Le canard
Beaucoup de naturalistes et
de chasseurs considèrent le Canard branchu Aix sponsa
comme le plus beau canard d'Amérique du Nord, voire du
monde entier. Le mâle dans son plumage nuptial, qu'il
porte d'octobre à juin, surpasse en beauté tous ses
congénères. La femelle, aux couleurs plus ternes, est
quand même plus belle et plus colorée que ses cousines.
Le Canard branchu est une espèce typiquement nord-américaine.
On l'a déjà appelé Canard huppé. Son seul parent
proche est le Canard mandarin, d'Asie orientale. Comme
des restes fossiles ont été retrouvés seulement en des
endroits très dispersés dans l'est du continent, il
semble que le Canard branchu est d'origine nord-américaine.
Distribution géographique
Au Canada, les Canards branchus nichent ici et là
dans le sud de toutes les provinces; à Terre-Neuve, on
ne fait toutefois état que d'une seule mention de
nidification. Les aires de reproduction les plus étendues
sont situées en Ontario, au Québec, au Nouveau-Brunswick
et en Colombie-Britannique. À la fin de l'été et au début
de l'automne, la dispersion s'accentue après qu'ils se
sont reproduits. La plupart émigrent aux États-Unis,
mais quelques-uns hivernent parfois dans l'extrême-sud
de l'Ontario et dans le sud-est de la Colombie-Britannique.
Aux États-Unis, leur aire de distribution est beaucoup
plus étendue; en effet, ils nichent dans les régions
situées à l'est du fleuve Mississippi, le long du cours
inférieur du Missouri jusque dans le Dakota du Sud, dans
l'est du Texas, le long de la côte du Pacifique et en
quelques autres endroits. Ils passent l'hiver
principalement le long de la côte atlantique, près de
New York, le long du golfe du Mexique jusque dans le
centre du Texas, dans la vallée du cours inférieur du
Mississippi et dans l'ouest de la Californie; quelques-uns
descendent même jusqu'au Mexique, au sud du District fédéral.
Traits distinctifs
La taille des Canards branchus est intermédiaire
entre celle du Canard colvert et celle de la Sarcelle à
ailes bleues; les mâles pèsent en moyenne 680 g et les
femelles environ 460 g. De loin, le mâle semble avoir la
poitrine et le corps foncé, les flancs pâles, une huppe
rayée et la gorge claire. De près cependant, son
plumage irisé, son bec noir, rouge et blanc et ses yeux
rouges sont très frappants. La femelle se distingue du mâle
et des femelles des autres espèces par une surface
blanche autour des yeux, une gorge pâle et une huppe
plus courte. Les deux sexes portent leur huppe pointée
vers le bas et se distinguent en vol par leur longue
queue, large et carrée.
Leurs ailes sont très caractéristiques. Les rémiges
primaires, qui sont les dix plumes de vol les plus extérieures,
fixées à l'aile au-dessus du poignet, sont de couleur
foncée. Les vexilles externes de ces plumes semblent
avoir été couverts au pulvérisateur de peinture
aluminium, trait unique parmi les canards d'Amérique du
Nord.
Percheurs et barboteurs
Par tradition, les naturalistes nord-américains
avaient toujours groupé les Canards branchus avec les
Canards colverts et autres canards d'étang dans la catégorie
des barboteurs ou canards de surface. Ils établissaient
une distinction entre ce groupe et les canards plongeurs,
comme le Fuligule à dos blanc, à cause des différences
tant dans les traits physiques que dans le comportement.
Mais si le Canard branchu se nourrit à la surface de
l'eau, comme tous les barboteurs, il diffère du groupe
par certains aspects très importants. Contrairement aux
petits des barboteurs, qui sont de couleur jaunâtre, les
canetons du Canard branchu ont le bas du corps blanc et
le haut foncé et semblent avoir une queue assez longue
comparativement aux autres. Caractéristique importante,
les adultes se perchent tout comme le Canard musqué et
les canards apparentés. Ces traits ainsi que d'autres
considérations ont amené les ornithologistes à classer
les Canards branchus parmi les canards percheurs plutôt
que parmi les barboteurs.
Vie et moeurs
Après un long hiver dans les régions relativement
sans gel du Sud américain, le Canard branchu émigre
vers ses aires de reproduction, arrivant au Canada au
mois d'avril. La formation des couples peut se produire
dans les quartiers d'hiver, avant ou pendant la migration
printanière, ou encore au lieu de nidification si l'un
des membres du couple se perd en route. Les oiseaux
appariés se mettent ensuite en quête d'un étang à
castors ou d'un marais reculé qui leur fournira de
l'eau, des lieux de nidification, un habitat pour l'élevage
des petits et des aires d'alimentation. Les femelles
retournent souvent dans la région de leur naissance,
parfois accompagnées d'un mâle originaire d'un endroit
très éloigné.
