Yfig

 

 

 

 

LE CHOIX DU PERE

Deuxième partie

 

 


1) Motivation :

" Je suis déçue, nous n'avons rien appris, ou presque sur notre père ! et moins encore sur nos origines familiales ! "

" Oui, Elise, je suis d'accord avec toi, nous n'avons retrouvé dans ses affaires que quelques lettres sans importance. Je n'ai pas fini d'éplucher les quelques documents que nous avons collectés, mais la plupart sont sans intérêt. "

" Tout ce qu'on a pu apprendre vient de l'extrait des actes de l'état civil que la Mairie de Rennes nous a adressé : qu'il est né à Rennes rue Saint Michel, ainsi que les noms et prénoms de ses parents, nos grands parents que nous n'avons jamais connus. "

" J'aurais quand même aimé en savoir un peu plus. Nous ne savons pas quelles professions ils exerçaient, où et comment ils vivaient. Et toi, Yfig, tu as connu Georges, tu m'as dit qu'il venait te chercher quand tu étais petit et qu'il t'a emmené avec lui en Bretagne. "

" Oui, mais mes souvenirs sont plus que vagues. Je me souviens par bribes de quelques moments passés ensemble, rien de vraiment net, j'étais si jeune, je devais avoir entre huit et dix ans. "

" Et de quoi te souviens-tu exactement ? " Intervint Christian.

" Eh bien ! que nous avions pris un autocar partant du Havre, que nous nous sommes arrêtés en pleine campagne et que nous avons marché jusqu'à un immense monastère. Nous en avons fait le tour pour trouver une petite porte derrière. Je crois me souvenir que la nuit tombait et que j'étais bien fatigué de notre marche et que j'étais affamé. La porte ne s'ouvrait pas et je m'inquiétais. Mon père a dû frapper plusieurs fois contre la porte qui restait muette …. "

" Pourquoi t'arrêtes-tu ? "

" C'est bizarre comme la mémoire est sélective, et je viens de me remémorer ces instants comme s'ils venaient d'arriver. "

" Mais la porte ? Elle s'est ouverte oui ou non ? "

" Attends, ce dont je viens de me souvenir, c'est que mon père m'avait expliqué qu'il venait tous les ans dans ce monastère. Il m'avait raconté que les moines avaient un devoir ou une obligation de recevoir les étrangers qui frappaient à leur porte, de les héberger et de leur offrir l'hospitalité. Mais cette obligation n'était due qu'à deux conditions : la première était qu'ils ne recevaient les demandeurs que dans la mesure ou ils disposaient de suffisamment de lits, la seconde était que les solliciteurs ne pouvaient bénéficier de cette hospitalité qu'une seule nuit par an, leurs passages étant enregistrés sur un registre. "

" Bon ! et la porte ? elle s'est ouverte ? " Christian devenait impatient.

" Non, ce n'est pas la porte qui s'est ouverte, mais la lucarne à hauteur du visage de mon père. Le moine lui demanda ce qu'il voulait et mon père demanda l'asile. Le moine semblait hésitant, alors mon père m'a pris dans ses bras pour me porter à la hauteur de la lucarne et a dit au moine que j'étais épuisé et mort de faim. Il m'a reposé à terre. La lucarne s'est refermée et des minutes interminables se sont écoulées pendant lesquelles je m'inquiétais de savoir ce que nous deviendrions s'il fallait refaire tout le chemin à l'envers et de nuit. Enfin un bruit de clef se fit entendre dans le pêne de la porte qui finit par s'ouvrir.
Le moine nous conduisit sans un mot jusqu'au bâtiment principal. Il nous mena à une petite chambre particulièrement austère qui ne comprenait qu'un lit, une chaise et une penderie. Mais mon père semblait bien connaître les lieux et ne dit pas un mot lorsque le moine nous laissa seuls dans la chambre. "

" Mais ils ne vous ont pas donné à manger ? "

" Non, pas tout de suite. Le repas était servi à vingt heures très précises et mon père m'expliqua que nous ne devions être ni en avance ni en retard car la porte du réfectoire ne restait ouverte que cinq minutes avant et après lesquelles elle restait définitivement close. Il m'expliqua également que ces moines avaient fait vœux de silence , qu'ils ne parlaient jamais ou presque et que nous devions respecter en toutes circonstances leur sérénité. "

" Vous avez dû drôlement rigoler ! " Pensa Elise à voix haute.

" Ben le pire, c'est lorsque nous nous sommes attablés. "

" Pourquoi ? "

" A huit heures très précises nous nous sommes présentés à la porte du réfectoire. Un immense porte en chêne à deux vantaux, très impressionnante pour un petit garçon de mon âge. La pièce n'était pas très grande et était presque entièrement occupée par une immense table sur laquelle ne se trouvaient que des cruches à eau en grès marron. Elle était entourée de bancs qui étaient de même longueur. Des moines nous suivaient, d'autres étaient déjà assis. Ils se tenaient droits, leurs têtes penchées vers la table étaient couvertes de leurs capuches de lin épais et gris. Mon père connaissait les coutumes et m'entraîna par la main jusqu'au fond de la salle et me fit signe de m'asseoir sur le banc. Et c'est là que je me suis sentit vraiment très mal à l'aise. "

" Et tu vas nous dire pourquoi, cette fois ! "

 

 

" Ils se sont tous mis à prier, et moi, je n'avais jamais prié de ma vie ! Dans mon jeune cerveau, je me suis dit qu'ils allaient s'en apercevoir et me jeter dehors comme un hérétique."

