LE MILITANTISME STADE SUPREME DE L'ALIENATION
ORGANISATION DES JEUNES TRAVAILLEURS REVOLUTIONNAIRES (1972)
A la suite du mouvement des occupations de mai 68 on a vu se développer à la gauche du Parti Communiste et de la C.G.T un ensemble de petites organisations qui se réclament du trotskisme, du maoïsme et de lanarchisme. Malgré le faible pourcentage de travailleurs qui ont rejoint leurs rang, elles prétendent disputer aux organisations traditionnelles le contrôle de la classe ouvrière dont elles se proclament lavant - garde.
Le ridicule de leurs prétentions peut faire rire, mais en rire ne suffit pas. Il faut aller plus loin, comprendre pourquoi le monde moderne produit ces bureaucrates extrémistes, et déchirer le voile de leurs idéologies pour découvrir leur rôle historique véritable. Les révolutionnaires doivent se démarquer le plus possible des organisations gauchistes et montrer que loin de menacer lordre du vieux monde laction de ces groupes ne peut entraîner au mieux que son reconditionnement. Commencer à les critiquer, cest préparer le terrain au mouvement révolutionnaire qui devra les liquider sous peine dêtre liquidé par eux.
La première tentation qui vient à lesprit est de sattaquer à leurs idéologies, den montrer larchaïsme ou lexotisme (de Lénine à Mao) et de mettre en lumière le mépris des masses qui se cache sous leur démagogie. Mais cela deviendrait vite fastidieux si lon considère quil existe une multitude dorganisations et de tendances et quelles tiennent toutes à bien affirmer leur petite originalité idéologique. Dautre part cela revient à se placer sur leur terrain. Plus quà leurs idées il convient de sen prendre à lactivité quils déploient au " service de leurs idées " : le MILITANTISME.
Si nous nous en prenons globalement au militantisme ce nest pas parce que nous nions les différences qui existent entre lactivité des diverses organisations. Mais nous pensons que malgré et même justement à cause de leur importante ces différences ne peuvent bien sexpliquer que si on prend le militantisme à la racine.
Les diverses façons de militer ne sont que des réponses divergentes à une même contradiction fondamentale dont aucune ne détient la solution.
En prenant parti de fonder notre critique sur lactivité du militant nous ne sous estimons pas limportance du rôle des idées dans le militantisme. Simplement à partir du moment où ces idées sont mises en avant sans êtres reliées à lactivité il importe de savoir ce quelles cachent. Nous montrerons le hiatus quil y a entre les deux, nous relierons les idées à lactivité et dévoilerons limpact de lactivité sur les idées : chercher derrière le mensonge la réalité du menteur pour comprendre la réalité du mensonge.
Si la critique et la condamnation du militantisme est une tâche indispensable pour la théorie révolutionnaire, elle ne peut être faite que du "point de vue " de la révolution. Les idéologues bourgeois peuvent traiter les militants de voyous dangereux, didéalistes manipulés, leur conseiller doccuper leur temps à travailler ou à le passer au Club Méditerranée ; ils ne peuvent pas sattaquer au militantisme en profondeur car cela revient à mettre en lumière la misère de toutes activités que permet la société moderne. Nous ne cachons pas notre parti pris, notre critique ne sera pas " objective et valable de tous les points de vue ".
Cette critique du militantisme est inséparable de la construction des organisations révolutionnaires, non seulement parce que les organisations de militants devront être combattues sans relâche, mais aussi parce que la lutte contre la tendance au militantisme devra être menée au sein même des organisations, révolutionnaires. Cela sans doute parce que ces organisations, tout au moins au départ, risquent dêtre composées pour une part non négligeable danciens militants " repentis ", mais aussi parce que le militantisme se base sur laliénation de chacun dentre nous. Laliénation ne sélimine pas dun coup de baguette magique et le militantisme est le piège particulier que le vieux monde tend aux révolutionnaires.
