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le roman de nos origines
histoire et petite histoire des quinze dernières années

 

Le printemps de la Guerre sociale
L'Organisation des Jeunes Travailleurs Révolutionnaires (OJTR) avait disparu à peu près à la même époque que le Mouvement Communiste. Début 1974, l'OJTR organisa une réunion nationale qui fut un échec. Ceci ne l'empêcha heureusement pas de publier Un monde sans argent (3 fascicules, 1975-76), où pour la première fois, peut-être, et à la différence des écrits utopistes et anarchistes, on envisageait le mécanisme concret d'une révolution communiste.
L'auteur de ce texte, D. Blanc, anima ensuite King Kong International (1976). Caractéristique de la période, l'éditorial, synthèse de positions communistes essentielles, tranchait avec d'autres articles mineurs, et un texte sur LIP qui ne faisait pas la critique de cette opération de sauvetage d'une entreprise par ses employés. Il ne suffit jamais d'indiquer les causes profondément prolétariennes d'actes sociaux, encore faut-il dire à quels effets ils aboutissent. Dans l'affaire LIP, comme dans bien d'autres cas, le capitalisme, avait réussi à pénétrer de l'intérieur l'action ouvrière et à en faire une entreprise (aux deux sens du mot) capitaliste qui, en outre, de par le retentissement national et international qu'elle connut, eut une fonction anti-révolutionnaire [NOTE 1].
Au deuxième numéro, la revue changea de nom pour s'appeler la Guerre sociale (nº 1, 1977). Un texte sur l'abolition du travail salarié, diffusé massivement le 1er mai 1977, fut repris en éditorial. Il coexistait avec au moins deux textes profondément erronés, sur l'automation et le refus du travail interprétés unilatéralement comme preuve que le capital serait au bout du rouleau. La mise au point dans le nº 2 ne mit pas les choses au point.
Parmi les participants passés ou actuels de la GS, certains avaient participé à la VT et au MC. En outre, G. Dauvé a contribué à la GS en donnant les premières versions, modifiées ensuite, du texte sur l'État (paru dans le nº 2), et sur les camps (nº 3, 1979).
La lecture de la GS et de la Banquise montrera clairement les parentés et les convergences. En plus de ce dont nous parlerons plus loin (et qui n'est pas rien), la Banquise adresse deux critiques à la GS : premièrement, la GS ne va pas au fond de l'analyse des luttes revendicatives; deuxièmement, elle a mal rompu avec la propagande.
Si la GS est tentée par le triomphalisme (articles du nº 1 déjà signalés, articles sur Denain-Longwy dans le nº 2), c'est probablement plus qu'un signe d'optimisme excessif. La critique du mouvement ouvrier, y compris des mouvements sauvages, n'est pas menée à terme. La GS écrit dans le nº 4 (1982) :
« Il nous semble que, indépendamment des formes d'organisation, syndicales ou autonomes, le prolétariat s'exprime également dans sa lutte élémentaire de résistance à l'exploitation. Même si de cette façon, il ne se montre pas révolutionnaire. »
Thèse, au minimum, discutable et à discuter. (Voir nos positions sur la définition du prolétariat). La résistance élémentaire est une condition du mouvement communiste, mais une condition seulement. Nous ne faisons ni l'apologie de toute lutte ouvrière (qui peut être ou devenir anti-prolétarienne), ni même celle de toute lutte de classe (qui peut être réformiste ou même aboutir à emprisonner encore davantage les prolétaires dans le capitalisme).
On ne peut faire l'impasse sur ce sujet. Aucun regroupement ne se fera sur la seule base de la compréhension du communisme et de la révolution. Encore faut-il s'entendre sur ce qu'il y a entre maintenant et une révolution; sur ce que fait et ne fait pas le prolétariat.
Dans les premiers numéros la GS préférait publier des textes mineurs aux dépens d'autres fondamentaux (sur l'I.S. par exemple) réservés à une diffusion restreinte. La GS était souvent en deçà d'Un monde sans argent. Le texte sur la crise (nº 3) laissait de côté ce qu'il y avait d'essentiel dans une autre analyse antérieure, de D. Blanc, polycopiée, sur le sujet. La GS a trop fait de la simplification, de la propagande.
« C'était une conférence, c'est-à-dire de l'éducation et de la vulgarisation. J'aurais voulu que cette conférence en m'apprenant quelque chose, vous apprît quelque chose à vous aussi. Ce critérium de la découverte est le seul qui m'apparaisse comme valable quand j'écris. » (lettre d'A. Artaud à André Rolland de Renéville, 11 janvier 1933)
Fin 1979, après le nº 3, D. Blanc adressa une lettre circulaire aux membres du groupe et à une série de gens ayant collaboré avec lui dans le passé, ainsi qu'à ceux qu'il connaissait parmi les rédacteurs du faux Monde Diplomatique. La GS, disait-il, subissait les conséquences de la passivité générale. Elle était en crise et il se demandait s'il fallait l'arrêter ou la continuer. Une correspondance s'ensuivit. Les futurs rédacteurs de la Banquise reconnaissaient l'importance de l'existence d'une revue comme la GS mais adressaient les critiques résumées ci-dessus.