" Tu étais trop petit pour qu'ils te jettent à la rue ! "

" Je crois qu'ils ne s'en sont même pas aperçus, ils avaient la tête penchée et ne regardaient rien autour d'eux. Quand ils eurent fini la prière, ils se décapuchonnèrent, ils avaient la tête rasée et un moine apporta du pain et un bol de soupe pour chacun. La soupe était bonne et j'étais très affamé, mais je refusais un deuxième bol. J'eus bien tort et mon père se garda de rien me dire pour ne pas rompre le silence. Lorsqu'ils eurent tous fini leur soupe dont ils reprirent jusqu'à trois fois pour certains, ils se levèrent et sortirent en bon ordre. J'eus juste eu le temps de chiper un quignon de pain que je mis dans ma poche. "

" Ecoute, frangin, je ne vois pas où tu veux en venir avec ton histoire de curés ? "

" Mais nulle part, soeurette, vous me demandez de me souvenir, j'essaie de me souvenir ! "

" Oui, mais tu pourrais te souvenir de choses plus en rapport avec l'histoire familiale ! "

" Je pense que ça en fait partie, ça fait partie des rares instants que j'ai passé avec Georges. "

" Et il y a une morale à ton histoire de monastère ? "

" Non, d'ailleurs, je ne me souviens de rien d'autre pour ce jour là, mais le lendemain, nous étions à Rennes. "

" Et tu t'en souviens ? "

" Un petit peu. "

" Raconte, alors ! "

" Ce qui m'a marqué, ce jour là, c'est que nous marchions sans fin dans les rues, et que pour moi, nous errions au hasard, sans but, sans raison. Georges me donnait les noms des rues que je pouvais lire sur les panneaux par moi-même. Il faisait des commentaires, m'expliquant ce qu'il avait fait à tel ou tel endroit quand il était jeune et vivait à Rennes. A un moment, je me suis senti vraiment las. Mes jambes et mes pieds n'en pouvaient mais. Il m'a entraîné vers une roulotte ambulante qui vendait des crêpes. Je n'avais jamais mangé de crêpe au sarrasin et ça ne m'a pas paru très bon, j'ai bien changé, depuis ! "

" Oui, mais qu'est-ce que tu vas encore nous raconter, j'ai l'impression que tu te fous de nous. "

" Attends, j'y arrive….
Comme je te disais, j'avais l'impression que nous errions sans but, mais quand j'ai insisté pour que nous rentrions, Georges a changé d'attitude, et c'est d'un pas décidé que nous sommes soudain repartis. 'J'ai quelque chose à te montrer, Yfig, et je voudrais que tu te souviennes toute ta vie de ce que je vais te faire voir.
J'étais fatigué, mais sa détermination était communicative et je l'ai suivi avec curiosité.
Arrivé devant un immense et luxueux hôtel restaurant, il me dit : 'Cet hôtel appartenait à mon père (ton grand père), j'y ai vécu et joué. Il aurait dû être le mien un jour, puis le tien après moi.'"

" Merde ! " s'exclama Christian
" Là, ça devient vraiment intéressant ! "

Et c'est ainsi que le voyage fut décidé.

Et mes autres souvenirs n'intéressaient plus personne, ce qui ne m'empêcha pas d'essayer de les narrer, comme par exemple, notre passage à Pontivy, cette visite au vieux monsieur très respectable, qui, je l'appris bien plus tard était le Maire et semblait bien connaître et apprécier mon père, ou, encore, cette après-midi ensoleillé au bord de la piscine en plein air et l'averse soudaine qui fit sortir tout le monde, ou presque, du bain et enfin, les galettes de sarrasin que j'appréciais de plus en plus et que nous servait cette vieille dame dans son drôle de costume et qui me traitait comme si j'étais de sa famille, parlait dans une langue que je ne comprenais pas et disait sans cesse : 'ben dame !'.

Mais, bien sûr, tout cela ne présentait guère d'intérêt.
Non, ce qui intéressait tout le monde était la question :
Pour quelle mystérieuse raison n'avions nous pas hérité de ce magnifique hôtel ?

*******

2) Le voyage :

Afin de préparer notre visite au pays, je passais quelques coups de fil aux deux mairies que nous souhaitions visiter. Je fus étonné de l'accueil sympathique que me réservèrent les deux secrétaires de mairie. Le voyage se présentait sous les meilleures auspices.

Mon épouse ayant été assignée à la garde des enfants, nous étions trois dans la voiture qui nous emmenait, sous ma dextre conduite, vers la Bretagne.

