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Le syndrome
Notre société présente la s/quence les symptômes précurseurs habituels des fins de civilisation.
1. Les emplois traditionnels disparaissent progressivement et le chômage - occulté sous divers noms - va continuellement en augmentant. Il n'y aura plus jamais de reprise de l'emploi tel que nous le connaissons.
2. Le budget de l'État étant grevé, d'une part, des charges croissantes du maintien des exclus par la sécurité sociale et, d'autre part, du coût des intérêts sur la dette publique, cette dette publique va inexorablement en augmentant. Elle ne sera jamais remboursée au sens où l'économie classique aurait parlé de remboursement.
3. Ceux qui possèdent la richesse, même si le paiement des intérêts sur la dette publique leur assure artificiellement un rendement présumé acceptable, trouvent de plus en plus meilleur profit à utiliser leurs capitaux pour la spéculation, boursière ou autre, plutôt que pour faciliter des investissements productifs.
4. Le fardeau de cette dette qui va s'alourdissant est supporté par un nombre décroissant de travailleurs (inversement proportionnel à celui des exclus, évidemment), le vieillissement de la population aggravant le phénomène.
5. Parmi ces travailleurs en nombre décroissant qui constituent la classe moyenne, ce sont les plus pauvres des contribuables qui écopent naturellement davantage de l'alourdissement progressif du fardeau fiscal, puisqu'ils ne disposent pas des abris fiscaux imaginés par les bien-nantis et introduits au système au profit de ces derniers.
6. En faisant reposer ce fardeau fiscal croissant surtout sur les travailleurs salariés et les petits commerçants, on contribue encore davantage à faire basculer les plus faibles de la classe moyenne dans une pauvreté relative, à réduire leur incitation au travail, à augmenter les disparités entre pauvres et riches et à promouvoir l'exclusion sociale.
7. Afin de ralentir la progression de leurs besoins financiers - pour faire face aux coûts croissants de l'exclusion et de l'intérêt sur la dette - les gouvernements réduisent brutalement les services - (justice, éducation, santé, soutien au revenu, etc) - sacrifiant les acquis du passé, créant la misère, détruisant surtout l'espoir d'un avenir meilleur.
8. Cette réduction des services entraîne, en plus d'une baisse de la qualité de la vie, la morosité, le pessimisme, la rupture de la solidarité sociale, le laxisme professionnel, le refus du risque, menant chacun à un repli vers soi et poussant la société au choix de la décroissance. Un choix FATAL, puisque l'économie, devenue très largement virtuelle, n'a d'autre équilibre qu'en mouvement, s'appuyant sur sa propre croissance.
9. Le choix de la décroissance, en plus d'un impact négatif sur la qualité de la vie des citoyens, accélère l'augmentation du chômage et la baisse de la consommation, cette baisse réduisant d'autant la demande pour les capitaux productifs et donc la valeur réelle de la richesse elle-même qui s'oriente vers la spéculation plutôt que la production
10. Cette spirale de décroissance et de déflation mine la confiance en l'État et détruit le prestige de ceux qui gouvernent. Cette perte de confiance en l'État et cette perte de prestige des gouvernants tend à réduire l'intérêt des personnalités de valeur pour le service public; les charges publiques tendent donc à être occupées, de plus en plus, par des individus opportunistes, ambitieux, moins compétents, moins honnêtes.
11. La baisse de la qualité des homme publics, nonobstant les être exceptionnels qui peuvent encore s'y dévouer, se reflète sur la démocratie elle-même et a pour conséquence la répudiation cynique de toutes les promesses, la corruption, les scandales en chaîne, conduisant à un rejet global de la classe politique par les citoyens. Le processus démocratique devient alors un pur exercice de manipulation de l'information à des fins électorales.
12. La perte de foi en l'intégrité des politiciens et en l'autorité morale de l'État mène à une détérioration de l'éthique sur tous les plans. Bruler des récoltes - ou toute forme de désobéissance civile - apparaît tout à coup comme un geste courageux.
13. De ces phénomènes comme des lenteurs de la justice naît un doute sérieux en la capacité même de l'État de faire respecter la loi. Ceci conduit d'abord à une recrudescence de la violence et de la criminalité, puis à la recherche de solutions de rechanges. Port d'armes, gardes privés, villes murées...
