07.08.28
Ne tuez pas Georges W. Bush !
Un film de fiction a été tourné ayant pour thème
l'assassinat du Président américain. On en a vu des extraits
sur le Web. Personne, cependant, ni aux USA ni en Europe, ne semble jusqu'à
présent se bousculer au portillon pour en faire la distribution.
Pas la censure formelle, mais parions que quelqu'un n'aime pas beaucoup
et l'a laissé savoir. De sorte qu'il se pourrait bien que ce film
ne soit jamais montré en salle. Il se pourrait même, avec
le temps, qu'on finisse par croire qu'il n'a jamais existé.
Je ne compatis pas tellement avec le producteur qui en sera pour ses
frais, car je dénonce la censure, mais je trouve l'idée d'assez
mauvais goût. Parler de l'assassinat de Georges W, par les temps qui
courent, semble un truc assez gros pour s'assurer la sympathie et engranger
du fric. Un peu comme ce descriptif bien graphique sur la passion du Christ
que nous a servi Mel Gibson, ou comme ces documentaires, toujours les mêmes,
sur les petits canards couverts de mazout J'ai compris le message, n'insistons
plus.
Allant au fond des choses, d'ailleurs, même si elle est à
première vue séduisante, comme toutes ces scènes de
kung-fu où le méchant est foudroyé par le Ciel ou le
Hasard au nom de la justice immanente, l'idée d'assassiner George
W. Bush me semble un mauvais scénario.
Pour la morale, d'abord, car on ne devrait pas inciter les jeunes enfants
ni les innocents à se réjouir de la mort que qui que ce soit.
Pour l'avenir immédiat du monde, ensuite, car ce serait Cheyney
qui le remplacerait et les séides seraient les mêmes. Pour
tout le développement subséquent de la pensée politique,
enfin, car ce serait tomber dans le piège de PERSONNALISER le Mal,
alors que l'horreur que nous vivons présentement est systémique.
L'horreur que nous vivons presentement n'est pas le geste d'un seul
homme, mais le fruit d'un collectif de production d'abominations, auxquels
bien nombreux sont ceux qui collaborent, au moins par omission, et dont
chacun est responsable à la mesure de son inconscience.
Tuer Bush serait dans la logique de charger le bouc émissaire,
ce qui ne serait ni efficace ni même juste. Dire qu'il n'est pas
doué est une évidence, mais dire qu'il est méchant
est gratuit. C'est prétendre qu'il est une singularité significative
dans le système, ce qui n'est pas vrai.
L'Histoire a connu des personnages qui, pour le meilleur ou pour le
pire, ont courbé l'univers des événements par leur
seule force gravitationnelle. Alexandre, César, Napoléon,
Lénine, Mao... On peut penser que, sans eux, le monde aurait été
différent.
À côté de ces géants, cependant, il y a
ceux qui ne font pas l'Histoire, mais que les circonstances déposent,
un peu par inadvertance, dans le Maelström des événements
et qui reçoivent ou ne reçoivent pas la grâce
d'état qui en fait les symboles et les porte-parole du destin.
Personne ne peut penser que la Grande Guerre de ''14 n'aurait pas eu
lieu, si c'est Cabrinovitch, plutôt que Gavrilo Prinzip, qui avait
tué L'archiduc François-Ferdinand. Personne ne peut penser
que Mai '' 68 n'aurait pas eu lieu, si Cohn-Bandit avait pris à cette
époque un mois de vacances. Tout était prêt. La logique
des événements se serait manifestée d'une autre façon
sans eux et aurait suivi son cours, pas tellement différente dans
ses effets. Il n'y a que dans les romans qu'on peut revenir dans le passé
et sauver l'empire en clouant mieux le sabot du cheval, parce que les empires
qui ont de ces négligences en ont aussi bien d'autres.
Grave erreur, donc, de penser que c'est Bush qui a rendu l'Amérique
monstrueuse. Il y a longtemps qu'un monstre qu'on pourrait appeler «
Américanisme » se développe au sein de l'Amérique;
se donner un président comme Georges W. Bush n'est que la dernière
étape de son développement. Bush n'est que le vecteur du
mal, le porteur des « memes » de la violence, la preuve vivante
de la thèse de Dawkins.
Le mal en Amérique n'est pas une personne. Ce n'est même
pas un groupe d'individus ,dont on pourrait souhaiter comme Marat ou Saint-Just,
je ne me souviens pas, « qu'ils n'aient qu'une seule tête que
l'on puisse la trancher d'un seul coup ». Le mal en Amérique
est un égrégore. Une monstruosité culturelle palpable,
issue de ces memes de la violence qui se reproduisent dans le cloaque des
films d'action de Hollywood, grandissent dans les salons de l'Américain
moyen qui regarde la télévision 7 heures par jour, puis rampent
de son inconscient vers les gangs de rue du Bronx, vers Guantanamo, Abu
Ghraib...
Considérant Bush lui-même, il ne faut pas le voir comme
une « incarnation » du mal - ce qui signifierait qu'il en assume
la conduite, est libre et donc responsable de ses actes - mais uniquement
comme un « manifestation » d'un mal sous-jacent, de cet égrégore
dont il est en quelque sorte possédé. Possédée,
mais sans violence ni souffrance, puisque aucune part en lui ne résiste
à cette possession. Il y a eu en lui parfaite métastase des
memes de la violence.
Il ne faut pas tuer Bush. Ne tuez pas le messager pour la nouvelle.
Il faut le voir comme la victime d'une pathologie et cette pathologie, véhiculée
par les memes de la violence qui ont infiltré la culture américaine,
est celle de millions d'Américains. Si Bush partait, il serait vraisemblablement
remplacé par la même chose... ou pire.
Inutile, donc, d'entretenir vis-à-vis Bush, Cheney et les autres
bourreaux de Washington, des velléités homicides. La nature
a déjà porté sur eux cette « sentence plus lourde
» dont l'exilé athénien admonestait ses juges et elle
l'exécutera à son heure. En attendant, on ne devrait souhaiter
que leur mise au rancart permanente et que la clef soit bien gardée.
Trop peu pour trop ? Souvenons-nous que la mort n'est que naturelle
et inévitable. Le MAL, c'est la souffrance, la cruauté et
l'on ne peut souhaiter la mal à personne qu'en étant soi-même
victime de la contagion, en devenant aussi alors soi-même un vecteur
du mal.
Ne souhaitons donc rien aux méchants que leur disparition tranquille,
qui n'a d'autre mérite que celle d'enlever un hôte docile au
mal qui est en eux. Même l'Histoire verra la vraie responsabilitné
ailleurs et ne retiendra sans doute d'eux que l'image de quelques immondices
sur le sentier de l'évolution, dont on préservera d'autant
mieux la mémoire collective qu'on les contournera sans trop s'y attarder.
Tuer Bush est sans intérêt. Tuer les memes de la violence
serait autre chose, ce serait changer la culture américaine... mais
ce serait un tout autre combat.
Pierre JC Allard
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