Nous roulions vers une destination inconnue. Bien entendu, nous avions passé nos vacances en Bretagne depuis de longues années, mais cette fois, nous ne partions ni en vacances, ni en terre étrangère, non, cette fois, nous nous acheminions vers notre passé et nos origines (à part Christian, évidemment).
Nous étions d'humeur joyeuse et inquiète à la fois. Qu'allions-nous vraiment pouvoir trouver comme réponses à nos si nombreuses questions ?
Nous convînmes de nous rendre à Domagné, où naquit notre grand-mère, la première journée et de consacrer notre deuxième jour à la mairie d'Acigné, où vit le jour notre grand-père, et, que si cela s'avérait nécessaire, nous reviendrions une autre fois. Nous pensions, en effet, que d'après mes souvenirs, il pourrait être question de Carnac et de Saint-Malo.

 

 

Nous nous sentions très intimidés au moment de franchir la porte de la petite mairie. Le sympathique accueil au téléphone pouvait n'être pas confirmé dans le concret de notre visite.
Nos angoisses furent rapidement effacées.
Oui, nous étions attendus et connus.
Notre famille était une vieille famille de Bretagne et nos ancêtres étaient connus, de nom du moins, car pour ce qui était de leur histoire, c'était une autre histoire !
La secrétaire nous donna accès aux maigres archives de la mairie, l'essentiel et surtout les plus anciennes, ayant été adressées comme l'exige la loi aux archives départementales de Rennes.
Face à notre dépit, la secrétaire nous proposa une rencontre :
'Vous avez ici un membre de votre famille qui a bien connu votre père et que vous pourriez rencontrer.'
Cela ressemblait à une aubaine.
'Il s'appelle Onésime, et c'est le fils de la fille de la sœur de votre grand-mère, donc, l'un de vos petit-cousins.'
Voilà, nous rentrions de plain-pied dans la généalogie : 'fils de la fille de la sœur …….'
Un véritable charabia pour nous qui ne connaissions, à ce jour, d'autre famille qu'une tante.
'Où souhaitez-vous le rencontrer ?' Questionna la gentille secrétaire.
J'eus le bon réflexe, celui qui nous monterait dans l'estime des âmes de la commune qui ne manqueraient pas de commenter allégrement notre passage :
" Eh bien ! il est midi et nous allons chercher un endroit où déjeuner. Si il y a un restaurant dans le village, nous pourrions l'y inviter. "
Je lus dans la soudaine luminosité des yeux de la secrétaire que mon intuition avait frappé juste, et je m'auto félicitais d'une si brillante idée. Elise et Christian me regardaient comme si j'étais devenu brusquement fou, il faut dire que nos moyens financiers n'étaient pas à la mesure de ma générosité, mais ils comprirent que mon idée pouvait nous attirer tout un tas de sympathies et faciliter nos recherches. J'étais si content de moi, que je me surpris à penser que j'aurais pu faire un excellent détective.

Après un rapide coup de téléphone, la secrétaire nous informa qu'Onésime serait joint par une personne qui lui ferait part de notre invitation. Nous n'avions plus qu'à nous rendre à l'unique café-bar-tabac-épicerie-restaurant qui se trouvait en haut de la rue de la mairie où nous étions attendus.
L'accueil fut souriant, presque hilarant, la patronne nous reçut avec un sourire équivoque que nous ne savions interpréter, comme si nos bobines avaient quelque chose de risible. Au comptoir, trois hommes vêtus de costumes de velours élimés nous observaient un petit sourire au coin des lèvres. Elle nous mena à l'une des trois tables de la salle de restaurant. La pièce était claire mais petite, le mobilier très simple, notre table était dressée sur une nappe de vinyle aux motifs vichy, les assiettes étaient on ne peut plus simple de même que les verres ordinaires en pyrex.
Nous prîmes place. L'hôtesse nous confirma qu'Onésime se joindrait à nous dans quelques minutes. Nous nous sentions comme pris dans un piège, un complot. Il nous semblait que tous les habitants du petit village nous connaissaient sans que nous le sachions, que nous étions observés, étudiés, guettés, que chacun de nos gestes, chacune de nos paroles étaient colportés de bouches à oreilles en temps réel.
" Souhaitez-vous prendre l'apéritif ? " Nous interrogea l'accorte maîtresse des lieux.
" Nous préférons attendre Onésime " Répondit ma sœur.

