POÉSIES DE MON CHER AMI DU CANADA

Gerry, merci de cette merveilleuse amitié que tu daignes bien m'accorder

Gerry BlakWdoW

Sans retour (à J.M) Mourante

Les yeux vides et perdus,

Les traits dévastés par les ans,

Elle est si belle pourtant

Cette vieille aux regards éperdus.

La tristesse est profonde

Dans ses orbites creuses,

Jetant des formes affreuses

Sur ce visage ancien de Joconde.

Plus un seul trait ne bouge

Dans cette figure rabougrie,

Et juste à voir son oeil rouge, 

On sait qu'elle n'est pas évanouie.

Calme et résignée, elle attend,

Assise sur un lit d'hôpital,

Et tout à côté la mort tend

Sa faux, dans un geste fatal.

 

Portrait d'un jour d'orage

Dans la beauté gris acier du ciel

D'un jour de pluie triste et monotone,

Le coeur du poète toujours s'étonne

De ce paradis artificiel.

Il s'émeut devant tous ces nuages

Qui dessinent d'un mouvement rapide

D'énormes tableaux, au reflet limpide

Très vite effacés, comme des mirages.

Parfois le vent arrive, tel un intrus,

Et agite doucement ces chefs-d'oeuvres

Qui s'étendent en des milliers de pieuvres,

Aux bras démesurément accrus.

Et quand des éclairs soudain zèbrent l'azur

Et que se déchirent partout ces sombres nuées,

On dirait de belles toiles enluminées

D'or ou d'une somptueuse dorure.

Marchand de Bonheur

Il marchait péniblement sous ses lourds fardeaux,

Distribuant sans broncher tout l'amour de son coeur,

N'espérant en retour ni merci ni cadeaux,

Ce poète déchu, ce marchand de bonheur.

Les gens venaient immanquablement s'abreuver

À l'oasis de ce coeur pur et mal aimé

Dont les blessures semblaient toujours s'aggraver,

Car l'amour depuis longtemps y était fermé.

Le poète traînait son pas apesanti,

Suivi par une foule méchante et accablante

Dont la voracité l'avait anéanti,

Au plus profond de son âme agonisante.

Il marchait péniblement sous ses lourds fardeaux,

Cachant inlassablement toute sa douleur C

ar les gens, terribles et misérables corbeaux,

Arrachaient chaque jour, des morceaux de son coeur.

Regrets

Si je pouvais te dire combien je t'aime

Dans ces quelques lignes tristes et imaginaires

Que j'étends sans honte, à l'insu des grammaires

Tel un bienfaisant, un glorieux poème.

Si j'avais pu simplement manier le verbe

Autant que toi tu savais manipuler mon coeur,

M'emporter au ténébreux royaume du bonheur

Où ton amour m'apparaîssait superbe.

Si j'avais su fuir ce rêve cruel et mauvais

Qui m'emmenait, chaque nuit, un peu plus loin de toi,

Sous des grèves funèbres, mystérieuses, sans loi...

Si j'avais su dire, tout ce que tu disais.

Le chant du poète

Il arrive enfin, le grand jour

De gloire si longtemps attendu.

Vous êtes là corbeaux, tout autour.

Vous l'avez enfin entendu.

On voit à vos mines réjouies

Que les batailles ont été dures,

Mais même vos faces épanouies

Ne peuvent cacher les morsures

À son coeur souvent infligées.

Quels beaux discours, chers orateurs,

Devant ces foules affligées,

Aux longs sourires provocateurs.

Qu'il semble touchant ce poème

Que cette mort a ressucité

Et pourtant, étonnant dilemme,

Quel grand chagrin il a suscité.

De la plume de ce pauvre hère

Du sang trop souvent a coulé,

Car au souffle de la misère, 

Cet être toujours fût acculé.

Sa prose autrefois rejetée

Par une méchante foule ahurie,

Telle une insulte s'est ajoutée

Sur le moribond en furie.

C'est un grand jour pour le poète

Sa rime enfin est écoutée.

Hélas! cette faveur désuète

Toute sa vie lui aura coûtée!

Rêverie lugubre

La crypte est à nouveau silencieuse

Et la lune a revêtu un visage blafard.

Au loin, une ombre se glisse, piteuse

Tissant la toile épaisse du brouillard.