14. On assiste ainsi à une mutation des valeurs, celles-ci s'accommodant de la nouvelle réalité qui n'est plus tout a fait celle d'un État de droit. Les modèles d'imitation changent. Les héros de la télévision deviennent des justiciers: les policiers et militaires qui font triompher la justice MALGRÉ les ordres reçus. Le Héros est celui qui fait cavalier seul et qui donne à chacun son dû, en triomphant du système et au mépris de la loi. Quand le mythe du justicier apparaît dans l'imaginaire collectif, c'est que le « système » est devenu l'ennemi.
15. Quand le système devient l'ennemi, une part croissante de la population ne se sent plus solidaire des efforts que doit consentir une société contre les éléments dynamiques criminels pour qui le désordre est une opportunité. Sans solidarité, se protéger par identification à un clan devient une solution crédible. On assiste donc à une fragmentation de fait de la collectivité, en petites entités en marge de la loi qui génèrent le sentiment d'appartenance que ne peut susciter une société désormais discréditée.
16. Quand ce point de non retour est atteint où l'État ne commande plus la loyauté des citoyens, ces entités hors la loi peuvent agir avec moins de retenue, de moins en moins d'égard pour l'individu. Elles s'affichent, deviennent ouvertement criminelles puis guerroient entre elles. Les services qu'on attend d'une société sont rendus avec de moins en moins d'efficacité, puis plus du tout. On entre en barbarie. C'est ainsi que meurent les sociétés.
Ce scénario n'est pas une fiction. Pour au moins la moitié de l'humanité, il a été mené à son terme et c'est bien ainsi que les choses se passent au quotidien: la fin du monde est arrivée. Pour l'autre moitié incluant l'Occident cette évolution est déjà bien en marche et l'on en vit les étapes. Chaque année, se rétrécit l'espace où l'ordre règne vraiment.
Pauvreté et désordre vont de paire et l'on pourrait croire y trouver une commune solution dans l'enrichissement, mais le seuil à partir duquel le désordre s'impose se situe sans cesse plus haut sur l'échelle de la richesse. Le désordre ne croît pas que dans la pauvreté, mais partout. Il s'impose, parce que les principes, les valeurs les raisons de vivre qui devraient encadrer notre société et y maintenir l'ordre sont là depuis plus de deux siècles - essentiellement issus des révolutions américaine et française et ne collent plus avec la réalité et l'esprit du monde actuel.
Institutions, méthodes, mécanismes, objectifs ne font plus consensus. Il est devenu acceptable de ne plus EN être. Chacun, s'en dégageant presque en catimini, prend ses distances de l'ordre établi sans se sentir encadré par autre chose et devient donc, plus ou moins consciemment, réceptif au désordre. Regardez autour de vous. Nous sommes à la toute fin du processus. Voyez Alain Juppé sortir de prison et se présenter souriant aux électeurs, voyez Martha Stewart signer des contrats à partir de sa cellule il n'y a plus de véritable opprobre à l'illégalité. Or, sans un large respect de la loi, il n'y a pas de société. Notre société doit renaître.
Il faut apporter à notre société des changements aussi radicaux que ceux de 1789 et des années qui ont suivi. On peut le faire plus discrètement, sans guillotine, sans annoncer la mort de notre société, comme on s'est abstenu de marquer d'une journée de deuil la fin de l'Empire Romain. On laissera aux historiens de déterminer, un jour, le moment précis, symbolique, à partir duquel on considérera comme close - et remplacée par «autre chose» - la phase «néo-libérale mondialiste» (1989 - ?), de la période «post-Bretton Woods» (1944- ?), de l'ère du «Capitalisme industriel» (c.1750 - ?)
À l'heure du changement, personne n'aura à dire que notre société est morte. On pourra dire pudiquement qu'elle a été sauvée, in extremis, par «les mesures d'urgences adoptées par des gouvernants éclairés et énergiques». On dira ce qu'on voudra, mais la vérité sera qu'un nouveau phénix sera né et qu'on vivra dès lors dans une société dont les règles du jeu fondamentales auront été adaptées à un nouveau paradigme au point de la rendre méconnaissable : une nouvelle société .
Si on ne fait pas ces changements radicaux, toutefois, si on laisse la crise suivre son cours prévisible, la décadence s'installera et produira ses effets. Nous vivrons l'équivalent d'un nouveau Moyen âge et, quand la civilisation reviendra sur cette terre, il est possible que la société qui l'accueillera ne soit pas une réincarnation de la nôtre, mais se réclame d'une tout autre hérédité.
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