Jeudi 4 Avril 2002

- 19h57 -

C'était l'été, et je l'avais remarqué parce qu'il me regardait. Fixement, quand j'avais le regard tourné ailleurs. Lui et ses immenses yeux bleus. Non, je ne l'aurais jamais remarqué s'il ne s'était pas retourné sans cesse vers moi, s'il ne m'avait pas donné un sourire à chacune de mes paroles versées. J'avais 20 ans, 20 ans et un amour. J'avais 20 ans et passait les vacances dans ma famille. Il n'avait pas 20 ans, et passait les vacances chez un copain...il fallait que l'endroit soit le même pour lui que pour moi, pour moi que pour lui. Il avait le teint et les cheveux clairs, et toujours ces immenses yeux bleus qui ne se cachaient plus de moi, ces grands yeux qui me suivaient, du moment où j'ai posé ma valise à celui où je l'ai reprise. Troublée, juste troublée, parce que je suis celle qu'il ne faut pas suivre, parce que je suis celle qu'il ne faut pas attendre, ou bien elle risquerait de croire aux rêves et s'y blesser, et y blesser tout le monde au passage. J'étais juste troublée par ce garçon que je n'aurais jamais remarqué, si seulement il ne m'avait pas fait tomber. Mais tomber où? Dans un magnétisme capable de corrompre n'importe quelle jeune fille fidèle et bourrée de principes. Quelques mots sont devenus quelques rires, quelques regards sont devenus connivences, et ainsi se rapprochent les corps, irrémédiablement. J'avais 20 ans, et plus mince, sans doute qu'aujourd'hui, sans doute plus belle, sans doute plus séduisante, plus séductrice, pour qu'il m'ait vu, non, vraiment, j'avais 20 ans, et lui, combien de moins...peut-être 2 ans de moins, ou peut-être même 3...j'ai tant voulu oublier que j'y suis arrivée. Il n'avait pas 18 ans. Et non, il n'avait pas 18 ans, ce garçon qui m'a si honteusement séduite. Tombée sous le charme, troublée sous le charme, je m'en suis voulue, très longtemps je m'en suis voulue. Je me sentais trop femme, femme dans ma vie, femme dans mon coeur, ce coeur qui appartenait à mon homme, mais ce coeur qui pliait, et pliait encore jusqu'à se dérouler devant un garçon qui ne connaissait rien de ma vie, et presque rien de la vie. Je me sentais trop femme, tellement trop réfléchie devant son insouciance. Je me sentais trop femme, et n'étais pourtant pas complètement adulte encore, n'y suis toujours pas d'ailleurs. Mais c'est ainsi qu'un ange a corrompu le diable en moi. Un ange aux cheveux couleur de miel et aux yeux si bêtement immenses et si bêtement bleus comme l'océan devant nous. Je me souviens. L'envie de lui un soir de juillet, ma main qui se demandent encore pourquoi elle s'est enveloppée dans la sienne. Ses mains dans mes cheveux dans la salle-de-bain. Son T-shirt. L'odeur du dentifrice et de la cigarette. Mon honteuse envie de lui, et sa téméraire envie de moi. Et puis les jours d'après. L'océan devant nous. Et puis nos regards l'un dans l'autre dans le miroir. Ce que j'y ai vu. J'y ai pas vu une jeune fille fidèle, ça non. Mais en me regardant je n'ai pas vu un monstre non plus. J'y ai vu l' inoffensive attraction entre une fille et d'un garçon qui ce jour-là étaient heureux. Ses bras autour de moi. Mes doutes et ma fragilité devant son assurance et son optimisme. Echange des rôles de nos âges. J'avais 20 ans, il n'avait pas 18 ans, et mon homme était loin de moi, là-bas, avec sa vie qui était aussi la mienne, la mienne, tellement loin de moi ces jours-là. Ces jours-là dans une escapade estivale où je vivais, si ce n'était qu'à moitié, l'insouciance que j'aurais voulue avant. Moi qui n'avait jamais eu que de complexes histoires faites de bons et de méchants. Cette escapade, c'était juste nous et le soleil, nous et une éphémère histoire de corps et de coeur.