Ce que nous disons des militants est dur et sans appel. Nous ne sommes prêts effectivement à aucun compromis avec eux, ce ne sont pas des révolutionnaires qui se trompent ou des semi - révolutionnaires, mais des gens qui restent en deçà de la révolution. Mais cela ne veut nullement dire que 1° nous nous mettons en dehors de cette critique, si nous tenons à être clairs et nets, cest dabord à légard de nous même, et que 2° nous condamnons le militant en tant quindividus et faisons de cette condamnation une affaire de morale. Il ne sagit pas de retomber dans la séparation des bons et des méchants. Nous ne sous estimons pas la tentation du : " plus je gueule contre les militants, plus je prouve que je nen suis pas et plus je me mets à labri de la critique ! "
LE MASOCHISME Faisons leffort de surmonter lennui que secrète naturellement les militants. Ne nous contentons pas de déchiffrer la phraséologie de leurs tracts et de leurs discours. Interrogeons - les sur les raisons qui les ont poussés, eux, personnellement, à militer. Il y na pas de question qui puisse embarrasser plus un militant. Au pire ils vont partir dans des baratins interminables sur lhorreur du capitalisme, la misère des enfants du tiers monde, les bombes à fragmentation, la hausse des prix, la répression....Au mieux ils vont expliquer que ayant pris conscience - ils tiennent beaucoup à cette fameuse " prise de conscience " - de la véritable nature du capitalisme ils ont décidé de lutter pour un monde meilleur, pour le socialisme (le vrai pas lautre). Enthousiasmés par ces perspectives exaltantes ils nont pas résister au désir de se jeter sur la manivelle de la ronéo la plus proche. Essayons dapprofondir la question et portons nos regards non plus sur ce quils disent mais sur ce quils vivent.
Il y a une énorme contradiction entre ce quils prétendent désirer et la misère et linefficacité de ce quils font.
Leffort auquel ils sastreignent et la dose dennui quils sont capables de supporter ne peuvent laisser aucun doute : ces gens là sont dabord des masochistes. Non seulement au vu de leur activité on ne peut croire quils puissent désirer sincèrement une vie meilleure, mais encore leur masochisme ne manifeste aucune originalité. Si certains pervers mettent en uvre une imagination qui ignore la pauvreté des règles du vieux monde, ce nest pas le cas des militants ! Ils acceptent au sein de leur organisation la hiérarchie et les petits chefs dont ils prétendent vouloir débarrasser la société, et lénergie quils dépensent se moule spontanément dans la forme du travail . Car le militant fait partie de cette sorte de gens à qui 8 ou 9 heures dabrutissement quotidien ne suffisent pas.
Lorsque les militants tentent de se justifier ils narrivent quà étaler leur manque dimagination. Ils ne peuvent concevoir autre chose, une autre forme dactivité que ce qui existe actuellement. Pour eux, la division entre le sérieux et lamusant, les moyens et les buts nest pas liée à une époque déterminée. Ces catégories sont éternelles et indépassables : on ne pourra être heureux plus tard que si on se sacrifie maintenant. Le sacrifice sans récompense de millions de militants ouvriers, des générations de lépoque stalinienne ne fait rien bouger dans leurs petites têtes. Ils ne voient pas que les moyens déterminent les fins et quen acceptant de se sacrifier aujourdhui ils préparent les sacrifices de demain.
On ne peut quêtre frappé par les innombrables ressemblances qui rapprochent militantisme et activité religieuse. On retrouve les mêmes attitudes psychologiques : esprit de sacrifice, mais aussi intransigeance, volonté de convertir, esprit de soumission. Ces ressemblances sétendent au domaine des rites et des cérémonies : prêches sur le chômage, processions pour le Vietnam, références aux textes sacrés du marxisme - léninisme, culte des emblèmes (drapeaux rouges). Les églises politiques nont - elles pas aussi leurs prophètes, leurs grands prêtres, leurs convertis, leurs hérésies, leurs schismes, leurs pratiquants - militants et leurs non - pratiquants - sympathisants ! Mais le militantisme révolutionnaire nest quune parodie de la religion. La richesse, la démence, la démesure des projets religieux lui échappent ; il aspire au sérieux, il veut être raisonnable, il croit pouvoir gagner en échange un paradis ici - bas. Cela ne lui est même pas donné. Jésus Christ ressuscite et monte au ciel Lénine pourrit sur la Place Rouge.
Si le militant peut être assimilé au croyant en ce qui concerne la candeur de ses illusions il convient de le considérer tout autrement en ce qui concerne son attitude réelle. Le sacrifice de la carmélite qui semprisonne pour prier pour le salut des âmes a des répercussions très limitées sur la réalité sociale. IL en va tout autrement pour le militant. Son sacrifice risque davoir des conséquences fâcheuses pour lensemble de la société.
LE DESIR DE LA PROMOTION Le militant parle beaucoup des masses. Son action est centrée sur elles. Ils sagit de les convaincre, de leur faire " prendre conscience ". Et pourtant le militant est séparé des masses et de leurs possibilités de révolte. Et cela parce quil est SEPARE DE SES PROPRES DESIRS.
