NOUS, QUI SOMMES, ENTRE AUTRES, DES USAGERS ET DES CHOMEURS
![]() This leaflet was published in Le Brise-Glace alongside the article The Implosion Point of Democratist Ideology. ![]() Il est maintenant habituel que l'on oppose aux salariés grévistes, le sort malheureux des "usagers" et des chômeurs. On voudrait nous faire croire que les grévistes sont des gens égoïstes et sans scrupules. ![]() Ainsi les grévistes de la SNCF ne prendraient jamais le train, ceux des PTT ne recevraient jamais de courrier, ceux d'EDF s'éclaireraient à la bougie, etc. ![]() Ainsi les chômeurs seraient tels que le souhaite l'Etat, prêts à tous les compromis pour un emploi, soumis à toutes les injonctions qu'impose l'économie. Il faudrait de plus que ceux qui travaillent sachent tout accepter par respect pour les chômeurs, comme s'ils en étaient responsables. ![]() Il existerait, en opposition aux grévistes, les usagers... Cette catégorie vague de la population que la presse, les syndicats, les politiciens, les entrepreneurs affirment hostile aux grévistes. Toutes ces crapules parlent à notre place. Comme si leurs intérêts particuliers étaient partagés par tous et que tous étaient prêts à les défendre. Ils voudraient que nous nous identifiions à leurs intérêts, comme les patrons veulent que les salariés se responsabilisent de la bonne marche de l'entreprise, comme l'Etat impose aux gens d'être des citoyens ?défenseurs zélés de l'économie, de la démocratie et de la loi. ![]() Ce qu'ils appellent les usagers, ce sont en fait leurs clients, qui doivent consommer dans le silence et dans l'isolement leurs services, leurs produits et leurs mensonges. "Un bon client ? un bon usager ? ça paye et ça ferme sa gueule". Ce silence et cet isolement sont les deux conditions essentielles de leur prospérité. ![]() Et ces menteurs d'inverser la réalité en affirmant que notre sort deviendrait malheureux du fait des grévistes. Nous qui sommes, entre autres, des usagers et des chômeurs et qui subissons cet isolement et cette condamnation à nous taire, nous connaissons bien le sort que nous réserve le fonctionnement quotidien de ces services ; transportés comme du bétail par la RATP, accidentés par la SNCF, abrutis de mensonges par les médias, les syndicats et les politiciens. ![]() Alors que l'économie exige de ses citoyens d'être des machines dociles chez qui il ne resterait de dignité que celle de s'identifier à ses lois, les grévistes, au contraire, affirment la fierté de ne pas subir cette condition. C'est pour cela que nous nous reconnaissons dans ces salariés qui tentent de rompre le silence et l'isolement. ![]() On assiste actuellement en France à de multiples mouvements de grèves qui dans la plupart des cas cherchent à s'organiser en dehors des syndicats. Les mouvements les plus récents ont tous manifesté l'existence de courants non ?syndicaux. Ces courants se sont manifestés, entre autres, à EDF, dans les houillères de Lorraine, dans les hôpitaux, à la SNCF, dans les transports urbains, à la SNECMA, à Air France, à la Sécurité sociale, aux PTT, chez les sidérurgistes de l'Est, chez Chausson, chez Brandt à Lyon, etc. ( pour ce que l'on arrive à savoir ) ![]() Au début des années 80, d'autres mouvements avaient engagé des offensives plus clairement anti ?syndicales. En 81/82, à Vireux ?Molhain ( Ardennes ) un groupe de sidérurgistes qui s'étaient organisés au sein d'un mouvement regroupant une part importante de la population locale, les ouvriers de l'usine "La Chiers", ainsi que des gens venus de plusieurs régions et pays ? et qui avait attaqué pendant plusieurs mois la police, séquestré le directeur et des cadres, brûlé le château du patron, détruit les organismes de reconversion mis en place par l'Etat pour calmer la colère en accordant quelques miettes, rendu libre l'accès de l'usine à tous contre l'avis des syndicats ? avait rendu publique une déclaration affirmant que ce mouvement se voulait anti ?syndical, anti ?politique et anti ?hiérarchique. Un peu plus tard, les ouvriers immigrés de Talbot avaient expulsé la CGT. Le scandale de leur colère rendue publique contre leur condition de salarié avait ouvertement allié contre eux la CGT, la police et les jaunes. ![]() Les mouvements de grève et d'agitation qui se développent largement et souterrainement depuis la grève SNCF de 86/87 mettent en avant la question de leur auto ?organisation. Depuis 86 cette tendance s'est élargie, à été reprise [1] , tout en étant confrontée à une contre ?offensive syndicale et étatique plus importante. ![]() Dans la suite des manifestations étudiantes de décembre 86, l'apparition des Coordinations à la SNCF avait cherché à formaliser et à neutraliser cette tendance à l'auto ?organisation pour se déclarer et être présentées comme l'expression la plus avancée de ce mouvement. Ce furent surtout les corporatistes et les gauchistes qui s'approprièrent cet ambitieux projet de coordination, c'est ?