Il y a des jours comme ceux-ci où je voudrais pouvoir encore attraper cette main qui traînait furtivement dans mon dos. Des jours où je voudrais rien qu'un instant sentir le poids de son regard comme au milieu d'un mois de juillet. Il y a des jours où je souhaiterais pouvoir en parler, et effacer à jamais les terribles remords que j'ai eu après cet été-là. Il y a des jours où je souhaiterais pouvoir effacer ce que je lui disais, que tout ça deviendrait bien sûr impossible, que je serai mariée avant qu'il ne me revoit à nouveau. Il y a des jours où je voudrais rien qu'une minute encore retrouver l'insouciance et la tendresse de ce mois de juillet. Mais nous ne sommes qu'en avril. Et je le cherche encore ici. Mais je le cherche en vain. Et je le cherche pourquoi? Je le cherche pour rien.

- 14h02 -

Hier au feu rouge j'ai vu un gars dans une voiture parler à son chien posé sur le siège passager, avec une telle vivacité que je me trouve aujourd'hui à vous le dire. C'était terriblement drôle. Mais je ne me moque pas. Mais ça m'a fait sourire. On aurait dit qu'il lui expliquait 'alors là, tu vois...'...je me suis dit que le beau temps nous monte peut-être à la tête parfois. Le gars, il avait l'air tellement content de converser ainsi avec son animal. Alors je me suis dit que c'était un bel après-midi d'été. Sauf qu'on était au printemps et qe ma journée était encore loin d'être planifiée.

L'amie que je devait retrouver a loupé son train, et moi qui avais déjà fait 1 heure de route, je suis donc partie la chercher, à encore 1/2 heure de route de là. Et c'est peut-être du temps perdu, et ce sont des choses inutiles, peut-être, mais j'adore aller rouler la fenêtre ouverte et la musique à fond sous le soleil et sur des routes que je ne connais pas. Alors même si sur le coup je me suis dit que c'était vraiment pas de chance que j'aurais mieux fait de rester chez moi et puis d'aller au cinéma qu'au moins j'aurais su ce que je faisais de mon temps et de mon argent, et bien finalement j'étais bien. Et puis de retour dans la ville X pour aller boire un café. Assise à la terrasse côte à côte, nous voilà en train de tout bonnement regarder les gars passer. Et d'habitude, je n'ose pas, et d'habitude, ça ne m'intéresse même pas, mais un jour comme celui-là, ce n'était pas si désagréable, parce que ça donne suite à des tas d'interrogations, surtout une, Qu'est-ce que je cherche? Et s'en suivent des fous rires, forcément. Et alors je me dis que tout ne va pas si mal. Tant qu'il y a du monde qui passe, qui fait bouger un peu le monde aussi, même sur 100 ou 200 mètres, et tant qu'on est là à ironiser au soleil nos regrets et nos célibats et nos peut-êtres et nos jesaispas, alors tout ne va pas si mal.

Suis-je la dernière utopiste? Aucune de mes amies ne croient au grand amour, aucune d'entre elles ne croient au grand bonheur. Simplement être heureuse. Plus personne n'y croit. Alors moi je dit que si j'y crois encore, c'est peut-être parce que je l'ai vécu, et que je ne vois pas pourquoi le grand bonheur serait mort après m'avoir quitté. Alors je dit que j'ai vécu des choses formidables, vraiment formidables, alors je sais qu'on peut être heureuses, un jour sur la terre, alors je sais qu'on peut y croire. Mais personne ne me croit, et pense que peut-être je ne suis qu'une vulgaire menteuse. Alors si je suis la dernière utopiste, la prochaine fois je garderai ça pour moi. Et vous, vous y croyez ou pas?

Je vais faire un tour, j'ai besoin de nicotine (pas bien, pas bien). A ce soir, probablement...

...Avant...

...Après...

Sommaire