Il y a au Québec des centaines d'avocats, de diplômés
en service social et d'autres universitaires qui n'ont pas de travail. Mais
on doit compter des semaines pour trouver un menuisier compétent!
Un plombier durant la fin de semaine vous coûte 80 dollars l'heure...
mais 30% de la restauration résidentielle se paye au comptant, moins
cher, sous la table. Et il faut être bien fûté pour faire
réparer un téléviseur, de l'équipement ménager
ou une automobile sans trop se faire avoir.
Coté grands projets, des investisseurs étrangers ont remis
en question, l'an dernier, un chantier d'un milliard de dollars à
cause du climat dans le secteur construction: violence sur les chantiers,
le favoritisme érigé en système et bien des délégués
de chantiers qui touchent des pots-de-vin. Les retards sont si importants
que le petit entrepreneur n'a parfois le choix qu'entre finir lui-même
le travail prévu... ou encourir des pénalités qui amèneraient
sa ruine.
Il y a un malaise profond et une carence grave de travailleurs qualifiés
au niveau des métiers de base, tandis qu'en haut et en dessous on
a un surplus sérieux de main-d'oeuvre disponible: 21% de la main-d'oeuvre
est présentement en chômage ou prestataire du BS.
Bien sûr, la question est complexe, et on trouve pas ou peu d'enthousiasme
dans la population pour ce genre de métier. Mais le besoin est là,
et une Nouvelle Société devra d'une façon ou d'une
l'autre le régler. Est-ce que nous ne pourrions pas trouver une astuce
pour former ces travailleurs de métier dont on a tellement besoin?
On essaie beaucoup, car c'est ça - (entre autres choses, mais plus
que n'importe quoi!) - qu'un système d'éducation est supposé
apporter. Au Québec, trois ministères se partagent cette tâche
et dépensent quelques milliards de dollars par année pour
la formation professionnelle.
On dépense des milliards de dollars par année mais, du point
de vue emploi et production, c'est une formation de deuxième classe.
Parce qu'une formation en institutions d'enseignement est trop longue, trop
théorique et pas assez pratique, trop générale et pas
assez spécialisée pour les postes à remplir. C'est
une formation qui est trop coûteuse, avec des équipements désuets
et des profs en cols blancs qui sont d'abord des professeurs, et ensuite
seulement des spécialistes des matières qu'ils enseignent.
Une formation de deuxième classe, qui non seulement ne forme pas
pour des emplois disponibles, mais qui ne transmet pas non plus les connais-sances
qui permettraient au diplômé de devenir un travailleur entrepreneur
autonome, ce qui est peut-être la vraie voie de l'avenir.
Non seulement une formation de deuxième classe, mais aussi, surtout,
une formation de deuxième choix; car toutes les images négatives
du travail manuel que véhiculent les parents et nos enseignants -
les premiers parce qu'ils sont des cols bleus, et les seconds parce qu'ils
n'en sont pas - font que ceux qui choisissent la formation professionnelle
sont pres-que toujours ceux qui n'on pas pu se qualifier pour mieux. Le
"mieux" étant, pour l'étudiant, tout ce qui porte
un col blanc. Même inutile ou superflu.
Il y a une alternative à cette formation de deuxième classe
en institutions. Elle est connue depuis le Moyen-Age. Un époque où
il y avait des Maîtres, des Compagnons qui savaient, et des apprentis
qui apprenaient. Au travail.
Durant la Deuxième Guerre mondiale, quand on a VRAIMENT voulu être
sérieux - et enseigner vite et bien un metier à ceux et celles
qui remplaçaient, en usines, les travailleurs de métier partis
pour le front - c'est aussi à la formation en industrie qu'on a eu
recours.
Il y a encore aujourd'hui, en France, en Allemagne, en Angleterre, au Canada
même et ailleurs, à coté de la formation professionnelle
longue qui se donne en institutions, une formation industrie, une formation
sur mesure qui colle à l'emploi et permet d'apprendre à remplir
un vrai poste de travail
Une formation de première classe, avec de vrais équipements
et une véritable ambiance de travail. Donnée par de vrais
travailleurs qualifiés, des compagnons dont on fait des maîtres
en leur montrant à enseigner
C'est ça, la vraie formation profession-nelle, et même le travailleur
autonome apprend mieux son métier s'il l'apprend en entreprise, dans
des circonstances qui reproduisent la vie réelle.
Pourtant, cette formation est consi-dérée actuellement comme
un pis-aller, comme un succédanné à la "vraie"
formation, qui se donne, elle, dans une institution. Il serait temps qu'on
revoit cette question et que la formation en industrie cesse d'être
une exception pour devenir la norme.
Comnet monter un système universel de formation en entreprise? D'abord,
que les entreprises qui ont des emplois à combler et qui veulent
faire de la formation s'inscrivent au minis-tère compétent.
On les aidera. En faisant l'analyse de leurs postes à remplir et
en formant, comme enseignants professionnels, certains de leurs travailleurs:
il ne faut pas, en moyenne, plus de six semaines pour montrer à un
bon ouvrier qualifié à enseigner ce qu'il sait.
Ensuite, on doit publier dans les polyvalentes la liste des offres d'emploi
des compagnies et accorder automa-tiquement, à tout étudiant
de 16 ans ou plus qui en fait la demande, le droit d'être libéré
des cours pendant trois (3) mois pour s'inscrire à un Stage
d'orientation en entreprise .