C'est la nuit noire, froide et méchante

Et c'est le réveil brutal des morts.

Écouter les cris d'une terrible Bacchante

Cette horrible sorcière des mauvais sorts.

Un spectre aux formes très horrifiantes

Défile le long des sombres cimetières

En jetant avec fracas, foudres mystifiantes,

Des éclairs aveuglants sur les noires bières.

Le sang s'échappe de ses lèvres funèbres,

Spasme d'une incontrôlable jouissance

Et la nuit crache ses lourdes ténèbres

Sur ce monstre esseulé, en réjouissance.

O féérie enchanteresse du carnage

Hurlent en choeur les fantômes du château.

C'est la terrible nuit froide de la rage

Ouvrez, ouvrez tout grand votre oripeau.

Quand enfin la mort retourne au tombeau

Et que cette aube tant attendue se lève,

La triste vie, cet insupportable fardeau

Vous arrache illico au domaine du rêve.

Musique déchue

Vous riez ces si sublimes musiques

Que chante douloureusement mon coeur

Où se mêlent, tristes et nostalgiques,

Mes joies, mes peines et ma douleur.

Vous riez cette musique si pure

Qui déchire sans pitié ma vie

Toute remplie de blanche froidure,

Sous la rafale de votre moquerie.

Vous riez jusqu'à ma tristesse,

Sur vos horribles lèvres retroussées

Par cette trop grande ivresse,

Qui a, toutes mes espérances émoussées.

Ah oui! je souffre de votre gaieté,

O hommes ignares et si méchants

Qui riez tous, jusqu'à satiété,

La tendresse de mes pauvres chants.

Je souffre, mais je veux vivre,

En dépit de vous, êtres misérables.

Et mon coeur chassera toute sa givre

Dans vos âmes noires, excérables.

Allez riez, riez mes douleurs!

Foules ignorantes de mes délires.

Riez, riez joyeusement mes pleurs,

Pendant que je pleure vos rires...

Le berceau de mon frère

J'ai vu la mort, encore tout jeune, au berceau,

Dans sa longue robe blanchâtre revêtue

Qui enlaçait de ses puissants bras en cerceau

Une âme pure et très jeune encore nue.

Point de larmes ne coulaient à mes paupières,

Car j'étais déjà à moitié endormi

Malgré le fort bruit des lourdes soupières

Que l'heure sombre et tardive avait vomi.

Je la vis, d'un coup, se pencher légèrement

Et saisir doucement le petit corps frêle.

Je vis s'écouler des larmes aux yeux de maman

Et le silence tomba, comme une grêle.

Mon père s'approcha lentement de l'enfant E

t caressa sa petite joue fragile.

Mais hélas, déjà, le petit ange mourant

S'en retournait, en pleurant, à son argile.

Et quand enfin tout étonné je pus le voir,

Comme dormant d'un air pénible et sévère

Sans que rien ne puisse désormais l'émouvoir,

J'ai su que je ne reverrais plus mon frère.

Depuis je pense souvent à ma pauvre mère

Statue figée et pleurant devant ma porte,

Et je ressens toujours la souffrance amère,

Que dans son coeur brisé toujours elle porte.

Danse macabre

La source a revêtu son grand habit luisant

Et le ciel a étendu son manteau d'ombre.

La lune s'éveille d'un long rêve épuisant

Tandis qu'au loin l'écho du silence sombre. S

oudain, à la fois si douce et fantastique,

S'élève à l'orée du bois une mélodie

Tandis qu'un être blafard et nostalgique

Danse aux notes de cette douce rapsodie.

C'est l'antre du terrible sire Belzébuth.

Approchez, approchez, messieurs du Jury.

Dansez, dansez, aux sonorités de ce luth,

Car Dame Mort vous invite à cette furie.

Ah la jolie, la belle danse macabre.

Le vent s'acharne et cingle dur sur l'invité

Et le bourreau rouge et abéré se cabre

Décapiteur, il devient le décapité. A

h Non, non, je ne suis qu'un simple innocent!

Mais le sang sur lui crie sa lourde veangeance

Et toutes les têtes tombent. 

Une! deux! cent!

Personne ne verra plus pareille outrance.

L'aube ainsi se lève, glaciale et affligée,

Et l'être spectral regagne son refuge.

