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Le mouvement communiste
Première Partie : Définition Du Capital 10.

 

LE CYCLE DE LA VALEUR
La loi de la valeur anime le capitalisme, mais elle ne le caractérise pas, et prend avec lui une forme particulière  [88]. Ce qu'on appelle « loi de la valeur » revêt en réalité trois formes différentes, dont la plus compliquée n'est que le développement de la plus simple, et qui toutes trois correspondent à des périodes historiques distinctes.
La loi de la valeur est d'abord l'expression et la régulation de l'échange des marchandises selon le temps de travail moyen nécessaire à leur production. En ce sens, elle caractérise la circulation simple qui marque l'économie marchande simple, et se développe de la dissolution de la communauté primitive au seuil du capitalisme. Elle correspond à une phase où l'échange porte sur des marchandises qui ne sont pas produites dans des conditions capitalistes. Il ne s'agit pas encore de capital industriel, mais seulement de capital marchand. Avec le capitalisme moderne, dont la base est l'industrie, la loi de la valeur se transforme dans sa manifestation. Le capitalisme n'est pas une production de marchandises, mais de capitaux. Les capitaux qui se rencontrent sur le marché s'échangent, non seulement en tant que marchandises, mais surtout en tant que produits de capitaux  [89]. A ce titre, ils reçoivent une part de profit proportionnelle à leur importance, mais cette part est calculée (non pas consciemment, mais dans les faits) sur la base du profit total de la société, c'est-à-dire du capital social total, et non à partir de la composition organique individuelle de chaque capital. Cette répartition du profit ne s'effectue pas de façon statique, mais par le mouvement incessant des capitaux vers les branches où le taux de profit est le plus élevé : c'est donc un mouvement tendanciel. La loi se réalise ici de façon dynamique, et au niveau global de la société  [90]. La masse totale des prix des marchandises correspond à la masse totale de leur valeur : la masse totale des marchandises s'échange bien selon la quantité de temps de travail moyen qu'elle contient. Cependant, au niveau de chaque marchandise-capital, la loi ne joue pas. Un taux de profit moyen tend à se former au niveau de la société tout entière, et chaque marchandise-capital est vendu, non à sa valeur, mais à son prix de production : c'est-à-dire son coût de production (= la valeur du capital variable + la valeur du capital constant), augmenté de sa part de profit moyen (déterminée pour son taux par le profit social moyen, et pour sa masse par la taille de ce capital). Ce qui importe ici, c'est le mouvement social dans son ensemble : travail total, valeur totale, capital total, profit total  [91]. L'intérêt de cette analyse, que Marx développe dans les deux premières sections du Livre III, est de montrer le triomphe de la loi dans le capitalisme moderne, à travers son apparente négation. Il est important de résumer ici ce mouvement parce qu'il indique comment le taux de profit assure la répartition de la plus-value. Par là, il équilibre la production sur la base de la valeur. Ce mécanisme d'une complexité croissante se heurte d'autant plus à des difficultés que l'autonomisation de la valeur d'usage de passive devient active (dans la mesure de ses moyens bien entendu). Cette seconde forme de la loi de la valeur débouche sur la troisième, caractérisée par la lutte contre la tendance à l'autonomie de la valeur d'usage  [92].
C'est l'époque de la fin du cycle capitaliste, qui, tout en se développant de plus belle au milieu des guerres et des révolutions, fait mûrir en son sein les conditions du communisme. Cette période historique marque la dernière phase du cycle de la valeur et du capital. (Voir dans la Troisième partie le paragraphe sur « La domination réelle du capital », qui coïncide avec la dernière étape du cycle de la valeur.)