Le militant ressent labsurdité de lexistence que lon nous impose. En " décidant " de militer, il tente dapporter une solution à lécart qui existe entre ses désirs et ce quil a réellement la possibilité de vivre. Cest une réaction contre la misère de sa vie. Mais il sengage dans une voie sans issue.
Bien qu insatisfait, le militant reste incapable de reconnaître et daffronter ses désirs. IL EN A HONTE. Cela lentraîne à remplacer la promotion de ses désirs par le désir de sa promotion. Mais les sentiments de culpabilité quil entretient sont tels quil ne peut envisager une promotion hiérarchique dans le cadre du système, ou plutôt il est prêt à lutter pour une bonne place si il gagne en même temps la garantie que ce nest pas pour son propre compte. Son militantisme lui permet de sélever, de se mettre sur un piédestal, sans que cette promotion apparaisse aux autres et à lui - même pour ce quelle est. (Après tout, le pape nest lui aussi que le serviteur des serviteurs de Dieu !
Se mettre au service de ses désirs ne revient nullement à se réfugier dans sa coquille et na rien à voir avec lindividualisme petit bourgeois. Tout au contraire cela ne peut passer que par la destruction de la carapace dégoïsme dans laquelle nous enferme la société bourgeoise et le développement dune véritable solidarité de classe. Le militant qui prétend se mettre au service du prolétariat (" les ouvriers sont nos maîtres " Geismar) ne fait que se mettre au service de lidée quil a des intérêts du prolétariat. Ainsi par un paradoxe qui nest quapparent, en se mettant véritablement au service de soi - même on en revient à aider véritablement les autres et cela sur une base de classe, et en se mettent au service des autres on en vient à protéger une position hiérarchique personnelle.
Militer, ce nest pas saccrocher à la transformation de sa vie quotidienne, ce nest pas se révolter directement contre ce qui opprime, cest au contraire fuir ce terrain. Or ce terrain est le seul qui soit révolutionnaire pourvu que lon sache que notre vie de tous les jours est colonisée par le capital et régie par les lois de la production marchande. En se politisant, le militant est à la recherche dun rôle qui le mette au - dessus des masses. Que ce " au - dessus " prenne des allures " davant - gardisme " ou " déducationnisme " ne change rien à laffaire. Il nest déjà plus le prolétaire qui na rien dautre à perdre que ses illusions; il a un rôle à défendre. En période de révolution, quand tous les rôles craquent sous la poussée du désir de vivre sans entrave, le rôle de " révolutionnaire conscient " est celui qui survit le mieux.
En militant, il donne du poids à son existence, sa vie retrouve un sens. Mais ce sens, il ne le trouve pas en lui - même dans la réalité de sa subjectivité, mais dans la soumission à des nécessités extérieures. De même que dans le travail il est soumis à un but et à des règles qui lui échappent, il obéit en militant aux " nécessités de lhistoire. "
Evidemment , on ne peut pas mettre tous les militants sur le même plan. Tous ne sont pas atteints aussi gravement. On trouve parmi eux quelques naïfs qui, ne sachant comment utiliser leurs loisirs, poussés par la solitude et trompés par la phraséologie révolutionnaire se sont égarés ; ils saisiront le premier prétexte venu pour sen aller. Lachat de la télévision, la rencontre de lâme sur, la nécessité de faire des heures supplémentaires pour payer la voiture déciment les rangs de larmée des militants !
Les raisons qui poussent à militer ne datent pas daujourdhui. En gros elles sont les mêmes pour les militants syndicalistes, catholiques et révolutionnaires. La réapparition dun militantisme révolutionnaire de masse est liée à la crise actuelle des sociétés marchandes et au retour de la vielle taupe révolutionnaire. La possibilité dune révolution sociale apparaît suffisamment sérieuse pour que les militants misent sur elle. Le tout est renforcé par lécroulement des religions.
Le capitalisme na plus besoin des systèmes de compensation religieux. Parvenu à maturité, il na pas à offrir un supplément de bonheur dans lau - delà mais tout le bonheur ici - bas, dans la consommation de ses marchandises matérielles, culturelles et spirituelles (langoisse métaphysique fait vendre !). Dépassées par lhistoire, les religions et leurs fidèles nont plus quà passer à laction sociale ou au ....maoïsme.