Comme les autres percheurs, les canards branchus nichent
dans les arbres, montrant une préférence marquée pour
les trous dans les troncs d'arbres creux et dans les
grosses branches, trous causés par une cassure, le feu,
la foudre, la coupe du bois ou le travail des pics de
grande taille, comme le Grand Pic. Le nid, que la femelle
tapisse de duvet arraché de sa poitrine, est situé de 1
à 15 m du sol, dans un arbre de plus de 40 cm de diamètre.
Il est habituellement près de l'eau, mais il arrive que
la femelle choisisse un arbre assez éloigné de l'étang.
Le Canard branchu n'est pas le seul canard au Canada qui
niche dans une cavité. Le Garrot à oeil d'or, le Garrot
d'Islande, le Petit Garrot et le Harle couronné en sont
aussi. Dans certaines parties du Canada d'ailleurs,
l'aire de nidification de ces espèces chevauche celle du
Canard branchu, ce qui crée une certaine concurrence.
Cependant, à cause de différences dans l'habitat et
dans le type des lieux de nidification choisis, cette
concurrence est habituellement assez faible.
La femelle se reproduit à l'âge de un an et pond de 8
à 15 oeufs d'une couleur variant du blanc terne au jaune
crème. L'incubation dure de 28 à 30 jours, mais si la
température est anormalement basse ou si la femelle
s'absente trop longtemps du nid, elle peut se prolonger
de quelques jours.
Après l'éclosion, qui se produit habituellement en juin
dans l'est du Canada, les petits se servent de leurs
griffes pointues pour grimper jusqu'à l'entrée du nid
et, en agitant leur ailes, se laissent tomber sur le sol,
qu'ils atteignent en général sains et saufs. La femelle
les guide ensuite jusqu'à l'étendue d'eau la plus
rapprochée, où ils restent ensemble huit ou neuf
semaines à se nourrir.
Peu de temps après le début de l'incubation, le mâle
se désintéresse des affaires de la famille et passe
plus de temps loin du nid. Il se joint à d'autres mâles
et d'importants groupes en viennent ainsi à se former.
Vers le milieu de l'été, les mâles commencent à s'éloigner
pour muer. À la recherche d'endroits cachés et
tranquilles, les canards peuvent parcourir de grandes
distances, et il arrive que des milliers de mâles venant
d'aires de nidification situées dans les États du Nord
« émigrent » vers le sud-est du Canada. À leur arrivée,
les canards commencent à muer, et, au mois d'août, leur
brillant plumage printanier a cédé la place à un
manteau semblable à celui des femelles. Puis, toutes
ensemble, les plumes de vol tombent, rendant l'oiseau
incapable de voler pendant quelque quatre semaines jusqu'à
la repousse des plumes.
Peu de temps après le premier envol des petits,
d'ordinaire vers la mi-août dans l'est du Canada, les
femelles quittent leur couvée, s'éloignent quelque peu
et commencent à muer. Tout comme les mâles, elles sont
incapables de voler pendant une courte période et
cherchent alors des recoins marécageux.
Vers la fin de l'été et au début de l'automne, les
canardeaux, forts de leur nouvelle capacité de vol, et
les adultes, munis de leurs plumes de vol fraîchement
repoussées, se déplacent sans hâte dans la partie
septentrionale de leur aire. Ils s'occupent surtout à
accumuler de l'énergie sous forme de gras, en prévision
de leur migration automnale.
À la première grosse gelée, habituellement à la fin
de septembre ou au début d'octobre dans la partie
orientale du Canada, le Canard branchu commence son
voyage vers le sud-est des États-Unis. Toutefois, les
populations méridionales, et en particulier les
femelles, sont moins migratrices. Les populations situées
à l'intérieur des terres en Colombie-Britannique émigrent
vers la côte ouest tandis que les populations déjà
situées sur la côte ouest n'émigrent pas.
Régime alimentaire
Le Canard branchu est surtout herbivore ou végétarien,
les aliments végétaux formant environ 90 % de son
régime. Sa nourriture varie selon les régions, mais,
dans toute l'Amérique du Nord, les lentilles d'eau, les
graines de souchet, le carex, les graminées, les
potamots et les glands sont parmi ses mets de
consommation les plus importants. Ces dernières années,
l'importance du maïs comme denrée alimentaire s'est
accrue avec l'invasion progressive des champs de maïs
par de petits groupes de Canards branchus, un
comportement alimentaire semblable à celui des canards
barboteurs tels que le Canard colvert.