Mais attention! 

Gare à la peine infligée

À l'ignoble bourreau ou à celui qui juge.

Souvenir d'écolier

Soudain il me vient un souvenir ancien

Du temps ou jadis, encore jeunes écoliers,

Nous écoutions toujours très fort et très bien Les textes et discours des maîtres paroliers.

Devant la classe, telle une idole bénie,

Le professeur donnait si bien tous ses cours

Avec l'art et la magie d'un grand génie,

Amusant les gens de tous ses nombreux tours.

Mais parfois le silence était très gênant

Dans la classe de ce tout puissant émir,

Et l'oeil sombre et sévère, en se promenant,

Souventes fois, en a fait plus d'un frémir.

Mais les années, trop vite se sont passées,

Et la flamme maintenant s'est éteinte

Au souffle de tant de mollesses entassées

Dont hélas, l'école d'aujourd'hui se teinte.

Femmes de mes rêves

La nuit est toute empreinte de solitude,

Froide et remplie de beaux souvenirs anciens,

Qui s'exhalent au-travers tant d'incertitude

Dans de nombreux rêves décousus et sans liens.

Où donc sont passées mes amies d'autrefois

Qui venaient me raconter leur douce passion

Et dont j'asséchais quelques larmes, parfois,

Avec autant de douceur et de compassion.

Et de tous ces preux visages, vers moi tendus,

Combien sur mon coeur sombre ont fait naufrage

Pour de tendres sentiments, longtemps attendus,

Qui n'ont au grand jamais quitté le rivage?

O combien de fois me suis-je ainsi épanché

Sur leurs frêles épaules et aussi sur leur sein?

Et combien de fois, de cette façon penché,

Leur coeur sensible battait, tel un clavecin?

Leur âme aussi, chaque fois, inlassablement,

Se laissait bercer de si tendres illusions

Et mon coeur, comme toujours, péniblement,

Souffrait en silence de leurs nombreuses allusions.

Pourtant, comme elles paraissaient si belles à mon coeur,

Dans ces longues nuits tristes et mélancoliques

Dispersant froidement mes souvenirs au choeur

De leurs désirs et leurs amours pathétiques.

Leurs yeux opales et câlins souvent me troublaient,

Par l'éclat si pur de leur beauté suprême

Et leurs voix claires qui doucement tremblotaient,

Quand, timidement, elles me disaient je t'aime.

Ces souvenirs ravivent ma solitude

Et comme ces instants manquent à mon univers

Déchiré par une trop longue habitude,

Par l'amertume et par mes si cuisants revers.

J'écoute avec mon coeur et mon âme aujourd'hui

Et je comprends trop bien tous leurs petits secrets.

Hélas! toutes ces belles dames au loin ont fui,

Mais leurs images attisent encore mes regrets.

La colline

C'était une belle colline verdâtre,

D'où s'élevaient tant de doux parfums ennivrants

Et où serpentaient de petits sentiers charmants,

Sous le couvert d'un bois aux reflets rougeâtre.

Nous y allions souvent, toi et moi, fidèles

À tous nos mystérieux rendez-vous d'amour,

Riant, jouant, insouciants comme toujours

De rêver, de voler de nos propres ailes

Et souvent, assez tard dans le soir,retentissaient,

Emportées au gré du vent, et poussées au loin,

Malicieusement, à travers blé et foin

Nos voix tremblotantes qui, au feu, s'attisaient.

O splendeur de l'amour à jamais lointaine,

Chère colline à jamais silencieuse,

Refuge de ma peine capricieuse,

De mon rêve, mon espérance vaine.

C'était une belle colline verdâtre,

D'où s'élevaient tant de doux parfums ennivrants

Et où serpentaient de petits sentiers charmants,

Où mon coeur fragile s'est brisé...folâtre.

Espérance

Longuement, mes idées tristes vagabondes,

Errant ça et là dans mes lointains souvenirs

Et hantées par de mélancoliques désirs

De vivre et mourir dans le meilleur des mondes.

Dédale inextricable plein de mélodies

Où se perd ma pauvre et nostalgique raison,

Et où s'étale un lent et douloureux poison,

Amère névrose de toutes mes maladies.