Lorsqu'elle eut rejoint son comptoir pour soigner ses trois clients, nos regards se croisèrent et nous ne pûmes retenir nos rires discrets de vivre une pareille situation.
Heureusement, la femme du comptoir nous signala l'arrivée de l'attendu Onésime, ce qui nous évita d'avoir à discuter de nos sentiments confus.
Le petit homme qui s'avançait vers nous, vêtu, lui aussi, d'un costume de velours élimé, mais plus encore que ses collègues, avait une tête bizarre, je pensais à une fouine, en le voyant ainsi de diriger sans timidité vers nous, mais je me trompais, sans le savoir encore, sur le nom de l'animal. Lorsqu'il ne fut plus qu'à deux mètres de la table, et alors que nous nous demandions vers qui il tendrait en premier sa main, un horrible fumet se saisit de nos narines. Une odeur de crasse et de pisse avec des relents de moisi. Son parfumeur avait dû s'emmêler dans les mélanges de fragrances. Ma sœur, qui se trouvait en première ligne, fit une vilaine grimace qu'elle essaya vainement de refreiner. Christian finit par être rejoint par la vague de puanteur et fit un pas en arrière espérant échapper à l'injuste châtiment. Je jetais un rapide coup d'œil vers le comptoir pour apercevoir, comme je m'y attendait un groupe des plus hilares. Ainsi le complot avait été parfaitement orchestré et tout ce petit monde attendait depuis, peut-être, mon premier coup de fil à la mairie, la confrontation entre les gens de la ville à la recherche de leurs ancêtres et le putois du village.
Devant mauvaise fortune, faire bon visage, telle est l'une de mes devises que j'évite en général de mettre en pratique.
Un fou rire se mit à me tenailler, me prodiguant des soubresauts par tout le corps en tentant d'y échapper, lorsqu'Onésime insista pour faire la bise à ma frangine. J'évitais soigneusement le regard de Christian, sachant pertinemment que cela déclencherait chez moi une explosion rigolarde.
Je serrais sans insistance la main du pestilentiel et pour, détendre l'atmosphère, lui lançait un joyeux :
" Bonjour cousin Onésime "
" Bien l'bonjour cousine et cousins " Nous répondit le petit homme.
" Par alliance seulement " se cru bon de préciser Christian qui se désolidarisait soudain de sa propre famille.
" Ben dame, j'vois bien à ta couleur qu't'es pas Breton ! " Apprécia notre exhalant cousin.
Un rire unanime et salvateur vint récompenser le bon mot, ce qui nous permit à tous de libérer les forces 'constipatoires' qui nous bloquaient le sternum depuis un moment.
S'ensuivit un imprévu jeu de chaises tournantes. C'était à celui qui éviterait de se retrouver face à Onésime pour partager le repas.
" Elise, tu vas t'asseoir en face de ton cousin " Lançais-je en appliquant le principe guerrier selon lequel 'la meilleure des défenses, c'est l'attaque !'.
" Non, Yfig, tu es l'aîné, c'est à toi de faire face à ton cousin ". Elle avait repris mon expression 'ton cousin'.
Je tendais sans trop de conviction une dernière cartouche que je tirais à bout portant sur Christian.
" Christian, tu veux sûrement t'asseoir en face du cousin ? "
Mais il ne me répondit pas et s'assit sur la chaise face à Elise.

La patronne revint à l'assaut pour nous proposer ses apéritifs et cette fois, nous ne pûmes nous dérober.
Onésime commanda un Martini et nous prîmes chacun un jus de tomate et une carafe de vin et une autre d'eau pour le repas du jour qui se composait d'une omelette au lard et aux champignons.

Le repas fut expédié en silence, nous eûmes bien du mal à apprécier l'arôme naturel de l'omelette tant les remugles du cousin couvraient les effluves de l'omelette, mais, lorsque nos estomacs furent pleins, nous lançâmes la conversation sur le sujet qui nous avait mené jusqu'ici.

Au début, nous pensions que cela s'engageait bien et malgré nos difficultés à comprendre le jargon d'Onésime nous prenions des notes sur les noms et les lieux qu'il nous communiquait sans avarice.
Ce n'est que lorsqu'il commença de répéter les mêmes noms en leur attribuant des descendances ou des ascendances ou des locations différentes que nous nous mîmes à douter de ses capacités mnémoniques.
Puis, finalement, nous renonçâmes à continuer de prendre des notes lorsqu'il nous annonça qu'il ne souvenait plus très bien de qui il était lui-même le fils.
Enfin, ce fut la plus invraisemblable, la plus surréaliste conversation qu'il nous fut jamais tenu de mener.
Les ancêtres et les vivants se mirent à danser une valse folle, voyageant sans retenue entre les ans et les lieux. Nous retrouvions toute une ribambelle de personnages hauts en couleurs et en aventures exotiques. Tous les fantasmes du cousin tenaient au dessus de nos assiettes vides une assemblée tournoyante et baroque. Nous fîmes ainsi la connaissance d'un vague cousin, prénommé Aristide, forain de son état, qui tenait un manège de chevaux de bois entre Saint-Malo et Rennes et qui avait épousé sa propre cousine, Gabrielle avec laquelle il avait eu deux filles et trois fils qui travaillaient maintenant à Guingamp. Puis le même cousin se retrouvait marié à une certaine Septime à Fougères qui se remaria avec Eloi Thébault et avait eu un fils Octave décédé dans sa jeunesse. Nous nous perdîmes ainsi entre Vannes, Pirey sur Seiche, Rennes à la recherche dérisoire de Marceline, Germaine, Robert, Maria, Léon, Adolphe, Alfred et autres Florence, Albertine, Elise (pas ma sœur, l'autre) et Madeleine.
Tous ces protagonistes se mêlaient facétieusement, se mélangeaient, s'enchevêtraient, se brouillaient, se diluaient dans une inimaginable saga qui finit par nous dépasser et nous perdre définitivement.
Par un sursaut de volonté, Elise tenta une reconstitution de ces évènements et des individus qui les peuplaient et conclut dans un trait de génie que n'avions que peu de relation avec cette branche éloignée de parenté d'Onésime qui n'était que notre lointain petit cousin.
Bref, nous avions quasiment perdu tout notre temps.
Les enseignements étaient cependant non négligeables : il n'est pas aisé de rechercher ses ancêtres et difficile de faire confiance à la mémoire, même de bonne volonté, d'un individu qui puise dans ses souvenirs altérés par ses propres fantaisies.

