beaucoup mieux que celle du mariage. Se jurer amour, fidélité et assistance pour toute la vie, cela m'a toujours semblé naïf, hypocrite ou insensé. En revanche, s'engager mutuellement à la solidarité pendant la période de la vie commune, cela me paraît beaucoup mieux´.

Commence alors, pour nos six jeunes gens pas du tout informés des démarches requises, le chemin de croix des formalités administratives. `Lourd, chiant´, résume Lionel. Survint ensuite le Jour J. A l'inverse des deux autres couples, qui eurent affaire à des fonctionnaires courtois et compétents, Lionel et Nicolas en gardent un mauvais souvenir. `Au tribunal de grande instance, on a signé notre Pacs dans une espèce de grenier´, se souvient Nicolas. `On a vraiment été traités comme des chiens. Il n'y avait pas de salle d'attente; il fallait donc faire la queue dans les escaliers. On avait l'impression de déranger. Quand cela a été notre tour, la greffière n'a pas levé le nez des documents qu'on avait dû apporter: on aurait dit qu'elle cherchait la petite bête, la moindre erreur. Finalement, on a signé, et on est partis. On n'a eu droit ni à un sourire, ni à un mot gentil. Cela nous a fait un drôle d'effet´.

Prévenus quasiment à la dernière minute du jour et de l'heure de leur rendez-vous au tribunal d'instance, nos trois couples n'ont pas fêté leurs Pacs en grande pompe. `On se disait que cela n'intéresserait personne´, se souvient Nicolas. `On ne voulait pas le grand tralala des mariages: les coups de klaxon, la grande foule, etc.´, explique Véronique. `On ne voulait pas singer le mariage´, justifie Laurent. Il n'empêche, si c'était à refaire, Lionel et Nicolas feraient la fête. Les deux Laurent, eux, ont décidé de la faire bientôt. A Paris, en effet, dans certains arrondissements, les pacsés peuvent solenniser leur engagement (y compris a posteriori) par une cérémonie officielle en la salle des mariages de la mairie. `Cela a un succès fou´, assure Laurent: `Il y a une grande demande, des familles notamment, pour ce type de cérémonies´.

La famille, justement, peut sortir transformée d'un Pacs. `Pour mes parents, cela a représenté un très grand changement´, témoigne Laurent. `Cela faisait huit ans que Laurent et moi étions ensemble, mais je sentais bien que mes parents ne nous faisaient pas confiance. Le fait qu'on ait conclu un Pacs les a complètement rassurés. Ils ont perçu cette démarche un peu conformiste comme une espèce de stabilisation. La reconnaissance de notre union par une autorité leur a aussi permis, à leur tour, de mieux accepter notre sexualité´. Mais `peut-être était-ce surtout le regard des autres qui les gênait´, suggère l'autre Laurent. `Sans doute´, poursuit notre interlocuteur. `Le battage médiatique fait autour du Pacs leur a permis de se rendre compte que nous n'étions pas seuls dans ce cas. Cela a vraiment dédramatisé leur perception de l'homosexualité. À la télé, ils ont vu qu'il y avait des tas de couples comme nous et que c'était finalement des gens comme tout le monde, loin de leur image caricaturale. Cette médiatisation leur a donc permis de casser leur peur qu'ils avaient de notre communauté. Avant le Pacs, mon père était homophobe, limite extrême droite. Je lui avais caché pendant des années mon homosexualité. Maintenant, chaque fois qu'il téléphone, il demande des nouvelles de Laurent. Et quand il vient à la maison, il lui fait la bise...´

Pour le reste, hormis l'un ou l'autre avantage ponctuel, nos six interlocuteurs conviennent que le Pacs n'a pas changé grand-chose à leur vie quotidienne et encore moins influencé leur relation amoureuse - `C'était très bien avant, c'est toujours très bien maintenant´, résume Nicolas. Tous les six, en revanche, s'irritent des discriminations accolées à ce statut. Pourquoi, le jour de leur union, deux pacsés ne peuvent-ils pas, comme deux mariés, bénéficier d'un congé voire d'une prime de leur employeur? Pourquoi doivent-ils attendre trois ans avant de bénéficier des avantages (fiscaux, notamment) liés à la vie en commun, mais perdent-ils dès la conclusion du Pacs les avantages liés au statut d'isolé? Pourquoi ces différences en matière de pension ou de droits de succession? `Ce deux poids, deux mesures avec les couples mariés est humiliant´, juge Lionel. `C'est inacceptable´, renchérit Laurent.

Et encore n'a-t-on pas abordé la question des enfants. `Lionel et moi, nous partageons le même désir d'élever un enfant´, explique Nicolas. `Nous sommes tous les deux stables et équilibrés. Nous formons un couple uni. Je ne vois pas en quoi l'on peut décréter d'emblée que nous serions de mauvais parents´. Et Laurent d'ironiser: `On interdit qu'un enfant soit élevé dans un couple gay qui s'entend bien, mais on tolère qu'il grandisse dans un foyer de divorcés qui se déchire et qu'il soit, comme je l'ai été, ballotté sans cesse entre son père et sa mère...´ Et l'argument selon lequel, pour être équilibré, un enfant doit à tout prix grandir dans un univers bisexué? `Bon sang, le monde d'un enfant ne se résume pas à sa seule cellule familiale!´, s'énerve le deuxième Laurent. `Si mon ami et moi avions un enfant, on ne le cloîtrerait évidemment pas 24 heures sur 24 dans un cocon à 100 pc masculin! Les gays vivent-ils sur une planète sans femmes? Non. Dès lors, cet enfant trouverait sans problème ses référentiels féminins dans notre entourage: auprès de nos amis, de nos parents, de nos collègues, de nos voisins, de leurs camarades d'école, etc.´.