à ?dire de liaison directe et autonome, pour le réduire à un groupe de pression, concurrent des syndicats et cohabitant avec eux. ![]() Le gouvernement, en recevant quelques Coordinations, a implicitement reconnu leur existence. Cette tactique politicienne est typiquement socialiste. En entretenant son image "sociale", il transfère les risques d'un affrontement sur les terrains qu'il connaît le mieux, ceux de l'économie et de la négociation ; et d'un même coup il pousse les syndicats à sortir de leur sclérose, à se moderniser, à se réformer eux ?mêmes en leur présentant les Coordinations comme un avertissement. L'Etat indique aux syndicats comment regagner leur pouvoir sur ceux qu'ils sont censés contrôler. Ce qu'il leur dit, et ce, de plus en plus ouvertement, c'est : "Tenez votre rôle, contrôlez, enculez les salariés, mais enculez ?les démocratiquement, comme nous, sinon vous allez à la faillite et donc nous aussi." ![]() Les Coordinations font plus que prêter le flanc à ces manoeuvres. Dès le départ, elles ont acquis leurs lettres de confusion et de falsification chez les étudiants. Leur inoffensive contestation réclamait une meilleure démocratie. Dans l'idée de Coordination, il y a l'idée abstraite d'une grande réconciliation fraternelle entre des gens dont la réalité quotidienne est pourtant un démenti permanent. Leur credo idéologique est l'unité. Ainsi non seulement nous devons à chaque instant tout supporter, mais encore, dans le moment où s'ébauchent quelques attaques contre cette soumission, devons ?nous encore nous unir avec n'importe qui. ![]() Il y a dans cette idée de coordination, le complément de l'imposture que l'Etat appelle "droit de l'homme" [2] et dont il fait une propagande permanente ( il n'est pas un domaine qui soit épargné par cette poisseuse idéologie à la langue de bois chargée de "citoyenunitéresponsabilitantiracim égalitésolidaritéfraternitésosracismedroitdignité" que vomissent les journalistes et les politiciens, et qu'ils applaudissent dans les Coordinations ). ![]() Derrière ce culte à travers lequel l'Etat souhaite que chacun parle le langage de l'Etat S'impose l'idée d'une grande solidarité fraternelle [3] dont les seuls bénéficiaires sont l'Etat et l'économie. L'idée de Coordination s'intègre dans cette stratégie menée par l'Etat et ses alliés, selon laquelle il est exigé de chacun un supplément de citoyenneté : création d'associations, primes au mérite, cercle de qualité, aide humanitaire, appel à la délation, afin que chacun soit gestionnaire contre tous de sa propre passivité au nom de ce racket pacificateur qu'est la démocratie [4] . ![]() Pour les Coordinations et toute l'idéologie démocratique, un individu c'est une voix ; Il ne s'agit pas que chacun puisse donner de la voix, mais seulement un bulletin de ? ?vote. Les syndicats Imposent les décisions ; les Coordinations les font voter. Mais, ce qu'elles ont essentiellement en commun avec les syndicats c'est qu'elles suppriment le débat du Assemblées pour transformer celles ?ci en séances de vote à répétition. ![]() Les Coordinations refont par rapport aux syndicats ce que la démocratie à déjà fait par rapport aux régimes autoritaires. Elles échangent la soumission imposée contre le droit de voter les formes de sa soumission. ![]() Certains grévistes de la SNCF, durant la grève 86/87, avaient dévoilé le mensonge qui fonde la démocratie. Ils avaient refusé de voter et disaient que leurs décisions étaient issues d'un accord fondé sur un bavardage permanent. ![]() Ce sont ceux qui possèdent tous les moyens pour colporter les fausses informations, pour diviser les gens, pour les maintenir dans l'isolement, qui apparaissent comme les plus ardents défenseurs de la démocratie. En rapport à ces moyens considérables, les possibilités des salariés cherchant à s'auto ?organiser sont dérisoires. Si ces salariés devaient attendre l'accord et le soutien de la majorité, rien ne pourrait sa faire Les moyens de communication et d'informations n'appartiennent pas aux grévistes, mais à leurs ennemis. Et dans le développement d'un mouvement, le retour de l'ordre démocratique signifie l'imposition de la décision d'un vote à la suite duquel lu bavardages doivent cesser. C'est cela que voudrait définitivement Imposer l'Etat en exigeant pour toute grève la mise en place de votes démocratiques aux décisions desquels les