Le militantisme gauchiste touche essentiellement des catégories sociales en voie de prolétarisation accélérée (lycéens, étudiants, enseignants, personnels socio - éducatifs....) qui nont pas de possibilité de lutter concrètement pour des avantages à court terme et pour lesquels devenir véritablement révolutionnaire suppose une remise en question personnelle très profonde. Louvrier est beaucoup moins complice de son rôle social que létudiant ou léducateur. Militer est pour ces derniers une solution de compromis qui leur permet dépauler leur rôle sociale vacillant. Ils retrouvent dans le militantisme un importance personnelle que la dégradation de leur position sociale leur refusait. Se dire révolutionnaire, soccuper de la transformation de lensemble de la société, permet de faire léconomie de la transformation de sa propre condition et de ses illusions personnelles.
Dans la classe ouvrière le syndicalisme a le quasi - monopole du militantisme, il assure au militant des satisfaction immédiates et une position dont lavantage peut se mesurer concrètement. Louvrier tenté par le militantisme se tournera très probablement vers le syndicalisme. Même les comités de lutte antisyndicaux ont tendance à devenir un syndicalisme nouvelle manière. Lactivité politique nest pour les militants ouvriers que le prolongement de laction syndicale. Le militantisme tente peu les ouvriers et notamment les jeunes ouvriers parce que ce sont les prolétaires les plus lucides en ce qui concerne la misère de leur travail en particulier et de leur vie en général. Déjà peu tentés, dans leur ensemble, par le syndicalisme, ils le sont encore moins par un gauchisme aux avantages fumeux.
Ceci dit, quand dans la tourmente révolutionnaire le règne des marchandises et de la consommation sécoulera, le syndicalisme dont le sérieux se basait sur la revendication sera prêt pour survivre à passer au militantisme révolutionnaire. Il reprendra les mots dordre les plus extrémistes et sera alors beaucoup plus dangereux que les groupes gauchistes. Déjà ne voit - on pas, à la suite de mai 68, la CFDT mêler le mot dautogestion à son charabia néo - bureaucratique !
LE TRAVAIL POLITIQUE Le temps " libre " que lui laissent ses obligations professionnelles ou scolaires, le militant va le consacrer à ce quil appelle lui - même " le travail politique ". Il faut tirer et distribuer des tracts, fabriquer et coller des affiches, faire des réunions, prendre des contacts, préparer des meetings...Mais ce nest pas telle action considérée isolement qui suffit à caractériser le travail militant. Le simple fait de composer un tract dans le but de le tirer et le distribuer ne peut être considéré en soi comme un acte militant. Si il est militant cest parce quil sinsère dans une activité qui a une logique particulière.
Cest parce que lactivité du militant nest pas le prolongement de ses désirs, cest parce quelle obéit à une logique qui lui est extérieure, quelle se rapproche du travail. De même que le travailleur ne travaille pas pour lui, le militant ne milite pas pour lui. Le résultat de son action ne peut donc pas être mesuré au plaisir quil retire. Il va donc lêtre suivant le nombre dheures dépensées, le nombre de tracts distribués. La répétition, la routine dominent lactivité du militant. La séparation entre exécution et décision renforce le côté fonctionnaire du militant.
Mais si le militantisme se rapproche du travail il ne peut pas lui être assimilé. Le travail est lactivité sur laquelle se fonde le monde dominant, il produit et reproduit le capital et les rapports de production capitalistes ; le militantisme lui nest quune activité mineure. Si le résultat du travail et son efficacité, par définition, ne se mesurent pas à la satisfaction du travailleur ils ont lavantage dêtre mesurables économiquement. La production marchande, par le biais de la monnaie et du profit crée ses étalons et ses instruments de mesure. Elle a sa logique et sa rationalité quelle impose au producteur et au consommateur. Au contraire, l efficacité du militantisme, " lavancée de la révolution ", nont pas encore trouvé leurs instruments de mesure. Leur contrôle échappe aux militants et à leurs dirigeants. Dans lhypothèse, évidemment, où ces derniers se soucient encore de la révolution ! On en est donc réduit à comptabiliser le matériel produit et distribué, le recrutement, les actions menées ; ce qui évidemment ne mesure jamais ce que lon prétend mesurer. Tout naturellement on en vient à considérer que ce qui est mesurable est une fin en soi. Imaginez le capitaliste qui ne trouvant pas de moyen dévaluer la valeur de sa production déciderait de se rabattre sur la mesure des quantités dhuile consommées par des machines. Très consciencieux, les ouvriers videraient de lhuile dans le caniveau pour faire progresser .... la production. Incapable de poursuivre le but proclamé, le militantisme ne fait que signer le travail.