Il nous fallait, maintenant, trouver un hôtel pour la nuit. Nous prîmes la direction de Rennes dans une ambiance plutôt morose.

La chance montra un petit bout de son nez et nous trouvâmes rapidement un hôtel.

Comme nous avions un peu de temps à tuer, Elise proposa que nous recherchions l'hôtel que mon père m'avait montré.
Nous tournâmes dans Rennes vainement. J'étais tout à fait incapable de reconnaître aucun lieu.
Nous finîmes par renoncer et nous décider à passer une petite soirée simple : restaurant, cinéma, pipi et au lit.

 

 

Le lendemain, dès potron-minet, nous nous rendîmes à Acigné, ville où naquit notre grand-père.

Première mini surprise, le café en face de la mairie portait notre nom de famille, un signe, peut-être ?

Nous reçûmes un excellent accueil de la part de la secrétaire.
Encouragés par cet bienvenue, nous nous mîmes aussitôt au travail.
Deuxième surprise, la mairie avait conservé les archives d'état civil depuis la révolution et même antérieurement : les registres paroissiaux tenus par les prêtres.
C'est donc dans une montagne de documentation que nous nous retrouvâmes plongés.

Au début, l'exercice nous parut, bien que désordonné, très intéressant. Nous avions enfin de quoi assouvir toute notre curiosité et même au delà.
Très rapidement, notre travail devint chaotique.
Nous avions pris chacun l'un des cinq registres qui nous avaient été confiés.
Notre patronyme était sur toutes les pages, presque sur toutes les lignes, de tous les registres, il trônait partout en bonne place, tantôt c'était le nom d'une mère, tantôt celui d'un père, une autre fois celui d'un enfant, mais également le nom d'un témoin et bien souvent le nom du maire.
C'était trop, nous ne savions où donner de la voix, chacun s'esclaffant à la découverte d'une nouvelle page couverte de notre nom.
" Yfig, là, sur cette page, il y en a au moins dix ! "
" Et sur la mienne, Elise, il y en a encore plus !"
" Vous ne pouvez pas en avoir plus que moi, il n'y a que ça sur mon registre ! "
Une espèce de fièvre s'était emparée de nous, on aurait pu croire que des chercheurs d'or venaient de tomber sur un filon, nous étions excités comme des puces à l'assaut d'un chien en bonne santé.
Elise, toujours pratique, avait sorti un bloc-notes et essayait de prendre des notes, mais nous lui donnions des prénoms et des dates à la pelle et la pauvre n'en pouvait mais.

Elle nous arrêta net dans notre cacophonique euphorie.
" Stop ! Stop ! on arrête tout et on recommence.
Nous allons procéder par ordre, prendre le plus récent et remonter les dates en notant les ancêtres qui nous intéressent, sinon, on ne s'en sortira jamais. "
" Oui, je suis d'accord, commençons par le grand-père et essayons de remonter sa généalogie. "

Aussitôt dit, aussitôt fait.

En plus du nom de la grand-mère née à Domagné et de sa date de décès, nous trouvâmes le nom de sa seconde femme, sans date de décès, ce qui nous laissa à penser qu'elle était encore en vie.
Elise nota consciencieusement ces informations ainsi que les suivantes, à savoir les prénoms et dates de naissances des parents du grand-père Georges (même prénom que notre père).
Son père, donc notre arrière grand-père, s'appelait Pierre Mathurin, né 'VERS' 1860. Nous déduisîmes cette date d'après un acte de naissance d'Angélina, une sœur du grand-père, daté de 1894 et mentionnant l'âge de 34 ans du sus-dit grand-père.
Puis , un peu plus tard, la date fut confirmée par un autre acte de naissance daté du 4 avril 1860. Notre arrière- arrière grand père, âgé de 29 ans et prénommé Pierre Mathurin venait déclarer à la maire un enfant de sexe masculin auquel il souhaitait donner le prénom de Pierre Mathurin.
Pour qui n'a jamais fait de recherche généalogique, cela peut paraître invraisemblable, mais il est 'inimaginablement' difficile de s'y retrouver de façon certaine. Par exemple, un acte portera un prénom et un autre soit un autre prénom, soit un prénom tronqué. C'était le cas sur l'un des feuillets du registre paroissial qui, après analyse, était bien l'acte de naissance de l'arrière grand-père, mais dont le prénom du père était devenu Pierre au lieu de Pierre Mathurin.
Et ce que nous souhaitions encore savoir, nous l'apprîmes de ce actes. L'arrière arrière grand-père était laboureur, l'arrière-grand-père, lui, était débitant de tabac et le grand-père était bourrelier.
L'ancêtre le plus ancien que nous retrouvâmes avec certitude était né en 1802 et cordonnier de son métier.

