Je vole au dessus de la campagne verte. Par quel miracle ? Je n'en sais rien, ça me paraît naturel et sans effort et me procure un bien être formidable …..
- " Yfig - Yfig !!! " J'ouvre difficilement un œil, puis l'autre, puis les referme à nouveau …. - " Yfig, il y a quelqu'un au tél&eaacute;phone qui veut te parler, mais je me demande si c'est pas une blague ! " Je me lève péniblement, tout encombré de lourdeur. Ah ! comme il est déjà loin ce rêve de légèreté ! Je prends le téléphone d'une main indécise et d'une voix plus que pâteuse, je bredouille un - "Allo ? " imperceptible. - " Monsieur Yfig ? " - " Oui, je suis Yfig " - " Je suis Maître Lecas, avocat au bbarreau de Paris, je vous appelle de la part de mon client qui m'a demandé de le représenter dans une transaction qu'il souhaite effectuer avec vous de façon anonyme. " - " ……… " - " Allo " - " Oui ??????? " - " Vous m'avez compris, Monsieur Yfig ? "< - " Oui, je crois, ….. mais je ne commprends absolument rien ! " - " Je suis avocat au barreau de Paris, et une personne qui veut conserver l'anonymat m'a demandé de vous contacter pour vous acheter l'une de vos toiles " - " ………….. " Ca m'agace ce rêve, j'ai envie de me réveiller ….au barreau de Paris …. ça m'énerve, ça m'énerve !!!!! - " Allo, Monsieur Yfig ? " - " Oui, excusez-moi, je crois que je ne suuis pas encore bien réveillé, j'ai même l'impression de rêver " - " Voulez-vous que je vous rappelle plus ttard ? " Manquerait plus que ça, qu'il disparaisse sans laisser d'adresse .. - " Non, Maître, ça va aller. Pouvez-vous m'en dire un peu plus ? De quelle toile s'agit-il ? " - " Mon client souhaite acquérir vottre toile : 'j'ai rêvé d'Eve'. " - " Il n'y a pas de problème " - " Quel prix en demandez-vous ? " Ah la la ! Toujours cette même question qui tue !!! - " …. " - " Monsieur Yfig, pouvez-vous me dire combbien vous en demandez ? " Quand cessera-t-il de me servir du 'Monsieur' ? - " Ecoutez, Maître, d'abord j'aimeraais que vous m'appeliez 'Yfig' tout simplement et que vous abandonniez un peu le 'Monsieur' " - " D'accord Monsieur Yfig " - " Ensuite, j'ai besoin de prendre une douuche et un bon petit déjeuner, mais surtout, je souhaiterais être certain que vous ne me jouez pas un vilain tour, alors, si vous êtes sérieux, je vous demanderai de bien vouloir passer à notre atelier pour discuter de tout ça de vive voix ." - " Puis-je passer cet après-midi ? " Mes neurones ont finit par s'activer un peu et je me dis qu'on est samedi et que je n'ai rien prévu de spécial … - " Oui, pas de problème. Connaissezz-vous notre adresse ? " - " Euh … pas vraiment " Je lui donne donc les indications indispensables et nous nous saluons. Puis je me mets à réfléchir. Si c'est une farce, au moins je n'aurais pas à me déranger.
L'attente va être longue. Une douche, un petit déjeuner et soudain ! Mais où ai-je rangé cette toile ? Branle bas de combat dans la maisonnée tout le monde se met à la recherche du tableau. On retrouve des trucs qu'on avait oubliés, d'autres qu'on avait pas envie de revoir … mais de 'rêve d'Eve' nenni. Oh, et puis après tout ce n'est pas grave puisque je suis persuadé qu'il s'agit d'une blague et que je vais voir débarquer un vieux copain, un Gégé, un Dominique, un Gilles ou un Maurice … un de ces potes qui aiment la bonne vieille galéjade, cette mystification qui, après coup, donne à rire pour plusieurs années.
Je suis parti au jardin, voir un peu comment se portent les plantations et me saper le moral à faire l'inventaire de tout ce que je devrais faire et que je ne fais pas. Oublié le coup de fil.
- " Yfig " L'appel me coupe net de mes observations expectatives. Je quitte à regret mon Eden ascétère.
