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Un Monde Sans Argent : Le Communisme
IX. Le Devenir Humain



LE COMMUNISME GUARANI

L'année de la publication de l' "Utopie" les Espagnole pénètrent et commencent à conquérir le Paraguay : le pays des Indiens Guaranis. Le nom de Paraguay désigne au 16e siècle un territoire plus important que l'actuel Paraguay et la patrie des Guaranis, ainsi que l'expérience dont nous allons parler se trouvait en dehors des limites du Paraguay moderne.

Sous l'égide des jésuites, plusieurs centaines de milliers d'Indiens allaient vivre, cultiver la terre, extraire et forger les métaux, établir des chantiers navals, s'adonner aux arts, sans que l'argent, le salariat et la propriété privée ne se développent. La république des Guaranis allait durer environ un siècle et demi, puis se dégrader avec l'expulsion des jésuites et les attaques des Espagnols et des Portugais. Cet ensemble constitua à son époque le pays le plus avancé industriellement de l'Amérique Latine. Les contemporains allaient s'interroger et se disputer sur la nature et la portée de l'expérience qui nourrira le socialisme européen. Certains y verront une tentative d'avant-garde, d'autres la minimiseront ou la ramèneront à une louche entreprise des jésuites. Avec le temps cette affaire fut considérée comme trop jésuitique ou trop communiste pour retenir l'attention.

Les documents citée par Clovis Lugon, papiste et stalinophile, permettent de se faire une opinion plus juste ( La République des Guaranis, Éditions Ouvrières 1970 ).

"Rien ne m'a paru plus beau que l'ordre et la manière dont on pourvoit à la subsistance de tous les habitants de la peuplade. Ceux qui font la récolte sont obligés de transporter tous les grains dans les magasins publics; il y a des gens établis pour la garde de ces magasins, qui tiennent un registre de tout ce qu'ils reçoivent. Au commencement de chaque mois, les officiers, qui ont l'administration des grains, délivrent aux chefs des quartiers la quantité nécessaire pour toutes les familles de leur district, et ceux-ci distribuent aussitôt aux familles, donnant à chacun plus ou moins, selon qu'elle est plus ou moins nombreuse." ( R .P Florentin, Voyage aux Indes orientales... )

La plupart des travaux se faisait en commun et les Indiens ne semblaient pas tenté par la propriété privée. Ils ne gardaient en propre que des poules ou un cheval. Pour les faire évoluer vers la propriété privée des lots individuels furent distribués, mais le jour où les Indiens devaient s'occuper de ces parcelles ils restaient "étendus toute la journée dans leur hamac... "( P.Sepp )

"Le P.Cardiel qui déplore, comme il a été dit, la persistance du système communiste, fit pour sa part tout le possible afin d'amener les Guaranis à la propriété privée, et d'abord au sens de l'intérêt individuel et du profit, en les encourageant à cultiver sur le lot des produite de valeur en vue de la vente d'un surplus. Il avoue franchement son échec et déclare n'avoir rencontré en tout et pour tout que trois exemples où des particuliers eussent tiré de leur lot un peu de sucre ou de coton pour la vente. Encore l'un de ces trois particuliers était-il un mulâtre converti." ( Lagon ) Et le P. Cardiel ajoute : "En vingt-huit ans que je me trouvai parmi eux comme curé ou companero, je ne rencontrai pas d'autre exemple entre tant de milliers d'Indiens."

Tous les Indiens participaient obligatoirement aux tâches manuelles et ils n'y passaient qu'un temps limité : le tiers ou la moitié de la journée.

"Il y a partout des ateliers de doreurs, de peintres, de sculpteurs, d'orfèvres, d'horlogers, de serruriers, de charpentiers, de menuisiers, de tisserands, de fondeurs, en un mot de tous les arts et de tous les métiers qui peuvent leur être utiles." ( Charlevoix ). "On ne trouverait que dans une grande ville d'Europe tant de maîtres artisans et d'artistes." ( Garech ). "Ils font des montres, ils tirent des plans, ils gravent des cartes géographiques." ( Sepp ). Selon Charlevoix les Guaranis "réussissent comme par instinct dans tous les arts auxquels on les a appliqués... On leur a vu faire les orgues les plus composées sur la seule inspection qu'ils en ont eue, aussi bien que des sphères astronomiques, des tapis à la manière de Turquie et de ce qu'il y a de plus difficile dans les manufactures." Et "dès que les enfants sont en âge de pouvoir commencer à travailler, on les conduit dans les ateliers et on les fixe dans ceux pour lesquels ils paraissent avoir le plus d'inclination, parce qu'on est persuadé que l'art doit être guidé par la nature."

Les Indiens fabriquaient aussi des cloches, leurs armes à feu, des canons et des munitions. Des imprimeries permettaient de sortir des livres en plusieurs langues et notamment en guarani. Les Indiens étaient organisés militairement; "Nous pourrions mobiliser immédiatement plus de trente mille Indiens, tous à cheval" et capables "aussi bien de tenir un mousquet que de brandir le sabre... de se battre en offensive ou en défensive, tout comme n'importe quels Européens." ( Sepp ). Le P. d'Aguilar, supérieur général de la République, écrivait : "Que pourrait-on opposer à vingt mille Indiens qui se sont mesurés avec les meilleures troupes espagnoles et portugaises, devant qui les Mamelus n'osent plus se montrer, qui ont chassé deux fois les Portugais de la colonie du Saint-Sacrement, et qui depuis tant d'années tiennent en respect toutes les nations infidèles dont ils sont environnés." ( cité par Charlevoix ).