 

La secrétaire vint nous sortir de notre concentration :
" Je suis désolée, mais il est 12h00 et nous allons fermer dans une demi-heure, mais vous pouvez revenir cet après-midi, à partir de 14 heures ".
Nous lui demandâmes et obtinrent de faire des photocopies des actes qui nous intéressaient.

Nous étions comme saouls en sortant de la mairie, toute cette généalogie, ces prénoms, ces métiers, ces dates nous avaient tourné la tête.

 

Un rapide calcul nous permit de déterminer que nous n'avions pas assez de temps pour attendre la ré-ouverture de la mairie, car il nous fallait repartir vers 15 heures, ce qui nous donnait seulement une heure à passer dans les registres et 1 heure 30 à attendre.
Elise proposa de chercher l'adresse de la seconde femme du grand-père. Sans vraiment y croire, nous prîmes un café au bar qui portait notre nom et consultâmes le bottin de la région. Le numéro et l'adresse de cette personne figuraient bien dans l'annuaire, elle résidait à Sens de Bretagne qui se trouvait sur notre route, mais la question était : à qui incomberait la difficile responsabilité de l'appeler pour lui demander un entretien ?
Après de longues négociations qui faillirent virer en palabres, je fus l'heureux élu.

La vieille dame, au téléphone, malgré mes craintes, ne fut pas trop sèche.
Je pris le temps de lui expliquer qui nous étions et ce que nous cherchions, avec précautions et un maximum de ménagement, en insistant bien sur le fait que nous ne souhaitions nullement la déranger ni lui causer le moindre souci. Je dus être fort convainquant car avant que je ne raccroche, ce fut elle qui insista fortement pour nous rencontrer.

 

*******

3) Rencontres :

 

En route pour Sens de Bretagne !

Tout en conduisant, je pensais à toutes ces personnes que ne connaissions pas, que nous ne connaîtrions jamais et qui avaient été nos ancêtres ou notre famille.
Quelles raisons avaient bien pu déterminer que ayons été ainsi séparés de notre famille, qu'ils n'aient jamais tenté de nous voir. Je voyais autour de moi des amis, des relations qui parlaient souvent de leurs aïeules, de leurs cousins, cousines, oncles, tantes … en quoi étions-nous si différents qu'aucun des membres de notre famille ait jamais cherché notre contact. Y avait-il quelque terrible secret de famille qui fit que nous étions des parias ?

Puis je me mis à imaginer la vie de ces aïeux laboureur, bourrelier, maréchal-ferrant, cordonnier de leurs épouses qui, à cette époque, ne travaillaient pas.
De quoi parlaient-ils ? se connaissaient-ils ? se voyaient-ils entre-eux ? Ils ne résidaient pas loin les uns des autres. Ou bien en avaient-ils toujours été ainsi dans notre famille, chacun ignorant les autres ?

La femme de notre grand-père apporterait-elle quelques éclaircissement à ces questions ?
Christian ne souhaitait pas assister à l'entrevue et resta donc dans la voiture. Nous le réconfortâmes en lui confirmant que nous ne serions pas long.

Nous échangeâmes un long regard avec Elise au moment de frapper à la porte.

La maison de bourg était petite. En fait, elle ne comportait qu'une seule pièce que de hauts paravents divisaient entre salle-cuisine, coin toilette et chambre à coucher.
Eugénie, c'était son prénom, nous fit asseoir sur des chaises de paille usées et s'assit, elle-même, en face de nous.
" Alors, toi tu es Elise et toi tu es Yfig, les enfants de Georges ! "
" Oui. "
Nous nous tenions droits et tendus sur nos sièges, réfléchissants à cette situation inaccoutumée, à cette situation qui nous apparaissait soudainement incongrue.
" Et vous cherchez votre héritage ? "
BOUM ! La vieille dame venait de nous asséner un terrible uppercut !
Elise se tortilla sur son siège inconfortable et je ne devais pas être beaucoup plus à l'aise. Malgré le choc, je trouvais moyen de répondre :
" Non, nous n'avons pas d'illusion, nous sommes à la recherche de notre identité avant tout et si héritage il y a, ce n'est pas notre objectif prioritaire "

Mon ton était sincère et la vieille dame sentit que son coup avait trouvé la bonne parade.