Ultra-sensible donc, chez les gays, cette question de l'homoparentalité. Nos quatre garçons trouvent d'ailleurs d'autant plus saumâtre cette interdiction qui leur est faite d'adopter des enfants que, depuis plusieurs années en France, les célibataires, eux, ont le droit d'adopter. Théoriquement, nos quatre interlocuteurs pourraient parfaitement combler leur désir de paternité à coup d'hypocrisie et de dissimulation: en se `dépacsant´ avant d'adopter puis en se `repacsant´ après l'adoption... `C'est une situation complètement absurde´, juge Laurent, qui sur ce point, est suivi par un rapport parlementaire récemment consacré au Pacs, qui a très officiellement suggéré que la question de l'homoparentalité soit enfin abordée au Parlement. Mais Lionel Jospin freine des quatre fers. Le chef du gouvernement considère que le rôle du législateur est parfois d' `anticiper sur des évolutions´ de société mais jamais de `forcer´ celles-ci. Or, constate-t-il, cette question est encore `loin de faire l'unanimité´ dans la société.

Sans doute. Il n'en demeure pas moins que le public homosexuel n'est pas seul touché. `Le mariage reste à ce jour la seule formule juridique à 100 pc sécurisante pour les enfants et offrant des garanties totales pour chacun des deux parents´, constatent Jemil et Véronique. `Donc, quand on voudra des enfants, on sera obligés de se marier. Ce n'est pas normal. Pour les homos qui veulent adopter mais aussi pour les hétéros qui sont dans notre cas, il faudrait faire une loi qui organise la parentalité en dehors du mariage´. Mais Laurent se résigne. `Des gays adoptant des enfants? C'est encore le grand tabou. Il faudra encore cinq ou dix ans avant que cela bouge. Cela paraît à présent inimaginable à la plupart des gens´.

Inimaginable. Comme le Pacs, il y a cinq ou dix ans?

© La Libre Belgique 2002


Les homos pourront aussi se dire oui
An.H. (avec Belga) - Mis en ligne le 31/01/2003

La Chambre a approuvé le projet ouvrant le mariage aux personnes du même sexe. Les droits de filiation et d'adoption ne leur sont cependant pas reconnus.

La Chambre a approuvé, jeudi, par 91 voix contre 22 et 9 abstentions, le projet de loi ouvrant le mariage à des personnes du même sexe. Ont voté pour: PS, SP.A, Agalev, Ecolo, Spirit, VLD (Valkeniers s'est abstenu), CD&V (Van Rompuy, Van Parys et Goutry se sont abstenus), N-VA (Brepoels s'est abstenue). Au MR, il y a eu 6 pour (Bacquelaine, Simonet, Maingain, de Permentier, D'hondt, Chastel) et 9 contre (Herzet, Cahay, Barzin, Seghin, Coillard, Hondermarck, Lejeune, Van Overtveld, Bellot). Au CDH seuls Arens et Smets ont voté contre; Fournaux, Grafé, Lefèvre et Detremmerie se sont abstenus. Vlaams Blok et FN ont voté contre.

Après les Pays-Bas, la Belgique est donc le deuxième pays à dire oui au mariage homosexuel. Pour le ministre VLD de la Justice, Marc Verwilghen, ce projet répond à une évolution de la société qui n'accepte plus que le mariage soit interdit à certains en raison de choix sexuels; le mariage a perdu son caractère procréatif; il sert désormais essentiellement à extérioriser et confirmer la relation intime existant entre deux personnes.

Ni filiation, ni adoption

Sur le fond, le texte précise que le mariage de deux personnes du même sexe n'a pas d'effets en matière de filiation et d'adoption. C'est pourquoi le CD&V a marqué son accord. `Comme chrétiens démocrates, on estime que les couples homosexuels ont aussi droit à un engagement durable contracté publiquement. Ce mariage n'a pas de conséquences en matière de filiation et d'adoption. Sinon, la différence entre la réalité biologique et juridique serait trop grande ´, a exposé Servais Verherstraeten, député CD&V, applaudi par la majorité.

A l'inverse, socialistes et écologistes ont répété leurs regrets que l'adoption reste interdite aux couples homosexuels. `Malgré la valeur symbolique très importante de cette loi et le signal positif adressé à la communauté homosexuelle, il reste ce regret. C'est nier la réalité: nombre d'enfants sont élevés par des couples d'hommes ou de femmes. On garde une hypocrisie flagrante: une personne seule peut adopter mais pas un couple homosexuel´, a par exemple dit Karine Lalieux (PS). Intervention dans le même sens de Magda De Meyer (SP.A) : `Pour nous, le mariage homosexuel est un premier pas. L'adoption d'enfants par des personnes du même sexe reste en tête de nos priorités.´

Même écho sur les bancs Ecolo: `Il me paraît très dommage d'avoir amputé le mariage d'une partie de ses effets en réservant l'accès à la parentalité aux couples hétérosexuels´, a déploré la députée Ecolo Zoé Genot.

Le sujet reste délicat dans certains partis. Ainsi, le chef de file MR, Daniel Bacquelaine, a soutenu un projet `qui ne concerne que le libre choix de deux adultes responsables car il n'ouvre pas le droit à l'adoption´. Mais les réformateurs avaient décidé que chaque député s'exprimerait en conscience.

La loi entrera en vigueur le premier jour du quatrième mois qui suit celui au cours duquel elle sera publiée au `Moniteur´.

© La Libre Belgique 2003

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