le roman de nos origines
naissance du communisme moderne
Quelle continuité ? |
Entre les groupes et les individus qui nous ont fait ce que nous sommes, qu'ils soient ou non nos contemporains, on pourrait relever de nombreuses interrelations parfois croisées. Il serait absurde de revendiquer une continuité organisationnelle. Mais ne peut-on parler d'une invariance ou tout au moins d'un fil doctrinal ? |
Il n'y a pas de révolutionnaire éclectique, qui puisse se contenter de prendre son bien là où il le trouve. Lire aujourd'hui une pensée profonde, qui nous transforme, chez Flora Tristan, demain une seconde chez Bakounine, plus tard une troisième chez Marx, ne nous enrichit que si leur apport s'inscrit dans une cohérence construite, modifiée, mais qui tend à une critique unitaire du monde. Inutile de refuser l'éclectisme au nom d'une pureté doctrinale. On le rejette quasi naturellement parce qu'un mouvement communiste existe. C'est d'ailleurs la conviction de son existence qui fait la différence entre notre « courant », dont La Banquise est un aspect, et d'autres révolutionnaires. Au-delà d'une mise au point historique, ce texte aura atteint son but s'il éclaire ce qu'est le mouvement communiste, sa nature comme ses manifestations actuelles. |
L'être humain sera peut-être un jour un mutant capitalisé. En attendant, il est réconfortant de constater qu'on ne réussit toujours pas à fabriquer de tels êtres, et nous doutons même qu'on y parvienne jamais. Tel que l'histoire passée et présente nous le montre, l'être humain se caractérise entre autre par le fait qu'il se livre à une activité avec d'autres êtres. A travers cette relation, il se transforme en transformant ce qui l'entoure. C'est ce qui distingue l'humanité des « sociétés » d'insectes, de singes, etc. (Voir La Banquise, nº 1, « Pour un monde sans morale ».) Le mouvement communiste est la tendance humaine à faire de cette activité et de cette relation l'essentiel de la vie humaine, tendance théorique et pratique qui se manifeste embryonnairement, sans remettre la société en cause, dans des gestes élémentaires, de solidarité, d'entraide, et socialement par un mouvement révolutionnaire. |
« La question de souveraineté mène donc droit à l'organisation communiste, et soulève du même coup toutes celles qui tiennent aux causes rationnelles de l'existence d'un état de société... Qu'est-ce que la société ?... La société n'existe que par le fait du rapprochement des hommes, mettant en commun leurs facultés diverses... dès lors, son objet est d'utiliser ces forces, cette puissance collective pour le plus grand bien de tous... » (La Fraternité de 1845, 1847.) |
99% des sociétés connues reposent sur l'exploitation de l'homme par l'homme, l'oppression de groupes par une classe dominante, interposant entre l'être et son activité des médiations : Etat, religion, politique, etc. Pourtant, ce monde anticommuniste ne fonctionnerait pas sans la tendance humaine au communisme, détournée, dégradée. Le besoin d'activité est une des conditions du travail le plus aliénant, de même que la nécessité d'agir, de se dépasser permet la dépossession de soi dans la religion, la politique, l'art . |
Le communisme c'est ce qu'on fait et ce qu'on a en commun avec les autres. C'est une fonction nécessaire à toute existence et à toute action. Alors, dira-t-on, il y a « du communisme » partout ? Oui. Le mouvement communiste est l'action et l'expression cohérente de cette irrépressible tendance, qui concourent à assurer le triomphe de ce qui est commun aux hommes, leur être-ensemble. Les sociétés d'exploitation jouent sur cette communauté latente et sur le besoin que chacun a d'elle, le besoin d'agir ensemble, et constituent là-dessus une kyrielle de petits groupes ou d'individus surtout reliés par l'intermédiaire étatique ou marchand. Grégarisme et individualisme vont de pair. Le communisme, au contraire, est le besoin d'être et d'agir ensemble, mais sans abdiquer son existence et son action propres, autonomes. |
Le mouvement communiste est donc, par nature, multiforme et convergent. Il ne craint pas l'impureté doctrinale. L'homme politique, lui, doit être héritier ou fondateur. La filiation pose un éternel problème à la politique. Pour regrouper le séparé, il lui faut des repères, des ancêtres, des fondateurs. Inversement, chez les spécialistes de la recherche questionnant, qui ont besoin de chercher sans trouver, c'est la phobie de la tradition qui s'impose. |
Malgré l'importance des mouvements de longue durée, en économie comme dans la vie des sociétés, les moments cruciaux sont pour nous ceux où le communisme sort de sa réalité phénoménologique quotidienne pour émerger comme force sociale offensive. C'est le cas des années précédant et suivant 1848 et de l'après-1917, qui constituent des périodes-clé de son histoire. Dans les deux cas, pourtant, le prolétariat n'est pas allé assez de l'avant pour s'unifier et agir vraiment pour lui-même. Ces temps forts n'en demeurent pas moins décisifs, dans la pratique comme « doctrinalement ». Par contre, les longues phases qui suivirent ces ruptures accentuèrent la dispersion -- l'éclatement théorique correspondant à l'émiettement du mouvement. En 1933, la revue Bilan constatait dans son nº 1 que « la vision du développement révolutionnaire dans le monde entier [...] n'est plus unitaire » depuis 1923. |
Les retours en arrière sur ces deux charnières -- 1848 et 1917 -- sont plus qu'un rappel historique. Résumant des débats qui ont animé le mouvement révolutionnaire depuis les années soixante, ils doivent permettre de voir si la phase historique ouverte il y a une quinzaine d'années peut déboucher sur un autre de ces temps forts. Ce qu'on lira sur 1848 et 1917 exprime aussi l'itinéraire d'une génération. Nous ne mettons évidemment pas Marx ou la révolution russe sur le même plan que la Vieille Taupe ! Mais il faut savoir ce que la Vieille Taupe pensait de la révolution russe pour comprendre la Vieille Taupe et ce que nous pensons de Marx pour nous comprendre nous-mêmes. Il ne s'agira pas d'évaluer ce que nous avons emprunte aux uns et aux autres ni de peser le pour et le contre. La mise à jour des limites d'un courant compte moins que celle de son mouvement d'ensemble, de la profondeur de son apport. Il s'agira plutôt de montrer le pourquoi et le comment de la transformation en idéologie d'idées alors subversives. |
« [...] l'idéologie ne se construit pas sur les erreurs de la critique radicale qui lui a donné naissance mais sur la vérité historique que cette dernière aura dégagée, ou du moins contribué à dégager. » (En finir avec le travail et son monde, C.R.C.R.E., nº 1, juin 1982.) |