Sappliquant consciencieusement à imiter le travail, les militants sont fort mal placés pour comprendre les perspectives ouvertes dun côté par le mépris de plus en plus répandu à légard de toutes les contraintes et de lautre par les progrès du savoir et de la technique. Les plus intelligents dentre eux se rangent aux côtés des idéologues de la bourgeoisie moderniste, pour demander que lon réduise les horaires ou que lon humanise la répugnante activité. Que ce soit au nom du capital ou de la révolution , tous ces gens - là se montrent incapables de voir au - delà de la séparation entre temps de travail et temps de loisirs, entre activité consacrée à la production et activité consacrée à la consommation.
Si nous sommes obligés de travailler, la cause nest pas naturelle, elle est sociale. Travail et société de classe vont de pair. Le maître veut voir lesclave produire parce que seul ce qui est produit est appropriable. La joie, le plaisir que lon trouve dans une activité quelconque, cela ne peut être capitalisé,
accumulé, traduit en argent par le capitaliste, alors il sen fout. Lorsque nous travaillons nous sommes entièrement soumis à une autorité, à une loi extérieure, notre seule raison dêtre cest ce que nous produisons. Toute usine est un racket, où lon pompe notre sueur et notre vie pour les transformer en marchandises.
Le temps passé à travailler est un temps où nous devons non pas satisfaire directement nos désirs mais sacrifier en attendant cette réparation ultérieure quest le salaire. Cest exactement le contraire du jeu, où le déroulement et le rythme de ce quon fait a pour maître le plaisir que lon y prend. Le prolétariat en sémancipant abolira le travail. La production des denrées nécessaires à notre survie biologique ne sera plus alors que le prétexte à la libération de nos passions.
LA REUNIONITE Une caractéristique significative du militantisme est le temps passée en réunions. Laissons de côté les débats consacrés à la grande stratégie : où en sont nos camarades de Bolivie, à quand la prochaine crise économique mondiale, la construction du parti révolutionnaire avance - t - elle ...
Contentons nous de nous pencher sur les réunions concernant le " travail quotidien ". Cest peut - être là que sétale le mieux la misère du militantisme. A part quelques cas désespérés, les militants eux - mêmes se plaignent du nombre de ces " réunions qui navancent pas ". Même si les militants aiment se réchauffer entre eux ils ne peuvent pas ne pas souffrir de la contradiction évidente entre dune part leur volonté dagir et dautre part le temps perdu en de vaines discussions, en des débats sans issue. Ils sont condamnés à rester dans une impasse car ils sen prennent à la " réunionnite " sans voir que cest tout le militantisme qui est en cause. La seule façon déliminer la réunionnite revient à fuir dans un activisme de moins en moins en prise sur la réalité.
QUE FAIRE ? COMMENT SORGANISER ? Voilà les questions qui sous tendent et provoquent les réunions. Or ces questions ne peuvent jamais, être réglées, leur solution navance jamais, parce que lorsque les militants se les posent, ils se les posent comme séparées de leur vie. La réponse nest pas un rendez - vous parce que la question nest pas posée par celui qui possède la solution concrète. On peut se réunir pendant des heures, se triturer le cerveau, cela ne fera pas surgir le support pratique qui manque aux idées. Alors que les questions sont des bagatelles pour le prolétariat révolutionnaire, parce que pour lui les problèmes de laction et de lorganisation se posent concrètement, font partie de sa lutte, ils deviennent le PROBLEME pour les militants. La réunionnite est le complément nécessaire de lactivisme. En fait, le problème posé est toujours celui - là : comment fusionner avec le mouvement des masses tout en restant séparé de lui . La solution de ce dilemme est soit de fusionner réellement avec les masses en retrouvant la réalité de ses désirs et les possibilités de leur réalisation, soit de renforcer leur pouvoir en tant que militants, en se rangeant au côté du vieux monde contre le prolétariat. Les grèves sauvages montrent quil y a des risques !
Dans ses rapports avec les masses, le militantisme reproduit ses tares internes, notamment ses tendances à la réunionnite. On rassemble des gens et on les compte. Pour certains du genre AJS (1) , se montrer et se compter devient même le summum de laction !
Ces questions de laction et de lorganisation, séparées déjà du mouvement réel, se trouvent mécaniquement séparées entre elles. Les diverses orientations du gauchisme concrétisent cette séparation. On trouve dun côté avec les maos et lex - GP le pôle de laction, et de lautre avec les trotskistes et la Ligue Communiste le pôle de lorganisation. On fétichise soit laction, soit lorganisation pour sortir de limpasse où en se séparant des masses le militantisme sest plongé. Chacun protège sa crétinerie particulière en se gaussant de lorientation des groupes concurrents.