Selon Charlevoix il n' y avait "ni or ni argent, que pour décorer les autels." "La population se procurait les denrées sans argent ni pièces quelconques de monnaie. Ces idoles de la cupidité, dit Muratori, leur sont absolument inconnues... La valeur des marchandises s'exprimait en "pesos" et "réaux", de façon purement fictive. C'était une manière de fixer la valeur relative des denrées courantes... A part le troc et la monnaie fictive du peso, il existait une monnaie "réelle" constituée par certaines marchandises d'usage général qui étaient acceptées par chacun en paiement, même sans qu'on en eût besoin ou usage immédiat. ( thé, tabac, miel, maïs )..

Le prix correspondait normalement à la valeur réelle des biens, soit à la somme de travail exigée pour leur production, sans majoration au bénéfice d'intermédiaires inexistants. Le prix relatif d'une marchandise particulière était naturellement influencé par sa rareté ou son abondance." ( Lagon ) '

Les transactions de "réduction" à "réduction" relevaient de la communauté. "Les statistiques indiquant régulièrement le volume des réserves et des besoins en chaque réduction, il était facile de prévoir les échangea. Le curé tenait conseil avec le corregidor et le majordome pour déterminer le genre et le montant des marchandises à importer et à exporter." ( Lagon )

Vagissait-il de communisme authentique ?

Le communisme guarani n'était pas un communisme pur. Il y avait l'esprit calotin des jésuites, le tribut payé à la couronne d'Espagne et la mise à son service des forces militaires guaranis, la persistance du troc, etc. Mais nous ne sommes pas à la recherche de la pureté.

Ce ne sont pas les jésuites qui ont apporté le communisme aux Guaranis. Ils l'ont trouvé sur place et ils ont dû s'en accommoder. Certains s'en sont réjouit le trouvant conforme à l'esprit évangélique, d'autres par goût ou sous les pressions de l'extérieur ont cherché à le réduire. Les jésuites ont permis la greffe de techniques et de savoir occidental, sur un indéracinable communisme primitif. Ils ont permis aux groupes guaranis de s'unir en un ensemble conséquent.

Ce communisme l'était suffisamment pour susciter la méfiance et être attaqué. Les jésuites ont joué un rôle plutôt néfaste, soumis qu'ils étaient à une autorité extérieure à la communauté guaranis, en semant la confusion et la désunion chez les Indiens lorsque les Espagnols et les Portugais attaquèrent les "réductions" orientales en 1754-56. "Les Pères des réductions avaient reçu du Général de la Compagnie, Ignace Visconti, "l'ordre strict de se soumettre à l'inévitable et d'amener les Indiens à l'obéissance." ( Lagon ). Les Indiens directement menacés se battirent, mais furent finalement écrasés. En 1768 les jésuites furent expulsés. Les interventions anti-guaranies se prolongèrent et ruinèrent l'expérience. La faiblesse du communisme guarani était qu'au départ il n'était pas un communisme révolutionnaire et ne s'était pas constitué dans l'affrontement.

En 1852 Martin de Moussy écrivait : "ce régime étrange, ce communisme tant critiqué, avec un semblant de raison peut-être, la meilleure preuve qu'il convenait aux Indiens, c'est que les successeurs des jésuites se virent forcés de le continuer presque jusqu'à l'époque actuelle et que sa destruction, non préparée par des mesures intelligentes et paternelles, n'a eu d'autre résultat que de jeter les Indiens dans la misère... l'heure qu'il est, leurs derniers héritiers regrettent amèrement ce régime, imparfait sans doute, mais si bien approprié à leurs instincts et à leurs moeurs.''

Lugon qui veut absolument faire des jésuites les importateurs du communisme, écrit encore : "Au lendemain de la destruction de l'Entre-Rios, les rescapés se réorganisèrent sous la direction de trois caciques assistés d'un conseil, tout à fait selon les traditions reçues des jésuites. La population de cette colonie était évaluée à 10000 personnes entre 1820 et 1827. La communauté des biens y fut intégralement restaurée.

Dans les réductions échues au Paraguay moderne, le régime communiste fut officiellement aboli en 1848 par le dictateur Lopez. Les Guaranis qui subsistaient encore dans cette région furent à ce moment légalement dépouillée de leurs bâtiments et de leurs biens. On les laissa végéter sur des réserves établies à la manière nord-américaine."

La République des Guaranis n'est pas le seul exemple de la rencontre entre le communisme indien et l'occident. Il y en a eu quelques autres de moindre importance : la République Chiquite dans le sud-est de la Bolivie, la République des Moxes au nord de la Bolivie, le groupe des pampas...

Les communistes de Munzer ou du Paraguay sont allés plus loin en créant une forme sociale intermédiaire entre le communisme primitif et le communisme supérieur que les Communards et les autres prolétaires des temps modernes. Y aurait-il régression avec le temps ? C'est la puissance du capital et la dégradation entraînée au niveau du sens social des individus qui s'est dressée contre le communisme. Il n' y a pas régression mais un cycle qui s'accomplit et qui verra le communisme ressurgir mais cette fois-ci au centre du monde capitaliste.

Cela est peut-être incompréhensible pour ceux qui voient dans l'histoire un processus linéaire et continu. Il n'y a ni régression, ni anticipation mais un progrès perpétuel de l'inférieur au supérieur. Mais pourquoi alors l'industrie moderne s'est développée à partir de l'arriération féodale européenne et non à partir des grandes manufactures de tissage incas, et non à partir des arts et techniques chinoises ? Pourquoi cette industrie n'a pu être introduite qu'à la suite d'une période de décadence ?

A côté et à la suite de ce communisme à enveloppe religieuse, quoique iconoclaste chez les insurgés allemands ou Campanella qui veut la fin de la famille, va se développer un communisme naturaliste et anti-religieux dans le sillage des révolutions bourgeoises.



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