Langoureuses ou attristées, parfois si folles,

Elles se meuvent dans une lamentable nuit

Et dans ce monde irréel, tout rempli d'ennui,

Les pauvres s'émeuvent, s'entrechoquent, s'affolent.

Un jour, pourtant, elles trouveront bien la gloire,

Dans l'abîme morose de fatalité

Où stagne en silence, ma faible liberté,

Enchaînée, déchiquetée et dérisoire.

Appel de la langue

Elle traîne ses pénates, lamentablement,

Dans quelque crypte lugubre et ancestrale.

Son pas trop lourd vacille misérablement

Dans l'aube incertaine, sombre et glaciale.

Giflée et piétinée, anéantie presque,

Courbée à demi sous les coups des Mandarins,

Elle titube telle une Muse grotesque

Dont on vient de briser et l'échine et les reins.

La gueuse se meurt au grabat, faible flambeau,

Tandis qu'une foule en colère dresse un drapeau

Qui s'agite au vent, tel un sinistre étendard.

Ah! cette inconnue qui faiblement harangue,

Vous l'avez enfin reconnue, mais un peu tard,

C'est l'appel irascible de votre langue.

Le loup noir

C'était un grand loup noir, triste et solitaire,

Hurlant sa détresse au sombre clair de lune.

On voyait à ses crocs toute la rancune,

Longtemps entassée dans ce coeur sanguinaire.

Pourtant son oeil jetait un éclat étrange

Aux clartés faibles et imprécises du matin.

On aurait dit même qu'il était presque humain,

Dans cette aube si glaciale et orange.

Méfiez-vous pourtant de cette brève lueur,

Dans la prunelle de ce pauvre cerbère,

Car il pourrait bien vous envoyer en enfer

En plantant, d'un seul coup, ses crocs dans votre coeur.

Mon âme est si noire, triste et solitaire,

Dans l'aube de ma vie vide et déclinante,

Où l'on voit sur une plaie vive et béante,

Les empreintes de votre croc sanguinaire.

La belle et la bête

Elles s'étaient rencontrées près d'un vieux marais

Où coulaient un ruisseau clair et limpide.

L'une possédait la beauté d'une Sylphide,

L'autre, depuis longtemps, n'avait plus d'attraits.

Un compère passant par là assoiffé,

Vit ce duo, ma foi, assez étrange,

S'approcha doucement, tel un archange,

Chevelure au vent et chef tout décoiffé.

Voilà, se dit-il, une bonne affaire,

En saisissant la pucelle dans ses bras.

Vit trop tard la vieille muer en cobra

Et se retrouva avec elle en enfer.

Le peintre et le poète

Le peintre s'affaire avec ardeur

Devant une oeuvre grandiose.

Le pinceau s'agite avec rancoeur,

Dans la main du vieillard morose.

Enfin, le tableau est achevé.

C'est un grand jour pour le moribond

Qui dort sur son chef d'oeuvre, crevé,

Emportant sa gloire au tombeau blond.

Le poète, lui aussi, se meurt,

Sur sa vie vide et incomprise,

Où résonne, terrible clameur,

L'écho de son coeur qui se brise.

Le vagabond

C'était un être aux allures misérables

Qui traînait sa vie, tel un ignoble fardeau,

Dans quelques lieux sinistres et épouvantables.

Tout figés dans l'écho du pas de ce lourdeau.

Trop de rides sur ce front morose et plissé

À la blancheur déjà très, très accentuée,

Bien que si jeune encore au sortir du Lycée,

On aurait dit un pauvre vieillard affaissé.

Le dos voûté sous le poids de vos sarcasmes,

Il allait son chemin, tête toute hirsute,

Les yeux mouillés et tout rempli de fantasmes,

Dans cette froide vie d'éternelle lutte.

Sa redingote, autrefois belle et prospère,

Semblait surgir de quelques ténébreux néants,

Car on pouvait voir poindre aux boutonnières.

Les ombres grandissantes de trous noirs, béants. 

De longs frissons s'étalaient sur son échine,

La faisant trembloter suspicieusement,

Car telle une trop monstrueuse machine,

Son corps vibrait, vibrait inexorablement.

De ses mains toutes grandes ouvertes, il quêtait,

Des miettes d'une malheureuse pitance.

Mais sa carcasse trop hideuse inquiétait

Cette vile racaille, en grande abondance.