LA BUREAUCRATIE Les organisations de militants sont toutes hiérarchisées. Certaines organisations non seulement ne sen cachent pas mais auraient même plutôt tendance à sen vanter. Dautres se contentent den parler le moins possible. Enfin certains petits groupes essaient de le nier.
De même quelles reproduisent ou plutôt singent le travail les organisations militantes ont besoins de " patrons ". Ne pouvant bâtir leur union à partir de leurs problèmes concrets, les militants sont naturellement portés à considérer que lunification des décisions ne peut découler que de lexistence dune direction. Ils nimaginent pas que la vérité commune puisse jaillir des volontés particulières de sortir de la merde, elle doit être balancée et imposée du haut. Ils se représentent donc nécessairement la révolution comme un choc entre deux appareils détat hiérarchisés, lun étant bourgeois, lautre prolétarien.
Ils ne savent rien de la bureaucratie, de son autonomie et de la façon dont elle résoud ses contradictions internes. Le militants de base croit naïvement que les conflits entre dirigeants se réduisent à des conflits didées et que là, où on lui dit quil y a unité il y a effectivement unité. Sa grande fierté est davoir su discerner lorganisation ou la tendance pourvu de LA bonne direction. En adhérant à telle ou telle chapelle il adopte un système didées comme on enfile un costume. Nen ayant vérifié aucune base il sera prêt à en défendre toutes les conséquences et à répondre à toutes les objections avec un dogmatisme incroyable. A une époque où les curés sont déchirés par les crises spirituelles, le militant conserve la foi.
Forcé de tenir compte du mépris de plus en plus répandu à légard de toute forme dautorité le militantisme a produit des rejetons dun type nouveau. Certaines organisations prétendent quelles nen sont pas et surtout dissimulent leur direction. Les bureaucrates se cachent pour mieux pouvoir tirer les ficelles.
Certaines organisations traditionnelles essaient de mettre en place des formes dorganisation parallèles permanentes ou pas. Elles espèrent, au nom de " lautonomie prolétarienne ", récupérer ou tout au moins influencer des gens qui leur auraient autrement échappé.
On peut citer le Secours Rouge, l O.J.T.R. et les Assemblées Ouvriers Paysans du PSU...De même, certains journaux indépendants ou satellites dorganisations prétendent nexprimer que le point de vue des masses révolutionnaires ou de groupes autonomes de la base. Mentionnons les " Cahiers de Mai ", "Le technique en Lutte " , "Loutil des travailleurs "...Là où on refuse de poser clairement et les questions dorganisation et les questions de théorie sous le prétexte que lheure de la construction du parti révolutionnaire nest pas encore venue ou au nom dun spontanéisme de pacotille (nous ne sommes pas une organisation, mais un rassemblement de braves mecs, une communauté " etc. ) , on peut être sûr quil y a de la bureaucratie et même souvent du maoïsme. Lavantage du trotskisme, cest que son fétichisme de
lorganisation le contraint à afficher la couleur ; il récupère en le disant. Lavantage du maoïsme (nous ne parlons pas de maoïsme pur et archéo - stalinien du genre Humanité Rouge ) cest quil crée les conditions de son propre débordement ; à force de jouer les équilibristes de la récupération il va se casser la gueule
OBJECTIVITE ET SUBJECTIVITE Les systèmes didées adoptés par les militants varient suivant les organisations, mais ils sont tous minés par la nécessité de masquer la nature de lactivité quil cachent et la séparation des masses. Aussi retrouve - t - on toujours au cur des idéologies militantes la séparation entre objectivité et subjectivité conçue de façon mécanique et ahistorique.
Le militant qui se dévoue au service du peuple, même si il ne nie pas que son activité a des motivations subjectives, refuse de leur accorder de limportance. De toute façon ce qui est subjectif doit être éliminé au profit de ce qui est objectif. Le militant refusant dêtre mu par ses désirs en est réduit à invoquer les nécessités historiques considérées comme extérieures au monde des désirs. Grâce au " socialisme scientifique ", forme figée dun marxisme dégénéré, il croit pouvoir découvrir le sens de lhistoire et sy adapter.
Il se grise avec des concepts dont la signification lui échappe : forces productives, rapports de production, loi de la valeur, dictature du prolétariat etc. Tout cela lui permet de se rassurer sur le sérieux de son agitation. Se mettant en dehors de " sa critique " du monde, il se condamne à ne rien comprendre à la marche de celui - ci.