Il est là, devant moi, dans son costume clair, ses chaussures ocres, visage ovale et pâle de bureaucrate parisien, bouche fine, regard bleu, nez aquilin et cheveux d'intellectuel, c'est à dire avec une longue mèche qui pendouille sur le côté et tend à lui couvrir l'œil quand il penche la tête pour donner de l'effet à ses phrases. Je ne peux retenir un sourire ironique, car je suis en short et marcel, les pieds nus dans mes sabots. - " Vous avez une jolie maison. " Voil&agraave; un préambule qui se veut civil. - " Merci. Veuillez vous donner la peine d''entrer." Pendant qu'il me précède, je lance un rapide coup d'œil à sa jaguar flambant neuve immatriculée 75. Il a une espèce de retenue face au bric-à-brac de notre salon. Je lui tends une chaise et je vois que, dans son dos, ma femme continue de chercher le tableau convoité. - " Puis-je vous offrir quelque chose ? " - " Non, merci, je dois avouer que je suis assez pressé. " Il est civil, mais inconvenant, il doit avoir peur d'un empoisonnement me surprends-je à penser. - " Pouvez-vous m'en dire plus sur la persoonne qui vous envoie ? " - " Non, j'ai promis une totale discr&eacutte;tion. " - " Oui, je comprends et je ne vous demandee pas de révélation, mais je suis pour le moins légitimement curieux de savoir comment votre client a repéré mon travail ? " - " Sur internet " se contente-t-il de r&eaacute;pondre, prudent. Puis il ajoute : - " Maintenant que j'ai accédée; à votre demande et suis ici, puis-je voir le tableau et pouvez-vous me dire le prix que vous en demandez. " - " ! …. ? ….. " je suis dans un bel embarras. Je penche ma tête pour voir où en est mon épouse dans sa quête, ce qui ne manque pas d'éveiller la curiosité de notre visiteur qui se tourne sur son siège pour voir de quoi il retourne …. Mais justement, mon épouse a retrouvé le tableau. Elle l'apporte, il le prend, du bout des doigts et le regarde d'un air détaché. - " Alors, Monsieur Yfig, combien ? " Ca faisait longtemps qu'il ne m'avait pas servi du 'Monsieur'. A tout hasard, je lance : - " 1500 euros. " J'ai surtout pensé; à la jaguar et multiplié le prix auquel je pensais par trois. - " Voyons, Monsieur Yfig, soyons sé;rieux, je ne peux tout de même pas annoncer un prix aussi bas à mon client, il serait trop déçu ! " A mon air ébahi, il comprend que je suis égaré. - " Tout ce que je peux vous dire, c'est quue mon client fait parti du 'show-biz' et que 1500 euros ce serait …. Comment dire ……. Comme l'aveu d'une faute de goût de sa part, il n'achète jamais rien qui lui plaise à si petit prix ." - " Eh bien dites-moi ce que je dois en demmander, je n'ai pas l'habitude, de mon côté, de mettre un prix surestimé à mon travail. " - " Disons 6000 euros, et je compte sur vottre discrétion pour que tout ceci reste entre nous. " - " D'accord . " Le pire, c'est que ce vaurien est capable de se mettre lui-même en valeur en prétendant avoir négocier 'à mort' un bon prix !!! Il fait son chèque pendant que j'emballe avec le plus grand soin l'objet qui vient de prendre une valeur que je ne lui attribue pas. 'Show-biz', qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire ? Pourquoi la personne en question souhaite si ardemment conserver l'anonymat ? Six mille euros !! Jamais je n'aurais osé demander une telle somme. Bof, après tout, si ça peut lui faire plaisir, je ne vais tout de même pas faire le difficile. Mais le doute m'assaillit de nouveau et je ne pouvais trouver qu'une seule raison à l'incognito de mon client : il ne voulait pas que je me fasse de la pub sur son nom. Nous avons passé une bonne soirée, assez surréaliste, certes, avec tout plein de questions sans réponses. comme on dit : le fric n'a pas d'odeur et quand il permet d'améliorer l'ordinaire …..