Et quand la nuit venait cracher ses ténèbres

Sur une journée déjà fort déclinante,

Le gueux portait ses marches tristes et funèbres

Vers une aube sombre, encore plus écoeurante.

Qui donc ?

Qui donc a cueilli

Les plus belles fleurs De mon jardin?

Qui donc a brisé

La fragile chaîne

De mon amitié?

Qui donc a fermé

La petite barrière 

De mon amour?

Qui donc a chanté

Le grand refrain

De ma tristesse?

Et qui donc a allumé

Le réverbère de l'ennui,

Devant ma porte...?

L'oeil

Un oeil triste et froid très souvent me regarde,

Les soirs, à la même heure, inexorablement,

M'éclaboussant, semble-t-il, par mégarde,

De la douleur d'être encore et toujours vivant.

Dans ce funeste regard s'écoulent les ans

Baignés par une glaciale lumière

Semblable au mystérieux jardin des mourants

D'où s'élève une nostalgique prière.

Il me fixe, d'une froideur impassible,

Dans des ténèbres sinistres et rougeoyantes

Et son âme, fantôme ou spectre irascible,

Vibre aux mouvements de notes saisissantes.

Que se cache dans cette blafarde prunelle

Où déambule cette effrayante lueur

Qui titube, telle une faible chandelle,

En réflétant mon incontrôlable terreur?

Ce n'est assurément pas la vie, ni la mort,

Mais le temps que cette précieuse loge,

Et c'est à chaque soir le même mauvais sort

Qui me fait toujours voir ma vieille horloge.

Solitude

Ma chambre est grande et triste,

Habitée par la nuit

Où errent quelques souvenirs,

Touchants et vibrants spectres.

Les murs ensemble blottis,

Dorment douloureusement.

Mais parfois un cri s'échappe

De leur poitrines flétries.

Une vieille table aux os blanchis,

Dans un coin se recueille,

Ses vieux membres endoloris,

Supportant plein d'écueils.

Une chaise encore lourde,

Gît sur le plancher,

Figée telle une ombre

Sous sa cape poussiéreuse.

Un âtre au souffle court Veille, toujour froidement,

Mais son coeur est vide

Et son corps est glacé.

Et tout au fond un grabat

Dresse son empire,

Vieux royaume au dos courb

é Ou dort en ronflant...ma solitude.

Coeur de cristal

Le cristal est un verre fin, blanc et limpide,

Taillé et poli avec grande précaution

Et ciselé à merveille, avec émotion,

Pour en préserver sa couleur translucide.

Mon coeur est taillé dans un cristal des plus pur

Et pareil, en cela, à un verre enrichi

Où coulent un doux nectar mille fois réfléchi

Réflétant sans arrêt les couleurs de l'azur.

On y verse maintes liqueurs odorantes J

oie, bonheur, amour au doux parfum de roses O

u des poisons violents, haine ou névroses,

Qui se mêlent en longues plaintes déchirantes. Mais, tel le verre, il est instable et fragile.

Il aime volontiers et hait à sa guise.

Et souvent, hélas, il se fêle et se brise

Tout comme le verre sous la main malhabile.

L'horloger

Cet artiste horloger exerçait son art

Avec une méticuleuse précision.

Et ses oeuvres frisaient la quasi perfection,

Quand il les étalait sur l'antique prélart.

Hélas! celui-ci avait une autre passion

D'égale force et de force peu commune,

Car il aimait autant rousse, blonde ou brune,

Que ses cadrans qu'il montait avec obssession.

Aussi, quand elle entra dans son atelier

Lui porter une montre très ancienne,

Fredonnant quelque douce Tyrolienne,

Le pauvre homme devint presque fou à lier.

Pendant plusieurs heures, il peina très durement,

Ciselant cette breloque temporelle,

Rêvant d'amour pour cette flamme nouvelle

Auquel il s'était enchaîné si bêtement.

Quelle était belle la fine porcelaine!

Qu'il avait longuement polie et repolie à l'image de sa très belle, sa jolie

Pour qui cette tendre passion semblait vaine.

Mais elle n'était pas insensible à son ardeur

Et, en le regardant travailler si longtemps,

Elle s'imaginait qu'il réglait en même temps

Le tic tac précis de la montre et de son coeur.