La passion quil narrive pas à mettre dans sa vie quotidienne, il la reporte dans sa participation imaginaire au " spectacle révolutionnaire mondial ". La terre est ravalée au rang dun théâtre de polichinelle où saffrontent bons et méchants, impérialistes et anti - impérialistes. Il compense la médiocrité de son existence en sidentifiant aux stars de ce cirque planétaire. Le comble du ridicule a certainement été atteint avec le culte du " CHE ". Economiste délirant, piteux stratège, mais beau gosse, Guévara aura eu au moins la consolation de voir ses talents hollywoodiens récompensés. Un record dans la vente des posters.
Quest - ce que la subjectivité, sinon le résidu de lobjectivité, ce quune société fondée sur la reproduction marchande ne peut intégrer ? La subjectivité de lartiste sobjective dans luvre dart. Pour le travailleur séparé des moyens de production et de lorganisation de sa propre production, la subjectivité reste à létat de manies, de fantasme...Ce qui sobjective le fait par la grâce du capital, et devient lui même capital. Lactivité révolutionnaire comme le monde quelle préfigure dépasse la séparation entre objectivité et subjectivité. Elle objective la subjectivité et investit subjectivement le monde objectif. La révolution prolétarienne cest lirruption de la subjectivité !
Il ne sagit pas de retomber dans le mythe dune " vraie nature humaine ", de l " essence éternelle " de lhomme qui, réprimé par la Société, chercherait à revenir au grand jour. Mais si la forme et le but de nos désirs varient, ils ne se réduisent nullement au besoin de consommer tel ou tel produit. Déterminée historiquement par lévolution et les nécessités de la production marchande, la subjectivité ne se plie nullement aux besoins de la consommation et de la production. Pour récupérer les désirs des consommateurs la marchandise doit sadapter sans cesse. Mais elle reste incapable de satisfaire la volonté de vivre en réalisant totalement et directement nos désirs. A lavant - garde de la provocation marchande, les vitrines subissent de plus en plus souvent la critique du pavé !
Ceux qui refusent de tenir compte de la réalité de LEURS désirs au nom de la " Pensée matérialiste " risquent de ne pas voir le poids de Nos désirs leur retomber sur la gueule.
Les militants et leurs idéologues, même diplômés de luniversité, sont de moins en moins aptes à comprendre leur époque et à coller à lhistoire. Incapables de sécréter une pensée un tant soit peu moderne, ils en sont réduits à aller fouiller dans les poubelles de lhistoire pour y récupérer des idéologies qui ont fait, déjà depuis un certains temps, la preuve de leur échec : anarchisme, léninisme, trotskisme....Pour rendre le tout plus digeste ils lassaisonnent dun peu de maoïsme ou de castrisme mal compris. Ils se réclament du mouvement ouvrier mais confondent son histoire avec la construction dun capitalisme détat en Russie ou lépopée bureaucratique - paysanne de " la longue marche " en Chine. Ils se prétendent marxistes, mais ne comprennent pas que le projet marxiste dabolition du salariat, de la production marchande et de létat, est indissociable de la prise du pouvoir par le prolétariat.
Les penseurs " marxistes" sont de plus en plus incapables de reprendre lanalyse des contradictions fondamentales du capitalisme quavait inaugurée Marx . Ils vont sengluer sur le terrain de léconomie politique bourgeoise, tout en rabâchant des bêtises sur la loi de la valeur travail, la baisse tendancielle du taux de profit, la réalisation de la plus - value. Malgré leurs prétentions, ils ne
comprennent rien à la marche du capitalisme moderne. Se croyant obligés dutiliser un vocabulaire marxiste, dont ils ne connaissent pas le mode demploi, ils se coupent des quelques possibilités danalyse qui restent à léconomie politique. Leurs " recherches " ne valent pas celles du premier disciple de Keynes venu..
MILITANTS ET CONSEILS OUVRIERS Les organisation militantes sautonomisent au - dessus des masses quelles ont la prétention de représenter. Elles sont naturellement amenées à considérer que ce nest pas la classe ouvrière qui fait la révolution mais " les organisations de la classe ouvrière ". Il convient donc de renforcer ces dernières. Le prolétariat devient à la limite une matière brute , du fumier sur lequel va pouvoir sépanouir cette rose rouge quest le Parti Révolutionnaire. Les nécessités de la récupération exigent quon ne parle pas trop de ça à lextérieur ; cest là que commence la démagogie.