salariés devraient ce soumettre. Ainsi, même dans le ces où la grève est majoritairement votée, elle restera sous le plus complet contrôle syndical. ![]() L'éloge déclarée et l'hostilité nuancée poursuivent le même but : celui d'obscurcir et de dissimuler une question qui ne cesse d'inquiéter l'Etat. Depuis plusieurs années l'idée de l'auto ?organisation a poursuivi son développement ; et parallèlement à cette offensive s'est développée une contre ?offensive de ses ennemis au point de ne plus distinguer la Part de qualité qui puisse encore subsister dans le projet des salariés de se coordonner directement entre eux et pour eux ?mêmes. Pour prévenir toutes pertes de contrôle sur des mouvements de grèves, les syndicats de plusieurs secteurs ont déposé du préavis de grève pour pratiquement tous les jours du mois de novembre. En certains endroits les syndicats créent des Coordinations de toutes pièces ; ailleurs les gauchistes, après avoir tenté pendant Plusieurs décennies de noyauter les syndicats, saisissent l'opportunité pour mettre en place des néo syndicats nommés Coordinations [5] ; le gouvernement en reçoit certaines. Les syndicats peuvent déclarer à propos des Coordinations : "Nous sommes d'accord sur le fond, pas sur la forme". Voilà de quoi dégoûter plus d'un salarié décidé à appuyer directement un mouvement d'auto ?organisation. ![]() En fait de Coordination, il n'y a eu jusqu'à présent que celle des ennemis de l'auto ?organisation des salariés. L'unité syndicale, qui reste une croyance dans les syndicats, trouve son application quand les faux adversaires syndicaux se serrent les coudes face aux attaques qu'ils subissent de plus en plus largement. Ils conservent le monopole de la parole et de l'information. Et il se développe sur cette question une surenchère de mensonges et de confusion [6] ; une espèce de "libanisation" destinée à cacher les enjeux réels et cherchant à laisser chacun confronté à un mai insidieux, impalpable et pourtant présent. C'est la méfiance qu'ils veulent provoquer contre toute velléité d'organisation autonome. ![]() Mais cette idée attaquée de toute part, par l'usurpation des syndicats et des gauchistes, par la mise en scène de l'extrémisme activiste des staliniens ( dont le moment le plus grossier aura été la parodie d'attaque de l'imprimerie Didier en juillet 88 ). nia pas encore pu être totalement réduite. ![]() Dans les PTT, face aux syndicats et aux Coordinations chaque jour plus obscures ( certaines ont été mises en place par la CGT, d'autres sont le lieu des concurrences gauchistes ?trotskistes, etc. ) se sont développées des initiatives autonomes isolées entre elles et qui ont été très peu rendues publiques. Des micro ?coordinations ont été créées ; elles ont tenté et parfois réussi à brûler les urnes du vote à bulletins secrets organisé par la CGT. Des piquets communs à des services différents des PTT ont bloqué des centres. Des grévistes se déplacent d'une manière autonome entre centres, des tracts non ?syndicaux appellent à l'extension de la grève sont diffusés ( "Prenez contact avec nous, ne restez pas isolés" ). Des Assemblées communes à différents services ont eu lieu, entamant ainsi les séparations traditionnelles. Cette solidarité réelle a pu aller jusqu'au blocage de trains postaux après discussions entre les ambulants PTT, les grévistes du centre chargeant le train et les conducteurs de la SNCF. Lors des misérables journées d'action organisées par les syndicats, de nombreux salariés n'ont pas suivi la CGT` ( "On veut pas faire grève avec ceux qui nous ont trahis en 78 et en 83" ). "Les stals et les rats se sont mis en grève ; nous, on est les battants. Aujourd'hui, on est resté aux casiers" disait un gars du Centre Paris ?Montparnasse qui attendait la fin des simagrées syndicales pour se mettre en grève. ![]() Depuis une quinzaine d'années, le mensonge qui voulait imposer la "paix sociale'' avait comme argument exclusif celui de la crise. Il exigeait des populations qu'elles subissent, dans le calme et la dignité. l'austérité et les restrictions comme la condition d'une amélioration toujours à venir. L'application directe de cette exigence a été l'occupation policière dm rues, elle a rempli les prisons, armé les beaufs, contraint les pauvres à se cloîtrer, intensifié le flicage social. ![]() Ce mensonge a commencé à s'ébrécher. "On en a marre de se sacrifier" ? "Longtemps, on s'est fait avoir, ça ne passe plus" ? "Aujourd'hui les travailleurs sont lassés du chantage au chômage'' disaient les tracts des grévistes de la SNECMA en avril 88. Depuis le printemps, après l'annonce des bénéfices de diverses entreprises, les