Au printemps 1980, une réunion eut lieu à Paris dont un compte-rendu fut rédigé peu après par les membres lyonnais de la GS. Aucun rapport n'est impartial, le nôtre aurait été différent, mais celui-ci est honnête, nous le reproduisons intégralement en annexe.
La réunion s'était déroulée dans un climat de bonne volonté générale, de critiques franches et de refus des polémiques. Ceux qui font aujourd'hui la Banquise avaient le sentiment qu'on entrait peut-être dans une nouvelle période durant laquelle un regroupe ment révolutionnaire allait s'opérer. Dans les semaines suivantes des textes furent rédigés et expédiés à tous les participants :
-- un texte de G. Dauvé sur les camps de concentration et leur mythe (publié par la suite dans deux numéros du Frondeur; quelques pages ont été intégrées dans « L'horreur est humaine » du nº 1 de La Banquise). Ce texte versait trop dans la psychologie de masse mais amorçait une critique de Rassinier et de Faurisson; -- un autre texte du même sur « Prolétariat et communisme », reprenant des manuscrits antérieurs;
-- un texte de J.-P. Carasso et de S. Quadruppani, devenu après modification, « Pour un monde sans morale », paru dans le nº 1 de LB;
-- un texte de G. Dauvé sur la guerre, dont une partie deviendra « Guerre et peur » (nº 1 de LB, dont un extrait sera publié dans Indolencia, à Barcelone, et présenté par erreur comme émanant de la GS).
Les engagements semblaient tenus. Mais...
D. Blanc considéra d'abord que « Prolétariat et communisme » jetait le prolétariat par la fenêtre, puis quelques temps après, déclarait que le texte sur la morale était plus proche des positions de Bruckner (intellectuel moderniste) que de celles de la GS, que cette bouillie de « moralisme immoraliste ne valait rien, n'expliquait rien » et le qualifiait pour finir de « branlette vaneigemiste » (c'est-à-dire sous situationniste). Ses critiques s'exprimaient avec une agressivité de moins en moins contrôlée et laissaient peu de place aux arguments. Le texte sur la morale, contenait effectivement des passages très erronés qui ont été corrigés depuis (entre autres une présentation non-critique du mythe du « réfractaire », et même une demi-identification du réfractaire au révolutionnaire) mais des textes de travail ne méritaient pas pareille fureur.
Par ailleurs, l'affaire Faurisson aggrava davantage les différends. D'un commun accord entre P. Guillaume et nous, elle n'avait pas été discutée à la réunion, puisqu'on attendait encore (mars 1980) les réponses de Pierre à nos critiques. Quelques temps après, Pierre continuant avec une belle énergie dans la voie qu'il avait prise, nous estimâmes impossible de taire plus longtemps nos désaccords avec lui. Croyant préparer l'avenir et non le gâcher, nous portâmes tout cela à la connaissance de tous ceux qui avaient participé à la réunion de mars. Pierre réagit par une nouvelle lettre que nous fîmes également circuler. Nous voulions vider l'abcès. Il nous était presque impossible de croire que la VT2 persisterait longtemps encore dans ses aberrations. Nous pensions qu'en gros les membres de la GS seraient d'accord avec nous sur le fond de notre différend avec Pierre, le lui feraient savoir et qu'ainsi ce dernier se trouverait au pied du mur.
Mais D. Blanc, tout en donnant tort à Pierre sur la question de l'intervention dans les médias, concentra toutes ses énergies à critiquer notre attitude et déclara celle de Pierre plus « sympathique » que la nôtre. A notre grand étonnement, il ne se prononça guère sur le fond (doit-on soutenir Faurisson ?) mais déclara Rassinier plus subversif et Pierre plus sympathique que nous.
Il choisissait de prendre comme un procès fait à Pierre par des gens également coupables de ce qu'ils lui reprochaient (lettres au journaux, erreurs effectivement critiquables), ce qui était pour nous un appel à une discussion indispensable et une mise en garde. D. Blanc avait à juste titre reproché à un de ses camarades d'avoir tenté d'obtenir du Nouvel Observateur qu'il parlât de la GS. Alors que dire d'une campagne de publicité systématique pour Faurisson ?
Imagine-t-on un groupe publiant un article contre la démocratie et dont l'un des membres les plus éminents, un de ceux sans qui l'article n'aurait pas été fait, serait ensuite candidat à une élection ? C'était bien cette inadmissible confusion que créait Pierre en participant à un regroupement révolutionnaire tout en menant une campagne pour la démocratisation des médias en faveur de Faurisson. Il y avait là une équivoque à trancher. D. Blanc s'y est refusé. En conséquence, à l'automne suivant, la GS rejoignait la VT2 dans l'activisme confusionniste pour la défense de Faurisson.
La critique des « droits de l'homme » fait partie des positions révolutionnaires minimum d'aujourd'hui, pour nous comme, sans aucun doute, pour la GS. Comment un groupe peut-il se laisser entraîner, de plus en plus ouvertement dans une campagne des droits de l'homme ? Et pourquoi l'homme en question serait-il précisément Faurisson ?