L'amour est très singulier, à ce qu'il paraît,

Cette rencontre fortuite le démontre,

Car en le voyant réparer cette montre,

Elle croyait que c'était son coeur qu'il réparait.

Quand enfin elle prit le joyau qu'il lui offrait,

La belle ne pensait pas causer tant d'ennui

Et ne savait pas qu'en le mettant dans l'étui,

C'était son coeur, qu'elle enfermait dans le coffret.

Réveil douloureux

Ma ville est pleine de béton et de bitume E

t ma campagne n'a plus l'éclat d'autrefois.

Et dans cet air lourd et mauvais que l'on hume,

Le soleil disperse un peu de chaleur, parfois.

Je regarde cette foule exubérante

Qui s'anime dans les rues misérablement,

Comme une meute funèbre et révoltante,

Attendant la curée, si impitoyablement.

Mon coeur est rempli d'ennui et d'amertume

À la douleur qui en moi toujours s'allume,

Sous le souffle méchant de tous vos sarcasmes.

Ma vie, ma vie s'accroche désespérément,

À cette aube qui vomit paresseusement

Mes rêves déchirés, en douloureux spasmes.

Chevalier

C'est un chevalier sans peur et sans reproches

Parcourant les rêves sur sa vieille rosse

Oublié de ses amis et de tous ces proches,

Traînant sa vie dans un vétuste carosse.

Son regard scintille, tout rempli d'étoiles.

Larmes d'or, tristes et furtives passagères,

Qui dessinent sur ses joues des milliers de toiles

Troublant reflet de douloureuses chimères.

Il cherche encore cette fontaine de jouvence

Où s'est envolée sa jeunesse parfumée

Et, s'il lui fallait faire une confidence,

Sa vie en même temps est partie en fumée.

Qui est ce promeneur triste et solitaire

Errant dans la nuit, dédale inextricable,

Qu'éclaire une faible lumière lunaire,

Halo d'un destin funeste et implacable?

Bien sûr, vous connaissez ce chevalier sans peur,

Car ce fol aventurier dont on chuchote

Vous l'avez sans doute reconnu, c'est mon coeur,

Ce bel Ulysse ou ce nouveau Don Quichotte.

Le bal des richards

Les invités sont arrivés, endimanchés.

Des airs légers, déjà, résonnent aux clavecins

Autour desquels dansent, grotesques et déhanchés,

Maints avocats, juges, ministres ou médecins.

Le bon vin coule à flot et l'on rit aux éclats

Dans ce sanctuaire de riches et d'érudits

Où se cachent, derrière autant de faux apparats,

Des visages empourprés, des visages maudits.

Ah! quel spectacle saisissant pour tous ces yeux

Qui, collés à leur fenêtre, brillent, envieux,

Sous l'effet de quelque dispendieux néon!

Gueux, truands, manants, vagabonds et poètes,

Ils sont tous là à quémander quelques miettes,

Ne serait-ce qu'un malheureux Napoléon.

Les jumeaux

C'étaient des frères identiques, des jumeaux.

Copies conformes d'un destin noir et douteux

Car bien qu'ils ne ressemblaient en rien à des gueux,

Ils n'étaient pas particulièrement beaux.

Aussi, l'un deux se décida-t-il un beau jour,

À modifier sa trop hideuse physionomie

Car s'il ne détestait pas son anatomie,

Il voulait changer son faciès de vautour.

Il endura donc une pénible souffrance

Pour satisfaire à ce légitime désir

Et attendait avec un immense plaisir

Que le toubib confirme sa délivrance.

Quel bonheur quand finalement il put se voir!

Il exaltait et paraîssait, grand bien lui fasse,

Si sublimement fier de sa nouvelle face

Qu'un instant il sembla figé dans le miroir.

Voulant savoir s'il pouvait faire bonne impression,

Ce nouvel Apollon fit quérir son frangin

Pour lui montrer la clef de son nouveau destin,

Un visage tout neuf, sculpté à la perfection.

Le compère avait, dans son sac, de nombreux tours.

Il fit venir une amie, à tous deux commune

Pour qui, autrefois, il eut décroché la lune

Et qui succomberait à ses nouveaux atours.