salariés se mettent en grève, réclamant une augmentation immédiate de 1500 frs pour tous. Les grévistes actuels des PTT, de la RATP, de la fonction publique en général réclament la même chose : ils en ont marre de se sacrifier, lis veulent de l'argent. ![]() L'Etat a beau pleurer sur les pertes économiques que provoquerait l'acceptation de telles revendications, les grévistes s'en foutent. Voilà un beau manque de civisme ! ![]() La vérité, qui se cachait derrière le chantage à la crise, circule de plus en plus. Au moment où l'Etat pense voir s'épuiser un mouvement, les grèves réapparaissent. A la Poste, les grévistes d'octobre ont repris le travail sans avoir le sentiment il d' " avoir perdu pour longtemps ". ![]() Ces temps ont montré que dans cette société démocratique rien n'est possible pour ceux qui ne se reconnaissent pas dans l'Etat et ses alliés. Il ne peut y avoir de débat avec les syndicats et l'Etat sur la question de l'auto ?organisation. Elle reste clandestine parce que d'expérience l'on connaît l'usage fait par l'Etat et ses alliés des mots d'ordres les plus avancés d'un mouvement. Dans cette guerre, l'ennemi est le plus fortement équipé pour prévenir, confondre et falsifier les expressions universelles. C'est dans le secret et la clandestinité que s'organisent le bavardage et les rencontres ; au point que les administrations et les syndicats tentent de collecter des informations réelles en envoyant chez les salariés toutes sortes d'espions. ![]() Le caractère souterrain et secret de ce mouvement d'agitation est, pour l'instant, une de su plus grandes qualités. Et cette nécessité n'est pas spécifique aux salariés tentant de s'auto ?organiser. Elle a un caractère universel que les pauvres connaissent comme condition première à leur survie dans l'isolement mais aussi à l'organisation de leur colère. Nous n'avons d'amis que nous ?mêmes. ![]() Ce mouvement qui cherche à s'auto ?organiser, et auquel se confronte l'Etat, les syndicats et les gauchistes avec leurs lourds appareils médiatiques, policiers et politiques, leur permettant de parier sur tous les tons de la menace, du réformisme, du modernisme et de la justice, a déjà gagné le fait d'avoir entamé l'isolement et le sentiment d'écrasement qui dominaient ces dernières années. ![]() M. D. et T. G. ![]() Ce texte a été rédigé vers la fin du mois de novembre 88 par deux chômeurs assistés de quelques amis, amies. il se veut une contribution à ce débat souterrain qui agite bon nombre de salariés actuellement. ![]() Notes ![]() [1] Un moment important de cet élargissement a été la grève de la SNECMA, au printemps 88, durant laquelle les grévistes ont eu comme préoccupation centrale de publiciter leur mouvement et de rompre I'isolement en allant rencontrer d'autres salariés. ![]() [2] Une journaliste allemande s'est récemment "oubliée" à la télé en déclarant qu'il était pour le moins ironique que "dans un pays s'appuyant sur lu droits de l'homme Il existe des hommes en fin de droits ! " ![]() [3] nouveau terme pour "paix sociale". ![]() [4] "Qui critique la démocratie est bon pour le bûcher". C'est un sujet sacré, un dogme inattaquable. C'est une question divine dont la critique renvoit à l'apologie du diable et de la dictature. ![]() De la démocratie, nous n'en connaissons que le poids et l'escroquerie : au mieux pouvons ?nous l'utiliser quand elle va dans le sens de nos intérêts. Dans certaines gares en 86/87, des éléments parmi les plus avancés de la grève organisaient des votes lors d'Assemblées qu'ils savaient, au préalable, favorables à leurs initiatives, reprenant ainsi la pratique habituelle des syndicats et de l'Etat qui, eux, ont le pouvoir juridique, c'est ?à ?dire réel, d'imposer des décisions majoritaires. ![]() La démocratie décrète que l'opinion de la majorité fait acte de loi. La minorité nia qu'à s'y plier, y compris aux décisions les plus arriérées. La démocratie qui fonde son pouvoir d'illusion sur le fait qu'elle accorde la parole au plus grand nombre est en fait l'exact opposé. Le pouvoir appartient à ceux qui possèdent tous les moyens dans la société. lis utilisent la démocratie comme ayant valeur de droit et donc de punition pour ceux qui ne lui obéissent pas. ![]() [5] Ils sont mêmes parfois contraints de ne pas se déclarer ouvertement membres d'une organisation pour que leurs petites affaires puissent marcher. ![]() [6] La liste est longue : prise d'otage des usagers par les grévistes, grévistes encagoulés, grève orchestrée par la CGT, champs de manoeuvres politiques, infiltration trotskyste, aspirations, sociales illégitimes, mouvement exclusivement corporatiste, etc. ![]() |