Le dimanche fut tout ce qu'il y a de plus ordinaire amélioré. La semaine suivante aussi. Les premiers jours, nous attendions que résonne le téléphone, mais ce n'était que la famille ou les amis. Plus rien ne se passait, mais n'était-ce pas l'habitude ? A la maison, tout le monde est habitué à ce que des interlocuteurs lointains et anglophones entretiennent avec moi de longues discussions souvent très techniques, quelque soit le jour de la semaine. C'est donc sans hésitation que ma femme me tend le combiné avec ce simple commentaire : - " une anglaise. " Je vous traduis notre conversation initialement en Anglais: - " Allo ? " - " Oui " - " Puis-je parler à Yfig " - " Je suis Yfig " - " Bon, vous aurez peut-être du mal à le croire, mais je suis Sigourney Weaver " - " Enchanté, comment allez-vous ? "" - " Vous n'êtes pas plus surpris que ça ? " - " Oui, je suis très surpris, mais je suppose que vous avez une bonne raison de m'appeler " - " Quelle heure est-il en France ? " - " Il est 19 heures " - " Oh ! je suis désolé, vouss devez être à table ! " - " Non, pas déjà, nous pr&eaacute;parons notre repas " - " Vous êtes occupé ? " - " Je suis toujours occupé, mais nee vous inquiétez pas, qui que vous oyez, je suis toujours disponible pour répondre à mes fans. " - " Donc, vous ne me croyez pas !!!!! "> - " Si vous me disiez de façon direccte le pourquoi de votre appel. " - " Etes-vous vraiment Français ? "< - " Oui, mais j'ai travaillé aux Staates, et j'aime que l'on en vienne au but directement. " - " OK ! je suis Sigourney Weaver (au cas oou vous ne l'auriez pas vraiment compris) et ayant eu l'occasion de voir un de vos tableaux chez un ami Français à Nice, j'aimerais vous acheter un tableau que j'ai remarqué sur internet. "
Plus rien, désormais ne m'étonne et je réponds d'une voix assurée qui m'est étrangère - " Lequel ? " - " On ne peut pas dire que vous soyez imprressionnable ! " - " Madame, je suis hyperémotif, ma seule défense est de ne pas le laisser transparaître." - " OK darling, je suis particulièreement intéressée par votre tableau intitulé : 'Cauchemar ordinaire' " La, je tombe de ma chaise !!!!!!! - " Mais je n'ai jamais mis ce tableau sur internet !!!! " - " Ah ? ! " - " Comment pouvez-vous connaître ce tableau ? Je ne l'ai jamais présenté à personne" Tout en énonçant cette évidence, je repense à l'avocat qui n'avait percuté que sur ce tableau et m'en avait demandé le titre. - " Disons que je suis bien informéee. " Ce tableau n'en est pas un, c'est une étude, un travail dans lequel j'ai jeté tout le savoir faire que j'ai acquis tout au long de ces vingt années, une œuvre qui m'est si personnelle que rien ni personne ne pourrait me déterminer à m'en séparer, un tableau pour lequel je n'ai compté ni les heures ni les efforts, une espèce d'anthologie de mes connaissances et de mon imaginaire. - " Madame, qui que vous soyez, ce tableau n'est pas à vendre. " - " Yfig, tout est à vendre, la seulle vraie question est : à quel prix ? " Elle me pousse dans mes retranchements et je n'aime pas ça ! - " Je ne suis peut-être pas de votree avis " Mais je sens que déjà je faiblis ! J'ai manqué d'affirmation, de conviction dans le ton de ma voix. - " OK, n'en parlons plus, et bonne chance ! " Décidément, je suis le plus gros imbécile que la terre ait jamais nourri en son sein !!!!!!! - " …….. " - " …….. " - " Vous êtes toujours là ? "< - " Oui …… et vous ?.. " - " …. " - " C'est bien une question de prix, n'est--ce pas ? " - " NON , Madame, pas du tout. S'il est vraai que je suis flatté de l'intérêt que vous portez à mon travail, je sais que vous ne l'avez pas vu et que vous vous basez sur une référence sans vraiment savoir de quoi il retourne. " - " Je ne comprends rien, expliquez-moi " - " Vous me demandez de vous vendre un tablleau dont vous ignorez tout ! " - " Mais non mon cher Yfig, j'ai vu votre ttravail chez Alain et son conseil nous a longuement parlé d'un autre tableau qu'il a vu et qu'il considère comme vraiment supérieur sur tous les plans à celui qu'Alain a acquis. " - " Alain ? Quel Alain ? " - "Mais vous êtes incroyable, ou vouss jouez les ânes !!!! Alain Delon, bien sur, celui qui vous a acheté 'jai rêvé d'Eve'. " Purée !!!!!! c'est quoi c't'embrouille ???? Alain Delon aurait donc acheté par l'intermédiaire de cet avocat mon 'Eve' !!! ??? j'en crois pas mon écouteur téléphonique !!!! - " Allo ! ça ne va pas ?" - " Si, si, je n'imaginais simplement pas qque quelqu'un d'autre puisse être au courant puisque nous avions convenu d'une grande discrétion. " Vlan ! je la joue 'l'arroseur arrosé !'