Quand arriva sa très douce et belle princesse,

Il s'imaginait d'ores et déjà la séduire

Et cette fois, c'est sûr, elle ne pourrait l'éconduire

Ainsi doté de sa toute nouvelle jeunesse.

Le pauvre homme déjà jubilait et se pâmait.

Mais, quand il vit, posé sur lui, son regard froid,

Le besson comprit soudain avec grand effroi,

Qu'hélas, c'était son frère jumeau qu'elle aimait.

Il sortit en maugréant toute sa rancoeur

Réalisant avec une indicible rage

Que l'opération, en changeant son visage,

N'avait pas pu, cependant, refaire son coeur.

Le chant du poète

Les poètes espèrent enfin un nouveau départ.

Pendant qu'ils paufinent des rimes désuètes

En soliloquant des prières muettes,

Quelque part on joue Beethoven, Bach ou Mozart.

Juges et critiques ne tolèrent aucun écart.

La rime devra être égale et parfaite

Et malheur à toute prose contrefaite

Alors que l'on joue Beethoven, Bach ou Mozart.

Bientôt tous les poètes seront mis au rancart

Pour des vers involontairement imités

Et l'on voit combien les esprits sont limités,

Puisque l'on rejoue Beethoven, Bach ou Mozart.

On verra peut-être refleurir le grand art?

Mais si les gens demeurent trop ignares ou bornés,

Tous les poètes seront morts avant d'être nés.

Pendant que l'on joue Beethoven, Bach ou Mozart.

Voyage nostalgique

Parfois dans les moments de solitude,

Au seuil de nos nuits grises, interminables,

Les souvenirs creusent avec amplitude

Tous nos instants passés inoubliables.

Et c'est durant ces nuits mélancoliques

Qu'un coeur déchiré pleure davantage

Sur des horizons lointains, fatidiques,

Où ne brille qu'un ténébreux rivage.

Il est beau le voyage dans le passé,

Mais si monotone et si triste à la fois

Et ce rêve mille et nuits ressassé

Brûle avec beaucoup plus d'éclats qu'autrefois.

Puis, lorsque les yeux peu à peu se mouillent,

Devant ces spectres blêmes qui défilent,

Le coeur et l'âme ensemble s'agenouillent

Implorant toutes ces années qui filent.

Et quand l'aube nous surprend, les yeus rougis

Par nos rêves, nos larmes, notre bref sommeil,

La tristesse au fond de notre coeur surgit,

Ô l'implacable et le douloureux réveil.

Fantasme

La solitude a ennivré mon coeur

Et la nuit a envahi mon âme.

Bois! bois ce nectar infâme

Hurle la mort avec rancoeur.

Et l'odeur putride s'échappe

D'une vieille bière endormie

Où la vie frappe et frappe

De sa baguette déjà alourdie.

Le temps s'enfuit vers le néant

Et le château si beau s'écrase

Dort! dort toujours fainéant!

C'est ton bonheur que l'on rase.

Je vois déjà ton cimetière

Gémit le spectre sur la grève

Et le rire sonore d'une sorcière

Résonne sur le mur figé... du rêve.

Pleurs (à J.M)

À l'aube d'une vie nouvelle

Entre désirs et déchirements

Quand le bonheur enfin t'appelle,

Viennent la nuit et les tourments.

Entre désirs et déchirements

Les souffle rapides du soir

Ainsi que des spectres déments,

Jouent au clavier de l'ostensoir.

Quand le bonheur enfin t'appelle,

Ce marchand de rêves éphémères,

La mort au grabat te rappelle

Lit de souvenirs, de misères. V

iennent la nuit et les tourments

Oraisons, psaumes, pleurs et prières,

Souffrances qui giclent en torrents

Aux confins même des cimetières.

Sans retour (à J.M)

Il aura fallu que la mort vienne

Pour que chantent rois et Séraphins

Et la musique qui surgit enfin,

Sort de la gorge d'une musicienne.

Le corps a perdu tout son attrait,

Mais l'âme est si belle et si sublime

Que seul l'art, le poète ou la rime

Sauront un jour décrire son portrait.

Pourquoi tant de gens pleurent au tombeau

Un visage que la joie illumine

Alors qu'au temps où, les yeux dans l'eau,

On riait si souvent de sa mine?

Honte ou regret ou hypocrisie,

Image du passé sur lui saisie.

 

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