Pour une croissance rapide, les petits ont besoin d'un régime
riche en protéines. Ainsi, au cours des premières
semaines de leur vie, il est important qu'ils se
nourrissent de libellules, d'insectes, d'araignées, et
que leur aire d'élevage abrite une grande population de
ces invertébrés.
Conservation
Dès leur arrivée en Amérique du Nord, les Européens
ont, beaucoup plus que les Amérindiens, appris à tirer
profit de cette ressource naturelle que constitue le
Canard branchu, si bien que cet oiseau n'a pas cessé
depuis d'être très recherché par les chasseurs tant
pour sa chair que pour son plumage. Aux premiers temps de
la colonisation, on n'appliquait pas de règlements de
chasse, ce qui fait que, en 1900, l'espèce était
devenue rare.
Devant le besoin évident d'une protection, on a décrété
l'interdiction totale de la chasse entre 1918 et 1941.
Ces mesures restrictives ont été rendues possibles par
le Traité de 1916 concernant les oiseaux migrateurs
entre la Grande-Bretagne (au nom du Canada) et les États-Unis.
Depuis 1941 cependant, les règlements sont devenus de
moins en moins rigoureux au fur et à mesure que le
nombre de Canards branchus augmentait.
Les chasseurs nord-américains ont tué en moyenne 1 189 000
Canards branchus tous les ans entre 1972 et 1982, soit
121 000 au Canada et 1 068 000 aux États-Unis.
On estime que la population totale se situe entre 2 et 4
millions d'individus au terme de chaque saison de chasse,
ce qui confirme la situation plutôt stable de l'espèce
à ce jour.
Aujourd'hui, les populations de Canards branchus sont
limitées par la disponibilité et la qualité de
l'habitat. L'activité humaine, et principalement la
chasse, sont les causes les plus importantes de la
mortalité chez cette espèce; les autres facteurs
comprennent le pillage des nids par les ratons laveurs et
les couleuvres à nez mince, de même que les maladies et
les parasites. Dans les nids de Canards branchus, à
l'intérieur de cavités naturelles ou de nichoirs
artificiels bien protégés, l'éclosion a plus de succès
que dans les nids de la majorité des autres canards; les
maladies et les parasites ne sont habituellement pas
d'importants agents de mortalité, mais il a été établi
que la malaria des canards (causée par un protozoaire du
genre leucocytozoaire) et la peste des canards frappaient
l'espèce.
Parce qu'il niche dans les arbres, le Canard branchu peut
facilement être amené à s'établir dans des nichoirs,
dont de nombreux types se sont révélés bien adaptés.
Le Service canadien de la faune recommande la
construction de maisonnettes d'au moins 55 cm de
profondeur et 25 cm de largeur, munies d'entrées en
forme d'ellipses mesurant au plus 7,5 cm sur 10 cm afin
de limiter l'accès aux ratons laveurs. Cet objectif peut
aussi être atteint si l'on place les nichoirs sur des
poteaux au-dessus de l'eau profonde ou si l'on entoure le
poteau ou l'arbre portant le nichoir d'une feuille de métal.
Il faut également empêcher les Étourneaux sansonnets
de s'emparer des nichoirs en s'assurant que l'entrée
soit plus large que l'entrée préférée par cette espèce.
Un entretien annuel permettra d'atteindre l'objectif de
façon maximale. Il faudra à cette fin s'assurer entre
autres de remplacer la litière de copeaux et vérifier
l'état de solidité du nichoir et de son support.
L'emploi de nichoirs peut augmenter d'une façon très
efficace les populations reproductrices locales, mais le
nombre formant la population totale de Canards branchus dépend
essentiellement des conditions naturelles. Par la
conservation des milieux humides, et en particulier des
marécages boisés, par la limitation des pesticides et
la préservation des arbres parvenus à maturité dans
les aires de nidification, les organismes de conservation
de la faune des gouvernements fédéral et provinciaux du
Canada ainsi que ceux relevant de l'administration fédérale
et des États américains peuvent garantir une abondance
des habitats essentiels à la survie du Canard branchu.
Si elles sont mises en oeuvre parallèlement à
l'application de règlements de chasse basés sur des
estimations précises de la population, ces politiques de
gestion permettront d'assurer le maintien de l'espèce
comme une source de richesse et de plaisir en Amérique
du Nord.
Ouvrages à consulter
- Delaunois, A. 1990. Les oiseaux de chez nous. 2
éd. rev. et corr. Éd. Héritage inc. Saint-Lambert
(Québec).
- Godfrey, W.E. 1986. Les oiseaux du Canada. Éd. rév.
Musée national des sciences naturelles, Musées
nationaux du Canada. Éd. Broquet inc. La Prairie
(Québec).
Fait par Frédéric F. le 25 novembre 2002
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