Un contrat avait été passé en mars. Nous avions l'impression de l'avoir rempli. Nous fûmes les seuls. Quels qu'aient été les désaccords avec la GS, ils ne motivaient pas une attitude qui se résume ainsi : la GS a délibérément choisi de ne pas s'associer des gens qu'elle a traité comme des intellectuels sous-situationnistes ou dérivant dangereusement vers le camattisme. Le texte sur les moeurs, amendé, se trouve dans le nº 1, les idées sur le prolétariat sont dans les nº 1 et nº 2. Chacun appréciera les jugements portés sur nous par D. Blanc.
Il existe très certainement entre la GS et nous des désaccords importants, aussi bien sur la conception du prolétariat que sur la critique des moeurs. Ces désaccords nous auraient très vraisemblablement interdit une collaboration suivie, en tout cas dans la même revue. Mais il y avait là l'occasion de discuter de sujets essentiels, et l'attitude de D. Blanc nous l'a interdit.
Dans la lettre-circulaire qui mit un point final à nos relations avec la GS et son réseau de correspondants, nous écrivions ces phrases qui résument notre sentiment sur cet épisode : « Que les caprices d'un individu et les "obscurs règlements de compte affectifs" aient encore tant d'importance montre bien la faiblesse du courant révolutionnaire. Dans toute cette triste affaire, c'est ce qui nous gêne le plus. » Tant que le courant révolutionnaire sera aussi faible, les affrontements de personnalité et de caractère garderont leur importance. Il faut parfois faire un peu de psychologie pour ne pas avoir à en faire beaucoup par la suite. Mais surtout, il faut trouver un mode de relations entre individus et entre groupes qui tienne en lisière les comportements affectifs paralysants. Le regroupement de quelques individus sur La Banquise n'est pas une fin en soi. Nous sommes ouverts à toutes relations avec des groupes et des individus, mais il faudra que ces relations se fassent dans des termes qui montrent qu'on a un minimum de départ en commun. Il y a des règles de conduite à trouver entre révolutionnaires. Après nous avoir traités de branleurs vaneigemistes et nous avoir déclarés moins subversifs que Rassinier, D. Blanc a eu l'air de s'étonner de ce que nous nous refusions désormais à toute discussion avec lui. Il vient encore de nous écrire une lettre d'insultes à propos du nº 1 de La Banquise. A cette lettre [NOTE 2] comme aux précédentes nous ne répondrons pas. Tout le monde a déjà vu des gauchistes qui se hissent patiemment abreuver d'insultes par leurs interlocuteurs avant de se remettre bravement à argumenter. Nous ne pratiquons pas cet angélisme-la, non pas (pas seulement) par amour-propre, mais parce qu'on ne discute de façon efficace qu'avec ceux avec qui on a au minimum, un langage commun. A des insultes, nous ne pourrions répondre que par des insultes et nous ne voulons pas non plus sombrer dans ce petit jeu sous-situationniste.
Après la fort sympathique réunion de mars 1980, les amis et membres de la GS, à qui avaient été adressés les textes et le double des correspondances avec P. Guillaume et D. Blanc, ne manifestèrent à une exception près aucune réaction. Rien. Pourquoi jouèrent-ils les white zombies que nous les savons ne pas être ? Dans son exposé de ce qui s'est passe entre les numéros 3 et 4, la GS fait allusion a ce printemps raté : « Au lieu de nous renforcer, nous sommes parvenus à dégrader certains de nos rapports et même ceux avec lesquels une collaboration plus lointaine et plus épisodique pouvait être possible. » (nº 4, 1982, p. 43). Le lecteur de la GS n'en saura pas davantage.
La Banquise, comme toute revue révolutionnaire conséquente, travaille à sa disparition. Notre activité n'a de sens qu'en fonction d'un mouvement qui un jour englobera toutes les énergies manifestées ici ou là sous la forme de groupes ou de revues. Nous n'avons rien à voir avec la grande famille de l'extrême-gauche. En revanche, nous savons qu'un surgissement prolétarien aurait tôt fait de trancher les différends qui nous séparent des autres segments du mouvement révolutionnaire. En attendant, nous continuerons de rechercher entre nous et avec ceux que nous rencontrerons une cohérence qui n'est jamais donnée au départ, mais ne peut être atteinte qu'en éclairant au maximum les points de désaccord et en les travaillant. La VT première manière, le MC, la GS et ceux qui animent La Banquise ont commis des erreurs. Le plus grave aurait été de laisser ces erreurs dans l'obscurité.
 
[NOTE 1] Voir le numéro de Négation consacre à Lip.
[JohnGray note : an english translation can be found here]
[NOTE 2] NOTE IN THE ORIGINAL TEXT : Comme la totalité des documents relatifs aux que questions abordés par La Banquise, il va de soi que cette lettre est à la disposition de ceux que ça intéresserait.

 

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