 

 

" Regardez, regardez bien ma maison, vous voyez, là, c'est mon coin toilette, et c'est là que je me fais à manger, et derrière cet autre paravent, c'est là que je dors. Croyez-vous que vous allez trouver un héritage dans cette maison ???? "
Cette fois, la vieille dame insistait trop lourdement et me sembla obsédée par cette histoire d'héritage et sans comprendre ses intentions, son ton ne me plut guère. J'allais répondre, mais Elise prit la parole :
" Nous venons de vous dire que nous ne sommes pas à la recherche d'un héritage, nous ne serions pas venus vous voir si telles étaient nos intentions, nous n'aurions jamais osé ! "
Eugénie, semblant ignorer Elise, me regardait dans les yeux avec une indicible méchanceté :
" Et toi, Yfig, qu'est-ce que tu as à dire ? "
" Elise et moi sommes au diapason, nous pensons exactement la même chose. Notre père est décédé et nous l'avons que très peu connu, nous avons accepté son hérédité et nous sommes venus en Bretagne pour essayer de découvrir nos origines, trouver, peut-être, des personnes comme vous qui ont connu notre père et peuvent nous en parler et, si possible, essayer de renouer avec nos ancêtres et une éventuelle famille. "
La vieille dame s'était levée.
" Vous ne trouverez rien ici ! et toi, Yfig, tu as exactement le même regard mauvais de ton père ! Je vous ai assez vus, vous pouvez partir à présent ! "
Je ne pus m'empêcher de penser à la tête que ferait Christian en nous voyant ressortir aussi rapidement.

J'avais raison, il nous regarda tout hébété.
Nous narrâmes l'entretien à Christian.
La rencontre avait été rude et nous en sortions avec une étrange impression. Nous nous sentions rejetés, indésirables, gêneurs …

Il n'était que 14 heures.
L'entretien avec Eugénie avait été si bref que nous nous retrouvions en avance sur notre emploi du temps.

Il nous fallait un remontant et nous décidâmes de prendre le temps de déjeuner pour nous remonter le moral, quitte à rentrer un peu plus tard.
Non, pas à Sens de Bretagne, cette ville nous paraissait par trop inhospitalière.
Nous prîmes la direction du Mont Saint Michel pour rejoindre Villedieu les poêles.

 

Nous nous arrêtâmes au premier village après Sens de Bretagne : Romazy.
Ce nom me disait quelque chose, mais tout était encore si confus que je ne parvenais pas à me souvenir quoi.

Le café restaurant était simple mais très clair, la salle était éclairée d'une grande baie vitrée qui donnait d'un côté sur un pré et sur la route de l'autre.

La patronne nous accueillit avec gentillesse.
C'était une femme âgée, aux cheveux blancs, de forte stature vêtue d'une robe à fleurs de couleur sombre protégé d'un tablier à carreaux vichy.
Nous étions les seuls clients à cette heure tardive pour déjeuner, mais elle accepta de nous faire des crêpes que nous accompagnâmes de cidre.

Nous discutions entre nous de la cueillette d'informations de ces deux jours.
Nous convînmes que deux jours n'étaient pas suffisants et, parallèlement, qu'il n'y avait pas grand chose d'autre que nous aurions pu faire. Oui, il nous semblait vraiment que nous avions fait le maximum.

La propriétaire nous observait de derrière son comptoir. Je la surpris, à plusieurs reprises, me dévisageant avec insistance.
Quand elle vint pour débarrasser, elle me regardait avec un air étrange. Elle s'apprêtait, je le sentis, à m'adresser la parole, mais se retint et ramassa les couverts.
" Vous vouliez me demander quelque chose ? " L'interpellais-je par acquis de conscience.
" Vous l'avez senti ? "
" Oui, je crois que vous me regardez comme si vous me reconnaissiez. "
" Pas à vrai dire, vous me faîtes plutôt penser à quelqu'un. "
" Mais à qui ? "
" Vous ne seriez pas le Fils de Georges V., par hasard ? "
" Je lui ressemble donc tant que ça ? "
" Non, pas tant que ça, mais il y a quelque chose, un air de famille. "
Nous étions tous trois abasourdis.
" Vous avez connu notre père ?" Lui demandais-je. Et ma voix sortait de ma gorge avec une sonorité lointaine, trahissant mon intense émotion.
" J'ai surtout connu votre grand-père : Francis. Il habitait ici, à Romazy, après la guerre. "
Et je me souvins soudain que c'était la ville mentionnée pour son décès sur l'archive de la mairie.
" Pouvez-vous nous raconter ? " Demanda Elise " Je suis sa fille Elise. "
" Attendez, je vais débarrasser. "
Nous nous regardions avec la même incertitude, allait-elle nous parler, nous apprendre, enfin, quelque chose ?

Elle prit tout son temps. Nous restions silencieux, mais nous étions de lave intérieurement..

Un client pénétra dans le café, cela lui donnait une bonne excuse pour ne pas revenir à notre table. Il fallut attendre que le personnage sorte.

Quand elle revint vers nous, elle apportait l'adition et cela me parut de fort mauvaise augure.

" Je vous apporte l'addition ? "
" Je prendrais bien un café. "
" Oui, nous aussi. "
C'était le seul moyen que nous ayons trouvé, de connivence, pour retarder l'échéance du départ et nous donner une chance de parler encore avec elle.

Quand elle apporta les cafés, elle me sembla déterminée à ne rien dire. Elle allait s'en retourner vers son bar et je ne pus le supporter.

 

" Accepteriez-vous de nous parler de notre grand père ? Vous savez, nous sommes venus en Bretagne pour rechercher nos origines après avoir appris, par hasard, le décès de notre père que nous n'avons pour ainsi dire pas connu, et nous n'avons rien appris. "

Il était osé de dire la vérité, cela pouvait la conforter dans sa volonté de discrétion.