C'est l'entreprise qui fera le choix final des stagiaires. Au bout de ce
stage d'orientation de trois mois, si elle et le stagiaire sont satisfaits,
on organisera alors pour celui-ci un programme complet de formation auquel
colla-boreront, l'entreprise et une institution.
Le stagiaire recevra en institution la formation théorique et les
exercice pratiques dont les parties auront convenu; il recevra en entreprise,
dans le cadre de son travail, des exercices dont les parties auront aussi
convenu. En alternance.
Il passera ainsi 50% de son temps au travail et on lui enseignera de cette
façon, en alternant de l'école à l'en-treprise, tout
ce qui est nécessaire à son travail. Pas plus pas moins. Ce
qui lui garantira une formation professionelle et un emploi. En 18 mois,
il deviendra un ouvrier qualifié.
Si on parle de former le travailleur en entreprise et de lui montrer d'abord
ce qui est necessaire à son travail, on est vite accusé de
voulour le priver d'un accès à la culture. La culture, qu'en
cochon de bourgeois elitiste on va vouloir réserver, bien sûr,
aux futurs avocats et médecins!
Eh bien non, c'est pas ça! c'est même tout juste le contraire
de ça. Car si on peut donner en 18 mois au stagiaire son volet
professionnel, dans le 50% de son temps qu'il passe au travail et,
disons, un autre 25% pour la théorie et la pratique de base en institution,
il restera encore 25% de son temps durant ces 18 mois pour lui apprendre
autre chose.
Pendant 25 % de son temps, durant ses 18 mois de formation en entre-prise,
le stagiaire suivra donc aussi un volet culturel de formation,
composé d'autres cours choisis parmi ceux disponibles en institution.
Joints aux cours du volet professionnel, ces cours lui doneront la scolarité
requise pour l'obtention du diplôme visé.
L'entente avec l'entreprise prévoira que même lorsqu'il aura
terminé son volet professionnel, le stagiaire reste-ra "en alternance",
à 50% seulement de son temps en entreprise, jusquà ce qu'il
ait terminé son volet culturel et réussi les examens menant
au diplôme cherché. DES, DEP, DEC...
Ne craignons surtout pas que le tra-vailleur, une fois son emploi assuré,
fasse ensuite peu de cas de la culture. Au contraire. En séparant
clairement, d'une part, ce qui est nécessaire pour accomplir un travail
donné et, d'autre part, la culture, on lui donne enfin la chance
d'en avoir une.
Car pourquoi cet engouement pour des carrières universitaires à
tout prix, pour lesquelles la demande est faible et qui souvent ne sont
pas plus rémunératrices aujourd'hui que des métiers
de base, si ce n'est le facteur prestige qui s'y rattache et qui est lui-même
lié à la culture?
Or, le lien entre la culture et la plupart des carrières libérales
est affaire de tradition bien plus que de nécessité. Si on
définissait, par exemple, le volet professionnel de l'avocat comme
ce qu'il doit savoir pour pouvoir exécuter correctement 95% des tâches
journali-ères de la moyenne des avocats, telles qu'établies
par le même genre d'analyse de tâches qu'on utilise pour définir
le volet professionnel de tout autre travailleur, croyez-vous vraiment qu'on
ne pourrait pas lui donner cette formation en 18 mois, "en alternance",
entre une institution et un cabinet d'avocats?
La difference entre la formation d'un avocat et celle d'un plombier, c'est
qu'on traite les connaissances cultu-relles qu'on donne au premier comme
si elles faisaient partie de son volet professionnel et lui étaient
indispensables, alors que la pratique d'un avocat moyen ne fait pas plus
appel au Droit Romain que celle du plombier ne se réfère aux
curieux systèmes de ventilation des palais minoens.
Si on scinde les volets professionnel et culturel, et qu'on donne d'abord
à tout travailleur - avocat ou plombier - son volet professionnel,
en mettant la culture au dessert mais en rendant son diplôme dépendant
d'un nombre fixe de modules de culture, on regle le problème du prestige...
et le problème de la main-d'oeuvre qualifiée.
Pourquoi pensez-vous que la durée des cours universitaires de sociologie,
d'économie, de droit, de psychologie, etc. est la même? Certainement
pas parce qu'une analyse de tâches a déterminé que ces
professions, par miracle, ont toutes des exigences de formation professionnelle
égales. La durée en a été rendue égale
pour que le prestige en soit égal, et on y est arrivé en y
ajoutant des volets culturels variables, plus ou moins pertinents.
Il faudrait être naïf pour croire qu'on empêchera que la
culture joue son rôle discriminant; on n'y changera rien. Mais on
pourrait mettre la culture au dessert, après qu'on aura reglé
tous les besoins de main-d'oeuvre, en plomberie comme en notariat. Ce qu'on
aurait si tous les cours se donnaient en alternance, entre d'un coté
une école ou une université et, de l'autre, un stage en entreprise
auprès d'un professionnel reconnu. Un maître.
Le volet professionnel correspondrait aux besoins du premier niveau du marché
du travail, et qui le passerait avec succès deviendrait "compagnon
avocat", "compagnon-sociologue", ou "compagnon-plombier".
Ensuite, un volet culturel (aussi exigeant et long que le prestige qu'on
voudrait attacher à la fonction) permettrait qu'on devienne Maitre
ou Docteur... Ainsi, c'est le diplôme qui ferait foi de culture et
du prestige, et non le volet professionel choisi. Nos plombiers nous feraient
des thèses non moins passionnantes que nos économistes, et
peut-être que nos robinets ne les dégouteraient plus.