En même temps qu'elle parcourt cette évolution, la loi de là valeur change de fonction. Elle n'est d'abord qu'échange des marchandises selon le temps de travail moyen  [93]. Avec le mode de production capitaliste, la valeur règne sur toute la société. Elle ne règle plus seulement la circulation, mais la production elle-même  [94] : on ne produit que là où le temps de travail est égal ou inférieur au temps de travail moyen. Il y a élargissement du rôle de la valeur. Avec le capital production et circulation sont unies en une totalité qu'elle domine  [95]. On produit pour la circulation du capital, pour sa valorisation maximum : en même temps la circulation est déterminée par le critère du temps de travail moyen dans la production   [96]. La loi n'est plus seulement la mesure de l'échange : elle est aussi la mesure de la production. Elle ne détermine plus seulement l'échange des marchandises, mais aussi et d'abord la production du capital. Le but du mode de production capitaliste n'étant pas la production de marchandises, mais celle de capital, la loi unit indissociablement les composants du procès d'ensemble de la production capitaliste  [97]. Soient : la production de plus-value ; le mécanisme de la circulation ; le processus d'ensemble (taux de profit, capital monétaire, marchand et productif d'intérêt, etc.). Comme on l'a vu plus haut, la seconde époque conduit à la troisième, car le moment où la loi de la valeur règle l'ensemble du procès de production capitaliste (à l'échelle du monde) annonce rapidement celui où la loi devient caduque. En réglant toute la production la valeur domine le monde : elle est alors contrainte d'entamer la lutte contre l'appareil productif. Son autonomie tend à devenir démentielle, tandis que s'accumulent les forces gigantesques qu'elle doit affronter  [98].
[88] L'analyse reste ici au niveau du «  capital en général » (Marx, Fondements de la critique de l'économie politique (Ebauche de 1857-1858), En annexe : travaux des années 1850-1859, Trad. par R. Dangeville, t. I, Anthropos, 1967., pp. 258 et 412.)
[89] Livre III, Marx, Oeuvres/Economie, II, édition établie par M. Rubel, Gallimard, 1968., p. 968. L'échange au prix de production représente un stade plus élevé de développement (id., p. 969).
[90] Marx, Oeuvres/Economie, II, édition établie par M. Rubel, Gallimard, 1968., p. 874.
[91] Marx, Oeuvres/Economie, II, édition établie par M. Rubel, Gallimard, 1968., pp. 946-965.
[92] L'intérêt de l'analyse est de montrer le mouvement de la valeur id., p. 945. Les polémiques sur ce sujet ont totalement laissé ce point -- c'est-à-dire l'essentiel -- de côté, et envisagé la question en se demandant s'il y a ou non contradiction entre les Livres I et III. Cela commença dès la fin du XIXe siècle, et s'est poursuivi depuis, avec mille raffinements. Mais au fond c'est toujours la même chose : on discute pour ne rien dire sur l'essentiel. Cf. H. Denis, Histoire de la pensée économique, P.U.F., 1967, Sixième partie.
[93] Marx, Fondements de la critique de l'économie politique (Ebauche de 1857-1858), En annexe : travaux des années 1850-1859, Trad. par R. Dangeville, t. II, Anthropos, 1968., pp. 627 suiv.
[94] Le profit ne règle pas la distribution, mais la production Livre III, Marx, Oeuvres/Economie, II, édition établie par M. Rubel, Gallimard, 1968., p. 1481.
[95] Marx, Fondements de la critique de l'économie politique (Ebauche de 1857-1858), En annexe : travaux des années 1850-1859, Trad. par R. Dangeville, t. I, Anthropos, 1967., p. 202.
[96] Livre III, Marx, Oeuvres/Economie, II, édition établie par M. Rubel, Gallimard, 1968., p. 976.
[97] Marx, Un chapitre inédit du Capital, Trad. et présentation de R. Dangeville, U.G.E., 1971., pp. 268-269.
[98] Marx, Fondements de la critique de l'économie politique (Ebauche de 1857-1858), En annexe : travaux des années 1850-1859, Trad. par R. Dangeville, t. II, Anthropos, 1968., p. 35, pour un aperçu du cycle historique, cf. Engels, Complément et supplément au IIIe Livre du « Capital », publié dans Engels, Pour comprendre « Le Capital », Suivi de deux études de F. Mehring et R. Luxembourg sur le « Capital », Ed. Gît-le-coeur, s.d.,, pp. 82-93 (toutefois Engels n'explique pas la fin du cycle : le communisme).

 

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