Lautonomie des buts des organisations militantes doit - être dissimulée. Lidéologie sert à ça. Lon proclame bien haut que lon est au service du peuple, que lon nagit pas pour son bien propre et que si jamais pendant un court moment on est obligé de prendre le pouvoir on nen abusera pas. Une fois que la classe ouvrière aura été bien éduquée on se dépêchera de lui rendre.
Lhistoire des conseils ouvriers montre que systématiquement les organisations dites ouvrières ont cherché à jouer leur propre jeu et tirer les marrons du feu ; cela pour les meilleurs motifs évidemment. Pour assurer leur pouvoir, elles ont cherché à limiter, à récupérer et a détruire les formes dorganisation que le prolétariat sétait données : soviets territoriaux, comités dusine.
Les soviets russes ont été magouillés, puis liquidés par le parti et létat bolchevique. En 1905 Lénine ne leur accorde pas dimportance. En 1917, au contraire, on proclame : " tout le pouvoir au soviets". En 1921 les soviets qui ont servi de marchepied pour prendre le pouvoir deviennent gênants ; les ouvriers et les marins de Cronstadt qui réclament des soviets libres sont écrasés par larmée rouge.
En Allemagne, le gouvernement social - démocrate des " commissaires du peuple " se charge de liquider les conseils ouvriers au nom de la révolution.
En Espagne, de nouveau les communistes soccupent de faire disparaître les formes de pouvoir populaire. Cela devait permettre de mieux développer la lutte contre le fascisme ! Ce nest pas la peine daccumuler les exemples. Toutes les expériences historiques ont confirmé lantagonisme qui oppose prolétariat révolutionnaire et organisation militante. Lidéologie la plus extrémiste peut cacher la position la plus contre - révolutionnaire. Si certaines organisations ont pu cependant se battre à coté du prolétariat jusqu'à la défaite commune comme la Ligue Spartacus et la CNT - FAI anarcho-syndicaliste, rien ne prouve que ces organisations naurait pas commencé à lutter pour leur propre pouvoir une fois ladversaire vaincu.
Les militant pour sêtre cloîtrés en politique nen restent pas moins des individus sociaux, soumis à linfluence de leur milieu. Lorsque ça chauffe, beaucoup peuvent passer dans le camp de la révolution. On a bien vu des délégués syndicaux prendre la tête de séquestrations ! Mais la désertion massive des militants sera dautant plus probable que les conseils et les révolutionnaires conseillistes seront plus forts. Le mouvement peut être aidé dans ses succès par le renfort de nombreux militants, mais en cas derreurs ou de flottements le balancier jouera dans lautre sens. Les organisations militantes seront renforcées par lapport de prolétaires cherchant à se rassurer.
La liquidation des conseils ouvriers a été rendu possible par leur faiblesse, leur incapacité de faire appliquer en leur sein les règles de la démocratie directe et à prendre effectivement tout le pouvoir en écrasant tous les pouvoirs qui leur étaient extérieurs. Les organisations militantes ne sont en fait que la propre faiblesse extériorisée du prolétariat qui se retourne contre lui.
Les travailleurs feront de nouveau des erreurs. Ils ne trouveront pas immédiatement la forme adéquate de leur pouvoir. Moins les masses auront dillusions sur le militantisme, plus le pouvoir des conseils aura de chance de se développer. Discréditer et ridiculiser les militants, voilà la tâche qui revient dès maintenant aux révolutionnaires. Cette tâche sera parachevée par la critique en acte que constituera la naissance dorganisations conseillistes. Ces organisations sauront très bien se passer dune direction et dun appareil bureaucratique. Produit de la solidarité de travailleurs combatifs, elles seront de libres associations dindividus autonomes. Elles montreront par leurs idées, mais surtout par leur comportement dans les luttes, quelles ne risquent jamais de poursuivre des intérêts distincts de ceux de lensemble du prolétariat.
Le développement du capitalisme moderne qui se traduit par loccupation de tout lespace social par les marchandises, par la généralisation du travail salarié, mais aussi par la dégradation des valeurs morales, le mépris du travail et des idéologies, augmentera la violence du choc. Les prolétaires iront beaucoup plus vite et beaucoup plus loin que par le passé. Si des organisations de militants ont pu jadis jouer un rôle révolutionnaire pendant un certains temps, cela ne sera plus possible. Ces organisations ne pourront être rapidement que de plus en plus contre - révolutionnaires lors des prochaines grandes batailles de la lutte.
Notes (1) Alliances des Jeunes pour le Socialisme :organisation de jeunesse des trotskistes lambertistes de lépoque (Note de lEditeur).
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