. - " Ah ! je comprends mieux, j'avoue qu'un instant je me suis posée des questions ! " - " Cela ne change rien au problème : ce tableau n'est pas à vendre, par contre, si mon travail vous intéresse, j'en ai tout un tas d'autres à céder. " - " Yfig, c'est celui là que je veuxx et aucun autre. " - " Etes-vous seulement allée sur moon site internet ? " - " Je m'en fous de votre site, je veux ce tableau, un point c'est tout !!! Dites-moi votre prix et n'en parlons plus !!!!!!!!!!!!!!!!! " Je sens que nous sommes au point de rupture. Mon seul échappatoire est de fixer un prix inaccessible. - " Que diriez-vous de vingt mille dollars ? " - " OK, j'achète. " Je suis foutu, et mon tableau avec …. - " Mais ….. vous ne l'avez mêmme pas vu ! " - " Un deal est un deal, j'ai dit OK, vous ne pouvez plus revenir en arrière. " - " Je n'ai qu'une parole, mais je me m&eaccute;fie des entourloupes !. " - " J'envoie mon homme d'affaires par l'aviion demain et il vous amène la somme en liquide. Craignez-vous toujours l'entourloupe ? " Echec et mat ! - " Comme je vous l'ai dit, et quoi qu'il mm'en coûte, je suis un homme de parole, je lui remettrai le tableau contre la somme dite ! "
Un vrai cow-boy très baraqué, avec chapeau et boots est venu jusque chez nous pour nous remettre la somme en dollars : ces affreux billets verts. Ce grand, cet immense Goliath vient de m'arracher le cœur comme s'il m'avait arracher mon bébé. Un tableau, c'est comme un enfant, c'est la chair de notre intellect, c'est notre création, un peu, beaucoup, de notre vie, l'aboutissement d'un processus qui prend de la naissance à la mort, c'est notre corps et notre sang, c'est plus, c'est indescriptible ….incommunicable ….. incommensurable …. invendable ! Seul Satan pourrait être suffisamment perverse et imperméable aux sentiments les plus purs pour nous rendre coupable d'une telle infamie : abandonner son enfant !!
Tout en remâchant ces pensées d'apostate, je compte consciencieusement les petits billets de cent dollars, et j'essaie de me concentrer vers l'avenir. C'est que ça en fait des bocaux de pigments, des tas de brosses de bonne qualité, de canevas de lin, de spatules multiformes, de produits magiques, de perspectives créatrices, de jours heureux ….. ces vingt mille dollars !!!
Eh oui ! l'homme est ainsi fait que, sa progéniture à peine abandonnée à des mains impies, il s'auto absout en se justifiant par des chimères oniriques et idéalistes de perfection, de surpassement de soi, d'apogées célestes et fantasmagoriques.
Bon ! depuis, mon épouse a été également remarquée et est sollicitée de toutes parts. Quant à moi, j'ai des clients sur les quatre continents.
Nous nous sommes organisés : Nous avons récupéré un vieux carton d'emballage télé pour les 'dollars', un grand sac de voyage qui ne nous servait plus pour les 'livres', un valise en carton pour les 'yen', une autre en fer pour les 'rials' … en tout, un dizaine de réceptacles divers dans lesquels nous entreposons consciencieusement les monétiques de plus de dix pays. Impossible de changer les billets en banque, on nous demanderait d'où provient cette manne, le fisc s'emmêlerait (s'en mêlerait) ainsi que tout un tas de sangsues sténophages, impossible de payer en dollars ou en 'rand' au supermarché, ni même chez le boucher.
Nous entassons tout cet argent sans trop savoir qu'en faire ? !
Eya ! j'ai fait une entorse, ce soir, j'ai cherché comme un fou mon vieux PC et l'ai retrouvé, et me voici, tout dépenaillé et hirsute…. là, devant mon écran à vous narrer mes aventures et mésaventures dans le vain espoir qu'une âme concupiscente saura trouver le mot qui nous sauvera, nous tirera de ce faux pas, nous sortira de nos infinis tourments, nous éclairera de ses précieux, et non moins bénévoles, conseils et nous indiquera le meilleur moyen, donc sans risque, de placer tout cet argent qui, pour le moment, ne sert à rien et encore moins à personne.
Si vous avez cru à toutes ces sornettes, si vous n'avez pas douté un seul instant de ma bonne foi, de deux choses l'une, ou bien vous êtes très naïve / naïf, ou bien je raconte vraiment bien !