06.04.12
Burlesquonies
Il y a quelques années que je parle de démocratie. J'en
dis beaucoup de bien, mais ça ne m'empêche pas d'en voir les
insuffisances et les défauts. Depuis longtemps aussi, je propose
donc de mettre fin à la parodie que l'on en fait présentement
et d'instaurer un système qui représente vraiment la volonté
populaire. (6)
Qu'il y ait des failles dans la démocratie, telle qu'elle est
présentement appliquée, apparaît quand, lors des dernières
élections présidentielles américaines, on a vu 8 %
d'écart entre les résultats officiels et le résultat
des sondages effectués à la sortie des bureaux de votation,
ce qui est une impossibilité statistique. On voit la vulnérabilité
de la démocratie, aussi, quand l'Ukraine choisit une voie puis son
contraire quelques mois plus tard, sans qu'on sache si c'est un segment
énorme de la population, manipulé par les médias, qui
a si vite changé d'avis ou si ce sont les chiffres eux-mêmes
qui ont été trafiqués. Sachant encore moins, bien sûr,
lequel du premier verdict ou du second représente vraiment ce que
la population veut.
On la voit tout aussi impuissante au Belarus, quand il semble que seule
la force a assuré la réélection d'un président
dont personne ne veuille plus ... jusqu'à ce que l'on voie des dizaines
de milliers de personnes dans la rue se réjouir de sa victoire. Une
foule dont on ne sait pas si ce n'est pas aussi la force et la peur qui
les ont rassemblées, ou si ce doute n'est encore qu'un effet de la
propagande et de la publicité... Qui sait si la population du Belarus
n'est pas vraiment entichée de son président et si ce ne sont
pas les médias étrangers qui veulent le discréditer
? On ne sait plus. Le problème est justement qu'on ne sait plus.
Il y a problème quand la démocratie ne fonctionne pas vraiment.
Quand la démocratie ne fonctionne pas vraiment, soit, mais quand
elle fonctionne ? Quand elle fonctionne, elle offre d'autres sujets d'inquiétude.
Cette possibilité apparemment illimitée, par exemple, de dire
des bêtises.
Ainsi, en Italie, quand M. Berlusconi, milliardaire de son état,
mais qui fait aussi dans la politique, change les règles du jeu pendant
qu'il est au pouvoir pour s'assurer qu'une toute petite majorité
électorale permettra de gouverner l'Italie, on a l'impression d'un
pas dans la bonne direction. Une décision de l'État peut être
bonne ou mauvaise, mais il y a tout à gagner à ce qu'elle
soit prise efficacement et à ce que l'État puisse appliquer
son programme. Ceci est vrai partout, mais particulièrement en Italie,
ou l'anarchie et les gouvernements impuissants ont fait assez de mal pour
qu'une proportion non négligeable de la population regrette le fascisme
!
Pour éviter un retour à la confusion, M Berlusconi met
donc en place les règles qui assurent qu'une mince majorité
donnera néanmoins à celui qui l'obtient un pouvoir efficace.
Jusque-là tout va bien, mais M. Berlusconi est BATTU aux élections
par une mince majorité. Là, rien ne va plus. Comme Napoléon
sous Bonaparte ou Mr Hyde sous le bon Dr Jekyll, sous Berlusconi battu perce
BURLESCONI ! * ... et tout devient vaudeville. Celui qui souhaitait un gouvernement
fort - le sien prétend désormais que s'il a obtenu 49%
des suffrages il devrait avoir 49% du pouvoir. Ce qui, bien sûr, garantirait
que le pays soit totalement ingouvernable.
La comédie dans cette affaire, ce n'est pas tant que l'Italie
risque d'être mal gouvernée ; elle l'a déjà été
souvent. C'est que l'on puisse ainsi dire, en toute impunité, le
contraire de ce que l'on vient de dire sans que personne ne s'en offusque.
Toute excuse semble acceptable pour dire que l'on n'a pas perdu. Comment
peut-on, dans un pays civilisé, permettre que la politique devienne
ce théâtre de boulevard ?
Sous la comédie perce un drame, car cette attitude révèle
le peu de respect que l'on a pour la démocratie. L'Italie se partage
aujourd'hui, semble-t-il, entre deux groupes irréconciliables. Dommage,
mais c'est un fait. Ils ont le choix entre accepter l'arbitrage qu'offre
le vote populaire et qui permettra sans doute une alternance... ou en découdre
dans les rues.
Quand Berlusconi récuse le verdict populaire au nom des principes
mêmes de représentation proportionnelle stricte qu'il a dénoncés
une semaine plus tôt, il ne se transforme pas seulement en farceur.
il appelle en fait les gens à ne pas respecter le processus démocratique,
à ne pas accepter l'arbitrage démocriatque et, indirectement,
à descendre dans les rues pour en découdre. C'est ce qu'il
leur propose, quand il leur suggère d'exiger le pouvoir que leur
nombre leur donne,.
Cette incitation à remplacer le droit par la force - quelque
force que ce soit, ne serait-ce que le pouvoir d'imposer la stagnation -
et à mettre au rancart l'arbitrage de la démocratie, c'est
ça le véritable problème. Cette attitude n'est pas
seulement burlesque, elle est essentiellement pernicieuse et peut être
tragique dans ses conséquences.
Bien sûr, il est important que Prodi, élu, fasse la part
du feu et tienne compte de cette minorité importante de gens qui
ne sont pas d'accord avec ses idées. Mais quand Berlusconi se déguise
en guignol et veut le lui imposer, imposant et du même coup un gouvernement
impuissant et l'immobilisme, il rend un bien mauvais service à l'Italie.
C'est quand rien ne bouge qu'apparaissent les Polichinelles en chemises
noires. L'Italie doit s'en souvenir.
Il y a un inévitable gaspillage d'efforts quand une nation partagée
entre deux projets de société choisit d'alterner démocratiquement
entre l'un et l'autre, au rythme de ses déceptions. Ce va-et-vient
entre la gauche et la droite, toutefois est générateur d'action
et un moindre mal. L'immobilisme est pire qui, tôt ou tard, entraîne
un sursaut de violence et, pire que tout, il y a le manque de respect pour
la démocratie qui ne peut mener qu'à la mise au rancart de
la liberté elle-même. Le spectacle de Berlusconi ne mérite
pas de rappels.
Pierre JC Allard
* Ce calembour n'est pas de moi. Petit clin d'oeil, donc, à
son auteur qui, compte tenu de ses fonctions, ne souhaiterait sans doute
pas que je lui en donne ici le crédit.
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