[ jeudi 4 juillet 2002 ] [ 11:06 ]
Dieu que le ciel est gris. Comme il fait froid dans ce départ. Départ attendu depuis tant d'années aujourd'hui je le voudrais immobile. La vie me pousse vers demain et mon être tout entier appartient à hier. A ce jeune homme gardien du chateau de mon plus beau rêve. A ce bout d'homme dont les mains dessinaient mon corps avec l'assurance de son jeune âge. A ce prince corrompu par moi et notre désir de nous faire exister là où l'on ne nous attendait pas. Mon être tout entier appartient à hier, à nos transcendances, au magnétisme que peuvent exercer deux astres ridicules au milieu d'un ciel immense. J'appartiens à hier, à cette bouche qui ne cessait de me donner des baisers, à ces yeux qui n'en finissaient plus de me soumettre à leur loi. Moi, moi reine dans un autre monde je me retrouvais esclave, esclave de sa plus tendre jeunesse qui tour à tour me ramène à lui et me malmène. Petite honte d'avoir tout celà pour moi, d'avoir tout celà entre mes mains, les traits fins de son visage et la force de ses bras qui m'enserrent et me retiennent, me retiennent là encore même lorsque je serai loin. Petite honte puisque tout celà je ne le mérite sans doute pas. Lui qui se déplace comme un roi dans ce qui devient encore un autre souvenir, lui qui me donne son charisme naissant, sa séduction, sa passion et sa déraison, lui qui même sans dessus dessous semble si rangé, tellement en ordre, et moi au fin fond du désordre, désordre physique, psychologique, tragique désordre qu'il m'impose. Ainsi nous avons inversé les rôles. S'il continue de me voir comme l'initiatrice, professeure de ses plus mémorables nuits, je n'en demeure pas moins l'élève innocente de son insouciance.
Il dit Nous ne saurons jamais ce que nous aurions été. Je dis si j'avais eu quelques années de moins. Il dit Si j'avais eu quelques années de plus. Nous savons très bien qu'il n'y a que l'échec au bout du chemin, puisque la vie n'accepte pas les si. J'observe son visage, le grave une fois de plus sur les parois de mon coeur, si près de moi ce visage n'a plus d'impossibles. Je dois fixer ce qu'il reste de ma raison. Je dois me convaincre qu'il y a des différences qui ne s'effacent pas. Mais ces différences, lui et moi ne les voyons pas. Je ne les vois plus, lorsque son corps se repose contre moi. Il peut me parler de cette vie à mille lieues de la mienne je l'écoute et fait abstraction de la mienne. Je peux lui parler de moi et il m'écoute sans sourciller, entre dans mon monde en mettant le sien entre parenthèses. Et croise ses doigts sur les miens, et j'ai la tête qui tourne alors que je comprends qu'il faudra bien que je m'en aille, qu'il faudra bien que je retrouve, dans une excecrable indifférence, le monde qui m'appartient, mais auquel je n'appartiens déjà plus. Comment quitter le maître du lieu enchanteur de mon inconduite...
J'appartiens à hier et pourtant je dois regarder vers demain. Je dois sacrifier hier pour honorer sans conviction un avenir que je n'attends plus. Je dois arracher mon propre livre pour laisser d'autres l'écrire à ma place. Je ne maîtrise plus rien même pas ma chute. Je m'en vais dans trois heures et crève la bulle d'un sort moqueur et destructeur. J'en m'en vais dans trois heures, arracher les fleurs d'un éphémère bonheur.
[ 15:30 ]
Paumée. Partout où je regarde je vois ses yeux. Partout où je me tourne je vois encore son corps dans le reflet de la vitre de sa chambre. Je me noie. Je me noie et il ne me sauve pas. Me laisse me noyer. Me laisse m'en aller. Sur le quai de la gare j'attendais peut-être. J'espèrais peut-être. Jusqu'à la dernière seconde, que ce corps me rattrape et me retienne.
Mais je n'ai qu'une route à suivre. Et le laisser grandir. Ne pas emprisonner sa jeunesse. Laisser vivre une jeunesse qu'avec moi il réprimerait. Le laisser vivre ces années même si je sais qu'elles nous éloigneront encore un peu plus de ce que l'on a été. Si je restais...je l'enfermerais dans une vie qui n'est pas la sienne, dans la prison de mon amour, puisque je t'aime, mon amour.
Seulement ce putain de train me tue.
Un jour il saura ce que ça fait, de devoir se sacrifier. Je lui disais hier, je te le disais si calmement hier mon amour, tu ne sais pas encore de ce qu'il faut puiser de ressources dans les souvenirs de joie lorsque tout s'écroule autour de soi. Tu ne sais pas encore tout ça, pourtant un jour tu le vivras. Tu vivras les doutes et la rancoeur, tu te réveilleras un matin les yeux embués et te sentira désarmé. Un jour tu regarderas en arrière et sauras reconnaître les jours et les nuits que tu souhaiteras faire renaître.
Et malgré ma peine je suis si fière, même si ça fait si mal, si fière de savoir déjà qu'à des années d'ici, de jeune homme il deviendra le meilleur des hommes que j'ai rencontré, sans aucun doute, tout celà est tellement tracé dans ses gestes, écrit dans ses yeux.