" Je ne sais pas ce que vous souhaitez savoir ? "
" Tout, puisque nous ne savons rien. "
" Cela ne vous plaira peut-être pas ! "
" Ca n'a pas à nous plaire ou non, tout ce que nous souhaitons, c'est apprendre un peu du passé de notre famille. Vous savez, nous ne les avons jamais connu, alors quoiqu'il se soit passé, nous le recevrons comme une information, c'est tout. "

Elle s'assit à notre table.
Nous étions toutes ouïes dehors, nous allions enfin apprendre quelque chose de nous mêmes.

" Vous voyez cette bâtisse de l'autre côté de la route ? "
Elle nous montrait le haut mur d'enceinte en pierres du pays dont on n'apercevait qu'un pan de l'autre côté de la voie.
" Votre grand père est venu y vivre définitivement après la seconde guerre. Pendant la guerre, il avait un hôtel restaurant à Rennes et ses affaires étaient très florissantes. "

 

Le silence qui suivit cette déclaration semblait attendre une remarque de notre part. Mais nous restâmes silencieux ne sachant ce que l'on attendait de nous.

 

Elle reprit :
" Votre grand-père était un homme avisé, il a acheté cette propriété dans les années 20, sous un nom d'emprunt, comme s'il prévoyait ce qui pouvait arriver. Moi, j'étais bien jeune à cette époque et nous tenions cet établissement avec mon mari qui est décédé il y a dix ans.
Il venait toutes les semaines et prenait souvent un café ici. Parfois, il était accompagné de Georges, mais rarement. Il n'était pas très bavard, mais avec le temps il finit par nous parler un peu. "

Elle ponctuait ses phrases de silences, cherchant à se remémorer et, peut-être, à filtrer ses souvenirs.

" Un jour, il m'apprit que sa femme, votre grand-mère Elise que je voyais parfois dans le village, avait eu un accident dans la cour de la ferme. Elle avait reçu une ruade de cheval dans le ventre et en était morte. Il semblait très triste en m'annonçant ce drame.
Puis, une année plus tard, j'appris d'un garçon de ferme qui travaillait pour lui qu'il s'était remarié avec une des serveuses de son hôtel restaurant, une certaine Eugénie. "
Ainsi, la femme acide qui venait de nous jeter hors de sa maison avait été serveuse dans l'affaire de notre grand-père avant de l'épouser.

Je posais la question qui me vint à l'esprit :
" Et notre père ? "
" Il devait avoir dans les 5 ou 6 ans, il était bien gentil, calme, mais après le remariage de son père je ne le revis qu'une seule fois, bien des années plus tard et c'est lui qui m'apprit qu'il avait été mis en pension chez sa tante au Havre à l'âge de 7ans et qu'il ne voyait jamais son père. "

Bon, eh bien voilà qui expliquait un peu cette mauvaise habitude de ne pas s'intéresser au sort de sa descendance.

" Et puis nous avons eus la guerre, et votre grand-père ne venait plus que très rarement à Romazy, il était bien trop occupé à Rennes avec son hôtel restaurant et sa clientèle. "

Un nouveau silence vint ponctuer cette sentence.
Nous sentions bien qu'elle souhaitait que nous comprenions un sous-entendu, mais lequel ?

" Vous comprenez, maintenant, pourquoi il a été obligé de venir se réfugier ici à la libération. "
Ce n'était pas une question, mais une affirmation et qui nous éclairait brutalement sur le lourd passé du grand-père qui avait fait commerce avec l'occupant.

Elle semblait soudain pressée de terminer l'entretien.

 

" Il a vécu ici jusqu'à sa mort sous un faux nom.
Puis ses biens ont été vendus par le notaire, mais comme il vivait sous un faux nom, son passé a subitement ressurgit et sa femme n'a rien touché, tout est parti aux domaines, "

Elle se leva, comme lasse, son récit devait lui avoir rappelé sa propre vie dont elle nous avait presque rien enseigné.

J'allais au bar la payer et je la remerciait sincèrement pour toutes ses informations.

La route du retour nous parut bien longue et maussade. Nous n'échangions que quelques mots indispensables, évitant de commenter l'histoire qui venait de nous être narrée.

 



4) Epilogue :

 

Dans les jours qui suivirent, j'essayais d'organiser les documents et photocopies que nous avions ramenés et d'en déduire un arbre généalogique.
La tâche était complexe, et les photocopies bien souvent illisibles.

Puis je me décidait à ranger les quelques affaires que nous avions récupérées chez notre père.

C'est à cette occasion que je tombais sur un document que je n'avais pas remarqué, une lettre du maire de Pontivy qui attestait, à l'attention de qui de droit, que Georges avait rejoint la résistance Bretonne après son retour d'un camp de travail Allemand.

Cela me réconforta, le fils, au moins avait eu l'esprit patriotique que son père n'avait pas.

Je me demande parfois, quel aurait été mon choix si j'avais été à leurs places.